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donne leur juste prix aux biens dont nos desirs avaient exagéré le mérite; elle ne dégoûte que parce qu'elle détrompe. L'habitude rend la jouissance insipide, et rend la privation cruelle.

Quand nos cœurs sont attachés à des êtres dignes de notre estime, quand nous nous sommes livrés à des occupations qui nous sauvent de l'ennui et nous honorent, l'habitude fortifie en nous le besoin des mêmes objets, des mêmes travaux ; ils deviennent un mode essentiel de notre ame, une partie de notre être. Alors nous ne les séparons plus de notre chimère de bonheur. Il est surtout un plaisir que n'usent ni le temps ni l'habitude, parce que la réflexion l'augmente; celui de faire le bien.

On distingue les habitudes en habitudes du corps et en habitudes de l'ame, quoiqu'elles paraissent avoir toutes leur origine dans la disposition naturelle ou contractée des organes du corps; les unes dans la disposition des organes extérieurs, comme les yeux, la tête, les bras, les jambes; les autres dans la disposition des organes intérieurs, comme le cœur, l'estomac, les intestins, les fibres du cerveau. C'est à celles-ci qu'il est surtout difficile de remédier; c'est un mouvement qui s'excite involontairement; c'est une idée qui se réveille, qui nous agite, nous tourmente et nous entraîne avec impétuosité vers des objets dont la raison, l'âge, la santé, les bienséances, et une infinité d'autres considérations nous interdisent l'usage. C'est ainsi

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que nous recherchons dans la vieillesse avec des mains desséchées, tremblantes et goutteuses et des doigts recourbés, des objets qui demandent la chaleur et la vivacité des sens de la jeunesse. Le goût reste, la chose nous échappe, et la tristesse nous saisit.

Si l'on considère jusqu'où les enfants ressemblent quelquefois à leurs parents, on ne doutera guère qu'il n'y ait des penchants héréditaires. Ces penchants nous portent-ils à des choses honnêtes et louables, on est heureusement né; à des choses déshonnêtes et honteuses, on est malheureusement né.

Les habitudes prennent le nom de vertus ou de vices, selon la nature des actions. Faites contracter à vos enfants l'habitude du bien. Accoutumez de petites machines à dire la vérité, à étendre la main pour soulager le malheureux, et bientôt elles feront par goût, avec facilité et plaisir, ce qu'elles auront fait en automates. Leurs cœurs innocents et tendres ne peuvent s'émouvoir de trop bonne heure aux accents de la louange.

La force des habitudes est si grande, et leur influence s'étend si loin, que si nous pouvions avoir une histoire assez fidèle de toute notre vie, et une connaissance assez exacte de notre organisation, nous y découvririons l'origine d'une infinité de bons et de faux goûts, d'inclinations raisonnables et de folies qui durent souvent autant que notre vie.

Qui est-ce qui connaît bien toute la force d'une idée, d'une terreur jetée de bonne heure dans une ame toute nouvelle?

On prend l'habitude de respirer un certain air, et de vivre de certains aliments; on se fait à une sorte de boisson, à des mouvements, des remèdes, des venins, etc.

Un changement subit de ce qui nous est devenu familier à des choses nouvelles est toujours pénible, et quelquefois dangereux, même en passant de ce qui est regardé comme contraire à la santé, à ce que l'expérience nous a fait regarder comme salutaire.

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Une sœur de l'Hôtel-Dieu allait chaque année voir sa famille à Saint-Germain-en-Laye; elle tombait toujours malade, et elle ne guérissait qu'en revenant respirer l'air de cet hôpital.

En serait-il ainsi des habitudes morales? et un homme parviendrait-il à contracter une telle habitude du vice, qu'il ne pourrait plus être que malheureux par l'exercice de la vertu?

Si les organes ont pris l'habitude de s'émouvoir à la présence de certains objets, ils s'émouvront. malgré tous les efforts de la raison. Pourquoi Hobbes ne pouvait-il passer dans les ténèbres sans trembler et sans voir des revenants? C'est que ses organes prenaient alors involontairement les oscillations de la crainte, auxquelles les contes de sa nourrice les avaient accoutumés.

Le mot habitude a plusieurs acceptions différen

tes; il se prend en médecine pour l'état général de la machine; l'habitude du corps est mauvaise. Il est synonyme à connaissance; et l'on dit, il ne faut pas s'absenter long-temps de la cour, pour perdre les habitudes qu'on y avait. Il se dit aussi d'une sorte de timidité naturelle qui donne de l'aversion pour les objets nouveaux; c'est un homme d'habitude; je suis femme d'habitude; je n'aime point les nouveaux visages; il y en a peu de celleslà. On l'emploie quelquefois pour désigner une passion qui dure depuis long-temps, et que l'usage fait sinon respecter, du moins excuser; c'est une habitude de vingt ans. Habitude a dans les Philosophes quelquefois le même sens que rapport; mais alors ils parlent latin en français.

HAINE, s. f. (Morale.) Sentiment de tristesse et de peine qu'un objet absent ou présent excite au fond de notre cœur. La haine des choses inanimées est fondée sur le mal que nous éprouvons, et elle dure quoique la chose soit détruite par l'usage même. La haine qui se porte vers les êtres capables de bonheur ou de malheur, est un déplaisir qui naît en nous plus ou moins fortement, qui nous agite et nous tourmente avec plus ou moins de violence, et dont la durée est plus ou moins longue, selon le tort que nous croyons en avoir reçu: en ce sens, la haine de l'homme injuste est quelquefois un grand éloge. Un homme mortel ne doit point nourrir de haines immortelles. Le senti

ment des bienfaits pénètre mon cœur, l'empreint, et le teint, s'il m'est permis de parler ainsi, d'une couleur qui ne s'efface jamais; celui des injures le trouve fermé; c'est de l'eau qui glisse sur un marbre sans s'y attacher. Hommes malheureusement nés, en qui les haines sont vivantes, que je vous plains, même dans votre sommeil! vous portez en vous une furie qui ne dort jamais. Si toutes les passions étaient aussi cruelles que la haine, le méchant serait assez puni dans ce monde. Si on consulte les faits, on trouvera l'homme plus violent encore et plus terrible dans ses haines, que dans aucune de ses passions. La haine n'est pas plus ingénieuse à nuire que l'amitié ne l'est à servir: on l'a dit; et c'est peut-être une prudence de la nature. O amour! ô haine! elle a voulu que vous fussiez redoutables, parce que son but le plus grand et le plus universel est la production des êtres et leur conservation. Si on examine les passions de P'homme, on trouvera leur énergie proportionnée à l'intérêt de la nature.

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HAIRE, s. f. Petit vêtement, tissu de crin, à l'usage des personnes pénitentes qui le portent sur leur chair, et qui en sont affectées d'une manière perpétuellement incommode, sinon douloureuse. Heureux ceux qui peuvent conserver la tranquillité de l'ame, la sérénité, l'affabilité, la douceur, la patience, et toutes les vertus qui nous rendent agréables dans la société, et cela sous une

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