Page images
PDF
EPUB

concilié les choses tout aussi aisément que l'évêque de Nantes. Les bons esprits se devinent.

J'embrasse tendrement notre bon ami Hay, ainsi que M. Vielle, et me recommande à leurs prières. Je ne sais quand je les reverrai, appréhendant beaucoup les aller et les venir. Je n'aime guère à changer de place, et à quelques petits tours près dans le jardin, mes jours comme mes nuits se passent dans la salle. Je n'ai pas mis le pied sur le Perron (1), c'est qu'il y a bien loin, aussi. J'étais né pour vivre et mourir dans une cellule, et encore des plus étroites: in angulo cum libello. La plus grande, ou plutôt la seule incommodité de la Chênaie, est l'éloignement de la paroisse.

Prends pour constant dans les compliments à distribuer que j'ai nommé tout le monde, mais plus particulièrement Langrez, Doguet, Sauvage, Noël, Bachelot et Roger.

Adieu, écris-moi, et pense à moi devant le bon Dieu, principalement durant le S. Sacrifice. Je te renvoie les journaux, le certificat de vie et les lettres de Gratien.

Apporte-moi mercredi un chapelet brigitiné, car j'ai perdu le mien, à mon grand regret. Aie soin de le faire choisir tel que les Gloria patri soient aisés à reconnaître au tact.

[blocks in formation]

Par une faute de mémoire qui ne m'étonne nullement, mais qui m'afflige, puisqu'elle vous a contrarié, j'oubliai de mettre dans le paquet la lettre de M. Garnier, ce qui m'oblige de vous la renvoyer par la poste. Je ne doute pas, cher ami, que vous ne m'ayez déjà pardonné cette faute involontaire; toutefois, en guise d'expiation, je vous copierai ici ces paroles (1) Plantation sur le bord de l'étang à la Chênaie.

touchantes de M. de Bernières, que je lisais l'un de ces soirs avec un doux attendrissement :

« Un jour, après la Sainte Communion, je fus touché forte«ment du désir de la solitude pour m'occuper uniquement « à Dieu, et donner lieu aux pensées que je me plais d'avoir << de mon Bien-Aimé, et donner liberté aux langueurs et << soupirs que les affaires et les créatures me font interrompre. « Les petits oiseaux me semblent bien heureux, qui se reti« rent au plus haut des arbres, et qui chantent leur petite «< musique, sans que les animaux qui rampent sur la terre << les troublent; que si quelqu'un les importune, ils s'envoa lent autre part pour se contenter de l'agréable douceur de « leur chant. Qui me donnera, disais-je en moi-même, les << ailes de la colombe pour m'enfuir au désert, et voler au« dessus de toutes les créatures, et me reposer dans le sein « de mon Bien-Aimé? A l'amour de mon cœur, vous me « montrez le bien de mon repos, et cependant vous m'en re<< tirez; vous me donnez des ailes, et vous me mettez les fers << aux pieds; je soupire après la liberté, et je me trouve dans << l'esclavage; laissez-moi jouir, ou me faites mourir. »

Il revient continuellement sur ces désirs de solitude, toujours néanmoins subordonnés à la volonté de Jésus. Mais quel mot, cher ami! « Laissez-vous dévorer à la Providence divine. »-Dévorer!.... Oui, c'est bien cela. Ah! retenons, pratiquons bien cette leçon qui ne fut jamais plus nécessaire. Les premiers martyrs (un Saint-Ignace par exemple) aspiraient sans cesse après l'arène; voilà que nous aussi nous y sommes descendus. Laissons-nous broyer sous la dent des hommes, afin d'entrer dans le sein de Dieu.

[blocks in formation]

Il y a longtemps que je n'avais éprouvé tant de joie que j'en ai eu en lisant la lettre de notre cher petit Bois. La voilà, tu me la rendras. Voilà aussi ma réponse que tu lui remettras, après l'avoir lue et cachetée.

La lettre de Tesseyre est bien bonne aussi. Si tous lui ressemblaient! mais qu'est-ce donc que ce petit séminaire que M. Duclaux s'occupe d'organiser (1)? Que feront-ils avec les lycées de la capitale? Je n'y comprends rien.

Une femme de Saint-Pierre m'est venue trouver pour me prier de faire passer 36 fr. à son mari (François Ruquet), prisonnier à Dartemoor. Marque-moi si Ange veut s'en charger. Je toucherais ici les 36 fr. de cette pauvre femme, à qui je serais bien aise qu'on pût rendre ce petit service.

Rien ne presse pour la tabatière, mais je serai bientôt pressé de tabac. J'aurais besoin aussi d'une camisole de laine. Nous ferons placarder les affiches des bois de La Mennais.

Je suis dans une sorte de demi-paix sèche, et c'est plus que je ne pouvais espérer. Continue de prier le bon Dieu pour moi. J'ai bonne envie d'être à jeudi. Ce petit voyage me fera grand bien. J'espère que tu nous resteras jusqu'à lundi. Je t'embrasse de tout mon cœur, en Notre-Seigneur et sa Sainte Mère.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small]

Puisque tu ne reçois plus mes lettres qu'à 8 heures, je cours risque de me trouver sans livres pendant un ou deux

(1) Le petit séminaire de Saint-Sulpice à Issy, près Paris.

jours; car je finirai ce soir le 3o volume du Père Lebrun, et peut-être commencerai-je le 4o. Envoie-moi le plus tôt possible les 4 volumes de Goudot, qu'on ne peut parcourir qu'ici. Tu peux y joindre ce que tu croiras que je puis lire avec le plus d'intérêt et de fruit. Un peu de théologie me serait bien utile, car e suis profondément ignorant des choses même les plus nécessaires et les plus communes. Ne crains pas de m'envoyer plus que moins. Quand même je devrais retourner bientôt à Saint-Malo, il faudra que je fasse ici des voyages assez fréquents à cause de la chapelle, et j'y retrouverai ce que je n'aurai point achevé. Envoie-moi la Grammaire hébraïque de Vater et le dictionnaire allemandfrançais in-8°. J'aurai, je crois, une liste de questions que tu pourras envoyer par Tesseyre à M. Garnier. Je ne sais où ce dernier se sera retiré. Le genre de ses études paraît devoir le fixer à Paris. Quel bouleversement! Quelle haine du bien dans ceux qui influent! Quel présent et quel avenir! L'Église de France a une dure vieillesse. Entourée d'enfants ingrats que son existence lasse et irrite, elle descend au tombeau en se voilant le visage, et il ne s'est trouvé personne qui essuyât ses derniers pleurs.

Je souffre toujours et même beaucoup. Je suis habituellement dans l'état que les Anglais appellent despondency, où l'âme est sans ressort et comme accablée d'elle-même. Peutêtre se relèverait-elle un peu si j'étais plus éclairé sur ma destinée. Cette pauvre âme languit et s'épuise entre deux vocations incertaines qui l'attirent et la repoussent tour à tour. Il n'y a point de martyre comme celui-là. Ce qui me plaît dans le parti pour lequel je m'étais décidé, c'est qu'il finirait tout, et qu'après l'avoir pris je ne vois pas quels sacrifices il resterait encore à faire. Mais cela même n'est peut-être qu'une illusion, et qu'un désir produit par un retour subtil

1

de l'esprit de propriété, et l'ennui de la souffrance. La croix qu'on porte est toujours celle qu'on ne voudrait point porter. Toutes les autres nous paraissent légères de loin. On est fort contre les maux qu'on ne sent pas, et l'on se croit capable de soulever des montagnes, dans le temps même où l'on succombe sous un, brin de paille. D'un autre côté un désir constant, qui semble résister à tous les obstacles et triompher des répugnances naturelles les plus vives, n'offret-il pas un caractère de vocation digne au moins d'être examiné? Toutes ces réflexions se mêlent, se croisent et se combattent dans mon pauvre esprit. Je m'y perds, et je tâtonne dans des ténèbres profondes.

[merged small][ocr errors][merged small]

Le coup de vent des morts est arrivé à jour fixe. J'aime ces noms-là et ces idées qui lient les deux mondes. Je commençai hier ma retraite, comme je te l'avais marqué. Ce n'est qu'une demi-retraite tout au plus, à cause des distractions inévitables; et puis, pas le moindre petit secours. N'importe, Dieu est assez puissant pour suppléer à tout, et il saura bien me rendre d'un côté ce qu'il m'ôte de l'autre. Il est vrai que lorsqu'il prend ma pauvre âme dans sa main, et que cette main puissante vient à se refermer, j'éprouve des angoisses indicibles : mais, grâce à sa bonté, toute gratuite, au milieu même de ces inexplicables tortures, je n'ai point perdu la paix, et je ne pense pas avoir désiré la fin de ce châtiment mérité, et qui peut m'être si salutaire. Non sicut ego volo, sed sicut tu. Je me borne, dans mon oraison, à prendre intérieurement des résolutions sans les écrire; je n'en ai pas la force. Ma santé se soutient passablement;

« PreviousContinue »