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Ce droit fubfifte avec quelque différence, nonfeulement dans les pays coutumiers, mais auffi dans ceux de droit écrit, où il eft défigné plus communément fous le nom de prélation. On a déjà parlé fous ce mot, de la jurifprudence des pays de droit écrit à cet égard. On va donc s'occuper principalement ici des ufages des pays coutumiers, où ce droit eft connu plus particuliérement fous le nom de retrait feigneurial. On l'y appelle auffi droit de retenue, retenue par puiffance de fief, & plus ordinairement retrait féodal & retrait cenfuel, fuivant qu'il a pour objet des fiefs ou des rotures.

Cette matière, l'une des plus importantes du droit féodal, mérite d'être examinée avec foin. Pour le faire d'une manière convenable, on va parler ici,

1o. De l'hiftoire du retrait feigneurial.

2o. Des pays où le retrait feigneurial est admis. 3°. Des biens qui y font fujets.

4. Des contrats qui y donnent ouverture. 5°. De ceux qui peuvent ufer du retrait feigneurial. 6°. Du cas où le feigneur n'a la directe que d'une partie des objets vendus.

7°. De la ceffion du retrait seigneurial. 8. De la concurrence du retrait feigneurial avec le retrait lignager.

9°. Du temps dans lequel le retrait seigneurial

doit être exercé.

10°. De la forme dans laquelle il doit être exercé.

11. Des fins de non-recevoir qu'on peut oppofer au retrait feigneurial.

12°. De la répétition du retrait feigneurial.

On aura foin de ne traiter que les queftions particuliérement relatives au retrait feigneurial, en renvoyant au mot retrait lignager, la décifion de celles qui font communes aux deux espèces de retrait. Il en fera de même des règles communes au retrait feigneurial & aux droits de quint & de de lods & ventes, lefquelles font en très-grand nombre mais on ne peut guère fe difpenfer de

faire marcher de front ces deux droits & les deux efpèces de retrait dans ce qu'on a à dire fur l'origine du retrait feigneurial.

§. I. Effai fur l'hiftoire du retrait feigneurial. Il y a tout lieu de croire que le retrait feigneurial ne tire pas plus fon origine des loix romaines que le retrait lignager, quoiqu'on voie le droit de prélation établi dans la loi dernière, au code de jure emphyteutico, de même qu'on trouve le retrait lignager énoncé comme un ufage ancien dans une loi du digefte, & aboli

par une loi du code. V. les loix 16, ff. de reb. aut. jud. poff. & 14, cod. de contrah. empt.

les

Le retrait lignager n'eft prefque point connu dans pays de droit écrit, & l'on verra, dans la fuite que le retrait feigneurial eft plus généralement admis pour les fiefs que pour les cenfives, quoique ces dernières aient évidemment beaucoup plus de rapport aux emphytéofes du droit romain que les Jurifprudence. Tome VII,

fiefs, & qu'on leur donne même ce nom d'emphytéofe dans les pays de droit écrit.

Ces deux espèces de retrait paroiffent tenir immé diatement aux anciennes mœurs des peuples du nord, & aux autres circonftances qui ont produit le droit féodal. Jamais fyftême de légiflation n'attacha les hommes les uns aux autres & à la chofe publique par un plus grand nombre de liens. Les fucceffions, les aliénations & prefque toutes les propriétés étoient réglées par le droit public, & non pas par la volonté du poffeffeur; les biens de chaque particulier, & fa vie même, appartenoient, pour ainfi dire, plus à fa famille qu'à lui; perfonne n'y pouvoit inftituer d'héritier, & l'on n'étoit pas plus libre dans le choix de fes amis que de fes ennemis; il falloit entrer pour tout cela dans les fentimens de la famille ; &, fi la mort d'un hemm❤ pouvoit être expiée, c'étoit en achetant la paix de tous les parens.

Suivant le chapitre 15 de la loi faxonne, un particulier ne pouvoit pas difpofer de fes biens, même par acte entre-vifs, fi ce n'eft pour s'affurer des alimens, en les aliénant dans l'églife ou devant le roi. Ce même code, comme les loix falique & ripuaire, excluoit les filles des fucceffions, parce qu'elles auroient porté les biens dans des maifons étrangères, & qu'elles ne pouvoient pas d'ailleurs s'armer pour les attachemens & les haines de leurs

familles.

Encore aujourd'hui un très-grand nombre de nos coutumes excluent les filles des fucceffions, fur-tout dans les familles nobles, qui repréfentent plus particulièrement les conquérans des Gaules; d'autres les excluent du moins de la fucceffion des fiefs. La coutume même de Paris, qui a tant adouci ces anciens ufages, ne leur permet pas de concourir en égal degré avec les mâles, en ligne collatérale, Voyez l'art. 25, avec la conférence de Fortin & Ricard, & les notes de Laurière.

Dans tous les pays coutumiers, les teftamens proprement dits font rejettés; c'est toujours l'hé ritier légal qui eft faifi de la fucceffion. Il faut laiffer, même en collatérale, la majeure partie des biens de famille, qu'on appelle propres, à ces héritiers; plufieurs coutumes, telles qu'Anjou, Maine & Poitou, défendent même de difpofer de ces propres à titre de donation entre-vifs; &, en cas d'aliénation de propres à titre onéreux, ou à leur défaut, elles y fubrogent les acquêts, & les meubles à défaut d'acquêts. Celle de Poitou, qui eft dans ce cas, permet feulement de donner tous fes biens pour provifion de corps, c'eft-à-dire, pour fa nourriture; encore oblige-t-elle le donataire, dans ce cas-là, d'offrir aux héritiers préfomptifs de garder les propres ou les biens qui leur font fubrogés, en accompliffant les charges de la donation. Voyez les articles 203 & fuivans.

Enfin la coutume d'Artois & plufieurs autres coutumes de Flandres & de Picardie ne permettent même d'aliéner les propres que pour des befoins Hhh

urgens, reconnus tels par la famille, ou, comme elles le difent, pour néceffité jurée. Voyez ce mot.

Le retrait lignager, les enfaifinemens, les notifications & les autres formalités prefcrites pour faire courir le temps du retrait, ont évidemment la même origine que ces loix de fucceffions, ainfi que les retraits de bourgeoifie, de communion, de confolidation ou de bienséance, d'éclèche & de frareufetė. On en retrouve les traces jufques dans la loi des Ripuaires, tit. 60, & dans celle des Bourguignons, tit. 84, art. 2.

Le retrait feigneurial tient à un efprit peu différent.

Chacun des états de l'Europe ne formoit, pour ainfi dire, qu'un affemblage de ligues particulières, fubdivifées en plus petites affociations, telles que le font encore la meilleure partie de l'Allemagne & de la Suiffe. Un royaume étoit compofé de duchés & de comtés, qui fe divifoient fubordinément en vigueries ou vicomtés, en centaines & même en dixaines d'habitations, afin que, dans un pays où les arts & les autres reffources qui facilitent la communication étoient à peine connus, la puiffance publique pût parvenir jufqu'aux dernières extrémités de l'empire, fans qu'il cefsât de former un feul tout.

Ce plan d'administration, combiné avec les bénéfices qu'Alexandre Sévère inftitua pour les foldats des frontières, paroît être la fource du gouvernement féodal. Lorsque ce fyftème eût jetté des racines profondes, & confolidé l'établiffement des feigneuries, qui foumettent autant la terre à la terre que les hommes aux hommes, on ne put pas plus difpofer de fes propriétés fans l'agrément des feigneurs, qu'on ne pouvoit le faire fans l'agrément de fa famille. Les fiefs étoient héréditaires, fans être aliénables, & l'on fent effectivement qu'il n'étoit pas indifférent pour les feigneurs d'avoir pour vaffaux des étrangers, au lieu de membres d'une famille qu'une longue dépendance avoit accoutumés à fervir fous leurs étendards & à fuivre leur fortune.

On trouve des exemples d'aliénation des fiefs dès la fin de la feconde race; mais ils ne furent biens communs que fous la troifième, lorfque l'enthoufiafme des croifades & le luxe dont on prit alors le goût dans l'empire d'Orient, eurent donné naiffance à de nouvelles entreprifes & de nouvelles dépenfes. On crut pouvoir concilier ces defirs avec la gêne impofée par les ufages féodaux, en permettant aux vaffaux d'aliéner leurs fiefs à prix d'argent, à condition, par eux, d'acheter l'agrément de leur feigneur, à qui on laiffa toujours le droit de prendre le marché pour lui. C'eft ainfi que les lods, les quints & requints & les autres droits dus pour les mutations s'établirent, & qu'ils introduifirent avec eux le retrait féodal.

Galland dit au chapitre 6 de fon ouvrage contre le franc-aleu, que le plus ancien exemple de l'affujettiffement aux lods eft tiré d'un cartulaire de

Marmoutier, pour l'année 1079: mais les hiftoriens du Languedoc rapportent un échange de 956, où ce droit fut perçu; ils rapportent plufieurs autres exemples de cet affujettiffement pour des temps peu poftérieurs, & ils en fixent l'époque au commencement du dixième siècle. (Hiftoire du Languedoc, tome 11, page 109, & aux preuves, page 98.)

Le retrait féodal a dû naître un peu plus tard. Les premières ventes ne pouvant fe faire qu'avec la permiffion du feigneur, de qui l'on avoit d'avance obtenu l'agrément, il ne pouvoit pas en être queftion ce ne fut probablement que lorfque l'ufage des aliénations fut pleinement reçu, & quand on fixa la quotité du droit dû au feigneur pour fon agrément, qu'on lui laiffa le choix de rejetter le vaffal qui fe préfentoit, en prenant le marché pour lui ou pour une autre perfonne; c'étoit-là d'ailleurs le remède le mieux approprié aux fraudes qu'on auroit pu commettre, au préjudice des droits de mutation, en lui déclarant un prix inferieur à celui de la vente. La coutume d'Auvergne est la feule de France qui, en admettant le retrait cenfuel, avec les lods & ventes, ait accordé au feigneur le droit de faire mettre aux enchères l'héritage vendu, pour profiter de l'excédent du prix, s'il le trouve trop bas; encore ce droit n'a-t-il lieu que dans un certain nombre de seigneuries de la province. Voyez SURJET.

Ce retrait étoit une fuite fi naturelle de l'aliénation des fiefs, qu'il fut admis dans le droit allemand ou italique, comme dans notre droit françois, durant le court efpace de temps où ces fortes de biens y furent difponibles, comme on le voit dans les livres des fiefs, où l'on paroit douter néanmoins fi ce droit a une origine légitime: porrò, y eft-il dit, five de bona confuetudine, five de prava quæramus, conceffa erat domino aquali pretio redemptio. (§. 2, tit. 9, lib. 2, qualiter olim poterat feudum alienari.)

pro

Le retrait féodal fubfiftoit long-temps auparavant en France; on le trouve énoncé, comme étant en pleine vigueur, dans les premiers recueils de nos ufages féodaux, tels que les affifes de Jérufalem, rédigées dans le douzième fiècle, les établiffemens de Saint-Louis, & les coutumes de Beauvoifis, qui font du fiècle fuivant; on le retrouve encore dans une chartre de Thibaut, comte de Champagne, pour l'an 1198. (Pithou, fur Part, de la coutume de Troyes.)

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Dans les provinces méridionales de la France, & même dans prefque toutes celles qui ont été le plus long-temps fournifes aux Anglois, la diftinction des fiefs & des rotures fut marquée par des caractères moins fenfibles, foit que le régime féodal y eût jetté des traces moins profondes, à caufe de fa combinaison avec le droit romain, foit qu'on y eût adopté une partie des ufages anglois, qui affujettiffoient les rotures aux obligations des fiefs, & qui grevoient les fiefs d'une partie des charges des rotures,

Quoi qu'il en foit, les fiefs & les rotures furent affez communément fujets aux mêmes droits, en cas de mutation par vente ou par mort, & même dans plufieurs lieux ils furent également chargés de l'hommage, & fujets à la peine de commise en cas de felonie. Dans ces mêmes pays, l'aliénation des fiefs, & fur-tout leur aliénation partlaire, c'est-à-dire, la fous-inféodation ou l'accenfement d'une portion de fiefs, y fut moins gênée, & plus indépendante des feigneurs dominans. Ces accenfemens & les abonnemens de fief convertirent fouvent une tenure noble en une tenure roturière, & laifsèrent même quelquefois douteufe la nature de ces tenures. Voyez l'article MAIRIE & FIEFS BOURSIERS.

Ces caufes, qui influèrent réciproquement les unes fur les autres, produifirent un nouveau degré de reffemblance entre les fiefs & les rotures. Ils furent également fujets au retrait feigneurial, comme ils étoient le plus fouvent fujets aux mêmes droits de mutation.

Dans les provinces les plus feptentrionales, & fur-tout dans celles qui avoifinent la capitale, la liberté de l'aliénation des fiefs fut grevée des droits de quint & de requint, tandis que les rotures, beaucoup plus étrangères aux feigneurs, ne durent que le douzième du prix de leur aliénation. Par la même raison, elles ne furent point affujetties au retrait feigneurial.

Par un motif qui paroît d'abord abfolument oppofé, quoiqu'il dérive réellement de la même fource, le retrait feigneurial ne paffa qu'après le retrait lignager dans la France coutumière, tandis qu'il y fut préféré dans les pays de droit écrit, où le retrait lignager eft admis, lors du moins que le feigneur l'exerce par lui-même. C'est que le retrait lignager eft, fi l'on peut ainfi parler, une production exotique aux pays de droit écrit, où l'ordre des fucceffions a continué d'être régi par le droit romain, fans admettre la diftinction des propres & des acquês, ni les ufages auxquels elle doit fon origine. Dans les pays coutumiers, au contraire, où cet ordre fucceffif ne pouvoit pas même être dérangé par les difpofitions de dernière volonté, où les biens étoient, pour ainsi dire, fubftitués à toute la famille, le feigneur ne pouvoit aller qu'après elle, & il ne pouvoit pas fe plaindre d'une préférence qui ne tendoit à l'obliger de recevoir pour vaffaux que ceux qui pouvoient & qui devoient fouvent le devenir naturellement, en fuivant l'ordre des fucceffions.

Comme ces droits de lods, de quint, de requint, =& de retrait feigneurial, étoient très avantageux aux feigneurs, fans paroître trop onéreux pour leurs vallaux & leurs cenfitaires, vu qu'il n'y avoit lieu de les exercer qu'en cas d'aliénation; ils ont fubi peu de variations dans les derniers fiècles. Le droit de requint, qui n'avoit été introduit que pour le cas où l'on chargeoit l'acquéreur de payer perfonnellement le droit de mutation, a néanmoins été I

fupprimé dans plufieurs coutumes, depuis que ce te convention, qui n'étoit d'abord qu'une dérogation au droit commun, a elle-même formé ce droit commun. La jurifprudence des cours a auffi étendu le plus qu'il lui a été poffible, la faveur des arrangemens de famille, en exemptant des droits feigneuriaux, & par conféquent du retrait seigneurial, tous ceux qui tenoient lieu de partage.

Tout au contraire, les loix qui ont affujetti les échanges aux droits feigneuriaux n'ont pas rendu ces fortes d'actes fujets au retrait feigneurial, nonfeulement parce que ces loix purement burfales, ne pouvoient pas être étendues d'un cas à un autre, mais auffi parce que le retrait feigneurial auroit abfolument détruit pour les parties contrac tantes, le but des échanges, qui mérite la plus grande faveur, & qui ne devroit être gêné par

aucunes entraves.

§. II. Des pays où le retrait feigneurial eft admis. Le retrait feigneurial n'est guère connu que dans la France & dans les provinces voisines, telles qu'une partie de la Flandre & la Savoie, &c. Dans l'Allemagne, & une grande partie de l'Europe, où l'on fuit pour loi les livres des fiefs, le droit féodal ne permet point l'aliénation des fiefs, & les biens non féodaux font régis par des loix toutes différentes de celles qui règlent nos cenfives. IL n'eft donc pas étonnant que le retrait feigneurial y loit rejetté fuivant le droit commun. Mais les feudiftes allemands & italiens nous apprennent que le retraie féodal y eft reçu dans les lieux où l'aliénation des fiefs eft permife au vaffal. Rofenthal affure qu'on doit ainfi le décider dans le cas même où la coutume du lieu excluroit toute forte de retrait. (Cap. 9, mem. 2, conf. 87, n. 2, p. 872.)

Cette obfervation peut s'appliquer aux pays de France qui fuivent le droit des fiefs, c'eft-à-dire, le droit allemand, tels que l'Alface. Le retrait fei gneurial n'y a pas lieu. Il eft d'ailleurs prefque univerfellement admis dans les pays de droit écrit, fous le nom de prélation. Voyez ce mot.

Dans les pays coutumiers, qui ne font pas du reffort du parlement de Paris, le retrait feigneurial eft auffi admis généralement pour les fiefs, comme pour les rotures. Il y a même plufieurs coutumes, où, quoique les fiefs foient de danger & ne puiffent pas être poffédés fans le confentement du feigneur, le retrait feigneurial eft néanmoins reçu. Telles font celles de Hainaut, chap. 95, art. 1, 2 & 3; de Bar, tit. 1, art. 4; de Saint-Mihiel, út. 3, art. 4, &c.

Dans le reffort du parlement de Paris, on diftingue entre le retrait féodal & le retrait cenfuel. Le retrait féodal est universellement admis. La coutume de la ville d'Arras, art. 49, est, je crois, la feule exception à cette règle. On y peut ajouter, pour les autres parlemens, celles de Befançon, art.......; de la falle de Lille, art. 65; & de Limoges, art. 41.

Le retrait cenfuel n'eft point admis par la cou

tume de Paris, & par un grand nombre d'autres. On juge, par cette raifon, qu'il doit être rejetté dans toutes les coutumes qui n'en font pas mention, quoique celles qui l'admettent régiffent un territoire plus étendu que celles même qui n'en parlent pas. Il eft d'ailleurs certain que, dans le doute, on doit fe décider en faveur de la liberté.

Mais dans les coutumes muettes & dans celles même qui rejettent le retrait cenfuel, les domaines roturiers peuvent y être affujettis par des titres particuliers. Guyot dit qu'on prétend que le chapitre de Sainte-Croix d'Orléans eft dans ce cas, mais qu'ayant fait ce qu'il a pu pour le favoir au vrai, il n'a pu en voir les titres. (Du retrait feigneurial, chap. 1, n. 8.)

La faveur de la liberté paroîtroit auffi devoir faire rejetter le retrait féodal dans le petit nombre de coutumes qui n'en parlent pas. La queftion néanmoins fouffre beaucoup de difficultés, & je ne fais pas même fi elle s'eft jamais préfentée dans le reffort du parlement de Paris, où l'on ne trouveroit pas, je crois, une feule coutume générale, qui n'admette pas expreffèment ou le retrait feigneurial en général, ou le retrait féodal en particulier. Mais il y a plufieurs coutumes de Flandre, telles que Namur, Liège & Tournai, celles de la ville & de l'évêché de Metz, celles de Verdun, de Lorraine & d'Epinal, qui n'en difent rien.

La queftion a fur-tout été fort agitée dans ces deux dernières coutumes avant que la Lorraine fût réunie à la France. On trouve, dans le répertoire univerfel, aù mot Retrait féodal, un extrait très-étendu d'une favante confultation fur cet objet, qui a été délibérée à Paris par MM. Barbin du Cornet, de Lombreuil, Berroyer, Tartarin & Prevoft. Indépendamment des principes généraux fur la liberté des aliénations, ces jurifconfultes y foutiennent que le duché de Lorraine étant un état fouverain, on ne peut pas en fuppléer les loix par celles des états voisins, ni par celles de Bar & de Baffigny, qui font des terres mouvantes; qu'on ne peut pas non plus les fuppléer par la coutume de Saint-Mihiel, qui n'a été rédigée que quatre ans après celle de Lorraine en 1588; que ces trois coutumes de Bar, de Baffigny & de SaintMihiel font des coutumes de danger, & que le retrait féodal y étant attaché au droit de commife, il faudroit pour admettre le retrait féodal dans le furplus de la Lorraine, y fuppléer auffi ce droit de danger ou de commife, que la coutume de Lorraine rejette expreffément dans l'article 12 du titre des fiefs. Ils fe prévalent du texte de cet article, qui porte que les fiefs fe peuvent vendre & aliéner librement, & que l'acquéreur en peut entrer en poffeffion fans danger de commife, pour en conclure que cette coutume a bien entendu rejetter le retrait féodal. Ils prouvent encore, en rappellant les difpofitions très-étendues que cette coutume a fur le retrait lignager, le retrait conventionnel & le retrait du douaire, que ce ne peut pas être par

inadvertence qu'on a omis d'y parler du retrait féodal, & ils invoquent l'ufage du pays qui eft, difent-ils, d'accord avec la coutume pour le méconnoître.

Breyé, avocat en la cour fouveraine de Lorraine & Barrois, a fuivi l'opinion contraire dans fon traité du retrait féodal, imprimé à Nancy en 1737, où il a difcuté cette queftion de la manière la plus étendue. Il y prouve combien le retrait féodal eft conforme à la nature des fiefs dans les pays du moins où on les a rendus aliénables & difponibles. Il foutient que les premiers ducs de la Lorraine n'ont poffédé cette province qu'en vertu des inveftitures des empereurs; qu'on l'a confidérée pendant plufieurs fiècles, comme un grand fier de l'empire; que ce n'eft que par la fameufe tranfaction de Nuremberg, du 26 août 1542, que le duc Antoine en a obtenu l'indépendance; que jufqu'alors elle avoit été fujette aux coutumes & aux conftitutions qui régiffent les fiefs de l'empire; & que la défenfe d'aliéner, fans le confentement du feigneur direct, à peine de commife, y étoit obfervée à la lettre, avant le règne de Charles II.

Breyé rapporte plufieurs exemples de l'exercice de ce droit de commise par les ducs de Lorraine. Il foutien: que la libre difpofition des fiefs ne s'est établie que par tolérance dans la Lorraine, depuis le règne de Charles II, qui accorda les privilèges les plus exorbitans, & prefque l'indépendance à fa nobleffe, pour la déterminer à affurer à fa fille Ifabelle, la fucceffion de la Lorraine, quoique ce fût un fief mafculin. Il ajoute que le retrait féodal n'eft pas un droit accidentel, mais un droit naturel & fubftanciel des fiefs, qui doit être fous-entendu dans toutes les coutumes & dans les inveftitures qui ne le rejettent pas expreffément; que c'eft conformément à ce principe que Dumoulin, fur l'article 13, n. 5 de la coutume de Paris, a foutenu que la confervation du retrait féodal étoit fi favorable, qu'on devoit interpréter largement les coutumes, lorfqu'il s'agiffoit de le conferver.

Cette autorité pouvoit paroître peu décifive dans une coutume qui ne dit pas un mot qu'on puiffe appliquer au retrait féodal, même en ufant de l'interprétation la plus large. Mais Breyé foutient que le retrait féodal eft pour les fiefs, un droit non pas accidentel, mais naturel & fubftantiel, qui doit être fous-entendu dans toutes les coutumes & les inveftitures qui ne le rejettent pas expreffément. Il obferve, d'après cela, qu'on ne pour roit pas oppofer l'ufage contraire, puifque le retrait féodal n'eft qu'un droit facultatif, qui ne fe perd pas par le non-ufage, lors du moins qu'il n'y a pas eu de contradiction. Enfin, il cite des exemples de retrait féodal de la part des ducs de Lorraine.

Le premier a, dit-il, été exercé par Léopold I, pour les terres de Berras & de Rennilly, en 1698, l'année même de fa rentrée dans fes états, c'eftà-dire, dans un temps où il n'eft guère à croire qu'il ait voulu abuser de fon autorité. Le fecond

a eu pour objet le retrait féodal de la terre de Saint-Mange, cédée en 1710. Enfin, le troisième & celui qui a fait le plus d'éclat, eft le retrait du marquifat d'Haroué, cédé en 1720 au prince de Craon, & confirmé par deux arrêts contradictoires; l'un de la cour fouveraine de Lorraine, du 17 juin 1720, & l'autre du confeil d'état de fon alteffe royale, du. 1730, rendu fur la demande en caffation, formée contre celui de la

cour.

Il faut avouer néanmoins que le retrait féodal eft incontestablement rejetté dans la coutume voifine de l'évêché de Metz, comme on le voit dans le commentaire de M. Dilanges, tit. 9, art. 2. Il l'eft également dans toute la partie du reffort du parlement de Metz, qui eft régie par des coutumes muettes à cet égard, telles que font celles de Lorraine & de Verdun.

Le même magiftrat, dans fon commentaire fur la coutume de Metz, qui eft plus communément connu fous le nom de commentaire anonyme, dit que le retrait féodal n'a pas lieu dans cette dernière coutume, quoique l'article 9 du titre 3, après avoir rejetté le retrait lignager, ajoute que « le feigneur "féodal pourra néanmoins retirer le fief vendu, » fi bon lui femble ».

« Il eft certain, dit-il, & notoire à Metz, que » de mémoire d'homme, & au-delà, il n'y a eu » aucun acte de retrait féodal dans notre coutume: » ce qui provient fans doute de la rareté des fiefs; » car on n'y en connoît que deux ou trois, encore dépendent-ils de quelques chapitres ou » abbayes. Ainfi, cette difpofition au fujet du » retrait féodal, doit être regardée comme inutile » & non écrite ».

§. III. Des biens qui font fujets au retrait feigneurial. On a déjà vu que la coutume de Paris & beaucoup d'autres n'admettoient point ce retrait pour les domaines roturiers, & qu'on l'obfervoit ainfi dans les coutumes muettes. Dans toutes ces coutumes, il est évident que pour juger fi un bien est sujet ou non au retrait feigneurial, il faut commencer par examiner quelle en eft la nature, noble ou roturière. Dans les pays au contraire où le retrait feigneurial eft admis dans toute fon étendue, pour les rotures comme pour les fiefs, tous les domaines y font fujets, lorfqu'ils font dans la mouvance d'un feigneur.

Pocquet de Livonière penfe même que le retrait feigneurial a lieu pour les francs-aleux dans la coutume d'Anjou, d'après les difpofitions particulières de l'article 140, qui, après avoir obligé le détenteur de ces fortes de biens à fournir une déclaration au feigneur, ajoute, que « fi la terre se vend, ou échange, le feigneur y prendra fes ventes & autres émolumens de fief ».

On fent bien qu'une difpofition auffi contraire au droit commun ne doit pas être admise hors de cette coutume. On la rejette même dans la coutume du Maine, qui, malgré tous les rapports

qu'elle a avec celle d'Anjou, dit expreffément dans l'article 153, que « fi la terre eft vendue ou échangée, le feigneur n'y prendra ventes ou autres émolumens de fief".

Comme ces deux articles des coutumes d'Anjou & du Maine font abfolument femblables pour tout le refte, & qu'il n'y avoit même autrefois qu'un feul coutumier pour les deux provinces, il est affez probable que la négative aura été fupprimée dans la coutume d'Anjou, par l'inadvertence, ou même par la mauvaife foi d'un copiste, & que c'eft de-là que procède une difpofition fi extraor dinaire & fi oppofée à la nature des francs-aleux.

Les domaines incorporels peuvent auffi être fujets au retrait feigneurial, lorfqu'ils font dans la mouvance d'un fief. La coutume de Bretagne dit que ce retrait a lieu en cas de vente d'aucune chofe tenue en fief, & cette expreffion doit être adoptée dans le droit commun; on doit tenir en général, que le retrait feigneurial a lieu pour les mêmes biens, que les droits de quint & de lods & ventes. Ainfi les droits de fief, de cenfive, de champart, de juftice, & de dixme inféodée font fujet au retrait feigneurial lors même qu'ils ne font attachés à aucune glèbe.

On a fait autrefois beaucoup de difficultés pour les dixmes inféodées, lors du moins qu'elles étoient acquifes par l'églife. Loifel, dans fes inftitutes coutumières, livre 3, article 170; l'Hommeau, dans fes maximes du droit françois, & Pithou, dans l'article 74 des libertés de l'églife Gallicane, décident tous que dixme inféodée acquife par l'églife, n'eft fujette à retrait.

D'Argentré paroît le premier s'être écarté de cette opinion, dans fon commentaire fur la coutume de Bretagne, §. 266, chap. 22, n. 13; & fon fentiment a depuis été fuivi par le Grand, fur la coutume de Troyes, art. 148, glof. 3, n. 46; la Thaumaffière, dans fes queftions, cent. 2, chap. 33, & du Pleffis, dans la 57° de fes confultations. Il fuffit, ce femble, de faire attention à la qualification d'inféodées, pour réfoudre la question en faveur des feigneurs ; quand bien même on croiroit que ces dixmes appartenoient originairement à l'églife, l'inféodation qui les a rendues patrimoniales les a affujetties au droit commun des fiefs & par conféquent aux droits de quint, de rachat, de faifie-féodale & de retrait.

Plufieurs auteurs ont néanmoins fait une diftinction, ils pensent que la dixme perd fa nature d'inféodée, fi elle eft acquife par l'églife, c'est-àdire par la cure du territoire où elle eft fituée, parce qu'on doit alors préfumer qu'elle appartenoit originairement à cette églife & qu'elle a été ufurpée fur elle. On cite quelques arrêts qui l'ont, dit-on, ainfi jugé. Breyé, qui ne s'eft pas expliqué bien clairement fur cet objet, paroît même croire que le retrait ne peut jamais avoir lieu lorfque !dixme eft aliénée en faveur de quelque églife c ce foit, L'opinion contraire paroît la plus régulie

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