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» n'embraffe pas l'état religieux; fi elle lui donne les marques d'une indignation qui ne fe paffe point, jufqu'à ce qu'elle foit entrée dans le mo» naftère; & dans le cours du noviciat elle lui fait » fentir qu'elle la rendra malheureuse en cas qu'elle » rentre dans le monde, il n'y a rien qu'une fille » ne fasse pour éviter les combats continuels qu'il » faut qu'elle foutienne contre sa mère; & l'envie » d'éviter cette contrainte l'engage à faire des vœux » fans la liberté néceffaire, pour le choix d'un » état, fur les obligations duquel on ne fauroit » trop faire de réflexions, même quand on l'embraffe par un fentiment de piété ».

Ces principes, que la raifon & la religion adop tent également, ont été confacrés par la jurifprudence des arrêts. Tous ceux rendus au fujet des fous-diacres, qui ont été relevés de leur engagement, parce qu'ils avoient été forcés, par des menaces ou autrement, à recevoir cet ordre facré, doivent s'appliquer à la profeffion monaftique. Nous ne citerons ici que celui du 3 feptembre 1759, qui a déclaré n'y avoir point abus dans une fentence de l'official de Paris, qui admettoit le fieur Bouret à prouver, tant par titres que par témoins, les menaces & les mauvais traitemens, qu'il foutenoit avoir été employés par fon père pour le faire entrer dans les ordres facrés. Les parties étant revenues, après l'arrêt, à l'officialité, & les preuves s'étant trouvées concluantes, l'ordination fut déclarée nulle, & le réclamant remis dans fon premier état, par fentence contradictoire du 9 février 1760, rendue fur délibéré.

Mais il ne fuffit pas d'articuler des menaces, des faits de violence, des mauvais traitemens, pour être admis à en faire la preuve ; il faut néceffairement un commencement de preuve par écrit. La preuve teftimoniale, difoit M. de Saint-Fargeau, lors de l'arrêt de Lelievre ci-deffus cité, toujours fufpecte à la juftice, n'eft point admife dans les questions d'état, fans un commencement de preuve par écrit. On ne la permet que pour achever d'établir une vérité qui a déjà une base fixe, & à laquelle il ne manque qu'un développement plus complet. Defende caufam tuam, inftrumentis & argumentis quibus potes: foli enim teftes ad ingenuitatis probationem non fufficiunt. L. 2, cod. de teftib. Cette loi reçue dans nos mœurs, comme raison écrite, n'eft pas moins fufceptible de s'appliquer aux queftions fur l'état religieux, qu'aux questions fur l'état civil, & les unes & les autres font trop importantes, pour en abandonner la décision à la foi des témoins; dans les unes comme dans les autres, la preuve teftimoniale feroit trop périlleuse à autorifer fans un commencement de preuve par écrit. A plus forte raifon doit-on la rejetter dans les unes comme dans les autres, quand on veut s'opposer aux actes. C'est aux actes établis pour conftater l'état des hommes & des religieux, qu'il appartient d'en décider, quand d'autres actes ne balancent point leur autorité; il y a moins d'inconvéniens de compter peut-être Jurifprudence. Tome VII.

trop fur la foi des actes, que de trop hafarder fur la foi des témoins.

Il faut donc en général un commencement de preuve par écrit, pour être admis à prouver qu'une profeffion n'a pas été libre de la part de celui qui réclame: & ce commencement de preuve par écrit devient plus néceffaire, lorfque les faits articulés font combattus par des actes authentiques.

Ceux qui font fous la puiffance de leur père. ou de leur mère, tuteurs ou curateurs, ont-ils befoin de leur confentement pour faire valablement profeffion dans quelque ordre religieux ? Cette queftion a été agitée très-fouvent; les partifans des deux opinions contraires ne manquent pas de motifs pour les faire valoir, & citent de part & d'autre des arrêts en leur faveur. Mais leurs motifs & les arrêts cités, quelque contradictoires qu'ils paroiffent, peuvent aifément fe concilier, en faifant avec d'Hericourt, une diftinction qui applanit bien des difficultés. « Les enfans ne doivent point » embraffer l'état religieux fans le confentement » de leur père & mère; & cependant fi un jeune » homme ou une jeune fille, étant parvenus a » un âge mûr, comme de vingt ou vingt-deux ans. » vouloient s'engager dans un monaftère, fans qu'il » parût aucune féduction de ceux qui le gouver » nent, on n'auroit point d'égard à l'oppofition » des parens, qui n'ont point le droit d'empêcher, » leurs enfans de fe confacrer au feigneur.... Le » feul moyen de concilier les arrêts, qui font » juftes chacun dans leur espèce, est d'admettre » cette diftinction ».

Ainfi, tant qu'il y a à craindre la féduction ou l'illufion, l'autorité paternelle fubfifte dans toute fa force, le droit de furveillance, de protection & de direction que la nature accorde aux pères fur leurs enfans, & dont ils ne font jamais préfumés abuser pour empêcher leur bien, ne ceffe pas parce qu'ils fe feroient jettés dans un cloître, & fe feroient couverts de l'habit religieux. Nous avons cru devoir modérer la rigueur de cette ancienne maxime, que la ferveur des premiers chrétiens rendoit peut-être excufable, per calcatum perge patrem, per calcatam perge matrem. Nous avons cru que les paffages de l'évangile, fi quis venit ad me & non odit patrem & matrem, & uxorem, & filios, & fratres, imo & animam fuam, non poteft difcipulus meus effe, & autres femblables, ne pouvoient pas avoir une application directe aux enfans mineurs qui embrafferoient la vie monaftique, malgré les oppofitions des auteurs de leurs jours. Nous croyons qu'obéir à la voix de Dieu eft le premier devoir d'un chrétien ; mais nous penfons en même temps qu'il faut de fortes preuves pour établir que Dieu parle, lorfque celui qui eft fon image aux yeux de la religion comme de la nature, tient un langage contraire. Il n'eft pas fans doute d'autorité qui émane plus immédiatement de Dieu que l'autorité paternelle. Mille textes de l'écriture prefcrivent impérieufement l'obéiffance & le respect

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filial; & il importe trop à la fociété de maintenir ces règles facrées, pour permettre d'y faire des exceptions fans les plus fortes raifons.

Ajourons que, dans les premiers fiècles de l'églife, la vie monaftique n'étoit pas, quant à fes effets, ce qu'elle eft aujourd'hui. On ne connoiffoit point alors les vœux folemnels qui privent de la vie civile, & font ceffer presque abfolument d'être membre du corps focial. Alors un mouvement d'enthousiasme, de ferveur exaltée, ne prodeifoit point les effets que produit actuellement la profeffion monaftique; on peut en juger par la novelle 123 de Juftiffien, qui, après avoir défendu aux parens de faire fortir des monastères ceux dé leurs enfans qui avoient embraffé la vie monaftique, ajoute que le refus des enfans de rentrer dans le monde, ne fera point une caufe d'exhérédation, parce qu'on ne peut pas regarder comme une défobéiffance la réfiftance louable d'un fils dans une matière auffi importante. De ce qu'on pouvoit alors choifir la vie monaftique fans le confentement des pères, il ne s'enfuit donc pas qu'on le doive aujourd'hui, que les chofes ne font plus dans le même état.

N'eft-il pas bien raisonnable qu'un mineur, qui eft incapable de contracter pour les plus petits ob jers, qui ne peut pas même recevoir une donation fans le confentement de fon père, ne puiffe

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fans le même confentement, difpofer de luimême, & pour toute fa vie? Un mineur eft-il cenfè fe connoître affez, être affez sûr de fon tempérament, de fon caractère, de fes paffions, pour n'avoir pas befoin des avis falutaires & du confentement éclairé de ceux que la nature rend fi attentifs ǎ fon bonheur? Ne foyons donc point étonnés de Parrêt du parlement d'Aix, du 11 avril 1680, qui fait inhibitions & défenfes à tous les fupérieurs & fupérieures des ordres religieux de fon reffort, de donner l'habit de novice à l'avenir à aucun fils de famille, fans l'autorité & confentement de fes père & mère..... à peine de faifie de leur temporel.

C'eft dans le même efprit que le châtelet de Paris, par fentence du 30 août 1760, a non-feulement admis l'oppofition formée par un père, à l'émiffion des vœux de fa fille, âgée de vingttrois ans, qui vouloit fe faire cordelière, & qu'il revendiquoit; mais a ordonné à cette fille de retourner chez lui, avec défenfes d'en fortir avant râge de vingt-cinq ans, & a condamné le couvent aux dépens.

Il ne faut cependant pas conclure des jugemens cités & des motifs que l'on vient d'expofer, que le défaut de confentement des père & mère foit un empêchement dirimant à la profeffion monaftique. Si d'un côté on a cru devoir conferver, vis-à-vis des mineurs qui voudroient embraffer la vie religieufe, les droits de la puiffance paternelle, on n'a pas cru, d'un autre côté, qu'elle pût, dans toutes les circonftances, être un obstacle invin

cible à un genre d'état que la religion confidère comme le plus parfait de tous.

Si un mineur, parvenu à l'âge requis par la loi, entre dans un monastère, y remplit fon temps de probation, & fait des voeux, fans que fes père & mère, qui ont connu toutes fes démarches, y aient formé oppofition, ce confentement tacite de leur part fuffira, & ils font non-recevables à venir enfuite attaquer la profeffion. Leur filence prouve qu'ils ont adhéré à tout ce qu'a fait leur enfant, ou du moins fuppofe une indifférence qui les rend, pour ainfi dire, indignes de réclamer contre l'état qu'il a choifi.

Leur oppofition formée dans un temps utile n'eft pas encore un obftacle que la persévérance de l'enfant ne puiffe furmonter. La loi, dans ce cas, cherche à s'affurer de fa vocation; & lorfqu'on n'en peut plus douter, on lui laiffe la liberté d'embraffer l'état auquel il paroît que le ciel l'appelle. Quelquefois, dit d'Hericourt, on ordonne que la novice fera tirée du couvent, & mife, par forme de fequeftre, en un lieu où fes parens pourront la vifiter..... On a même pouffé fur ce point la jurisprudence jufqu'à ordonner que des filles qui étoient entrées dans des monastères du confentement de leurs parens, & qui avoient fait profeffion au préjudice des défenfes du juge laïque, obtenues par leurs pères ou par leurs mères, qui avoient changé de deffein, feroient mifes dans une maifon bourgeoife, & entendues par des perfonnes nommées à cet effet, avant de prononcer fur l'appel comme d'abus interjetté de la profeffion.

On trouve, dans Chopin & dans le journal du palais, des arrêts qui ont jugé dans ces principes. Le plus célèbre eft celui rendu au parlement de Paris, le 12 mai 1685, au fujet de mademoifelle d'Epernon, qui vouloit fe faire religieufe dans le prieuré royal de Haute-Brière, malgré fes père & mère qui la redemandoient la cour ordonna qu'avant faire droit au principal fur les demandes des parties, la demoiselle d'Epernon feroit transférée du prieuré de Haute-Brière dans cette ville de Paris, en la communauté féculière de la dame de Miramion, par M. de Longueil, doyen de la chambre, affifté de deux plus proches parens de la fille, pour demeurer dans cette communauté par forme de fequeftre pendant fix mois, pendant lequel temps fes père & mère la pourront voir.

Denifard en rapporte un du 18 mai 1722, rendu fur les conclufions de M. d'Agueffeau, alors avocat-général, par lequel il fut ordonné que le fieur Mol, qui vouloit fe faire religieux Bénédictin malgré fon père, fe retireroit pendant fix mois dans une communauté féculière ou régulière, qui seroit convenue dans trois jours, paffe lequel temps la cour nommeroit une maifon, & que le père y paieroit la penfion de fix mois; après quoi le fils feroit libre de prononcer ses vœux fans nouvel

arrêt.

C'est ainsi que les tribunaux françois concilient

l'être.

les droits de l'autorité paternelle & ceux de la religion. Les premiers ne doivent jamais être méconnus; mais les feconds doivent l'emporter, lorfque la vocation eft affurée autant qu'elle peut La religion elle-même ne peut qu'applaudir à ce tempérament: elle n'a jamais eu en vue de brifer tous les liens par lefquels la nature attache un fils à fon père, puifqu'elle autorife un religieux à abandonner fon cloître & voler au fecours de fes père & mère, qui, tombés dans l'indigence, n'auroient que lui pour foutien de leur vieilleffe, & pour reffource dans leur mifère.

Une contestation jugée au parlement de Paris, le 19 décembre 1769, a fait naître la question de favoir, fi l'engagement d'un foldat dans les troupes du roi eft un obftacle à la validité de la profession religieufe. Le fieur Quoinat s'étant engagé pour la troifième fois, déferta, & entra, en 1748, au Couvent des Prémontrés de la rue Haute-Feuille à Paris; il y fit profeffion le 3 juillet 1749; il obtint fon congé le 18 août fuivant, & la remife de la peine attachée à la défertion. Le 17 avril 1753, il fit à Rouen un acte de proteftation contre fa profeffion. Il fut enfuite arrêté, en vertu d'une lettre de cachet, & conduit à Saint-Venant en Artois, d'où il ne fortit que pour interjetter appel de l'émiffion de fes vœux; il fit intimer fur cet appel le, fieur Quoinat fon père, le prieur & les religieux de l'abbaye de Dilo, à laquelle il avoit été incor poré, le procureur-général de l'ordre des Prémontrés, & le fieur Queinat, lieutenant-général du bailliage de Mantes.

Par l'arrêt rendu fur les conclufions de M. Séguier, avocat-général, il fut dit qu'il y avoit abus dans l'émiffion & l'admiffion des vœux du fieur Quoinat; fon père fut condamné à lui rendre compte de la communauté qui avoit exifté entre lui & la feue dame Quoinat fa femme; il fut condamné en outre, folidairement avec les religieux, de Prémontré, en dix mille livres de dommages & intérêts envers le fieur Quoinat fils; l'arrêt déclaré commun avec le fieur Quoinat, lieutenantgénéral du bailliage de Mantes; & fur les conclufions du procureur-général, il fut fait défenses à tous fupérieurs de maifons religieufes de plus à l'avenir recevoir au noviciat & admettre à la profeffion aucune perfonne engagée au fervice du roi.

Cet arrêt a-t-il jugé que l'engagement au fervice du roi eft un empêchement dirimant à la profeffion religieufe? L'auteur de l'article Profeffion, dans le Répertoire univerfel de jurifprudence, première édition, foutient la négative. Il paroît que les ré dacteurs du journal des causes célèbres ont embraflé l'opinion contraire : la question mérite cer tainement d'être approfondie.

Le fieur Quoinat faifoit valoir quatre moyens contre la profeffion; le premier étoit que l'ordre de Prémontré n'avoit pas en France une existence légale; c'étoit une etreur; le fecond confiftoit à dire que le fieur Quoinat n'avoit fait que qua

torze mois de noviciat, tandis que les conftitutions des Prémontrés en exigent deux années. On répondoit que les conftitutions particulières des Prés montrés n'ayant point été enregistrées, ne dérogeoient point aux loix générales du royaume, qui ne demandent qu'une année de noviciat avant d'être admis à la profeffion; & que d'ailleurs ces mêmes conftitutions permettent au général de difpenfer de tout ce qu'elles prefcrivent, & que c'eft un ufage que le général abrège les deux années de noviciat, lorsqu'il le juge à propos. Le troifième étoit fondé fur la qualité de foldat du fieur Quoinat, qui ne lui permettoit pas de faire profeffion pendant la durée de fon engagement au fervice du roi. Le quatrième enfin, la crainte dont étoit agité le fieur Quoinat, d'être. pourfuivi par fon régiment, & condamné à la peine de mort, infligée au crime de défertion. Ces deux derniers moyens étoient les feuls qui méritaffent attention,

Cinq des plus célèbres jurifconfultes du barreau de Paris, MM. Cellier, Lambon, Boudet, Gerbier & Tronchet, combattirent, dans une confultation le troifième moyen du fieur Quoinat, & foutinrent que l'engagement dans les troupes du roi ne formoit point un obstacle de nature à rendre la profellion religieufe radicalement nulle, & l'on ne peut fe diffimuler que leurs motifs font capables de faire la plus grande impreffion.

Le premier étoit, à proprement parler, une fin de non-recevoir, tirée de ce qu'il n'y avoit que le roi qui eût droit de fe plaindre des vœux émis par un foldat pendant fon engagement, & que d'ailleurs ces droits reftoient dans tout leur entier, malgré la profeffion du foldat, parce que le foldat quoique religieux, n'étoit point fouftrait à la peine de désertion, & qu'on pouvoit même, en lui fai fant grace de la peine, le forcer à remplir fon temps de fervice, l'état religieux n'étant incompatible avec l'état militaire que par des loix de difcipline eccléfiaftique, auxquelles le roi pouvoit déroger s'il le jugeoit à propos. Les confultans ajou toient, qu'aucune loi n'a déclaré l'engagement dans les troupes être un empêchement dirimant à la profeffion religieufe, qu'aucune loi n'a déclaré nulle cette profeffion; la peine même infligée à la défertion n'opère pas cette nullité; le foldar, devenu religieux, pourra être mis à mort comme déferteur; mais il n'en mourroit pas moins religieux. Le fieur Quoinat ne pouvoit pas craindre d'éprouver ce fort, puifque le roi lui avoit accordé fon congé & fa grace; fon engagement ne pouvoir produire qu'un empêchement pofitif, dont il n'étoit pas recevable à exciper, parce qu'il n'étoit relatif qu'au roi, qui avoit consenti à n'en pas faire ufage.

L'auteur que nous avons cité trouve ces raisons fi péremptoires, qu'il affirme, fans balancer, que file fieur Quoinat n'eût eu d'autre moyen que fa qualité de foldat, il eût perdu fa caufe: mais, ajouta-t-il, il en avoit un quatrième, qui feul étoit

victorieux; il étoit évident que la crainte de fubir le fupplice attaché au crime de désertion avoit dicté fes vœux; dès-lors fa profeffion n'avoit point été libre; ce qui la rendoit radicalement nulle.

Si un foldat, en faisant profeffion dans un ordre religieux, ne s'étoit pas déjà rendu coupable du crime de défertion, peut-être feroit-il vrai de dire que l'engagement au fervice du roi ne rendroit pas fa profeffion radicalement nulle: mais ce font deux chofes inféparables dans l'état actuel du fervice militaire; quiconque abandonne fes drapeaux fans congé, encourt la peine de mort, ou du moins une peine capitale; s'il fe refugie dans un cloître, ce n'eft que pour éviter le châtiment qu'il a mérité : fes vœux ne font donc que l'effet de la crainte, & non pas d'un confentement libre & volontaire dès-lors ils font radicalemert auls.

que

Il nous paroît que toute la difficulté vient, de ce qu'on pofe mal l'état de la question. On examine fi un foldar peut, pendant fon engagement, faire des vœux, & il faudroit examiner fi un foldat déferteur peut valablement prononcer des vœux. Cette question ainfi pofée, donnera lieu à celleci, qui n'eft que fecondaire; un déferteur qui fait des vœux, n'eft-il pas conduit par la crainte de la peine qu'il a encourue, & par le defir de s'y fouftraire? & cette queftion n'en peut pas être une. On ne peutcomparer l'engagement militaire, tel qu'il existe aujourd'hui, avec le fervice que les vaffaux étoient obligés autrefois de rendre à leurs feigneurs, & les feigneurs de fiefs à leurs fuzerains. La guerre fe déclaroit-elle entre deux feigneurs particuliers, les vaffaux étoient obligés de prendre les armes ; fi elle fe déclaroit entre deux fouverains, chaque feigneur de fief étoit obligé de conduire fes vaffaux: mais ces guerres étoient de courte durée ; le service militaire n'étoit dû pour tant de mois; on ne le devoit fouvent que dans une certaine étendue de pays; c'étoit un devoir de fief & de la glèbe, plus que de la perfonne; la peine de mort naturelle ou civile n'étoit point attachée à l'infraction de ce devoir; on perdoit feulement, fi on ne le rempliffoit pas, fon fief ou fa terre qui étoient confifqués. Ce fervice détournoit, à la vérité, de l'état ou de la profeffion qu'on avoit embraffé : mais bientôt la cessation des hoftilités, ou l'expiration du terme fixé au fervice, Vous rendoit à vos foyers & à vos occupations. Il n'eft donc pas étonnant que, dans un temps où tout homme qui avoit deux bras étoit foldat dès qu'il poffédoit un pouce de terre, les moines comme les clercs féculiers fuffent obligés de prendre les armes, & de marcher fous la bannière de leurs feigneurs; ils étoient alors foldats accidentellement & momentanément; leur engagement perfonnel à la religion ne les délioit pas de l'engagement réel qui exiftoit entre eux & leurs feigneurs, & dont La poffeffion des terres & des fiefs faifoit la bafe: en un mot, le fervice militaire n'étoit point un état comme l'eft aujourd'hui celui de foldat. On.

ne peut donc pas les comparer, & conclure de ce qu'autrefois l'un étant compatible avec la profeffion religieufe, l'autre le foit également.

Du moment qu'il eft engagé, le foldat n'est plus maître de fa perfonne; elle appartient au prince pendant tout le temps que dure fon engagement; il ne peut en difpofer, & contra&ter aucune obligation qui puiffe l'empêcher de faire fon fervice; s'il manque à fon engagement, il fe foumet à la peine de mort, & cette peine, d'après les loix militaires, eft une des conditions du contrat qu'il paffe avec le roi; il ne peut certainement en être de plus obligatoire. Comment, d'après cela, pourroit-il valablement, & au mépris d'un pareil engagement, prononcer des vœux par lefquels il difpoferoit de fa perfonne, & contra&teroit des obligations incompatibles avec celles d'un foldat?

On dit que le foldat, devenu religieux, peut être puni comme déferteur, & qu'il n'en mourra pas moins comme religieux: mais il ne peut être puni comme déferteur que parce que fes engagemens comme foldat fubfiftent encore; & fi ces engagemens comme foldat fubfiftent, comment a-t-il pu devenir religieux? On ne peut être tout à la fois aux ordres d'un général d'armée & d'un général d'ordre: cela eft inconciliable dans l'état actuel des choses.

On demande où eft la loi qui déctare l'état de foldat être incompatible avec la profeffion religieufe, & y former un empêchement dirimant? Cette loi exifte dans la nature des choses, dans le contrat que le foldat a paffé avec le roi, dans la peinede mort qui lui eft impofée s'il déferte, & il ne peut fe faire religieux fans devenir déferteur. C'eft' cette double qualité de foldat & de déferteur qu'il ne faut pas féparer, & qui annulle néceffairement la profeffion. L'engagement en lui-même ôte au foldat la faculté de difpofer de fa perfonne, la crainte occafionnée par la peine impofée à la dé-fertion, le précipite dans le cloître, & le dépouille de la liberté d'efprit néceffaire pour faire des vœux folemnels. Sous quelque point de vue qu'on envifage donc la profeffion en religion, faite par un foldat, elle doit être regardée comme nulle.

Mais l'arrêt du 19 décembre 1769 a-t-il jugé cette question in terminis? C'est ce que nous n'oferons pas affirmer. Il paroît que le fieur Quoinat avoit été induit en erreur par fon père & par les religieux Prémontrés qui lui avoient fait regarder la profeffion comme le feul moyen pour se fouftraire à la peine de mort qu'il avoit encourue par fa désertion. C'eft, fans doute, pourquoi l'arrêt condamne le fieur Quoinat père & les religieux Prémontrés folidairement en 10,000 de dommages & intérêts envers le fieur Quoinat fils. Les défenfes faites fur les conclufions du miniftère public, à tout fupérieur de monaftère de recevoir au noviciat & d'admettre à la profeffion, aucune perfonne engagée au fervice du roi, nous pa-roiffent un préjugé très-fort contre l'opinion de

teux qui prétendent que la profeffion d'un foldat n'eft point radicalement nulle. Ce préjugé prend une nouvelle force, quand on fait attention que M. Séguier, qui porta la parole dans cette caufe, infifta particuliérement fur ce que l'engagement que le foldat contractoit avec le roi & l'état, étoit abfolu, impaffible de tout autre, engagement, exigeant même obéiffance à tout autre fupérieur; que par conféquent tant que le premier engagement du foldat fubfiftoit, c'étoit un empêchement dirimant pour en contracter en même temps un fecond, inconciliable dans nos mœurs & dans la hiérarchie actuelle de l'églife, avec le premier.

Les comptables envers le roi font incapables de recevoir les ordres facrés, jufqu'à ce qu'ils aient rendu leurs comptes & obtenu leurs décharges. Doivent-ils être également incapables d'être admis à la profeffion religieufe? Nous ne connoiffons aucune loi qui l'ait ftatué. Il feroit très-imprudent aux fupérieurs des monaftères de recevoir au noviciat & d'admettre à la profeffion de pareils comptables. Certainement l'émiffion de leurs vœux ne les fouftrairoit point à l'obligation de rendre des comptes, & ne feroit point échapper au châtiment que leur mériteroit une adminiftration infidelle, & la diffipation des deniers royaux. S'il étoit prouvé que la crainte du châtiment & le defir de s'y fouftraire avoient été les motifs de leur entrée en religion, leurs vœux n'étant pas libres, feroient dans le cas d'être annullés, & déclarés abufifs, fur les conclufions du ministère public.

Il eft des règles, comme celle de faint François, fuivant lefquelles celui qui a des dettes dans le fiècle, ne peut pas être admis à la profeffion.

Les oppofitions des créanciers ne forment point obftacle à la profeffion religieufe. C'eft ce qui paroît avoir été jugé par un arrêt du parlement de Rouen du 6 février 1643, rapporté par Bafnage fur l'article 278 de la coutume de Normandie.

Cependant, fi malgré l'oppofition des créanciers, les religieux paffoient outre à l'admiffion des vœux du débiteur, & qu'ils perdiffent par-là tout efpoi de recouvrer de légitimes créances, il nous paroitroit bien naturel de foumettre les religieux qui auroient ainsi agi au mépris de leur oppofition, à les indemnifer & garantir des pertes qu'ils leur auroient occafionnées.

L'homme chargé de dettes qui fe jette dans un cloître, n'annonce pas une vocation bien refpectable. Le premier pas à faire pour entrer dans le chemin de la perfection, eft d'être juste & de ne caufer aucun tort à perfonne.

D'ailleurs, l'émiffion des vœux ne déchargeroit point de la contrainte par corps.

Un édit du mois de janvier 1681, défend à tous fupérieurs de maifons religieufes tant d'hommes que de filles, de recevoir à l'avenir des novices, & d'admettre aucuns religieux ou religieufes pour demeurer dans leurs monaftères, qui ne foient fujets du roi, fous telle peine qu'il ap

partiendra; & veut, en outre, que l'on ne puiffe choifir, ni commettre aucuns féculiers ou régu liers, pour gouverner les monaftères des filles, qui ne foient pareillement fujets de fa majefté.

L'édit du mois de mars 1768 a renouvellé, & même étendu les difpofitions de celui de 1681, qui fembloit être tombé en défuétude. Par l'ar ticle 3, le roi a défendu à tous fupérieurs des ordres, congrégations & communautés régulières du royaume, d'admettre à la profeffion aucuns étrangers non naturalifés, même de leur accorder des places monachales, de les agréger ou affilier à leur ordre, congrégation ou communauté; le tout fans avoir préalablement obtenu des lettres de naturalité, duement enregistrées, dont il fera fait mention dans les actes de profeffion, récep tion, agrégation, ou affiliation, à peine de nullité & de correction arbitraire des fupérieurs.

Il est en outre défendu par le même article de recevoir dans aucunes maifons religieufes, ceux des fujets du roi qui auroient fait profeffion dans des monaftères fitués hors des pays de fon obéiffance.

L'arrêt d'enregistrement de cet édit au parlement de Douai, porte que l'article 3, en ce qui concerne la néceffité d'obtenir des lettres de naturalité, ne pourra être exécuté à l'égard des reli gieux & religieufes des maisons uniquement fon dées pour les étrangers dans le reffort de la cour, jufqu'à ce qu'il ait plu au roi de déclarer définitivement fa volonté à ce fujet.

La vie religieufe, confidérée comme un des états les plus parfaits du chriftianifme, exige, fans doute, la réunion de toutes les qualités morales, fans lesquelles on n'eft chrétien que de nom. Cependant le défaut de ces qualités n'annulle point la profeffion.

Les règles & conftitutions de quelques ordres, défendent d'y admettre des perfonnes attaquées de certaines maladies, telles que l'épilepfie ou mal caduc. Malgré ces ftatuts, plufieurs arrêts ont déclaré valables les vœux des religieux qui avoient le malheur d'y être fujets. Nous nous contenterons de citer celui que d'Héricourt rapporte en ces termes : « frère le Couturier, reli»gieux Dominicain, ayant obtenu un bref qui le » relevoit de fes youx, fous prétexte d'épilepfre; » ceux qui avoient intérêt d'empêcher qu'il ne »rentrât dans le fiècle, interjettèrent appel comme » d'abus de ce bref. On fit voir, en plaidant fur » cet appel, qu'il n'y avoit point de canons ni » de loix qui mettent l'épilepfre au nombre des » moyens qui rendent la profeffion nulle, quoi » qu'il y ait des ordres réguliers, dans lefquels » il eft défendu par les ftatuts, de recevoir des » épileptiques; l'arrêt qui intervint le 30 août "1706, dit qu'il avoit été mal, nullement, abu » fivement impétré & exécuté ».

L'on ne peut être bon religieux fans être appellé à cet état. C'eft pour s'affurer, autant qu'il

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