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une longue suite de prélats qui comptaient au nombre des plus puissants princes de l'Allemagne, a gardé dans ses monuments, et même dans quelques-unes de ses habitations particulières, la trace de son ancienne splendeur. La vie nouvelle, qui commence à lui venir par le commerce et par l'industrie, n'a pas encore altéré, dans son esprit, le caractère noble, grave, un peu triste, des cités qui ont surtout vécu dans le passé.

Nous donnons ici la gravure d'une porte de maison située dans la Judengasse (rue des Juifs), une des rues étroites et sinueuses dont les pentes unissent les deux collines aux quelles la ville est adossée. C'est un exemple vraiment magnifique de l'architecture civile de l'Allemagne dans les premières années du siècle dernier. Nous ajouterons qu'il serait, sans doute, malaisé d'en citer beaucoup de semblables à la même époque. Les architectes allemands avaient perdu, au dix-septième siècle, le sentiment et le goût de l'art ancien de leur pays. Les constructions originales du siècle précédent avaient fait place à de lourdes et mesquines imitations de l'antique. Tantôt on copiait froidement les modèles venus de France ou d'Italie, tantôt on les surchargeait de figures et d'ornements sans composition et sans goût c'est ce qui frappe particulièrement dans les ouvrages de Dieterlin; rarement on sut garder la mesure, comme l'architecte qui a élévé la maison de la Judengasse, entre la sécheresse et la frivolité de la décoration.

MA COMPAGNE DE VOYAGE.

NOUVELLE.

Médise qui vondra des chemins de fer; pour moi, je le confesse, j'aime avec passion cette façon d'aller, et la reconnaissance m'oblige à déclarer que je ne connais pas de chemin de fer plus agréable, mieux tenu, plus rapide, mieux servi, mieux fourni en élégants et commodes wagons, que le chemin de fer entre Lausanne et Genève... d'autant que je n'ai voyagé sur aucun autre.

D'ordinaire, je ne monte pas en wagon sans emporter ou un livre, ou quelque ouvrage de tricot, de crochet, de broderie; d'ordinaire aussi, je rapporte le livre sans l'avoir ouvert, l'ouvrage sans y avoir fait point ni maille. Il y a tant à voir sur le parcours de mon bien-aimé chemin de fer! Dans le lointain, au couchant, le Jura, qui tantôt s'approche et montre ses rochers, ses pentes vertes, ses sapins, tantôt s'éloigne ou se laisse masquer par une suite de collines couronnées de jolis villages; au levant, le lac, le riant et sublime Léman, dont les vents frisent et moirent les eaux bleues, et qui, se donnant des airs maritimes, coupe fièrement le ciel d'une belle ligne d'horizon; au delà, l'amphithéâtre des montagnes de Savoie, dont les neiges éternelles s'embrasent aux feux du couchant. Tout près, la ligne ferrée a pénétré hardiment au sein de ces belles propriétés, de ces gracieuses campagnes, l'ornement et l'orgueil du canton de Genève, et qui n'ont, m'a-t-on dit, de rivales qu'en Angleterre. Si ce fut pour la plus grande satisfaction des propriétaires, je ne sais; mais c'est, bien sûr, un plaisir pour le voyageur de glisser au milieu de ces pelouses veloutées, de traverser ces massifs où le frêle bouleau élève son tronc d'argent à côté des hêtres majestueux et des pins chevelus. Les arbres, au moment où le wagon les dépasse, se livrent à des valses fantastiques dont je m'amuse, moi, vieille femme, comme le ferait un enfant.

Ce n'est pas là mon seul objet d'amusement. J'aime tout, vraiment, dans le chemin de fer, jusqu'aux rugissements plaintifs et formidables, au souffle haletant et pressé du mastodonte qui nous traîne, la jument noire, comme l'appellent les cochers de place. Je m'amuse, aux stations, à

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voir ces spectateurs qui, pour la trois centième fois, contemplent avec un plaisir toujours nouveau un spectacle toujours le même les tendres adieux aux partants, la douce bienvenue aux arrivants, les naïfs attardés qui crient aux conducteurs, au moment où le train défile: « Eh! attendez donc, je ne suis pas prêt!» La portière s'ouvret-elle, c'est avec un curieux intérêt que je vois monter un nouveau compagnon. Quelquefois j'ai l'agréable surprise de reconnaître un ami, une connaissance, et l'amicale causerie va son train jusqu'au moment de la séparation. Quand ce sont des étrangers que le sort enferme avec moi, je cherche, en mes rêveuses conjectures, à deviner ces énigmes humaines. Qui êtes-vous, frères inconnus? Quelles pensées s'agitent sous tes bandeaux lustrés, jeune fille? sous tes cheveux blanes, vieillard? Êtes-vous en paix avec Dieu, avec les hommes, avec vous-mêmes, ou errez-vous sans guide dans les sombres demeures du doute on du désespoir? Quelle est la joyeuse pensée qui épanouit vos lèvres en un demi-sourire, Madame? Quel est le regret ou la douleur qui plisse votre front, Monsieur? D'où venez-vous? où vous rendez-vous? Allez-vous trouver des êtres chéris dont le cœur s'élance au-devant de vous et compte chacune des minutes qui vous rapprochent d'eux, ou fuyez-vous, mécontent, aigri, navré, des ennemis, des ingrats? Que de questions se présentent encore! et je puis, à l'ordinaire, me les adresser tout à mon aise, car généralement on cause peu en wagon. Moi, je n'ose jamais entamer l'entretien, bien. que je sois dans l'âge où la timidité cesse d'être une grâce pour devenir une gaucherie. Mais si l'on m'adresse la parole, je donne volontiers la réplique. Il me semble plus humain, plus chrétien, d'échanger ensemble quelques paroles bienveillantes que de rester assis, roides et silencieux comme des portraits photographiés.

Un jour, un beau jour d'octobre, comme je revenais de Lausanne, je me trouvai à la gare en même temps qu'une jeune fille; sa petite taille, son visage arrondi, ses traits délicats, sa physionomie candide et naïve, lui donnaient l'air d'un enfant. Elle s'exprimait en français avec quelque difficulté, et avec un accent allemand fort doux, mais trèsreconnaissable. Elle était complétement seule; elle s'occupait de ses petits arrangements avec un sérieux un pen inquiet, comme si elle obéissait à des instructions qui lui avaient été données et n'avait point l'habitude des voyages. La vue de cette enfant courant le monde si jeune éveilla en moi cette sympathie maternelle que Dieu a mise au cœur de toute femme, et je montai tout exprés dans le même compartiment qu'elle, afin de lui être utile si j'en trouvais l'occasion.

J'eus bientôt l'agréable surprise de voir apparaître à la portière la bonne et spirituelle physionomie du professeur A... Nous parlames beaucoup de nos amis communs, des nouvelles du pays; puis il descendit à M..., non sans m'avoir donné une cordiale poignée de main et m'avoir chargée de ses amitiés pour mon mari.

Ce monsieur, me dit l'un de mes compagnons, n'estce pas le professeur A..., si connu par ses beaux travaux historiques?

--

Lui-même, Monsieur.

A ce moment, mes regards étant tombés sur ma jeune compagne, je remarquai sur sa physionomie un mouvement de satisfaction. Dès lors elle répondit à mes petites avances avec plus d'abandon, et un sourire de confiance creusa de jolies fossettes dans ses joues. Mais elle ne me laissa entrevoir ni ce qu'elle était, ni ce qu'elle allait faire à Genève; il est vrai que je ne lui fis nullement subir cette espèce d'interrogatoire que se permettent certains voyageurs envers leurs compagnons, usurpant ainsi les fonctions de la police. Lorsque nous descendimes de wagon, nous nous

saluâmes amicalement, puis nous nous perdimes de vue dans | fant!... Écoutez, vous laisserez votre malle en dépôt ici, où elle est en parfaite sûreté; puis ma femme vous emmènera chez elle. Je vais donner mon adresse à l'un des employés du chemin de fer, et si la personne de confiance se présente, on nous l'enverra. Si cette mystérieuse duchesse est à Genève, je saurai bien la découvrir; et si elle n'y est pas encore, je m'arrangerai de manière à être tout de suite informé de son arrivée. Allons, ma chère demoiselle, courage, ne pleurez pas; vous verrez que tout ira bien.

la foule. On sait au milieu de quel tumulte les voyageurs regagnent leur destination; fiacres, porte-faix, omnibus dont les conducteurs crient à l'envi: « Métropole! - Hôtel des Bergues! Hôtel garni des Postes!» Pour moi, qui n'avais à porter qu'un léger sac de nuit, j'attendis tranquillement, devant la gare, mon mari, qui devait me rejoindre là.

J'attendais depuis quelques minutes déjà, et la foule s'était dissipée, lorsque je me sentis doucement tirer par ma mantille, tandis qu'une voix un peu tremblante me disait — Pardon, Madame......

Je me retournai, et je vis la petite Allemande, l'air malheureux, les yeux pleins de larmes.

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J'étais charmée, mais non surprise, de voir mon bon mari prendre si vite fait et cause pour la pauvre petite abandonnée. Elle nous regardait tour à tour avec une gratitude étonnée et timide.

- Je n'ose accepter; ce serait si indiscret! Vous donner tout cet embarras, toute cette peine, moi, une étrangère ! Il faut bien que vous acceptiez. Croyez-vous que nous allons vous laisser là toute seule devant cette gare, ou vous

Pardon, Madame; pourriez-vous me dire si Mme la duchesse de Bréhault est arrivée à Genève, et où elle demeure? ---Hélas! non, Mademoiselle. C'est chez cette dame que envoyer dans la première auberge venue? En route, Mesvous devez vous rendre?

---Oui; elle m'a engagée pour être la bonne de sa fille. On devait m'attendre à la gare, et, voyez, personne ne s'est trouvé là. Que faire?

A ce moment, mon mari apparaissait sur le haut de la rape qui conduit vers la gare.

Dans un instant je suis à vous, dis-je à la jeune fille. Elle retourna vers ses effets, qu'elle avait toujours couvés du coin de l'oeil tout en me parlant, et s'assit sur sa malle.

dames; vite, à la maison; je vous rejoindrai sous peu.

Quand nous fumes arrivées chez moi, ma fidèle Marguerite, après avoir regardé avec quelque curiosité l'hôte que j'amenais, nous servit le thé. Je fis ôter à Ida son chapeau, et, en voyant de plus près cette physionomie si honnête, ce regard si pur, je me félicitai de m'être trouvée là tout à propos pour la protéger.

Mon mari rentra. Il s'était assuré que nul des hôtels de Genève n'avait l'honneur de loger Mme la duchesse de Bréhault, que nul passe-port sous ce nom n'avait été déposé en chancellerie.

Après que mon mari m'eut expliqué les causes de son retard, je le mis en peu de mots au fait de la situation dans laquelle se trouvait ma compagne, et nous allâmes la re-la joindre. Les larmes ruisselaient sur ses joues.

O Madame, me dit-elle, donnez-moi un conseil! Puisque vous êtes l'amie d'un professeur célèbre, vous êtes une personne à qui je puis me confier. Que dois-je faire? - D'abord, expliquez-nous, Mademoiselle, dit mon mari, comment il se fait que cette dame vous appelle chez elle sans vous donner son adresse.

Elle tira de sa poche un portefeuille, et en sortit une lettre qu'elle nous présenta. Un large cachet armorié se voyait sur l'enveloppe; pour ouvrir la lettre sans le briser, on avait soigneusement coupé le papier tout autour.

L'épitre était adressée à Mme veuve Kleinvogel, au village de Lammerdorf, près de Dresde, et voici ce qu'elle contenait :

• Madame,

» D'après les renseignements qui me sont donnés sur votre fille aînée, Ida, elle entrera chez moi en qualité de bonne d'enfant. Qu'elle s'arrange pour être le 15 octobre à Genève, où je me rends. Qu'elle arrive par l'avant-dernier convoi du soir; une personne de confiance l'attendra à la ANNE DE BREHAULT.

gare.

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Rassurez-vous, dit-il à Ida, dont la figure peignait consternation et l'effroi. Nous vous garderons ici jusqu'à ce que nous puissions vous remettre en mains sûres, n'est-ce pas, Henriette?

Je fis un signe d'assentiment, et j'emmenai Ida dans une petite chambre destinée aux amis en passage.

mère.

-Si vous le permettez, dit-elle, je vais écrire à ma

Elle reparut bientôt, et nous fit lire sa lettre. Après avoir brièvement rendu compte à sa mère de son voyage, et l'avoir assurée qu'elle avait suivi ses directions de point en point, elle ajoutait :

Mme de Bréhault n'est pas encore à Genève; mais je suis, en attendant, chez M. le professeur F..., qui a, ainsi que sa femme, mille bontés pour moi. Ce sont des amis de M. A..., qui était à l'Université de Halle avec papa, et qui lui a envoyé un de ses ouvrages.

- Trouvez-vous, nous demanda-t-elle, que je dise assez la vérité comme cela? C'est que, voyez-vous, maman n'est pas du tout bien portante, et si elle savait exactement de quelle manière les choses se sont passées, elle serait très-inquiète, et cela lui ferait beaucoup de mal.

Il P.-S. Veuillez avancer les frais de voyage; je les lui

rembourserai à son arrivée. »

Et qui est cette personne de confiance? La connaissez-vous de vue?

---Nullement, Monsieur; je ne sais pas même si c'est un homme ou une femme. Je ne connais pas non plus la duchesse. Elle voulait pour son enfant une bonne qui parlât le pur saxon. Comme elle avait connu aux eaux de Baden M. le comte de Windkopf, elle lui a écrit pour qu'il lui en procurât une; M. le comte, qui savait que je cherchais une place, a fait venir ma mère pour lui en parler; ma mère a envoyé à Mme la duchesse une lettre qu'il a apostillée, et vous venez de lire la réponse que nous avons

reçue.

- Et c'est là-dessus que vous êtes partie? Pauvre en

Nous approuvâmes la lettre; mon mari la mit à la poste. était arrivé, et personne ne s'était présenté pour réclamer passa en même temps à la gare; mais le dernier convoi Mlle Ida Kleinvogel.

Les jours suivants, mêmes démarches, même résultat. Nous nous efforcions de distraire la jeune fille de ses inquiétudes; nous la fimes causer, et nous apprimes sa triste et simple histoire.

Son père, né de parents peu aisés, auxquels ses études avaient coûté de grands sacrifices, s'était marié avec une femme aussi peu riche que lui. Sur les minces émoluments d'un pasteur de campagne, il avait dù élever huit enfants; de plus, il avait soutenu ses parents dans leur vieillesse. Il était mort récemment, après une maladie longue et douloureuse qui avait épuisé toutes leurs ressources. La veuve avait obtenu une petite pension; mais, avec quelque économie qu'elle vécût, cette somme ne lui permettait pas

d'entretenir sa famille. Deux des garçons avaient obtenu des bourses dans un collége. Ida, étant l'aînée, avait dù songer à quitter la maison. Cela faisait une bouche de moins et de l'argent de plus, disait-elle.

Bien qu'elle parlât avec la plus grande simplicité et sans le moindre étalage de sentiment, il était aisé de voir avec quel déchirement de cœur elle avait quitté cette famille où les chagrins et les soucis avaient resserré l'union et l'a

mour.

-Nous avons été bien éprouvés, disait-elle; mais comme Dieu a toujours adouci nos maux! Quels bienfaiteurs excellents il nous a envoyés! de quelles délicates attentions nous avons été entourés! Je ne sais ce que nous serions devenus si plusieurs amis ne nous avaient d'eux-mêmes prêté de l'argent sans intérêt. Les anciens paroissiens de mon père nous ont fait accepter presque de force des provisions de toute sorte, de la farine, des pommes de terre, des fruits secs, des salaisons. Croiriez-vous que, lorsque les femmes ont appris que je devais aller en place, elles ont prélevé sur leurs plus belles pièces de toile de lin de quoi me faire un joli petit trousseau, et me l'ont apporté, tout cousu, dans une corbeille garnie de fleurs? M. de Windkopf ne m'a-t-il pas avancé l'argent du voyage? Sa femme ne m'at-elle pas donné une belle robe de soie noire, ma seule robe de soie? On me dit qu'il y a tant de mal et de méchanceté en ce monde peut-être; mais il y a beaucoup de bons cœurs, et il y en a partout. Vous, Madame et Monsieur, quelle bonté à vous de vous intéresser à une inconnue, de l'assister dans sa détresse, au moment où, après ce long voyage heureusement accompli, elle faisait naufrage au port!

:

Vous m'avez intéressée dès que je vous ai vue, Ida; mais vous vous êtes d'abord montrée bien réservée !

-Maman m'avait expressément recommandé d'être très-peu communicative, de ne pas conter mes affaires en voyage, de ne pas me lier avec mes compagnons de route. Il m'en a coûté de me conformer à ses instructions, Madame, quand j'ai rencontré votre regard si maternel; certain instinct me disait de me mettre sous votre protection : il ne me trompait pas.

Tout en causant avec Ida, nous découvrions que son éducation avait été fort soignée, qu'elle avait des connaissances variées et assez étendues, qu'elle était musicienne, qu'elle dessinait, sans parler de son incomparable adresse aux ouvrages de main. Nous lui exprimâmes notre surprise de ce qu'elle avait accepté un emploi subalterne, au lieu de chercher une place d'institutrice.

-Sans doute, nous dit-elle, j'aurais préféré une place où j'aurais gagné davantage, où j'aurais pu employer ce que mon pauvre père s'est donné tant de peine à m'enseigner. Mais je n'avais pas le choix; il fallait prendre ce qui se présentait. Les recherches auraient pu durer longtemps. Je ne veux pas dire que mon jeune orgueil ne se soit pas révolté contre cette espèce de servitude; mais ma mère m'a fait comprendre qu'une bonne d'enfant, dans son humble sphère, pouvait se rendre très-utile: les impressions qu'un enfant reçoit dans les premières années sont si vives, si durables! Jeter dans une jeune âme les semences du bien, conduire vers le Sauveur ces chères petites créatures, être pour elles, si je puis, ce que ma mère a été pour moi, cette idée m'a déterminée à ne pas résister plus longtemps.

Mais, pour qu'Ida pùt mettre ses bonnes intentions en pratique, il fallait retrouver l'enfant dont elle devait être la bonne, et les jours s'écoulaient sans apporter aucune nouvelle de cette duchesse. Nous n'étions pas restés inactifs. Ida avait écrit à son tuteur pour avoir son avis, tout en lui demandant de ne rien dire encore à sa mère. A la prière

de la jeune fille, nous avions fait quelques démarches pour lui procurer une autre place; nous avions écrit au professeur A... pour l'intéresser à la fille de son ancien condisciple. Nous désirions réussir, et pourtant nous aurions voulu garder encore la chère enfant sous notre toit. Nous n'avions pas encore rencontré une plus gracieuse personnification des attributs féminins par excellence: l'exquise propreté, le don d'arrangement et d'élégance presque féerique, le tact, la prévenance qui oblige sans fatiguer, l'activité sans bruit, le pas léger, les mouvements agiles et doux. Comme le tricot, la broderie, s'allongeaient magiquement sous ces petites mains, aussi frais, aussi éclatants de blancheur ou de coloris que le lis ou la rose qui vient de s'entr'ouvrir! Ces mêmes petites mains savaient pétrir, façonner, mitonner d'appétissantes friandises qui trouvaient en Marguerite une admiratrice un peu jalouse, et en mon mari un appréciateur intelligent. Le soir, quand venait notre heure favorite d'entre chien et loup, à notre demande, elle se mettait au piano; elle nous jouait quelque valse on quelque marche, avec ce sentiment du rhythme qui n'appartient qu'aux races artistes; elle nous chantait quelque lied de sa voix riche et pure, et nous disions tout bas : Kleinvogel (1), Kleinvogel, triste sera le jour où tu t'envoleras loin de nous!

La suite à la prochaine livraison.

Hier on a appris un fait d'histoire ou de science: aujourd'hui l'on a rencontré une personne ou lu un auteur qui l'ignore; on s'étonne de cette ignorance, on s'en indigne, on s'empresse de la signaler autour de soi à grand bruit : oubli, faiblesse, orgueil, trop souvent mauvaise foi et ostentation ridicule! Il serait bon que quelqu'un osât nous dire alors: « Depuis quand le savez-vous?» Soyons simples et indulgents; rappelons-nous que tout notre savoir est un bien petit trésor en regard de tout ce que nous ne saurons jamais. Notre voisin, quel qu'il soit, aurait bien des choses à nous apprendre.

L'ALMANACH DE MOORE.

Au dernier siècle, l'Almanach astrologique et prophétique de Moore (Moore's astrological prophecying Almanack) se vendit, pendant un assez grand nombre d'années, au nombre de près de 500 000 exemplaires (moyennement, de 420 000 à 480000). On fit honte aux éditeurs des absurdités et des mensonges qu'ils répandaient ainsi dans le public. Pendant deux ou trois ans, les éditeurs supprimèrent les prédictions, et, par ce fait seul, la vente fut réduite de moitié. Un nommé Wright, d'Eaton, prés de Woolstrope, profita de la circonstance en publiant un autre Almanach prophétique qui eut bientôt 60000 acheteurs. Les éditeurs de l'Almanach de Moore s'adressèrent alors à un nommé Andrewes, de Royston, né à Woolstrope, pour avoir des prophéties, et ils retrouvèrent leur ancien succès. Aujourd'hui, plusieurs journaux atteignent, à Londres, des chiffres prodigieux d'abonnés sans qu'il leur soit besoin de recourir à de si tristes moyens de popularité.

LES BULLES DE SAVON.

Tu vois ces enfants, ami lecteur. Ils quittent leurs jeux ordinaires pour atteindre ces bulles légères et brillantes. Ils espèrent trouver là mille plaisirs inconnus. Dans leur

(') Petit oiseau.

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que la bulle de savon n'est qu'apparence, et jouis de la jamais aucun pas en arrière. Il est toujours facile de conréalité que tu as autour de toi.

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stater si une proposition nouvelle est vraie ou fausse. Des problèmes très-difficiles sont depuis longtemps proposés aux mathématiciens; il serait inutile d'en parler ici, même pour en donner les énoncés. Les initiés, qui seuls les comprendraient, savent où on les trouve (). Nous dirons seulement qu'au nombre de ces problèmes ne se trouvent pas la quadrature du cercle, le mouvement perpétuel et quelques autres, par la raison que depuis longtemps on a surabondamment prouvé que ces problèmes seront toujours insolubles, même quand toutes les lois de l'univers seraient

(1) Exemple, le théorème de Fermat, mis plusieurs fois au concours par l'Académie des sciences pour le grand prix de mathématiques : « Trouver toutes les solutions en nombres entiers et positifs de » l'équation an+ynn, ou prouver qu'elle n'en a pas. »

changées ils sont absurdes de leur nature. Si quelqu'un s'occupe de résoudre ces problèmes, on peut dire hardiment que c'est un homme étranger aux saines notions des mathématiques élémentaires. Nous avons déjà parlé de ces questions chimériques (t. Ier, p. 114, et t. XIII, p. 262). Astronomie. Pour l'astronomie, qui consiste principalement dans l'application des mathématiques à l'étude des phénomènes célestes, il faut surtout désirer des instruments plus puissants que les plus grands télescopes actuels. Déjà M. Léon Foucault a fait entrer la construction de ces instruments dans une voie nouvelle, en remplaçant les miroirs de bronze par des miroirs de verre argentés qui donnent des images bien plus parfaites et qui pourront recevoir de grandes dimensions.

Mécanique; Forces motrices; Chemins de fer; Aérostats.- En mécanique, il est surtout désirable de réaliser un moteur, c'est-à-dire une source de mouvement, plus économique que la machine à vapeur et d'un poids moins considérable.

Nous avons entendu dire: Quoi de plus économique comme force motrice que l'eau ou le vent? Les roues hydrauliques et les moulins à vent sont, en effet, des machines assez peu coûteuses, dont l'entretien est presque nul, puisqu'elles ne brûlent pas de charbon. Mais leur action est toujours irrégulière et fort souvent insuffisante, de sorte que les grandes usines qui utilisent les chutes d'eau ne peuvent plus aujourd'hui se passer de machine à vapeur. Puis, la force de l'eau et celle du vent ne peuvent être transportées là où on veut les employer. La machine à vapeur se déplace (locomotives et locomobiles); mais la machine dépense une grande partie du travail à se traîner

elle-même.

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naires. La machine pourrait être remplacée par 200 chicvaux de trait, mais seulement pour un temps limité; il faudrait bientôt remplacer les chevaux fatigués par d'autres tenus en réserve, tandis que la machine travaille constamment sans se fatiguer.

La seule nécessité de relayer des chevaux employés à exécuter un travail pénible suffirait pour rendre ce travail impossible à exécuter.

C'est ce qui arriva, vers 1825, dans une mine de sel du département de la Meurthe, envahie par les eaux. Pour épuiser ces eaux, vingt-quatre chevaux étaient constamment attelés à un manége. Ils devaient exercer des efforts tellement énergiques qu'ils ne pouvaient travailler chacun qu'une heure par jour, et que plus d'un cheval tomba mort pendant le travail. Il fallait donc entretenir constamment 576 chevaux pour relais! Aussi on fut bientôt obligé de renoncer à l'exploitation.

Une machine à vapeur de la force de 20 chevaux-vapeur aurait largement suffi pour épuiser la mine.

A Paris, le travail d'une machine à vapeur coûte environ six fois moins que le même travail exécuté par un cheval. Les machines les plus perfectionnées ne brulent par heure et par cheval-vapeur qu'un kilogramme et demi de houille de bonne qualilé, et même certaines machines à haute pression se tiennent au-dessous de cette limite.

Quant au prix d'achat de la machine, il est, à égalité de force, bien inférieur au prix d'achat d'un cheval. Ajoutons enfin qu'une vieille machine hors de service a toujours plus de valeur qu'un vieux cheval.

De tous les moteurs animés dont nous pouvons disposer, l'homme est le plus léger eu égard au travail qu'il produit. Mais sous ce rapport il est bien inférieur aux oiseaux.

Un oiseau peut, en déployant les ailes, produire un travail quatre-vingts fois aussi grand que celui d'un homme qui serait réduit au poids de cet oiseau. Autrement dit, si nous supposons des oiseaux en nombre tel que leur poids total soit égal au poids d'un homme, ils pourront produire tous ensemble quatre-vingts fois autant de travail que l'homme.

Le fameux problème de la direction des aérostats n'est pas une chimère. On peut espérer de le résoudre; mais ce ne sera jamais qu'à la condition de trouver d'abord un moteur bien plus puissant, à poids égal, que la machine à vapeur. Aussi longtemps qu'on n'aura point fait cette découverte, il sera parfaitement inutile de s'épuiser en combinaisons d'hélices, de roues, d'ailes, etc., destinées à faire mouvoir le la lon; un quelconque de ces organes suffirait Il faudrait donc trouver un moteur économique et en si l'on pouvait le mettre en jeu avec un moteur suffisamment même temps très-léger relativement au travail développé. léger et en même temps très-puissant. Les oiseaux satisfont Ainsi que nous l'avons dit plus haut, la question de la dipleinement à ces deux conditions; il serait moins déraison-rection des aérostats deviendrait alors facile à résoudre. nable de proposer d'atteler à un ballon une troupe d'oiseaux bien dressés que d'y installer une machine à vapeur.

On avait proposé les moteurs électro-magnétiques pour diriger les aérostats; mais ils sont beaucoup plus coûteux, à égalité de travail, que les machines à vapeur, et d'ailleurs leur poids est aussi beaucoup trop considérable.

Pour mieux faire comprendre l'importance de la découverte d'un moteur économique, nous rappellerons ici comment on évalue le travail d'une machine.

Supposons qu'un poids de 75 kilogrammes soit suspendu dans un puits à l'aide d'une corde. Si cette corde passe sur une poulie et si on y attèle un cheval, il est clair que le cheval en marchant fera monter le poids.

Or, en faisant des expériences sur les plus forts chevaux de brasserie anglais, on a trouvé qu'un cheval de cette espèce peut élever un poids de 75 kilogrammes à un mètre de hauteur en une seconde.

Ce travail constitue, comme nous l'avons déjà indiqué ailleurs, ce que l'on appelle un cheval de force ou un chevalvapeur. Il représente le double du travail d'un cheval de trait.

Si un moteur, quelconque, une machine à vapeur par exemple, peut élever un poids de 7500 kilogrammes à un mètre en une seconde, on dira que cette machine est de la force de 100 chevaux-vapeur ou de 200 chevaux ordi

La suite à une autre livraison.

SUR L'HARMONIE DES SPHÈRES CELESTES. Voyez tome XXVII, 1859, page 327.

LETTRE AU REDACTEUR.

Monsieur, puis-je me plaindre de l'honneur que vous avez fait à un fragment de ma correspondance en lui donnant place dans votre excellent recueil? Je regrette cependant que vous l'ayez envoyé à l'impression sans m'en prévenir. Il s'y est glissé, en effet, une inexactitude dont je ne voudrais rendre coupable que le courant de la plume, lapsus calami. Il y est dit que la tierce résulte de l'accord de deux cordes dont l'une exécute trois vibrations dans le même temps où l'autre n'en fait qu'une; ce rapport ne donnerait pas la tierce, mais bien l'accord entre l'ut et le sol de l'octave suivante : la tierce majeure est l'accord entre l'ut et le mi de la même octave; dans le même temps où la corde de l'ut fait quatre vibrations, celle du mi en fait cinq; ce qui est bien différent du rapport plus simple auquel j'avais fait allusion. Veuillez donc rectifier une faute qui n'a pu échapper à l'impression que par un excès de confiance de votre part, comme d'inattention de la mienne.

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