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qu'on puisse lui reprocher d'être gravée d'une façon bien métallique, rachète ce défaut par une allure un peu moins exagérée.

Henri Goltzius forma un certain nombre d'élèves, entre autres Jean Saenredam, Jacques et Théodore Matham, Jean Muller, Guillaume Swanebourg et Jacques de Gheyn. Ces artistes exécutèrent, sous la direction et d'après les dessins de leur maître, une suite de cinquante-deux estampes pour les Métamorphoses d'Ovide, estampes où l'on trouve également les qualités et les défauts de Goltzius. Adam Bartsch a consacré le troisième volume de son Peintre graveur (Vienne, 1803) à Henri Goltzius et à ses élèves; il y a décrit toutes leurs estampes.

DES SYNONYMES.

Un des maîtres de Socrate, le sophiste Prodicus, enseignait, à 50 drachmes par tête, la science de la synonymie ou des propriétés diverses des mots : il assignait aux synonymes leur signification propre et leurs nuances distinctes. Gorgias avait composé auparavant un ouvrage dans le quel il avait recueilli les mots synonymes, mais sans les distinguer.

Chrysippe avait écrit également un livre de synonymes. Le Traité des synonymes grecs, composé par le grammairien Aumonius, vers la fin du quatrième siècle après Jésus-Christ, a été traduit en français par M. Al. Pilon.

Cicéron, Quintilien, Sénéque, Varron, contiennent beaucoup de passages dans lesquels les synonymes sont clairement définis.

Jules César composa un ouvrage sur l'analogie des mots. Vaugelas, Ménage, le P. Bouhours, la Bruyère, Audry de Boisregard, ont indiqué et caractérisé certains mots synonymes français.

Corbinelli, philosophe cartésien, ami de Mme de Sévigné, avait eu l'idée de déterminer par comparaison l'exacte signification des mots. Il écrivait à de Bussy: « Je ne puis souffrir qu'on dise qu'un tel est honnête homme, et que l'un conçoive sous ce terme une chose, et l'autre une autre; je veux qu'on ait une idée particulière de ce qu'on nomme le galant homme, l'homme de bien, l'homme d'honneur, l'honnête homme; qu'on sache ce que c'est que le goût, le bon sens, le jugement, le discernement, l'esprit, la raison, la délicatesse, l'honnêteté, la politesse et la civilité. »

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çais, et qui obtint, en 1786, le prix d'utilité décerné par l'Académie française. On a publié depuis ce livre avec des additions, sous le titre de Synonymes français.

Condillac s'était aussi occupé de synonymie.

Mme de Staël estimait beaucoup les Synonymes de Roubaud, et elle s'essaya dans le même genre. Fontanes est considéré comme l'auteur d'un Dictionnaire des synonymes publié sous ses auspices.

M. Guizot, à peine âgé de de vingt-deux ans, et encore peu connu, publia, en 1809, un Dictionnaire des synonymes français qui paraît reproduire en grande partie le traité manuscrit de Mlle de l'Espinasse, transmis à M. Guizot par Mme de Meulan, sa belle-mère.

Laveaux et Boiste ont donné depuis des essais sur les synonymes.

Le dernier ouvrage sur cette matière est le Dictionnaire des synonymes de la langue française, par M. Lafaye, professeur de philosophie et doyen de la faculté des lettres d'Aix (').

des

Le domaine du synonymiste, dit M. Lafaye, se compose proprement de ces mots à contours indécis que les dictionnaires ne définissent pas, ou qu'ils définissent les uns par les autres, parce qu'ils n'ont entre eux que différences légères et difficiles à saisir. En nous apprenant les nuances distinctives de ces mots sans caractères apparents, le synonymiste nous révèle, pour exprimer nos pensées, des moyens dont jusqu'alors nous ignorions la valeur. Ce sont des biens dont il nous enrichit, puisque, les ayant, nous ne savions pas en user, et qu'il nous enseigne à en jouir. »

Combien de personnes, par exemple, lorsqu'elles veulent désigner l'action d'induire en erreur, se contentent ordinairement du mot tromper, tandis qu'il conviendrait mieux d'employer, suivant la circonstance, l'une de ces expressions abuser, décevoir, en imposer, leurrer, surprendre, amuser, donner le change, attraper, duper, enjoler, etc. Et pourtant, suivant la remarque judicieuse de la Bruyère, entre toutes les différentes expressions qui peuvent rendre une seule de nos pensées, il n'y en a qu'une qui soit la bonne; tout ce qui ne l'est point est faible, et ne satisfait point un homme d'esprit qui veut se faire entendre.

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« La propriété des termes, dit d'Alembert, est le caractère distinctif des grands écrivains; c'est par lå que leur style est toujours au niveau de leur sujet; c'est à cette qualité qu'on reconnaît le vrai talent d'écrire, et non à l'art futile de déguiser par un vain coloris des idées com

munes. »

L'abbé Girard fut le premier qui écrivit un traité spécial des synonymes français. Il dédia son livre à la duchesse de Berry, avec cette épigraphe: «L'esprit se fait sentir où il vent (Spirat spiritus ubi vult). » Cet ouvrage manque de plan et est très-incomplet; mais il rend intéressantes pour tout le monde des recherches de leur nature fort sé-naires. C'est parce que les expressions dont on se sert rieuses.

Lorsque Joseph II visita l'Académie française, en 1777, le secrétaire perpétuel, d'Alembert, ne trouva rien de mieux à faire que de lire en sa présence « quelques synonymes dans le goût de ceux de l'abbé Girard. »

Me de l'Espinasse, dont le salon était le rendez-vous des littérateurs les plus éminents du dix-huitième siècle, avait à un degré remarquable le don du mot propre. Elle écrivit un Traité des synonymes.

Beauzée, de l'Académie française, publia une nouvelle édition des Synonymes de l'abbé Girard, considérablement augmentée, en deux volumes. Le second volume était tout entier composé par lui.

Dans le même temps, Roubaud débuta dans la carrière des lettres par un Essai sur les synonymes qui eut du succès, mais qu'il fondit depuis dans un grand ouvrage en quatre volumes, intitulé ; les Nouveaux Synonymes fran

Si l'on se rendait mieux compte du sens précis de tous les mots de la langue, on éviterait beaucoup de contestations et de disputes inutiles dans les conversations ordi

même le plus familièrement sont prises par les uns et par les autres en sens divers, faute de réflexion et d'étude, que souvent plus on parle et moins l'on est d'accord.

L'étude des synonymes est d'ailleurs en elle-même un excellent exercice intellectuel. Elle nous apprend à devenir plus attentif sur le choix des mots; elle augmente notre sagacité naturelle. « L'esprit, dit Montesquieu, consiste à connaître la ressemblance des choses diverses et la diference des choses semblables. »

On pourrait soutenir que nos progrès intellectuels sont généralement en proportion de la connaissance que nous acquérons de la valeur des mots. Comment ne pas être amené à approfondir des idées, si l'on veut se rendre un

(') Dictionnaire des synonymes de la langue française, avec une instruction sur la théorie des synonymes; ouvrage dont la première partie a obtenu de l'Institut le prix de linguistique en 1843. – Paris, 1858.

compte précis de la vraie signification inhérente, par exemple, à chacun des mots suivants : sagesse, prudence, vertu; -liberté, indépendance; justice, équité, droiture; sobriété, frugalité, tempérance; honnête, civil, poli, affable, gracieux, courtois; entendement, intelligence, conception, raison, jugement, sens, bon sens, esprit, génie. Il y a des lienx, dit Pascal, où il faut appeler Paris, Paris; et d'autres où il le faut appeler capitale du

royaume. »

Vaugelas faisait observer que de toutes les langues la notre était « la plus ennemie des équivoques et de toutes sortes d'obscurités. »

On attribue à Louis XVIII ces paroles : « J'ai toujours été de l'avis de Bossuet, qui a dit quelque part que lors qu'on n'est pas scrupuleux dans le choix des mots, on donne à penser qu'on ne l'est pas davantage sur les choses. Mon peuple est bien persuadé de cette vérité, et les sifflets ne manquent jamais à ceux qui négligent la propriété des termes. Il faut savoir la grammaire et connaître les synoBynes lorsqu'on veut être roi de France (1). ›

VIEILLESSE.

Il n'y a que ceux qui le veulent qui vieillissent. La jeunesse, les plaisirs, la fortune, les satisfactions de la vanité, sont périssables, et s'attacher aux choses qui passent c'est passer avec elles.

Mais le cœur et l'esprit n'ont pas de rides. Quand on apprend à devenir meilleur, à aimer les autres, à sentir le bon et le beau, à s'élever vers Dieu, on gagne plus qu'on ne perd avec les années.

Pour les uns, vivre c'est s'en aller; pour les autres, c'est arriver.

LES INFINIMENT PETITS.

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Le capitaine Scoresby a calculé qu'il ne faudrait pas moins de quatre-vingts personnes, travaillant sans relâche durant six mille ans, pour compter les êtres vivants que renferment deux milles cubiques d'eau de mer. (*)

CUZCO ANCIEN ET MODERNE.

La légende péruvienne, préservée de l'oubli par Anello Oliva, raconte ainsi comment s'éleva, sur l'emplacement qu'elle occupe encore aujourd'hui, l'antique cité des Incas: Lorsque le fils du Soleil eut reçu la mission de peupler la terre, il s'en alla parcourant le monde, la main armée d'une verge d'or... Il en avait frappé le sol en plus de mille endroits, lorsque la baguette divine s'arrêta dans la vallée de Huanacauri, couverte alors d'épaisses forêts; elle s'enfonça profondément en terre, et les hommes qui accompagnaient le grand Manco-Capac commencèrent, sous ses ordres, à édifier la ville de Cuzco. »

Sans admettre avec la chronique indienne que le fondateur ait vécu cent quarante-huit ans, nous savons d'une façon plausible en quelle année commencèrent les vastes travaux qu'il entreprit ce dut être vers 1135. En faisant édifier la capitale de son empire, Manco-Capac la divisa en (') Mais cette science peut aussi servir à tromper le peuple. La clarté du style a un tel charme par elle-même qu'elle est le secret le plus infaillible de certains sophistes pour séduire l'ignorance; on est si ravi de comprendre qu'on en oublie d'examiner le fond même du raisonnement.

(*) Voy. sur les Fossiles du tripoli, t. VIII, 1840, p. 350. « Chaque pouce cube de tripoli renferme environ quarante et un millions de gaillonelles fossiles. »

deux parties: Hanin-Cuzco, la ville haute, et Hurin-Cuzco, la ville basse. Le double nom qui la désignait attestait une pensée bizarre qu'on a retrouvée chez bien d'autres nations du vieux monde. Dans la langue quichua, Cuzco signifie le nombril. Les Péruviens étaient persuadés que la partie du sol sur laquelle s'élevait leur cité impériale était exactement le centre de l'univers.

On a beaucoup écrit sur la magnificence de la ville des Incas, et dans ces anciens ouvrages d'hommes peu éclairés le faux s'est mêlé au vrai dans une large proportion. Si l'on admet, cependant, l'opinion émise par le moins ignorant des compagnons de Pizarre, Cuzco, au moment de la conquête, offrait une immense étendue. Xerès, le secrétaire du conquistador, affirme qu'au jour de la prise de possession, en mars 1533, les délégués de Pizarre eurent beaucoup de peine, en y employant huit jours, à voir ce que la cité renfermait de curieux. Le vaillant Quisquis, il est vrai, qui tenait encore dans la ville pour Atahualpa, ne favorisa guère l'examen de ces étranges archéologues. Dans le langage de Xerès, le mot curieux est synonyme de riche, et les monuments les plus intéressants sont ceux qui présentent le plus grand nombre de plaques d'or à leur surface. L'habitation du souverain en fournit sept cents; une autre construction non désignée en donna quatre fois davantage; mais l'or en était d'un titre si bas que les prudents commissaires ne voulurent pas les accepter.

Selon MM. Rivero et Tschudi, l'aneien Cuzco n'occupait pas tout à fait l'emplacement de la cité moderne; il était situé au sud du Serro du Sacsahuaman, et la route d'AntiSuhu le divisait en deux parties, que nous avons désignées plus haut. Un ruisseau sorti du Sacsahuaman, et désigné sous le nom de Huatanay, le divisait également en deux portions. Traversant la ville à peu près dans la direction du sud, ce petit cours d'eau séparait la partie orientale de la partie occidentale. C'était dans la première division que se dressaient les palais des grands et les édifices les plus somptueux de la cité. Le Huatanay traversait la fameuse place Huacaypata (la place de la Joie ou des Fêtes). Les dimensions de ce lieu consacré aux divertissements publics sont connues; elles étaient d'environ trois cents pas nord-sud et de deux cent soixante-dix pas du couchant jusqu'au cours d'eau. A partir de cet endroit, on voyait se développer sur trois côtés les splendides monuments qui formaient la place proprement dite. La portion nord était occupée par deux palais immenses, édifiés, selon ce que rapportait la tradition, par l'Inca Pachacutec. Il y en avait encore un à l'ouest, que l'on appelait Casana, et un autre au levant, qu'on désignait sous le nom de Cora-Cora. Par derrière, on pénétrait dans une sorte de faubourg qu'on eût pu appeler le quartier de l'Université : c'était ce que les Péruviens appelaient le Yachahua-Sipata. Les palais de l'Inca Viracocha entouraient la place dans la partie occidentale. Au midi, on voyait l'Aella-Huasi, que nous appelons improprement la maison des filles du Soleil, et qui signifie l'habitation des Vierges choisies.

A l'est de ces bâtiments consacrés se développait le faubourg Amarucanchu, qui séparait la grande rue du Soleil de la maison des Vierges. Sur la ligne du palais de Viracocha s'étendait encore un grand faubourg; on l'appelait le quartier de Hatun-Cancha: il renfermait les palais du grand Inca Yupanqui. Au sud, on entrait dans le faubourg coloré, le Puttumarca. Avec les palais de Tupac, Inca Yopanqui, s'ouvrait, dans la même direction, un `vaste quartier qui était comme une continuation des bâtiments élevés par Pachacutec. Contiguë à ce quartier, se développait l'Inti-Pampa, la grande place du Soleil: c'était là que la classe sacerdotale recevait journellement les offrandes que le peuple s'empressait d'apporter. La cité centrale propre

ment dite allait finir vers la partie sud, à l'immense faubourg de Coricancha, avec le temple du Soleil. Entre le ruisseau et ce qu'on appelle aujourd'hui la place de SaintAugustin, se dressaient les somptueuses habitations de ceux des Incas qui se disaient de sang royal: c'était, à proprement parler, le quartier de l'aristocratie. Lorsque les Espagnols arrivérent, un projet d'agrandissement allait s'effectuer lentement. A l'est du ruisseau, il y avait une place unie à la place principale par un pont très-large composé de fortes poutres et couvert en tuiles: on la désignait sous le nom de Cusypata, la place de l'Allégresse; sa dénomination offrait, pour ainsi dire, un double emploi. Elle se prolongeait, et ses habitations suivaient les bords du Rio: c'était là que devaient s'élever les palais des futurs Incas.

La solidité, la grandeur, l'originalité même des constructions de l'ancien Cuzco, ne sauraient être mises en doute, et tout cela se devine dans les récits laissés par les anciens conquistadores. Une circonstance unique, et parfois oubliée dans leurs vagues narrations, devait donner à la ville des fils du Soleil l'aspect d'un immense village; la couverture des plus somptueuses habitations était en chaume, ou plutôt en feuilles de palmier superposées. Parfois, mais pour de riches palais seulement, on remplaçait cette toi

ture éphémère par une toiture métallique, soit en or, soit en argent; et alors l'ouvrier péruvien figurait sur ces planches assez légères de métal les stries du chaume, on bien les folioles des grandes palmes dont on se servait pour les simples habitations.

Le grand temple de Cuzco était supérieur en grandeur et en magnificence à tous les autres sanctuaires du Pérou, tels que ceux de Huillca, de Tumpez, de Tomepampa, Hatun-Cañar, et de Quito ('). Célèbre dans toutes ces régions sous le nom d'Inti-Huasi, ou temple du Soleil, il occupait en circonférence plus de quatre cents pas, et une forte muraille construite en pierres de taille magnifiques, mais n'ayant guère plus de dix à onze pieds de hauteur, avec une saillie extérieure. Une sorte de corniche en or, dit Sarmiento, l'entourait dans toute son étendue. Ce vieux chroniqueur, malheureusement étranger aux principes de l'art, avait vu le temple avant qu'il ne fût modifié pour les besoins du culte chrétien, et il avait été surtout frappé de la solidité de l'édifice. « Dans l'Espagne entière, dit-il, je n'ai rien vu que l'on pût comparer à ces murailles, si ce n'est la tour de Calahorra qui s'élève près du pont de Cordoue, et une autre œuvre de maçonnerie que je vis à Tolède, lorsque j'allai présenter la première partie de mes Chro

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formé en église, et c'est sous l'invocation de San-Domingo (Saint-Dominique) qu'il sert aujourd'hui de cathédrale à Cuzco. De nombreuses constructions exécutées par les Espagnols changèrent alors le caractère architectonique de l'édifice. Il est inutile de dire que le dôme date de l'époque chrétienne.

L'ancien Cuzco était défendu par une forteresse qu'on appelait le Sacsahuaman; mais les vestiges de cette construction militaire sont encore aujourd'hui tellement considérables qu'elles exigeraient une description séparée.

(') Dans un livre inédit des plus curieux, M. Salazza, ancien directeur de la Monnaie de Quito, a mis en doute l'existence de ce temple fameux. Le fait est que, malgré des fouilles considérables sur le lieu occupé, dit-on, par cet antique édifice, on n'en a trouvé aucun vestige.

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Francisco Foscari fut élu doge de Venise en 1423, et porta l'anneau ducal pendant trente-quatre ans. Ardent, entreprenant, avide de conquêtes, il ajouta quatre riches provinces à l'empire de sa patrie. Mais, comme il n'était arrivé au pouvoir qu'en triomphant d'ambitions rivales, il fut entouré d'ennemis acharnés qui ne cessèrent de travailler à sa perte, et ses infortunes furent telles qu'elles n'ont pas moins contribué que ses succès à rendre son nom célèbre.

En 1445, trois de ses fils l'avaient déjà précédé dans la tombe; il ne lui restait plus que Jacopo, sur qui reposaient ses dernières espérances. Le jeune homme, rempli de nobles qualités, marié naguère à une femme de l'illustre maison de Cantarini, qui comptait huit doges parmi ses ancêtres, semblait devoir combler de joie et d'orgueil la vieillesse de son père; mais la haine de leurs ennemis ne le permit pas. Jacopo fut accusé, devant le conseil des Dix, d'avoir reçu des présents de souverains étrangers, et, en particulier, de Philippo-Maria Visconti, ce qui alors, selon la loi de Venise, était la faute la plus grave que pût commettre un noble. On le mit à la torture sous les yeux de son père, et celui-ci dut lui-même prononcer l'arrêt qui le condamnait à l'exil pour le reste de ses jours.

Quelques années après, Jacopo Foscari fut rappelé à Venise; mais c'était pour subir un nouveau jugement. Hermolao Donato, membre du conseil des Dix, ayant été assassiné, on avait accusé Jacopo d'avoir fait commettre ce meurtre par un de ses domestiques qui avait été vu ce jour-là dans les rues de la ville. Il fut pour la seconde fois torturé devant son père, et, quoiqu'il persistât à nier le crime,

TOME XXVIII. - MAI 1860.

condamné sans preuve par la sentence suivante : « Jacopo Foscari, accusé du meurtre d'Hermolao Donato, a été arrêté et interrogé; et, d'après les témoignages, les circonstances et les pièces du procès, il parait évidemment coupable dudit crime; néanmoins, par suite de ses obstinations. et des enchantements et sortiléges qu'il possède, il n'a point été possible d'obtenir de lui la vérité, qui résulte d'ailleurs des témoignages et des pièces écrites; car, lorsqu'il était attaché à la corde, il n'a laissé échapper ni un murmure ni un gémissement, mais il a murmuré en lui-même quelques paroles impossibles à distinguer; cependant, comme l'honneur de l'État le requiert, il a été condamné à être banni dans l'ile de Candie. »

De si cruelles injustices n'avaient pas diminué l'amour ardent que le jeune Foscari portait à sa patrie. Dévoré de chagrin, aimant mieux un cachot, même une tombe à Venise que la liberté partout ailleurs, il écrivit au duc de Milan pour le prier d'intervenir en sa faveur auprès du sénat. Sa lettre, qu'il avait eu soin de laisser ouverte, fut lue par des espions et portée au conseil des Dix. Pour la troisième fois, Francisco Foscari entendit l'acte d'accusation dirigé contre son fils, le vit déchiré, sanglant, entre les mains de ses bourreaux, sans pouvoir le protéger. Quand il reçut ses adieux et ses supplications, au moment où il s'embarquait de nouveau pour l'exil: « Va, Jacopo, lui dit-il avec une héroïque fermeté, soumets-toi aux lois de ton pays, et n'en demande pas davantage.» Mais, un instant après, il tomba évanoui dans les bras de ses serviteurs. Jacopo fut conduit à Candie, dans sa prison, où la mort. vint bientôt mettre fin à ses souffrances.

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