Page images
PDF
EPUB
[merged small][merged small][graphic][ocr errors][subsumed][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][ocr errors][ocr errors][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][merged small][merged small]

Ce qui a mieux valu que toutes les forteresses pour couvrir notre limite des Pyrénées, depuis l'avénement des Bourbons au trône d'Espagne, a été l'alliance entre les deux pays, résultat d'une politique résumée dans le mot fameux Il n'y a plus de Pyrénées. »

Trois chemins de fer et trois routes principales conduisent de Paris à la frontière d'Espagne, sur Perpignan, Toulouse et Bayonne. Une bonne route transversale réunit Bayonne et Perpignan par Orthez, Pau, Tarbes, SaintGaudens, Saint-Girons, Foix et Quillan.

La frontière d'Espagne a été complétée par le traité des Pyrénées qui a donné à la France, en 1659, le Roussillon et la Cerdagne française.

MAXIMES MUSICALES PAR ROBERT SCHUMANN (1).

Si tu avances en âge, ne joue pas de la musique légère à la mode. Le temps est précieux. Il faudrait cent fois la vie d'un homme pour connaître seulement ce qui est bon. Il ne faut jouer ni entendre de mauvaises compositions qu'à moins d'y être forcé. Il faut, au contraire, chercher à connaître peu à peu toutes les compositions significatives des maîtres significatifs.

-Exécutez avec application les fugues des bons maîtres, et, avant toutes, celles de S. Bach. Que ces œuvres soient votre pain quotidien. Alors, vous deviendrez certainement un bon musicien.

L'étude de l'histoire de la musique, appuyée sur l'audition des chefs-d'œuvre des diverses époques, vous guérira bientôt de toute vanité et d'une trop grande confiance en

vous-même.

-- Honorez hautement ce qui est ancien; mais soyez bien disposé à accueillir ce qui est nouveau. Ne portez pas un jugement håtif contre un nom inconnu.

-- Ne jugez pas d'après une première audition: ce qui plaît du premier coup n'est pas toujours le meilleur. Les maîtres ont besoin d'être étudiés. Beaucoup de qualités ne sont comprises que tard.

() Extraites des quatre volumes de littérature musicale de Robert Schumann publiés après sa mort. (Voy. p. 139.)

Sans enthousiasme, on ne fera rien de bon dans l'art. Ce n'est que lorsque la forme d'une œuvre sera perçue clairement que son esprit deviendra clair. ---Le génie seul, peut-être, comprend le génie. L'étude n'a point de fin.

Georges Leroy a observé que, dans les lieux où l'on fait une guerre active aux renards, les renardeaux, avant d'avoir pu acquérir aucune expérience, se montrent dès leur première sortie du terrier plus précautionnés, plus rusés, plus défiants, que ne le sont les vieux renards dans les cantons où on ne leur tend pas de piéges.

DE LA CHAMBRE CLAIRE

Certainement, dans les arts du dessin, l'imitation est le moyen et non le but. On a dit cela cent fois, et il faut cependant ne jamais perdre une occasion de le redire, parce qu'il y a toujours trop de gens qui pensent et qui travaillent dans l'ignorance de cet axiome. Mais le moyen est tellement important, tellement difficile à posséder, il faut tant d'années d'études pour se rendre habile à tracer un contour, qu'on doit accueillir de bon cœur tout procédé inventé pour diminuer les difficultés et pour économiser le temps; et, du reste, l'on sait que toujours on a cherché des procédés dans cette, intention. On s'est servi de glaces; on a employé la chambre obscure, dont on peut lire la description dans notre septième volume (1839, p. 374); il y a vingt-cinq ans, on parlait beaucoup du diagraphe Gavard; enfin est arrivée la photographie, qui supprima toutes les difficultés et qui supprimerait l'art lui-même si l'art n'avait d'autre objet et d'autres moyens que l'imitation.

Or, de tous ces appareils et de tous ces procédés, aucun ne vaut celui inventé par Wollaston, physicien anglais, vers les premières années de notre siècle, et connu sous le nom de chambre claire (camera lucida). Cette affirmation de supériorité que nous lui donnons comme dessinateur avait été proclamnée par des savants tels que Gay-Lussac

et Arago, qui, en 1815, ont écrit dans les Annales de chimie que la camera lucida est l'instrument le plus commode et le plus parfait qu'on ait imaginé jusqu'ici pour tracer avec fidélité sur le papier les contours d'un monument, d'une figure, etc. »

En effet, cet instrument entre dans la poche comme le ferait un étui à crayon, et si ce n'était la planchette pour appuyer une feuille de papier et un trépied pour supporter cette planchette, il ne serait d'aucun embarras. Son effet est produit par un prisme quadrangulaire P (fig. 1), dans lequel les rayons venus de l'objet O se brisent de manière à arriver dans la pupille et à paraître dans la direction DI. Ainsi le dessinateur aperçoit sur sa planchette toutes les images, tous les objets qu'il verrait devant lui s'il portait

D

FIG. 1.

son regard dans une direction horizontale (voir la fig. 2). Or, attendu qu'il peut, tout en voyant ces objets, apercevoir également le crayon que tient sa main, il s'ensuit qu'il n'a qu'à calquer pour ainsi dire la nature. Pour un exposé plus complet de la construction de la camera et pour la théorie de ses effets, on pourra consulter un traité de physique moderne quelconque.

Malheureusement, l'usage de ce précieux instrument n'est pas aussi facile qu'on le croirait d'après l'exposé que nous venons de donner de la simplicité de sa construction. Il faut généralement un certain temps pour se le rendre familier, tellement que plusieurs de ceux qui essayent de l'adopter se découragent et renoncent à l'employer. Tantôt on ne met pas la pupille dans le rapport voulu avec l'angle du prisme, et, dans ce cas, on ne voit rien, ni image, ni crayon; tantôt, parce que l'on est placé dans un lieu peu éclairé, on voit l'image du modèle très-brillante, mais on ne voit plus le crayon qui doit en tracer les formes; une autre fois ces images semblent se déplacer et vaciller; enfin, par une inattention dans la position de la planchette, on obtient des croquis d'une inexactitude frappante.

Heureusement, d'habiles opticiens ont perfectionné l'invention de Wollaston de manière à faire disparaître quelques-uns de ces inconvénients, et on surmonte les autres avec un peu d'intelligence, de pratique et de patience.

La camera lucida est très - utile à l'amateur pour prendre avec exactitude dans la campagne les contours principaux d'un site, les coupures exactes d'un rocher, les proportions et les diverses parties d'un monument, la finesse et le nombre des détails d'ornementation; dans le cabinet, on peut s'en servir pour copier des tableaux, des gravures, en un mot toute espèce d'images qu'il serait trop difficile de dessiner à vue d'œil. Par ce moyen, non-seulement les contours qu'on trace sont exacts, mais la touche a de plus la fermeté que peut donner une main exercée.

Mais c'est surtout aux artistes que la chambre claire offre un précieux secours. En effet, quelque justesse qu'on ait acquise dans le jugement des yeux, quelque bonne volonté que l'on ait d'être exact, consciencieux et même naïf dans l'imitation de la nature, on commet souvent, sans s'en apercevoir, des inexactitudes étonnantes. Quel maître alors contrôlera notre trait avec plus de sévérité que la camera lucida?

Lorsque le modèle est posé ou choisi et qu'en cela l'artiste a déjà appliqué une grande partie de sa valeur personnelle, le sentiment n'a plus rien à faire avec l'imitation de certains détails, tels que broderies d'un costume, assises de pierres, dispositions d'arceaux, de grilles, de tuiles ou de fenêtres, moulures d'ornementation architecturale, toutes choses dont la copie n'exige que du temps, et le temps est toujours bon à économiser. Du reste, le trait obtenu par la chambre claire, s'il est sans verve, sans esprit, n'est pas la fin de l'œuvre; ce n'est qu'un fil pour guider la main qui viendra ensuite avec plus d'assurance, en regardant directement le modèle, mettre le cachet de l'intelligence et du sentiment. D'ailleurs les premiers traits obtenus par la Camera lucida ne sont pas comme une épreuve photographique, qui reproduit la nature telle quelle sans rien pouvoir changer ni élaguer. L'artiste qui voit son sujet à travers le prisme de sa machine a toute liberté de ne prendre que ce qu'il veut de son modèle, se réservant de remplacer des parties insignifiantes par d'autres plus convenables. Il peut effacer, modifier autant qu'il lui plaît, et se servir de cette machine sans blesser les droits de l'intelligence.

Ne serait-ce que pour voir sur un papier de dimensions déterminées, sans rien dessiner, les images, figures ou paysages qui se trouvent dans la nature comme épars, sans se présenter sous l'apparence d'un tableau, la camera lucida serait excellente à employer. Elle nous donne pour ainsi dire sur notre planchette le tableau que nous voulons faire, et nous pouvons ainsi bien juger de la manière dont nous devons disposer les principales lignes du tableau.

FIG. 2.

Enfin la chambre claire est un instrument précieux toutes les fois qu'il s'agit de faire une réduction; elle remplace avec grand avantage les opérations longues du pantographe ou du carrelage.

París.Typographie de J. Best, rue Saint-Maur-Saint-Germain, 15.

[subsumed][merged small][graphic][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]
[ocr errors]

Nous voulons parler aujourd'hui spécialement d'une des parties de cette royalle maison », c'est-à-dire de la lanterne qui couronne l'escalier auquel Ducerceau, André Duchesne, Blondel et autres écrivains spéciaux accordent de si grands éloges.

« Les quatre tours du donjon, dit Blondel, ont chacune 60 pieds de diamètre. Au milieu de cet édifice s'élève une cinquième tour, qui a 30 pieds de diamètre sur 100 de hauteur, ce qui donne une forme pyramidale très-ingénieuse à ce monument. » Cette cinquième tour n'est autre que la lanterne représentée par notre gravure.

[ocr errors]

mourut, dans son manoir, des suites de ses nombreuses blessures, laissant une veuve de vingt ans.

Ma me, lui dit-il avant d'expirer, je fie à votre conduite ma maison et l'enfant que vous devez mettre au monde; fille ou garçon, j'entends que vous en ayez l'entière direction. Adieu; soyez bénie pour le bonheur que vous m'avez donné; je quitte la vie plein d'assurance en vos vertus.

Renée de Bellesargues, dame de Montarmé, aimait ardemment son mari, bien qu'il eût trente ans de plus qu'elle, et qu'on l'eût mariée sans la consulter. Sa douleur fut poignante; mais elle sut la maitriser, et supporter avec courage cette cruelle séparation. Elle était mère; elle devait vivre pour son enfant.

« Ce qui mérite de plus grands éloges, ajoute Blondel, c'est la disposition ingénieuse de cet escalier à double rampe se croisant l'une sur l'autre, et toutes deux communes à un même noyau, dont la décoration de l'extrémité Deux mois après que Jacques Pardel eut été déposé dans supérieure fait le plus grand plaisir. En effet, on ne peut la sépulture de famille, les parents, les amis, les servitrop admirer la légèreté de son ordonnance, la hardiesse teurs, les vassaux, agenouillés dans la grande salle et dans de son exécution et la délicatesse de ses ornements; per- les galeries du château, priaient pour l'enfant qui venait fection qui, aperçue de la plate-forme de ce château, frappe, au monde. Tout à coup, la portière en tapisserie des apétonne et laisse à peine concevoir comment on a pu par-partements intérieurs se souleva, et le sire de Bellesargues venir à imaginer un dessin aussi pittoresque et comment on a pu le mettre en œuvre. »

Dans cet éloge de l'escalier de Chambord, Blondel comprend la lanterne, qui en est l'admirable couronnement. On la voit de la levée de la Loire et des hauteurs du château de Blois. Elle domine le pays, et permet ainsi aux regards d'embrasser une mer de verdure, sur laquelle plane un ciel presque toujours bleu.

François Ier l'avait sans doute demandée, afin d'avoir devant les yeux toute l'étendue de ce pays où s'était écoulée une partie de son enfance et où il serait volontiers revenu mourir. Il avait souvent chassé dans les forêts de Boulogne et de Bussy, dans les plaines de la Sologne, et de ce ressouvenir de sa première jeunesse naquit Chambord, dont il aimait le séjour. La dernière visite qu'il y fit eut hieu dans l'automne de 1545. La saison était bien choisie pour un adieu, et c'était un éternel adieu que François Ier venait faire à Chambord; car un an et quelques mois après, il mourait à Rambouillet.

La lanterne de Chambord a perdu sous la révolution quelques-uns de ses ornements, comme le reste de l'édifice. La fleur de lis qui la surmonte cependant a été épargnée. On voit encore les traces de merveilleuses sculptures dues à ces artistes de la Renaissance, qui semblent avoir eu un procédé particulier pour faire aussi vite qu'ils faisaient bien. L'F couronné et la salamandre enflammée (Nudrisco il buono, e spengo il reo; Je nourris le bon et j'éteins le mauvais) y figurent encore, ainsi que l'H, le D et le croissant de Henri II et le soleil, avec le Nec pluribus impar de Louis XIV.

On se rappelle le cri d'admiration poussé par CharlesQuint en apercevant de loin la lanterne de Chambord: <«< Il en fut émerveillé, dit un historien contemporain, et, à cette cause, il passa là quelques jours pour la délectation de la chasse aux daims qui étoient là dans un des plus beaux pares de France et à très-grande foison. >>

Ajoutons un autre souvenir. Ce fut à Chambord que l'on fit, en 1554, l'essai des arquebuses perfectionnées par d'Andelot, général de l'infanterie française, et dont l'usage commença dès lors à s'introduire pour la chasse.

MERE ET FILS.

RÉCIT DU VIEUX TEMPS. 1.

Quelques années avant l'avénement de Richelieu au ministère, messire Jacques Pardel, seigneur de Montarmé,

parut tenant son petit-fils dans ses mains. A l'instant, le tintement d'une cloche annonça aux hameaux voisins qu'un seigneur venait de leur naître.

Suivant un vieil usage, le plus ancien écuyer du défunt seigneur, Olivier Lacoste, armé comme aux jours des combats, s'avança et détacha sa cuirasse, la présenta au sire de Bellesargues, et reçut le nouveau-né dans ce berceau d'acier. Puis, tenant de sa main droite la lame de son épée, de sorte que la croix de la poignée projetait son ombre sur la poitrine de l'enfant, il s'écria d'une voix forte :

Fils de notre maître, afin que vous n'ayez point faute de guide en cette vie, je vous en baille un: c'est l'exemple de votre pêre que je vous adjure, au nom de votre Seigneur, d'avoir toujours devant les yeux.

Dès les premiers instants de la vie de son fils, Renée montra qu'elle entendait, conformément aux dernières volontés de son mari, avoir l'entière direction de cet enfant. Quoi que pussent lui dire père, mère, tantes, matrones, chirurgien, elle voulut à toute force l'allaiter elle-même. Ce n'était guère l'usage alors, surtout parmi les femmes de son rang. Les familles les plus distinguées envoyaient leurs enfants en nourrice. Montaigne, ce novateur en éducation, ne fit pas autrement pour les siens. Il est vrai qu'il lui en mourut ainsi cinq ou six; mais il nous avoue inimême qu'il ne luy en fuscha guère. La dame de Montarnié, mère d'un fils unique et posthume, n'était pas assez riche en enfants pour faire ainsi tranquillement la part de la mort. Au moment où ses femmes reprirent le nouveau-né des mains de l'écuyer, elle se le fit apporter, le pressa des deux bras contre son sein, et déclara que nul ne l'en ôterait.

On lui fit les plus sinistres prédictions, tant pour elle que pour le précieux héritier. Mais l'événement les démentit toutes; jamais on ne vit plus beau nourrisson, plus fraiche et plus charmante nourrice. Renée brava aussi les usages et les préjugés de son temps, en refusant formellement de laisser garrotter son fils dans un maillot. Les vêtêment à l'anglaise n'étaient pas connus alors en France; elle inventa des ajustements qui couvraient, sans les gêner, les membres délicats de l'enfant, et lui permettaient de les étendre et de les mouvoir en tous sens. Les nourrices, bercenses, remueuses, auraient jeté les hauts crits si on leur avait donné à porter ce petit corps souple et sans consistance, au lieu du commode paquet qui se tenait roide comme un bâton, et qu'au besoin l'on suspendait à un clou. Mais Renée ne recourait guère à leurs services; jour et nuit l'enfant était à ses côtés, dans ses bras, sur ses genoux. Seule elle l'habillait, le levait, le promenait, l'apaisait, l'en

dormait. Elle ne s'épargna aucune fatigue: aussi elle ne perdit aucune des joies maternelles. Elle eut le bonheur de suivre jour par jour, heure par heure, le lent et doux éveil du sentiment et de l'intelligence. Le premier sourire, ce soleil des mères, c'est à elle qu'il s'adressa. C'est vers elle que se tendaient les petits bras; c'est à son cou-qu'ils s'enlaçaient. Quelles heures de délices passées à voir son Jacques s'ébattre, demi-nu, dans son berceau, ou en plein air, sur le gazon, à entendre ses gazouillements d'oiseau, ses frais éclats de rire! Il va sans dire qu'elle ne le tint jamais suspendu à ces lisières qui enfoncent la poitrine et courbent le dos et les jambes sous prétexte d'enseigner à marcher. Il ne marcha que quand il voulut; mais il le voulut de bonne heure. A neuf mois, il commença à courir à quatre beaux pieds; à dix, il se dressa et se tint en équilibre; avant son année révolue, il s'abandonna, comme disent les bonnes femmes; il fit une douzaine de pas vers sa mère, qui le contemplait agenouillée et osant à peine respirer, et il vint se jeter dans ses bras, tout glorieux d'un tel exploit. Vinrent les premiers essais de langage, le gentil jargon compris de la mère seule... Ah! douces années printanières, paradis des mères et des enfants, comme vous passez vite! Elles passèrent d'autant plus vite pour Renée, qu'elle avait accepté plus au sérieux sa tâche de mère tutrice. Son Jacques, ce n'était pas seulement pour elle l'ange consolateur que Dieu lui avait envoyé pour essuyer ses larmes de veuve, c'était un gentilhomme qu'elle devait élever pour qu'il soutint dignement le nom de ses ancêtres, une âme immortelle qu'elle devait préparer pour le ciel. A mesure que l'enfant grandissait, que ses facultés naissantes prenaient plus d'essor, la tâche augmentait en importance comme en difficulté

L'éducation d'un fils est, pour une veuve, une œuvre bien rude! Même quand le père ne s'en mêle pas du tout, son nom seul est un porte-respect; l'autorité paternelle est une armée de réserve qui, campée sur les hauteurs, tient en échec la troupe légère. Pour une pauvre femme, quel mot terrible que celui de responsabilité! Quelles craintes perpétuelles d'être ou trop faible ou trop dure!

plement à prier Dieu, à filer, à coudre et à broder; ou bien elles recevaient une éducation d'homme. Enfant, Renée avait assisté aux leçons de ses frères, et en avait profité beaucoup mieux que ces turbulents jeunes gentilhommes. Leur précepteur, l'entendant une fois souffler à son frère la leçon que celui-ci ne pouvait réciter, demanda au sire de Bellesargues la permission d'instruire aussi sa fille, pour encourager les garçons et leur faire honte. Cette demande, appuyée des ardentes supplications de Renée, fut accordée, et l'intelligente jeune fille acquit, en peu d'années, une érudition à faire trembler les plus instruites des dames de nos jours.

Lorsque, à dix-sept ans, Renée fut amenée par Jacques Pardel dans le château de Montarmé, ses habitudes studieuses l'aidèrent à passer les longues heures que lui faisaient les fréquentes absences de son mari. Devenue mère, ses connaissances lui devinrent plus précieuses encore. Que de choses une mère peut enseigner à son fils comme en se jouant! N'est-ce pas elle qui joint ses petites mains pour la première prière? N'est-ce pas à elle encore qu'il appartient de lui faire distinguer les couleurs, de lui apprendre à compter, de l'initier aux redoutables mystères de l'alphabet? N'est-ce pas elle qui lui donnera la correction du langage, la grâce et l'élégance des manières? Renée pouvait plus encore. Le latin, le grec, élèvent ordinairement une barrière entre les fils et leur mère; cette barrière, elle la pouvait franchir, et enseigner elle-même à son fils les éléments de ces langues. Les leçons se prenaient un pen partout en hiver et les jours de pluie, dans une tourelle dont Renée avait fait sa bibliothèque et sa chambre de travail, et d'où l'on découvrait de vastes champs arrosés par le fleuve; les jours de beau temps, sur la terrasse, dans le verger, au bord de l'eau, souvent à l'ombre de deux gros châtaigniers plantés au sommet du coteau, à quelque cent pas du manoir, et sous lesquels l'herbe croissait épaisse et fine comme un tapis de velours. Mainte fois les questions de l'enfant, les réponses de la mère, faisaient un peu perdre de vue le thème prescrit pour la leçon du jour. Qu'importe, si, en ces entretiens, la mère instillait doucement dans l'âme de son écolier quelque chose de la sienne la foi, l'honneur, l'amour du vrai et du beau!

[ocr errors]

Le moment devait pourtant venir où, comme il arrive en toute éducation domestique, l'intervention d'une main étrangère allait être nécessaire, où l'écolier, sentant croître sa force corporelle, risquait de devenir indocile, et l'institutrice impatiente. Renée prévit le danger avant qu'il fût

Guidée par sa piété et sa droite raison, la dame de Montarmé navigua sûrement sur cette mer semée d'écueils. Elle ne voulut point envoyer son fils au college. Mais si elle le gardait sous ses ailes, ce n'était point pour qu'il s'y effé minât. Surmontant bravement toutes ses peurs de mère, elle l'accoutuma de bonne heure au froid, à la fatigue; il couchait sur la dure, et sans feu; il se levait à l'aube; en toute saison et par tous les temps, on le voyait courir nu-là. Elle sentit qu'elle devait réserver son autorité saine et tête et en pourpoint de toile. Il n'avait pas encore perdu ses jolies dents de lait qu'il grimpait aux plus hautes branches des arbres, montait à cru sur le cou d'un gros cheval, et nageait comme un poisson, soit dans un bel étang limpide, soit dans une petite anse tranquille de la rivière qui coulait au bas de la colline. Armé d'une arbalète proportionnée à sa taille, il exerçait, des heures durant, son coup d'œil et son adresse.

Au moyen âge, cette éducation aurait suffi. Mais il était passé le temps où la coutume de France voulait qu'un gentilhomme ne sût rien faire, où le seigneur apposait sa croix au bas des actes, ne sachant, en sa qualité de noble, ni lire ni écrire. Le soleil de la renaissance avait aussi répandu sa clarté sur les châteaux; on était dans un siècle docte et lettré, pour ne pas dire un peu pédant. Les princesses, les grandes dames, priaient les Montaigne, les Duplessis-Mornay, de leur donner, pour leurs héritiers, un plan d'études. Renée avait, dès longtemps et sans aide, dressé le sien.

Lå, comme pour la première nourriture, elle put d'abord suffire à tout. Elle était lettrée. Or, en ce temps, pas de milieu pour les femmes : ou bien on leur enseignait tout sim

entière pour l'éducation morale, et ne pas risquer de l'user sans fruit en étant toujours seule vis-à-vis de son enfant. Maître Labierge, son ancien précepteur, vivait encore chez le sire de Bellesargues, en qualité de chapelain. Renée demanda à son père de le lui céder. Le bon vieux savant accepta joyeusement la charge d'instruire le fils comme il avait instruit la mère. Il secoua la tête, il est vrai, quand il lui fut signifié qu'il ne devait employer, dans l'éducation de Jacques, ni le fouet ni la férule.

- Vous ne m'avez jamais battue, mon cher maître, lui disait Renée en riant, et pourtant vous n'avez pas trop mal réussi avec moi. Mes frères, tant et si bien fouettés, n'en ont pas été plus savants pour cela.

Ah! noble dame, s'écriait maître Labierge, vous étiez une volontaire dans l'armée des lettres, et ne pouviez être soumise à la discipline des hommes d'armes. Mais messire Jacques, quoique très-bien préparé, grâce à vos soins, ne me paraît pas tenir l'étude en même amour et passion que vous faisiez.

Le fouet serait un mauvais moyen pour la lui faire aimer, répliqua Renée de ce ton ferme et doux qui annon

[ocr errors]
« PreviousContinue »