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appliquent d'une façon générale le nom de Rif à tout le littoral de la Méditerranée, ce que nous appelions jadis Barbarie : dans son acception la plus étroite, ce nom ne se donne qu'à une certaine étendue de côtes marocaines entre Tanger et Melilla, repaire de tribus kabyles dont la piraterie est la passion invétérée. Entre le grand Rif et l'Atlas s'étend le Tell, zone des plaines, des riches vallées et des terres cultivables, au delà duquel on ne trouve plus que l'aride Sahara.

Le Sahara lui-même a plusieurs aspects: il y a le pays sablonneux parcouru par les Touareg et par les bandits arabes, et la plaine un peu ondulée, à végétation faible et rase, mais mouchetée d'oasis.

qui les cherchent. A Nuremberg, la curiosité rare, le spectacle vraiment inattendu, l'étranger n'a que faire de guide pour le découvrir : c'est la ville tout entière; ce sont ses rues, qui s'entre-croisent irrégulièrement, qui montent, descendent en rampes escarpés, et tantôt aboutissent aux portes fortifiées et aux charmantes promenades de l'enceinte extérieure, tantôt débouchent sur la rivière, en découvrant tout à coup la perspective la plus imprévue; ce sont des ponts où le regard, plongeant au loin, ne rencontre de tous côtés que tours et tourelles, clochers et clochetons, toits immenses, à quatre et cinq rangs de lucarnes, étagés les uns au-dessus des autres jusqu'au château qui couronne la hauteur; ce sont toutes ses maisons, enfin, bizarrement coloriées, rouges, vert pâle, ou comme couvertes de rouille, avec leurs grands pignons triangulaires, dont les montants se déroulent en volutes ou s'échelonnent en escaliers, leurs façades percées de fenêtres nombreuses, étroites et pres-el-Djerid, « Pays des dattes ». Ce nom (Djerid) paraît se sées, leurs enseignes naïvement taillées dans la pierre, audessus de l'entrée, leurs balcons couverts, leurs encoignures saillantes, prolongement de la pièce principale suspendu sur la rue, retrait privilégié de la maîtresse du logis, pour lequel l'architecte a réservé les ornements les plus élégants, les ciselures les plus délicates. Quelquefois, ces légers pavillons, superposés d'étage en étage, montent jusqu'à la naissance du toit; et, au milieu de sa pente, une lucarne maîtresse, porte plutôt que fenêtre, donnant accès aux vastes greniers qu'il recouvre, avance son auvent et sa grue curieusement sculptée.

Voilà le spectacle que Nuremberg offre à chaque pas au voyageur qui ne se contente pas de visiter ses monuments. Vainement il voudrait s'y borner; malgré lui il est entraîné à suivre tous les détours de cette ville si pittoresque. Assurément les monuments sont remarquables, pleins d'intérêt; ils méritent d'être étudiés et décrits en leur lieu; ils ne laissent pas cependant, à celui qui les a vus, un souvenir aussi vif et aussi durable que ces vieilles rues et ces vieilles maisons pour lesquelles son admiration n'était pas préparée. Il s'attendait à voir de beaux édifices et de curieuses antiquités; il est étonné et ravi de trouver une ville qui garde dans sa physionomie l'empreinte profonde du passé, où ce passé vit encore, si bien qu'à tout moment on reconnait ce qu'on n'avait vu que dans les peintures de ses vieux maitres : c'est leur caractère, leur couleur, et jusqu'aux personnages qui leur ont servi de modèles.

LES LACUNES DE LA GÉOGRAPHIE.
Voy. t. XXVII, 1859, p. 206.

AFRIQUE.

L'Afrique éveille depuis soixante ans bien des curiosités obstinées jusqu'à l'héroïsme. Sans parler des efforts que tout le monde connait, depuis Hornemann jusqu'à Caillé | et aux d'Abadie, nous pouvons constater qu'à l'heure actuelle la terre classique des monstres et des merveilles (portentosa terra) est abordée par tous ses côtés à la fois. Anderson, Livingstone et Magyar nous ouvrent les régions du Congo et ses grandes vallées qui s'étendent au nord de la Cafrerie. Les missions protestantes du Zanguebar nous ont révélé l'existence des volcans et des grands lacs intérieurs, que viennent de visiter MM. Speke et Burton. Dix voyageurs luttent à qui arrivera aux hauts plateaux du! Nil. Pendant que M. Vogel se dirigeait vers les grands empires du Soudan, sur les traces de l'heureux Barth, son compatriote, un steamer anglais a remonté le Quorra et la Tehadda de manière à relier ses découvertes à celles des deux savants allemands que nous venons de nommer. Algérie et Maroc. Les Moghrebis (Arabes d'Afrique)

C'est cette dernière qui forme le Sahara marocain, algérien, tunisien ce qu'on nommait dans toutes les géographies, il y a encore trente ans, le Biledulgerid ou Belâd

restreindre aujourd'hui à la contrée dont Nefta et Touzert sont les capitales et qui avoisine un grand chott, ou lac salé, appelé fort improprement dans les mêmes géographies lac Loudeah. On a découvert, après long examen, que ce mot de Loudeah n'était qu'une altération anglaise de l'arabe el aoudyah, « les marques, les traces », nom par lequel les indigènes indiquaient probablement certaines marques qui leur servaient à se diriger en traversant, pendant l'été, cette vaste surface desséchée.

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Les principales oasis du petit Sahara sont, pour l'Algérie et le Maroc les Ziban, l'Oued-Rir, l'Oued-Souf, Ouargla, le Mzab; pour le Maroc Figuig, Tafilelt, les Touat. A l'heure où nous écrivons, toutes les oasis algériennes ont été visitées par nos troupes. Le Souf et ses cinq villes ont reconnu notre domination: Touggourt et Tmacin, qui sont les métropoles du Rir, long ruban de villages heureusement situés parmi des bouquets de palmiers et des vergers bien cultivés, en ont fait autant : un puits artésien y a même été creusé d'après les procédés européens ('); et a rendu la vie à des terres abandonnées faute d'eau. Nous dirons à ce propos que le forage des puits artésiens est depuis longtemps connu dans le Sahara, et que des indigènes ont des procédés particuliers pour pénétrer jusqu'à la nappe d'eau douce que l'on trouve partout en creusant la croûte saharienne; mais ces procédés sont imparfaits et exposent gravement la vie des travailleurs au moment de l'éruption des

eaux.

Le 1er janvier 1857, une colonne française a pénétré pour la première fois jusqu'à Ouargla le matin, elle marchait sous une pluie battante; à midi, il faisait une chaleur de 45 degrés. Grâce à cette dernière pointe vers le midi, la conquête pacifique de tout le Sahara algérien est désormais accomplie.

Le Figuig ressort bien du Maroc; cependant quelques points semblent nous appartenir. Ainsi l'une de ses villes, Iche, a reçu la visite des troupes françaises et leur a offert la diffa (repas d'honneur); mais ce petit pays commerçant, dont les habitants sont renommés pour leur habileté comme mineurs dans les opérations de siége, ne reconnait jusqu'ici comme souverain que l'empereur Abderrahman. Quant au Tafilelt, « composé, disent les Arabes, d'autant de villages que de jours dans l'année », c'est aussi un très-petit pays, qui a joui autrefois d'une grande importance, mais dont on ne connaît bien ni l'état actuel ni même la situation.

Touat est dans le même cas : c'est un vaste chapelet d'oasis dont on ne sait ni le nombre ni les noms. Le seul point visité par les Européens est Insalah, vu par le malheureux major Laing; c'est la capitale de l'oasis Tidikeult. Les autres oasis ont été soigneusement décrites par le gé

(') Voyez le Mémoire sur les sondages exécutés dans le Sahara oriental, par M. Charles Laurent.

néral Daumas, qui en compte cinq et en fait un massif compacte; M. Baudouin, auteur de la meilleure carte que nous avons du Maroc et de la description qui l'accompagne, en compte à peu près le double et les range sur une seule ligne du nord au sud. Lequel a raison? En 1856, un jeune médecin français, M. Couturier, partit d'Alger avec un spahi parfaitement au fait de la langue et des habitudes de la contrée, et se dirigea sur le Touat; malheureusement sa mauvaise santé l'arrêta à Brizina, d'où il fut dirigé sur l'hôpital militaire le plus voisin : il y succomba presque en arrivant, victime d'une tentative pour laquelle ses forces ne s'étaient pas trouvées à la hauteur de son courage. Un voyageur aussi intrépide et plus robuste, M. Henri Duveyrier, âgé de vingt ans à peine, a entrepris le même voyage et vient d'arriver à Ouargla mais là, les Arabes Chaamba lui ont déclaré qu'ils ne le recevraient pas dans leur ville, et que, s'il y entrait, on lui couperait probablement la tête. Espérons que la persévérance du jeune explorateur triomphera d'une défiance qui menace de lui fermer la route principale des oasis de l'ouest.

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Du reste, dans le Maroc tout entier, ce n'est pas seulement le Sahara qui reste à connaître, c'est encore tout le Tell, sauf le littoral et quelques routes, comme celle de Tanger à Fez, relevée, il y a une trentaine d'années, par M. de Caraman, si nous avons bonne mémoire. Le reste est très-conjectural. On ne sait pas si le petit État fondé, vers 1810, par Sidi-Hescham dans le pays de Sous, est toujours indépendant; une amazone nommée Marie y régnait il y a plusieurs années, fort connue et fort redoutée des armées du sultan. On ne sait pas davantage où pouvait être l'emplacement de Sigilmessa, la fameuse capitale du Moghreb au moyen âge.

Les voyages ne sont pas faciles dans l'intérieur, habité par des tribus kabyles très-fanatiques, et d'ailleurs trèsrebelles à l'autorité de l'empereur du Maroc, malgré son titre de chef religieux. En 1844, lors du bombardement de Mogador, les Kabyles descendirent des montagnes et pillèrent la ville abandonnée par ses défenseurs; d'autres tribus pillèrent également les bagages de l'armée marocaine après la bataille d'Isly. Aussi la perception annuelle de l'impôt n'a-t-elle jamais lieu sans amener des collisions sanglantes entre les Kabyles et les troupes impériales chargées d'effectuer cette perception.

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Tunis, Tripoli. Le beylick de Tunis est, après l'Égypte, la contrée la plus historique et la plus illustre de l'Afrique le nom de Carthage suffit à le prouver. Aussi les ruines de cette ville célèbre, voisines de Tunis même, ont-elles attiré plus d'un voyageur; les plus heureux ont été le capitaine Falbe, de la marine danoise, et le docteur Barth, qui a voyagé dans cette régence comme pour préparer sa grande excursion au centre de l'Afrique. Malheureusement, la célèbre patrie d'Annibal, la vieille ville phénicienne, a complétement disparu, et les vestiges que l'on retrouve ne sont guère que ceux de la colonie romaine qui l'a remplacée, résultat peu encourageant pour les visiteurs à venir.

Le Tell tunisien est très-montagneux et assez difficile à parcourir pour des Européens, même sous la protection du bey. Un de nos compatriotes, M. Prax, y a pourtant fait une longue excursion il y a quelques années. Il y a plus de facilité à voyager dans le pays de Tripoli, qui ressort directement de l'empire ottoman, et où l'action de l'autorité se fait sentir beaucoup plus efficacement: c'est un pachalik important, duquel dépendent le Fezzan et la Cyrénaïque, et dont l'intérêt tient surtout à ce qu'il est jusqu'ici la seule porte de communication régulière entre l'Europe et le Soudan. Grâce aux relations qui existent depuis deux siècles entre les pachas de Tripoli et les sultans nègres du Bour

nou, il y a maintenant entre le centre de l'Afrique et les ports turcs de la côte sud de la Méditerranée un service de courriers aussi exact et pas plus long qu'entre la France et quelques-unes de ses colonies. C'est par cette voie que l'Europe a reçu les précieuses communications de Barth et de Vogel, ce jeune et intrépide voyageur qui vient de périr au Ouadaï, victime de représailles provoquées par des faits qui lui étaient étrangers.

Ce qui empêche le pachalik de Tripoli de former un tout bien compacte, c'est le désert, ou Hammadah, qui le coupe en deux, et sépare le Tell d'une oasis immense, le Fezzan, et d'une autre plus petite, Gadames, Gdames ou R'dames. Ce dernier pays, qui vient d'être visité par des officiers de l'armée d'Afrique, et qui est tout autant sur la route de nos possessions que sur celle de Tripoli, doit finir par former un poste avancé de l'Algérie. Le consul anglais Dickson y a fait, en mai 1852, une excursion intéressante en traversant le mont Garian, qui est le mont Atlas du pays de Tripoli : c'est une chaîne très-ardue, séparant le Tell du Hammadah, et très-peuplée d'ailleurs, car M. Dickon y compte soixante mille âmes, dont quarante et un mille Berbères ou Kabyles agriculteurs et pasteurs: presque tout le reste est Arabe, et par conséquent nomade.

Le Fezzan n'est conu que sur les deux ou trois lignes parcourues par les voyageurs européens, lignes qui aboutissent à Mouzzouk, sa capitale. Pourtant ce pays est soumis à la Turquie, qui y entretient une garnison assez faible et une administration régulière, relativement parlant. C'est un petit proconsulat beaucoup trop exploité par ses maîtres; car l'impôt y est devenu, comme dans beaucoup de pays où règne le vieux régime turc, une véritable spoliation. La patience des Fezzanis est la seule garantie des Turcs; car s'ils se révoltaient, ils n'en auraient pas pour deux heures à chasser toute la force armée qui occupe un pays grand comme un tiers de la France; et l'armée tripolitaine qui voudrait franchir le Hammadah pour aller les réduire serait exposée, en pays ennemi, au sort de l'armée de Cambyse dans les sables de Syouah.

La Cyrénaïque, dont les ports sont aux Turcs, et dont l'intérieur est un plateau parcouru par de nombreuses tribus arabes, n'a d'importance que par les noms et les ruines de Cyrène et de Ptolémaïs, visitées et bien décrites par de nombreux explorateurs, dont Della Cella et surtout PachoBey ont été les plus heureux. Le pont de Benghazi est aujourd'hui le point le plus remarquable de cette côte : c'est un débouché qui sert maintenant aux caravanes soudaniennes dirigées du Ouadaï et du Darfour vers le nord de l'Afrique. Ce voyage est fort dangereux, car il s'agit de traverser le grand désert libyen, sans eaux courantes, peu près sans oasis, et où les caravanes marquent toujours leurs étapes par des cadavres de malheureux morts de soif et de fatigue. On aurait pu espérer quelque secours des indigènes qui vivent misérablement au fond de quelques oasis qu'eux seuls connaissent; mais les razzias cruelles et imprévoyantes des Arabes ont dépeuplé le groupe le plus important de ces oasis, le Koufarah, et tout indigène tibbon que les caravanes rencontrent de loin en loin s'enfuit épouvanté vers les cavernes où se tapit sa race dégradée.

La suite à une autre livraison.

LES BOEUFS DANS LA CAMPAGNE DE ROME.

Dans la province de Rome, la race des bœufs, dit M. de Tournon (1), est d'une forme plutôt légère que massive, bien proportionnée, et libre, vive et fière dans ses mouve

(') Études statistiques sur Rome et la partie occidentale des États Romains, par le comte de Tournon. Deuxième édition, 1855,

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ments. Leurs longues cornes, décrivant de vastes courbes, dirigées en haut et se rapprochant par les pointes, et leur pelage uniformément d'un gris cendré, les rendent tout à fait semblables aux boeufs des bords de la Theiss, en Hongrie. Cette race fut importée par les barbares nomades qui, du quatrième au sixième siècle, envahirent l'Italie. La race romaine antique était différente: poil roux, petites cornes en croissant. Les bœufs des pays sains, surtout dans les montagnes, beaucoup moins grands que dans les contrées malsaines, ont aussi le poil rougeâtre ou fauve, et des cornes qui peuvent paraître petites en comparaison des immenses courbes qui arment la tête de la race grise de la plaine.

Les bêtes à cornes vivent constamment dans les champs.

Le troupeau, nuit et jour, parcourt les pâturages sous la conduite de quelques pâtres à cheval, armés de longues lances et même de fusils, pour défendre leurs bestiaux contre les loups.

Cette vie indépendante rend les bœufs presque sauvages, et leur approche est souvent dangereuse, surtout si on a l'imprudence de les exciter.

Lorsque les jeunes boeufs ont atteint deux ans, on s'occupe à les dompter, et ce moment amène une sorte de fête champêtre. Tous les vachers, à cheval, armés de longues piques, entourent en galopant le troupeau dans lequel se trouvent les jeunes animaux, et le dirigent ou le poussent vers un lieu désigné et libre de tout obstacle. Alors chacun des pâtres, une corde à noeud coulant à la main, s'élance

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Salon de 1859; Sculpture. - Taureau romain, en marbre, par M. Clésinger. - Dessin de Thérond. de toute la vitesse de son cheval vers le troupeau, choisit un jeune bœuf, l'aiguillonne de la lance, l'isole, le suit, et lai jette avec une adresse admirable le noeud coulant autour du cou ou des cornes. Le vigoureux animal fuit en se débattant contre ce lien inaccoutumé; mais, retenu par une main adroite et ferme à la fois, il tombe, on le saisit, et, conduit au lieu où chauffe un fer figurant le chiffre du propriétaire, il en reçoit en mugissant la brûlante empreinte. Le bœuf, ainsi marqué, est rendu à la forêt et à la vie vagabonde, et repris peu après, de la même manière, pour être soumis au joug.

Les buffles qui sont originaires de l'Inde et qu'on élève au midi du Tibre sont en grande partie employés au halage et au curage des canaux dans les marais Pontins. Quelques-uns servent au labourage. Leur chair est désagréa– blement musquée, ce qui n'empêche pas que les pauvres juifs de Rome ne s'en nourrissent. M. Fulchiron évaluait à sept cents le nombre des buffles qu'ils consomment chaque année (').

() Voyage dans l'Italie méridionale, par J.-C. Fulchiron; 1843.

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tube dans lequel l'eau s'élève jusqu'à 34m,10 au-dessus de l'orifice du puits. Cette eau vient de la couche des sables verts, située à 548 mètres de profondeur, c'est-à-dire d'un niveau supérieur au sol de Paris. Elle tend donc toujours à reprendre ce niveau, et, par conséquent, à s'élever non-seulement jusqu'à l'orifice du puits, mais même audessus. Si on la laissait sortir librement du puits, elle formerait un jet d'une vingtaine de mètres de hauteur, comme les plus hants jets de Versailles. Mais quand elle serait retombée sur le sol, il faudrait employer les pompes pour l'envoyer dans les quartiers de Paris plus élevés que le sol de Grenelle. C'est pourquoi on a eu l'idée d'établir un long tuyau vertical, à l'aide duquel on fait monter l'eau dans un réservoir supérieur, d'où il suffit de la faire redescendre par un second tuyau, vertical comme le premier, pour qu'elle atteigne sous une charge suffisante tous les quartiers d'un niveau inférieur à celui du réservoir.

Moyennant cette disposition adoptée pour le puits de Grenelle, l'eau qui redescend du sommet de la tour est amenée par des tuyaux jusqu'aux réservoirs de la place du Panthéon; de lå elle est distribuée dans les fontaines publiques ou particulières.

La colonne en fonte, de forme hexagonale, est placée sur un socle en pierres de taille formant bassin circulaire, d'une hauteur de 42m,85, d'un diamètre de 3,55 à sa base et de 2,90 à son sommet, et entièrement construite en fonte des usines de Fourchambault. Six montants extérieurs servent de cage à un escalier en spirale de cent cinquante marches à jour, et d'une largeur de 75 centimètres, qui règne autour du tube ascensionnel et conduit à la plate-forme que domine une sorte de lanterne terminée en coupole. Quatre vasques, de dimensions graduées, s'étagent dans la hauteur de la colonne et laissent échapper chacune vingt-quatre gerbes d'eau qui s'épanchent en pluie dans le bassin de la base. D'un poids total de 100 000 kilogrammes, cette construction colossale a cependant un certain aspect de légèreté et d'élégance, grâce aux nombreuses découpures et broderies à jour dont sa masse est ornée. Élevée sur la place Breteuil, au point d'intersection des avenues qui conduisent à l'Ecole militaire et aux Invalides, la colonne artésienne reçoit l'eau de la source jaillissante, située à quelques pas, au moyen d'un aqueduc souterrain. L'auteur du projet, M. Delaperche, a dirigé lui-même les travaux sous la surveillance de MM. Belgrand, ingénieur en chef des eaux, et Michal, inspecteur général des ponts et chaussées.

Nous rappellerons que l'eau du puits de Grenelle est d'une qualité tout à fait supérieure. Elle ne renferme presque pas de matières minérales; elle est même plus pure que l'eau de Seine. Aussi est-elle éminemment propre à tous les usages domestiques, de même qu'à l'alimentation des chaudières à vapeur: on sait que les eaux chargées de sels de chaux forment dans ces chaudières des incrustations fort dures qui peuvent causer de graves avaries et même des explosions.

MA COMPAGNE DE VOYAGE.

NOUVELLE.

Fin. Voy. p. 2, 10, 18.

Sur ces entrefaites, je reçus du professeur A... la lettre suivante :

« Chère Madame,

» La petite Allemande, la fille de mon brave Fritz, serait-elle disponible? S'il en est ainsi, je pourrais offrir au Kleinvogel une place dans une cage étroite et modeste,

mais où ne manquent ni la verdure, ni l'eau, ni le grain. >> Vous savez que nous avons toujours quatre ou cinq jeunes étrangères en pension. Cela nous aide à vivre; cela occupe nos deux filles et nous permet de les garder près de nous au lieu de les envoyer institutrices au loin; cela nous met en état de payer le loyer de notre jolie maison à triple balcon et de notre beau jardin. Mais, malgré tous les efforts de ma femme pour me dissimuler ses fatigues, je vois trop clairement que ses épaules commencent à plier sous le fardeau, et les leçons absorbent tout le temps de mes filles. Or je songeais à part moi : Si nous avions dans la maison une aide jeune, active, entendue, qui pût en même temps être une amie, ce serait bien mon affaire! La suite de mon songe amena devant mes yeux la bonne figure de votre petite compagne de voyage, et je me dis: Nous ne pourrons lui offrir ni la richesse, ni un grand train de maison; mais nous lui offrirons un cordial accueil, la vie en famille, une assez bonne table, une gaie chambrette, et six cents francs par an. Ce dernier chiffre, au lieu de faire crescendo, fait finir mon énumération en pointe; mais c'est, pour notre bourse, les colonnes d'Hercule; au delà, plus rien que le vide. »

Mon mari fut enchanté de la bonne fortune inespérée qui ouvrait à notre petite amie cette demeure de paix, où jamais n'entra la richesse, mais d'où jamais le bonheur ne sortit; cet intérieur où une brillante et délicate culture intellectuelle s'unit à la plus sage administration domestique, l'économie au confort, et l'élégance à la simplicité. Moi, je doutais qu'Ida acceptât et voulût quitter Geneviève.

Eh bien, disait mon mari, il faut que Geneviève aille en pension chez le professeur; sa mère sera charmée de s'en débarrasser, et elle sera là heureuse, gaie; elle y engraissera, elle y blanchira. Envoie chercher Ida.

Je n'ose pas; Geneviève est indisposée, et Ida ne peut pas la quitter. Je lui ferai tenir la lettre.

Dans la soirée du même jour, je reçus un billet d'Ida où se peignait un grand trouble. Elle ne me disait pas un mot de la lettre du professeur; mais elle me demandait si vraiment le docteur R... était le meilleur médecin pour les enfants; si moi, qui avais de l'expérience, je voudrais bien passer chez le duc pour voir Geneviève. « Nous pensions tous, disait-elle, que ce n'était qu'une maladie légère; mais sa figure prend une expression si étrange! Et puis, cette chérie vient de me dire : « ----- Ida, si le bon Dieu me prend, il saura bien que faire de moi, n'est-ce pas?» Oh! chère Madame, venez; M. le duc vous en prie comme moi.

Il était nuit quand j'entrai dans la chambre de la malade; Ida était debout, le duc assis à côté de son petit lit, tous deux regardant d'un œil effrayé ces traits tirés, ces yeux creusés... Hélas! j'entendis au-dessus de cette tête. le bruissement de tes noires ailes, ange de la mort!

- Et la mère? demandai-je à l'oreille d'Ida. Elle est au bal, répondit d'un accent amer le duc, qui m'avait entendue, quelque bas que j'eusse parlé.

Ne faudrait-il pas l'envoyer chercher? dis-je. -Elle est à C... le roi de y est en passage, et on lui donne un bal. Mme de Bréhault est partie avant-hier avec une dame française de ses amies.

Croyez-moi, envoyez-lui un télégramme.
A quoi bon?

Vous pourriez vous repentir toute votre vie de ne l'avoir pas fait. Voulez-vous que je rédige la dépêche?

Le duc ne me disant pas non, j'écrivis la dépêche; je la lui lus, il l'approuva d'un signe de tête, et envoya Ida la porter à son valet de chambre. Deux autres domestiques étaient en course, pour chercher, l'un le docteur R..., qui n'était pas chez lui, le second un autre médecin.

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