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pour expier ses fautes et donner à la cour et au peuple le sa première dame de compagnie, la guenon, cousine de temps d'oublier sa méchante affaire.

Cet acte de clémence fit très-mauvais effet à la cour. Isengrin et Brun surtout se plaignirent hautement on les mit en prison.

Dès le lendemain, Reineke prit un bâton, une besace, et alla respectueusement faire ses adieux au roi et à la reine. - Par mes aïeux! vous êtes bien pressé, dit le roi. ---Sire, ma présence ne peut être en ce moment qu'une cause d'embarras pour Votre Majesté. J'ai hâte d'ailleurs d'accomplir mon vau, et bientôt je reviendrai accomplir ma promesse.

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Pour écarter toute méfiance, il se fit accompagner de Lampe le lièvre et de Bellyn le bélier. L'hypocrite nourrissait contre eux une haine féroce. Le premier l'avait jadis denoncé, et le second s'était montré pendant le procès trèsardent contre lui. Par de bénignes paroles, il les conduisit jusque devant le donjon de Malepart. Là, il invita Bellyn à brouter le frais gazon et Lampe à venir dire bonjour à dame Reineke. Que se passa-t-il dans ce sombre séjour? Bellyn crut entendre des cris de détresse inquiet, il allait entrer, lorsque Reineke parut, tout souriant, avec sa besace assez alourdie, qui, disait-il, contenait des dépêches importantes pour le roi. Bellyn fut surpris. Reineke lui fit entendre qu'il s'agissait d'un grand secret d'État. Il lui recommanda instamment de ne pas ouvrir la besace, car elle était fermée d'un noeud particulier convenu avec le roi. Bellyn retourna donc vers le palais avec empressement. Le roi ouvrit le sac, et en tira... horreur!... la tête du pauvre Lampe.

Ah! scélérat de Reineke! s'écria le monarque aussi indigué que confus; ah! si jamais je te tiens une seconde fois! A la vérité, il était assez désagréable pour une tête couronnée d'avoir été si complétement prise pour dupe. Le roi faillit en tomber malade de honte et de mélancolie; mais le léopard le consola et lui donna de sages avis.

Il faut d'abord, dit-il, rendre vos bonnes grâces à Brun et å Isengrin, et leur livrer, en dédommagement de leur captivité, le traître Bellyn qui a osé se charger d'un pareil message. Ensuite nous nous mettrons tous en marche contre Reineke.

Bien parlé! dit le roi.

Bellyn eut beau se récrier. L'ours et le loup voulurent absolument qu'on le leur servit, bien apprêté, à leur premier repas. Puis ils assistèrent au conseil où l'on délibéra sur le plan de campagne contre Reineke.

Grimbert était aux écoutes. Ce qu'il entendit l'effraya beaucoup; il courut avertir Reineke que le roi allait convoquer tous ses vassaux et ne tarderait pas à se mettre en marche avec une puissante armée pour assiéger son repaire. N'est-ce que cela? répondit Reineke; allez, n'ayez crainte; il se passera encore du temps avant que ces genslà ne viennent ici; on est très-fort à la cour pour délibérer, mais quand il s'agit de conclure et surtout d'agir, c'est une autre affaire. Dinons, mon cher neveu; croquezmoi ces petits os de pigeon; c'est moitié lait, moitié sang; ils fondent dans la bouche. Après diner, nous dormirons en paix, et demain matin nous causerons guerre, s'il vous plaît. Tout bien considéré, Reineke prit le parti le plus invraisemblable. Il se mit en route, et, à l'improviste, parut devant le roi. Quoi! dit-il, j'apprends que le traître Bellyn a tué le pauvre Lampe, et c'est moi qu'on accuse! Il me faut interrompre mon pèlerinage pour démasquer

mes calomniateurs !

-- Dents et griffes! c'est trop d'audace! dit le roi courroucé, mais en même temps si étonné qu'il ne voulut pas en entendre davantage. Il rentra dans ses appartements. Il y trouva la reine qui était en conversation intime avec

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Reineke. La reine avait un goût naturel pour les gens d'esprit. « Ils sont rares, disait la guenon, et tous les sots se liguent contre eux. Est-on meilleur parce que l'on est bête? Brun, Isengrin et autres se privent-ils d'une bonne proie par scrupule lorsqu'ils peuvent la happer? Mais aucun d'eux saurait-il en temps de péril donner d'aussi fins conseils au tròne que Reineke?» Et, partant de là, dame Guenon raconta tout ce que l'histoire ancienne et moderne a recueilli d'anecdotes sur le génie subtil dont les Reineke ont donné tant de preuves de père en fils à tous les souverains du monde avant le déluge et depuis, Le roi attentif ne pouvait s'empêcher de sourire. Certes, nul ne contestait la force à la race royale des lions; mais il ne suffit pas d'être fort; et quelle espèce avait fourni de tout temps à la couronne autant d'excellents premiers ministres et d'habiles diplomates que les Reineke? Après tout, était-il politique de céder aux clameurs de la multitude et de se faire des ennemis d'une famille si intelligente et si prompte à trouver d'utiles stratagémes? Si Reineke n'avait pas la petite morale, il avait la grande.

Au fond, la cause de Reineke était gagnée. Cependant la raison d'État voulait que l'on usât de prudence. On écouta de nouveau les accusations des ennemis de Reineke; après quoi il fut résolu qu'on terminerait ces débats par un combat singulier. Isengrin, emporté par ses ressentiments et par la conviction qu'il était plus vigoureux que Reineke, réclama l'honneur de combattre l'ennemi commun. La lutte fut solennelle. Les deux combattants étaient célèbres. On engagea des paris à ruiner toute l'aristocratie des animaux. A vrai dire, Reineke n'était point tout à fait sans crainte, et peu s'en fallut qu'il ne fût occis par Isengrin; mais il eut recours à une ruse suprême. Il mouilla sa queue, la traîna dans le sable, et, au fort du duel, en fouetta les yeux de son adversaire, qui, aveuglé, éperdu, se vit contraint à s'avouer vaincu et à demander merci. Les fanfares sonnèrent. Reineke, proclamé vainqueur, fut décoré et promu aux plus hautes dignités de l'Etat. Ainsi fut conclue l'alliance définitive de la force et de la ruse. Le peuple n'eut plus, depuis ce jour-là, qu'à courber la tête, obéir, payer, et se taire que voulez-vous? ce sont des animaux. Il en est tout autrement, comme on sait, chez les hommes.

OBSERVATIONS ASTRONOMIQUES

DU MOIS DE NOVEMBRE.

Peu de temps après le coucher du soleil, et pendant une demi-heure environ, Mercure paraîtra à l'ouest, au-dessus de l'horizon, dans la lueur du crépuscule. Cette planète, d'un vif éclat malgré sa petitesse (17 fois plus petite que la terre), étant constamment plongée dans les rayons du soleil, autour duquel elle gravite dans un orbe très-restreint, il est difficile de l'apercevoir à l'œil nu. On fera bien de l'observer dans les premiers jours de novembre, attendu que dans la dernière quinzaine du mois elle se rapprochera du soleil.

Mars sera la seconde observation du soir. Cette planète, assez brillante, est facile à reconnaître à son éclat d'un rouge ocreux et dénué de scintillation. En général, les planètes, si l'on en excepte quelquefois Vénus, ne scintillent jamais comme les étoiles proprement dites: c'est là le moyen de les découvrir à première vue, et elles parcourent en outre, dans leur course diurne apparente, sensiblement la même région que le soleil. Ainsi, à six heures du soir, pendant tout le mois de novembre de cette année, Mars occupera dans le ciel la position que le soleil occupait dans la journée, à midi environ, lors de son pas

sage au méridien. Des le coucher du soleil, on l'observera | cessaire de signaler les hauts faits, louables ou non. Ce qu'on

un peu à gauche de cette position, dans la direction du sud-est.

Voici maintenant les observations du matin.

La plus belle des étoiles, Vénus, appelée encore Lucifer, étoile du matin, étoile du berger, brillera d'un grand éclat à l'orient, dès trois heures du matin, en retardant un peu son lever chaque jour. On pourra l'observer convenablement jusqu'au lever du soleil, et même après, jusqu'à sept heures et demie environ, au-dessus du sud-est. Pendant ce mois, cette planète passera au méridien à neuf heures du matin.

connaît le moins, dans sa biographie, c'est sa vie intérieure, la promptitude d'esprit dont il se sentait animé, son goût d'artiste dans tout ce qui se rattachait de près ou de loin à sa personne. L'un de ses historiens, qui l'avait connu à merveille, puisqu'il dirigeait l'éducation de ses enfants, Gomara, ne tarit pas dès qu'il veut faire comprendre sa suprême élégance et la simplicité parfaite qu'il sut néanmoins conserver toujours, dans une situation qui l'élevait presque à la grandeur d'un souverain. Ce goût qu'il avait dans sa manière de se vêtir, il le porţa, dès l'origine, dans son amour pour les bâtiments.

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Bien différent de Pizarre, Cortez avait fait des études classiques aussi ne fut-il nullement embarrassé lorsqu'il eut à décrire pour l'empereur l'aspect de ses nouvelles conquêtes; il sut le faire en excellent castillan. En ar

On sait que Vénus a des phases semblables à celles de la lune, mais dont la succession est incomparablement plus lente. Ces phases ne peuvent être aperçues qu'à l'aide d'un télescope, ou encore de la lunette dite Babinet, du nom de son savant auteur. Muni de cet instrument très-chitecture, néanmoins, il ne fallait pas lui demander plus portatif, lequel peut servir à la fois de lunette astronomique et de lunette terrestre ou longue-vue, on verra que durant tout le mois de novembre l'aspect de Vénus sera celui de la lune approchant de son dernier quartier. La partie éclairée fait toujours face au soleil, ce qui prouve que la planète n'a aucune lumière par elle-même, et qu'elle ne la reçoit comme nous, que du soleil.

La surface de Vénus est couverte de hautes montagnes, et environnée d'une atmosphère comme la nôtre.

Jupiter, dont l'éclat surpasse quelquefois celui de Vénus, est la planète la plus facile à observer. A l'aide d'une lunette d'un faible grossissement, on distingue son disque légèrement aplati aux pôles. Une bonne vue presbyte peut même apercevoir à l'œil nu un ou plusieurs des quatre satellites ou lunes qui l'accompagnent dans sa course autour du soleil, et dont l'aspect change chaque jour. Dans les premiers jours du mois, à minuit, Jupiter se montrera audessus de l'horizon. A sept heures du matin, cet astre passera au méridien et on le verra à la droite de Vénus; mais, à partir de cette époque, il devancera de plus en plus Vénus, de manière qu'à la fin du mois, son passage au méridien aura lieu des six heures du matin.

La planète Saturne, qui, avec son anneau immense et son cortège de huit satellites, forme, à la distance effrayante de plus de 300 millions de lieues de nous, un système pla- | nétaire à elle seule, aura une marche semblable à celle de Jupiter en le suivant toujours d'une bonne heure dans son lever. Ainsi, dans les premiers jours du mois, Saturne apparaîtra au-dessus de l'horizon vers une heure du matin, et à la fin du mois, vers minuit. Sa lumière pâle et plombée ne permettra guère de l'observer au delà de sept heures du matin.

Quant à notre satellite, rien de plus remarquable que les autres mois dernier quartier le 6, nouvelle lune le 13, premier quartier le 20, pleine lune le 28. A l'aide de la lunette mentionnée plus haut, on observera facilement les montagnes de ce satellite, aux environs du premier quartier le soir, et du dernier quartier le matin. Du 14 au 18, le soir, ou mieux encore, du 8 au 12, le matin avant le lever du soleil, la lumière cendrée de la lune, c'est-à-dire la lueur comparable à notre clair de lune, et qui est produite sur la partie ombrée du disque lunaire par le reflet de la partie éclairée de notre globe, permettra d'apercevoir distinctement ce disque en entier. C'est un phénomène astronomique très-curieux.

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de science archéologique que son siècle n'en comportait. Dans ses fameuses lettres à Charles-Quint, et lorsqu'il cherche à faire comprendre la beauté de la ville qu'il vient de soumettre à l'empire de César; lorsque, en un mot, il veut peindre ce que Montaigne appelle d'une façon si originale l'épouvantable splendeur de Mexico, tout ce à quoi son esprit se hausse, c'est de comparer les théocallis aux mosquées des cités moresques... Le génie arabe avait, en effet, laissé partout ses traces dans la Péninsule; les monuments qu'on lui devait étaient présents à tous les souvenirs; les chrétiens eux-mêmes copiaient plus ou moins ces merveilles. Ce genre de construction, modifié par l'esprit de la renaissance, présida à l'architecture qui devait bientôt rendre méconnaissable la cité de Montezuma, et qui lui donna en peu d'années un tel aspect, qu'on n'y rencontrait pas un seul édifice un peu considérable reflétant encore dans sa pureté l'antique génie des compagnons de Huitzilotl.

Cortez avouait franchement son amour pour les richesses et pour la puissance: aussi se fit-il une large part dans le butin de Mexico. Il s'adjugea le palais du souverain, et il y demeura; mais ce palais n'offrait plus que des décombres, comme le reste de la cité. Tout avait été si bien détruit que, vers 1540, c'est-à-dire vingt et un ans après l'arrivée, le licencié Alonzo de Zurita s'exprimait ainsi à propos des constructions civiles, dont il regrettait sans doute les dispositions: « Les maisons des chefs étaient spacieuses; on les élevait d'une toise et plus au-dessus du sol, afin d'éviter l'humidité; elles ressemblaient à des entre-sols. Il y avait, attenants, des jardins et des vergers; les appartements des femmes étaient à part ('). »

Dès l'année 1529, Cortez obtint par cédule royale la concession en toute propriété des habitations qu'il s'était adjugées; puis, en 1531, il fit bâtir, probablement sur leur emplacement, une habitation si vaste et si coûteuse, en raison de sa magnificence, qu'elle excita le mécontentement de l'Audiencia. « Le marquis, écrivait-on alors à CharlesQuint, fait construire ici un palais plus somptueux que ceux qui sont en Espagne : les murs ont plus de cinq pieds d'épaisseur; il occupe trente-cinq carrés (quadras), dont chacun a soixante-dix pieds de façade. »

Les matériaux ne manquaient pas à Cortez. Outre les ruines gigantesques dont le sol était jonché, les montagnes du voisinage lui offraient l'amigdaloïde poreuse, qu'on appelle à Mexico tezontle. Le porphyre n'était pas rare, non plus que la basalte et l'obsidienne (2). Malgré l'activité de ses travaux, le conquistador ne put pas les poursuivre jusqu'à un parfait achèvement; ses nombreux ennemis () Voy. Collection d'ouvrages relatifs à l'Amérique publiée par M. H. Ternaux-Compans.

(*) Disertacion por Alaman.

surent y mettre bon ordre. On empêcha les Indiens qu'il employait comme gens corvéables de se rendre à son commandement, et ce fut tout au plus si l'on permit aux ouvriers libres de Chalco de travailler à son palais, sous la condition bien naturelle qu'en les employant il les payerait... Il ne les paya pas. Ainsi le voulait la louable coutume en vigueur chez les Espagnols; mais, comme on le pensera aisément, avec ce beau système, les travaux subirent un arrêt forcé. Après une assez longue interruption, on les reprit néanmoins, et Cortez, qui était spéculateur aussi habile que conquérant audacieux, fit garnir son nouveau palais de nombreuses boutiques et de riches magasins qui ne tardèrent pas à rapporter à leur propriétaire plus de trois mille pesos. Nous doutons que le marquis del Valle (on n'appelait pas autrement notre conquistador) ait fait longtemps son habitation particulière de cette vaste

construction; l'Audience royale y avait été établie fort arbitrairement, à ce qu'il nous semble, et abreuvait son propriétaire de tracasseries. Notre héros n'en perdit pas un moment ses intérêts de vue, et il fit réclamer ses loyers qu'on ne lui payait pas, ayant à poursuivre, disait-il, de vastes projets. Il est possible qu'il méditât dès lors son expédition vers la mer Vermeille; mais il est plus probable que, toujours avide d'émotions nouvelles, il se livrait à maintes spéculations au nombre desquelles il faut mettre sa manie de bâtir, ne fût-ce que pour entrer en lutte ouverte avec l'Audiencia.

Cortez éleva plusieurs maisons dans Mexico. Celle que nous reproduisons ici passe même pour lui avoir servi d'habitation, sans que la chose en elle-même soit bien prouvée. Elle est très-certainement de son temps, et elle garde la riche élégance d'un de ces hôtels moresques comme

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La Maison dite de Fernand Cortez, à Mexico. - Dessin de Freeman, d'après une photographie de M. de Rosti.

on en trouve encore assez fréquemment dans mainte cité | de l'Andalousie.

A la vue de cette gracieuse construction si complétement européenne, de ces ornements architectoniques si curieusement fouillés et qu'a si bien reproduits la photographie de M. P. de Rosti, on se demande comment de pareils édifices purent s'élever sur les décombres de Tenotchitlan au bout de quelques années de conquête. C'est le génie patient de la race indienne qui nous peut fournir une réponse. Comme les Chinois, dont on connait l'admirable persévérance et l'incompréhensible adresse, les habitants de Mexico ne voyaient rien dans les arts de l'Europe qu'ils ne pussent aussitôt imiter avec la plus minutieuse exacti

tude. La Condamine admire en plus d'un endroit de ses Voyages la façon dont les Indiens travaillent les pierres les plus dures. Les habiles ouvriers employés par Montezuma devinrent d'excellents auxiliaires des rares manœuvres européens qu'envoyait la mère patrie, et ce fut grâce à eux qu'on put élever dans Mexico tant d'édifices qui frappaient de surprise les Européens. Il paraît certain que les maisons habitées réellement par Cortez et qu'il possédait sur la grande place furent incendiées en 1636. Le savant Alaman, qui nous fournit ce renseignement, prouve néanmoins que le héros du Mexique a séjourné dans les bâtiments où est aujourd'hui le mont-de-piété.

Paris. --- Typographie de J. Best, rue Saint-Maur-Saint-Cerasi, 15.

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Je n'ose plus médire de la pluie, même la plus inopportune, depuis que j'entends mon ami Roger faire son éloge et soutenir qu'il lui doit son bonheur. Il est vrai que mon ami Roger est un homme à part, simple comme un enfant, toujours disposé à voir le bon côté des choses, rapportant å la Providence ce que nous attribuons au hasard, n'allant pas chercher à cent lieues ce qu'il peut trouver à dix pas, se tenant pour satisfait quand il possède ce qu'il a désiré, enfin un véritable original. Or voici ce qui lui advint.

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Après avoir obtenu à la Faculté de médecine de Paris son diplôme de docteur, il était allé passer quelques jours chez ses parents, braves fermiers du département du BasRhin. J'ai dit que Roger était un homme simple: il se trouvait tout aussi à son aise dans la ferme de son père, sous les quartiers de lard suspendus aux solives du plafond, que dans un élégant salon; il travaillait aussi volontiers au bruit de tout l'orchestre de la basse-cour que dans le silence d'un cabinet d'étude, et la fourchette d'étain avec

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laquelle il expédiait le souper préparé par sa mère ne le lui faisait pas trouver moins bon. Cependant, comme de puis son enfance il avait toujours vécu à Paris, c'était à Paris qu'il avait l'intention de retourner et d'exercer sa profession. Sans être plus ambitieux qu'un autre, il ne voyait pas pourquoi il ne réussirait pas dans la grande ville; il ne repoussait même pas l'idée d'y amasser une fortune considérable et d'y faire un beau mariage. Une jeune héritière ornée de toute sorte de qualités physiques et morales, avec quelque cent mille francs de dot, n'était nullement au-dessus de ses prétentions, et certes tous ceux qui le connaissaient lui accordaient bien le droit d'aspirer à tout. Impatient d'aborder la vie, plein de confiance dans l'avenir, il songeait au départ quand arriva le petit incident qui décida de sa destinée.

Un jour qu'il était allé se promener dans la campagne, monté sur le meilleur cheval de son père, il fut surpris par la pluie comme il était encore à deux ou trois lieues de chez lui. Ma foi, tant mieux, dit-il, le vent m'incommodait; petite pluie abat grand vent. » Mais le vent ne cessa pas et la petite pluie grossit. Roger mit son manteau, en releva le collet par-dessus ses oreilles, enfonça son chapeau à larges bords sur sa tête et ne s'inquiéta pas autrement du mauvais temps. Quelle que fùt sa patience, la pluie semblait avoir résolu de le pousser à bout; elle se mit à tomber à flots; en moins de dix minutes, la plaine ne fut plus qu'un marécage. Mouillé jusqu'aux os, ne voyant ni près ni loin aucun refuge, le pauvre Roger était sur le point de céder au besoin qu'il éprouvait d'apostropher le ciel et la terre avec quelque rudesse, quand il apercut à quelque distance un groupe de femmes arrêtées à l'embranchement de plusieurs chemins. C'étaient trois jeunes filles revenant sans doute de quelque marché voisin, et qui, avant de se séparer, causaient un instant sous leurs grands parapluies. Me voilà sauvé, pensa Roger, dont la mauvaise humeur disparut aussitôt ; et, s'étant approché des jeunes filles, il leur demanda quelle route il fallait prendre pour arriver au village le plus proche et trouver un abri. Toutes trois étendirent la main à la fois, mais dans des di-, rections différentes : << Prenez à droite! Tournez à gauche! -- Allez tout droit!» dirent-elles en même temps. Que croire? quel parti prendre? Y avait-il trois villages également proches? N'y en avait-il qu'un auquel les trois chemins aboutissaient? Les jeunes filles se trompaient-elles ou voulaient-elles se moquer de lui?« Bah! à quoi bon délibérer, se dit Roger. Il faut avoir l'esprit bien mal fait pour prendre à droite ou à gauche quand on peut aller tout droit. » Et il s'engagea dans le sentier qui se trouvait devant lui. La jeune paysanne qui lui avait indiqué cette direction dit adieu à ses compagnes et se mit en marche dans le même chemin. Les pieds du cheval s'enfonçant profondément dans la terre détrempée, le cavalier n'allait pas plus vite que la voyageuse; quelquefois même celle-ci le devançait, mais alors elle ralentissait le pas comme un guide qui ne veut pas se laisser perdre de vue. Elle avait soin de choisir les meilleurs passages, puis se retroussait pour les désigner à l'attention de Roger. Une fois, le cheval de celui-ci refusant de traverser une flaque d'eau plus large que les autres, elle vint à son aide, prit l'animal par la bride et le força d'avancer. Cependant à quoi pensait notre voyageur? Ce n'était plus à la pluie, sans doute, ni à autre chose qu'à la complaisance de cette jeune fille qui se faisait si bravement mouiller, qui entrait avec si peu de façons dans l'eau jusqu'à mi-jambe pour rendre service à un inconnu dans l'embarras. Où sont-elles les belles demoiselles de Paris qui, en pareille circonstance, en feraient autant? Il est vrai que, de son côté, la pauvre campagnarde jouerait un triste rôle dans un salon... Et pourquoi? Au fait,

sa tournure est leste et gracieuse... La voici qui se retourne: son visage n'est-il pas charmant? Assurément il ne lui faudrait pas beaucoup de toilette pour figurer sans désavantage parmi les plus jolies.

Un quart d'heure après, les deux voyageurs étaient arrivés au village et ils entraient dans une maison qui, certes, n'avait pas cinq étages et n'était pas bâtie en pierre de taille, mais qui, à mon sens, n'était pas désagréable à voir avec le beau rosier tout en fleurs qui en décorait la façade. C'était là que demeuraient les parents de la jeune paysanne. On n'échangea pas beaucoup de paroles, ce qui ne veut pas dire que le temps fut pour cela mal employé. En un instant la table fut mise, un gros fagot jeté dans le feu, la poêle posée sur la flamme, et un excellent déjeuner trés-proprement et très-cordialement servi. « Ces gens-là sont vraiment fort bien, pensait Roger, au fond vraiment polis et distingués. Je ne sais pas pourquoi, nous autres citadins, nous nous croyons supérieurs à eux. »

Bien qu'il n'y eut rien à redire à l'accueil que Roger recevait de ses hôtes, il remarqua cependant sur leurs figures et dans leurs manières quelques signes de préoccupation et même d'inquiétude. Par moment ils se taisaient et semblaient écouter; à plusieurs reprises, la jeune fille se leva et entra dans la chambre voisine; quand elle reparaissait, les yeux de ses parents se fixaient sur elle. « C'est mon frère qui est malade », dit-elle, répondant au regard interrogateur de Roger. Malade! oserai-je dire que ce triste mot ne sonna pas trop mal à l'oreille du jeune médecin? Il demanda à voir, examina et fit sa première ordonnance. Il l'écrivit d'une main ferme, mais au fond le cœur lui trembla. Il avait si grande envie de réussir et de rendre service à de braves gens! « Je reviendrai », dit-il en enfourchant son cheval, qui, de son côté, n'avait pas eu å se plaindre du gite et de la pitance, et témoigna sa satisfaction par de joyeux hennissements.

Roger revint en effet le lendemain, et encore le surlendemain, et tous les jours pendant une semaine, au bout de laquelle son malade était sur pied, aussi dispos que vous et moi. « Ah! si nous avions ici un médecin comme vous! » répétaient les bonnes gens en lui serrant les mains; et, chaque fois qu'il traversait le village, tout le monde le regardait passer et le saluait. Il y en avait plusieurs qui avaient bien envie de lui parler; un jour, le plus hardi l'osa, puis un second, puis un troisième, puis tous ceux qui avaient besoin de lui. Il n'y avait pas de médecin dans ce pauvre village, ni à deux lieues à la ronde, et pourtant il y avait là des maladies comme ailleurs, et même plus qu'ailleurs en ce moment-là, car une épidémie assez maligne venait de se déclarer. « Je vais voir ma clientèle », disait en riant Roger à son père. Au fait, pensa-t-il un jour qu'il revenait de sa tournée après avoir fait une quinzaine de visites, pour un début ce n'est pas trop mal. Pourquoi irais-je chercher ailleurs ce que je suis sûr de trouver ici? Là-bas, on se passe fort bien de moi et les malades manqueront peut-être au médecin; ici, c'est le médecin qui manque aux malades, et je vois bien qu'ils ne me laisseront pas chomer. » Comme ceci demandait réflexion, il y réfléchit une heure entière, prit son parti et resta. Ne trouvez-vous pas qu'il eut raison? Sans doute, ses clients ne le payent pas bien cher, mais, en revanche, ils l'aiment beaucoup et le regardent comme le plus savant homme du monde, ce qui, je pense, même pour le plus modeste, n'est pas indifférent.

Et le beau mariage que notre ami Roger se promettait de faire à Paris?... Ma foi, celui qu'il fit dans son village ne dut pas lui laisser grand'chose à regretter. Épouser beauté, jeunesse, vaillance et tendresse de cœur, ce n'est pas, à mon sens, une si mauvaise affaire. - Et qui Roger

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