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Le jour où elle me dit ce mot, je décidai, à part moi, qu'elle aurait l'objet de son ambition, son bâton de maréchal, l'hospice. C'était l'apogée de ses modestes désirs. Inscrite depuis des années au bureau de bienfaisance du quartier, elle en recevait les insuffisants secours, accordés, je crois, à toute misère enregistrée. Il y avait six ans qu'ayant atteint l'âge légal, elle sollicitait son admission à la Salpêtrière. Elle avait traîné de çà, de là, sa pauvre jambe, pour se procurer les pièces nécessaires: son acte de naissance, je ne sais s'il ne lui avait pas coûté quelque argent, le certificat d'indigence, le certificat de médecin; elle avait fourni tout cela non pas une, mais plusieurs fois, « parce que les papiers se perdent dans les bureaux. » Je haussai les épaules.

Que voulez-vous, ce n'est pas leur faute à ces pauvres messieurs, poursuivit-elle; ils ont tant de paperasses! Je voulus savoir si elle avait quelque protecteur qui s'intéressât plus particulièrement à elle.

Oui, vraiment. Deux membres du bureau, un jeune et un vieux, la connaissaient très-bien. Elle me les nomma, et me dit leurs jours, car ils ne venaient au bureau qu'une fois la semaine.

Le jeune, ajouta-t-elle, a le parler doux; il vous écoute bien, et jusqu'au bout: cela soulage.

Mais a-t-il fait quelque chose pour vous?

comme j'avais le regret de vous le dire, en dix ans, chacun de nous ne dispose pas d'un lit.

On ne pouvait m'éconduire avec plus de politesse que n'en déploya le personnage; et, après avoir épuisé ma rhétorique auprès du jeune doucereux, j'essayai du « vieux brusquot ».

--

- La Parpiette? dit-il. Rien contre elle. Bien notée. A notre charge depuis... attendez! oui, peut-être bien depuis douze à quinze ans; brave femme. Ça ne bouge pas. Seulement, comme les autres, elle n'a pas de patience. Que diable! elle devrait songer qu'il y en a de plus malhoureux qu'elle et qu'elle n'est pas seule au monde.

Je profitai du mot pour insister sur ce que justement elle était seule et incapable de s'aider elle-même, vu ses infirmités : un-bras paralysé, une jambe inerte, une oppres sion qu'il n'avait sans doute pas remarquée...

Que si que si nous remarquons tout. Je sais que c'est en s'obstinant à porter sa tante qui ne se pouvait bouger, qu'elle s'est lésé ou cassé je ne sais trop quoi; elle en a failli crever, ce qui l'eût tirée de peine. Je tressaillis.

Je ne lui en fais pas un crime, reprit-il, en m'apaisant d'un mouvement de la main; je sais que c'est une honnête fille, courageuse, qui s'était jadis fortement brûlée en sauvant un enfant dont le fourreau avait pris feu, la petite fille d'un de leurs locataires; car elles ont été portières, ces femmes... Je vous dis que nous connaissons à merveille nos pensionnaires; et, au demeurant, je vous le répète, quoique obtuse et têtue, c'est une brave créature. Mais il n'en faut pas moins que, comme une autre, elle

Non, jamais. Que voulez-vous! c'est jeune, ça a attende son temps. Persuadez-vous bien que l'on fait ce d'autres idées en tête.

Et le vieux?

-Ah! il est un peu brusquot, celui-là; il n'y a pas à s'expliquer; il vous expédie vite, vite. Mais peut-être bien aussi qu'il s'occupe davantage de votre affaire. -Et qu'a-t-il fait pour vous?

Mais, rien jusqu'ici. Il y en a tant qui demandent! Le mercredi suivant, jour du jeune administrateur, à neuf heures du matin, heure désignée, j'étais à la porte du bureau. M. V... n'avait pas encore paru. Il pleuvait de la glace, je ne pouvais attendre dans la cour ni dans la rue; je revins à dix heures: il était parti. Je fis ce métier-là plusieurs fois, et pris patience en songeant à la pauvre créature, qui souvent avait dû trouver la corvée plus rigoureuse encore; enfin je joignis le charitable personnage « au parler doux ». Mile Parpiette l'avait décrit d'un mot.

C'était un homme bien élevé et qui, tout en n'accordant rien, tenait à ne pas renvoyer son monde mécontent. Il ne perdait pas la bonne femme de vue, affirma-t-il; il lui portait un véritable intérêt (il souligna le mot). Mais chacun des nombreux administrateurs disposait à peine d'une admission tous les huit ou dix ans, et la personne en faveur de laquelle il ne pouvait que louer profondément ma charité si judicieusement placée (il accentua ce compliment en deux adverbes par une inclination gracieuse de mon côté), la demoiselle donc n'avait pas atteint l'âge légal; avec la meilleure volonté du monde, on ne pouvait faire de passe-droits...

Je ne le laissai pas achever. Je me récriai fortement : Comment donc! mais elle a soixante-seize ans; sen acte de naissance en fait foi!...

Le jeune administrateur se reprit et tourna rapidement la difficulté.

---Je sais, je sais! elle a dépassé l'âge exigible; vous avez parfaitement raison; mais malheureusement tant d'autres, et je le déplore, sont dans le même cas! La plupart de nos postulantes ont atteint leur seizième lustre, et,

qu'on peut.

Je voulus obtenir qu'il me fixât une époque précise, et je ne parvins qu'à irriter mon homme.

- Est-ce que je puis savoir ce qu'il mourra de vieilles femmes cette année? me dit-il brutalement.

Un équipage s'était arrêté, une dame entr'ouvrait la porte; l'administrateur se leva, en me congédiant de la main; je sortis, retenant avec peine une explosion de colère, et j'arpentai longtemps les quais et les boulevards pour me calmer. Enfin, je retournai chez ma pauvre protégée, espérant trouver quelque nouvelle voie de la servir, ou peut-être la dégoûter de l'hospice, cet inaccessible et triste but de ses vœux.

--

Pourquoi y tenez-vous tant? lui disais-je.

--Que voulez-vous, mon bon Monsieur, je suis seule, et je puis de moins en moins m'aider. Mes pauvres membres se refusent...

C'était toujours le même refrain: « Je suis seule! » le mot qui m'avait touché par sa manière de le prononcer à notre première rencontre, et qui m'impatientait maintenant.

Vous n'avez donc pas d'amis chez vos voisins, demandai-je, personne de serviable?

Tout au contraire, oh! tout au contraire! chacun fait pour moi ce qu'il peut, et bien au delà, bon Dieu! Il y a au second la mère d'un employé qui se gêne fort pour moi; il y a les portiers, avec tant de famille ! Ils se saignent pour m'assister. Ce sont eux la plupart du temps qui m'alimentent.

Elle mit sa main tremblante devant ses yeux, et reprit :

Je ne puis pourtant pas être toujours à leur charge. Je me tus un moment; puis je voulus savoir si l'on ne pouvait pas tenter une démarche de quelque autre côté et s'adresser ailleurs qu'au bureau de bienfaisance.

-J'y ai essayé, me dit-elle, et j'ai fait une pétition.
-Ah! voyons?

La bonne dame du second l'a fait porter par son fils.
Et vous avez une réponse favorable?

- Tout au rebours: la voici.

C'était la politesse glacée et reglacée des formes administratives : « J'ai lu avec attention, etc.; et votre pétition ¦ » a été renvoyée avec recommandation à qui de droit, etc. » Eh bien, qu'en est-il résulté? Voilà.

Elle prit dans le même tiroir de la petite table, le seul qu'elle possédât, un autre papier, me le mit dans les mains, et je lus: « J'ai examiné avec attention votre demande d'être admise à l'hospice de la Vieillesse. Vos droits ont été pesés avec toute l'attention requise, et votre pétition est en conséquence renvoyée aux administrateurs du bureau de bienfaisance de votre quartier. »

Et que vous ont-ils fait dire? - Rien.

Quoi, n'allez-vous pas au moins vous informer de leur réponse?

--Que voulez-vous, mon bon Monsieur, je n'ose pas. Ils en ont eu assez de me voir tant de fois!... Si vous saviez! c'est si dur de demander toujours!

Il y eut comme une révolution dans ce gosier desséché elle semblait ravaler toutes les suppliques si fréquemment rebutées.

Il faut pourtant savoir ce qu'ils ont résolu; l'Évangile même l'ordonne : « Demandez et vous recevrez. »

- Hélas! hélas! mon bon Monsieur, j'y ai bien pensé; le temps ne me manque guère pour me tarabuster la cervelle. Mais ils trouveront à redire que je n'aie pas eu confiance en eux...

Comment, depuis quinze ans que vous les sollicitez sans rien obtenir?

- C'est égal, il n'y a que six ans que j'ai l'âge, ils me blameront. C'est peut-être mal à moi aussi de m'être adressée ailleurs. Je n'ai pas eu patience. Puis, si cela allait me nuire pour ma falourde et mon pain! Et cette eau encore qu'ils m'ont promise pour le point de côté qui m'empêche de respirer depuis ma dernière chute!

Je découvrais une nouvelle souffrance chez ma pauvre patiente, et ses appréhensions éveillaient les miennes. Si j'avais encore refroidi l'intérêt déjà si froid de son bureau! Essayons, me dis-je, d'une administration supérieure, qui sait? peut-être y trouverons-nous une charité moins légale et plus chrétienne.

Il serait long et ennuyeux de retracer mes allées et venues, les informations prises; de quelle façon, un moment égaré, j'errai au travers de lugubres salles qui fourmillaient de corps souffrants, défigurés, que je vois encore, malheureux qui cherchaient guérison, ou tout au moins soulagement, et ne trouvaient pas le premier de tous, le cœur compatissant du Samaritain. N'importe, j'arrivais à celui duquel tout dépendait, m'assurait-on; j'avais mon audience, et dans l'antichambre j'entrai fièrement. La fin à la prochaine livraison.

CURIOSITÉS DU CABINET DES MÉDAILLES

DE LA BIBLIOTHÈQUE IMPÉRIALE.

Voy. p. 70.

La petite sardoine gravée en creux que nous reproduisons est l'œuvre de Jacques Guay de Marseille, auquel on doit les plus beaux camées et les plus remarquables intailles du règne de Louis XV. Il n'a pas été possible au dessinateur de copier la légende, la date et les initiales, qu'on ne déchiffre qu'à l'aide de la loupe sur l'original: Jacquot, tambour-major du régiment du Roy. 1751. J. G. Nous savons donc que le militaire que nous voyons ici, le tricorne sur la tête, c'est Jacquot, et que Jacques Guay a fait ce portrait en 1751. Mais, malgré la précision des renseignements fournis par ce monument, qui n'a guère plus d'un siècle d'antiquité, on n'a pas encore pu découvrir ce qui a pu valoir à un simple tambour-major l'honneur de voir ses traits reproduits sur sardoine par un éminent artiste, membre de l'Académie royale de peinture et de sculpture, et graveur de Sa Majesté. Piqué au jeu, je voulais pénétrer ce petit mystère d'une époque qui n'en a guère pour nous je n'ai rien trouvé. L'Histoire des régiments d'infanterie de M. le commandant Suzane ne nomme pas Jacquot, et cependant le consciencieux annaliste ne néglige pas plus les simples soldats que les officiers dans le récit très-circonstancié qu'il fait des campagnes du régiment du Roi. Dans la Suite d'estampes gravées par Mme la marquise de Pompadour, d'après les pierres gravées de Guay, graveur du Roy, le portrait de Jacquot porte le no 34. On lit au bas de l'estampe la même légende que sur la pierre gravée, et ces mots Guay del. - Pompadour sculpsit. Pourquoi tant de soins pour transmettre à la postérité les traits de Jacquot? Un moment j'ai cru que j'allais avoir le mot de l'énigme. J'appris qu'un connaisseur en camées et pierres gravées, M. J.-F. Leturcq, possédait un exemplaire de cette Suite d'estampes qui, bien qu'incomplet, puisqu'il ne comprend que cinquante-deux numéros au lieu de soixantetrois, n'est pas sans intérêt pour les curieux de l'histoire des arts sous Louis XV. Dans ce volume se trouvent des notes manuscrites, écrites par Guay lui-même, qui donnent quelques éclaircissements sur ses œuvres; mais malheureusement l'artiste n'a mis que cette laconique indication au bas du no 34:

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Jacquot, tambour-major du régiment du Roy. Gravé en creux par les ordres de Mme de Pompadour. Ladite (pierre) est au cabinet du Roy. »

Si brève que soit la note de Guay, son rédacteur nous apprend au moins que ce n'est pas à une fantaisie d'artiste que l'on doit de posséder le portrait de Jacquot; c'est par les ordres de la favorite qu'il a gravé cette sardoine. Dans ce même volume, une seconde note manuscrite, due à la plume d'un écrivain qui devait rédiger le texte non publié de la Suite d'estampes, contient ces mots : «Il est fait (le

LA GRAINE DE PARADIS.

Ce fut tout simplement le poivre auquel on imposa durant le moyen âge cette poétique dénomination, et les Italiens qui en faisaient le commerce ne l'appelèrent ainsi qu'en raison de la complète ignorance où ils étaient du lieu qui le fournissait à l'Europe. Les Mores l'allaient chercher, par terre, jusqu'en Guinée; puis ils le transportaient à dos de chameaux dans un petit port de la Méditerranée nommé Mundi-Barca, appelé plus tard par corruption Monte da Baroa: il devait en venir également de la côte du Malabar, mais toujours par l'intermédiaire des Mores,

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les neiges d'antan. Mais comme quelque chercheur plus heureux que moi éclaircira peut-être un jour cette énigme, je ne veux pas abandonner Jacquot sans dire que ce nom de guerre cache Jacques Dubois, dit aussi Saint-Jacques, natif de Tirlemont en Brabant, enrôlé le 1er juin 1716, invalide le 4 juin 1758, c'est-à-dire sept ans après qu'il eut posé pour Guay, et mort à l'hôtel des Invalides, âgé de soixante et un ans, le 19 avril 1759. L'état matricule de la compagnie colonelle du régiment du Roi, au ministère de la guerre, et les registres des Invalides, qui me fournissent ces détails, nous apprennent, en outre, que Jacques Dubois, dont le nom de guerre officiel SaintJacques paraît avoir été changé, au régiment, pour celui plus familier de Jacquot, avait 5 pieds 7 pouces 6 lignes;

qu'il avait les cheveux noirs, les yeux bruns, le visage gros et basané. Il avait soixante ans lorsqu'il entra aux Invalides, avait servi pendant quarante-deux ans dans le régiment du Roi, était marié et catholique, et avait été blessé de cinq coups de feu en différentes affaires. Voilà qui est très-explicite; mais pourquoi Mme de Pompadour a-t-elle demandé à Guay de faire le portrait de ce tambour-major? Je laisse ce mystère à éclaircir aux Saumaises futurs.

SALLES DU CONSEIL D'ÉTAT.

Ces deux dessins ont été faits, il y a dix ou douze ans, par deux excellents artistes qui n'existent plus, Valentin

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et Renard. Ils nous sont parvenus tardivement, et l'on nous assure que la disposition des siéges dans la salle des séances générales du conseil d'Etat n'est plus aujourd'hui ce qu'elle était avant 1852; mais on ajoute que le changement n'a pas été heureux et que les conseillers ont plus de peine à se faire entendre des auditeurs placés aux derniers rangs, en sorte que l'on pourrait revenir à ce qu'on a voulu réformer notre gravure redeviendrait alors une représentation fidèle. On se rappelle que, d'après le plan conçu par Napoléon Ier, le palais du quai d'Orsay devait être l'hôtel du ministre des relations extérieures; la salle actuelle du conseil d'État aurait servi aux réceptions d'apparat. Par suite, elle a été construite dans des proportions qui conviennent

Dessin de feu Renard et de feu Valentin.

peu à une assemblée délibérante elle a beaucoup trop d'étendue en longueur, et la vive lumière réfléchie par le quai de la rive opposée de la Seine fatigue tellement les yeux qu'il a fallu, comme on peut le voir en passant, couvrir les vastes fenêtres de gazes ou de teintes qui en adoucissent l'éclat. Depuis 1806, le conseil d'Etat a changé plusieurs fois de logis. Voici ce que disait à ce sujet, en 1858, un des membres éminents de ce conseil (1):

«Sous Napoléon Ier, le conseil d'État siégeait aux Tuileries, près du cabinet même de l'empereur: il était l'âme de son gouvernement. Sous le gouvernement de la restau

(') M. Boulatignier,

ration, où les ministres voyaient le conseil d'Etat avec | lution de 1830, alors que le conseil d'État ne fut plus jalousie, ce conseil fut refoulé au Louvre. Après la révo- guère, en fait sinon en droit, qu'un conseil pour les mi

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Palais d'Orsay, Salle du conseil d'État, dessinée (avant 1852) par feu Renard et feu Valentin.

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nistres, il fut relégué dans l'hôtel Molé (agrandi depuis | il fut transféré dans une partie des bâtiments du palais du pour l'usage du ministère des travaux publics). En 1840, quai d'Orsay. Après le rétablissement de l'empire, en 1852,

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Animaux domestiques. - Parmi les animaux, il en est un certain nombre qui ont accepté le joug de l'homme, et qui vivent dans sa domesticité. Leurs générations naissent, grandissent et meurent à côté des nôtres, partagent nos prospérités ou nos malheurs, et prennent une telle part à nos vicissitudes que l'histoire d'une espèce domestique pourrait, à défaut d'autres documents, nous raconter les grands traits de l'histoire de notre civilisation. Ces êtres qui lui sont si intimement unis, l'homme se les est appropriés, il en a fait ses amis, ses défenseurs, ses ouvriers, auxquels il emprunte ses vêtements, ou encore qu'il tient près de lui comme des provisions vivantes qui lui épargnent les fatigues de la chasse incertaine.

Les services que l'humanité obtient des animaux qu'elle a su réduire ainsi à l'état domestique sembleraient devoir l'exciter à étendre ses conquêtes sur des espèces toujours nouvelles; mais il paraît que de bonne heure elle s'est trouvée assez riche, et elle a détourné son activité vers d'autres objets. Aujourd'hui, les animaux qui nous servent sont à très-peu près ceux-là mêmes qui étaient les serviteurs de l'homme dans l'antiquité. Des continents ont été découverts où des espèces nouvelles sont apparues: l'Amérique a fourni à la science des animaux inconnus, l'Australie offre aux regards étonnés une nature vivante toute différente de celle où nous vivons, et le naturaliste seul s'est avidement emparé de ces richesses merveilleuses. C'est à peine si l'on a songé qu'il y avait là des êtres dont la vie pouvait devenir notre propriété, et qui donneraient un surcroît de nourriture, de vêtements et de forces à notre société, où nous avons encore à regretter de voir tant de pauvreté et de faiblesse. Ce que ces êtres pourraient ajouter à nos ressources, nous ne l'obtenons aujourd'hui qu'à la manière des sociétés les plus primitives, je veux dire grâce aux hasards de la chasse.

pèces de faisan et le serin des Canaries. Le dindon est la plus belle conquête de notre civilisation moderne.

Si l'on décompose, avec l'auteur, ce tableau, et si l'on se demande ce que chaque pays a fourni d'animaux utiles, on voit que vingt-neuf sont originaires de l'Asie, sept de l'Amérique, six de l'Europe, cinq de l'Afrique. Quant à l'Australie et à la Polynésie, si riches en espèces animales, leur contingent est absolument nul. On reconnaît par le même tableau que plusieurs de ces animaux domestiques ne sont pas acclimatés en Europe: ce qui réduit encore le nombre de nos serviteurs. « La conséquence, dit le savant naturaliste, est facile à saisir : nul résultat n'est plus propre à mettre en évidence la possibilité d'augmenter considérablement le nombre de nos animaux domestiques. Quand une seule partie du monde, l'Asie, a donné à l'Europe plus de vingt animaux domestiques, est-ce assez d'en avoir obtenu quatre de l'Afrique, autant de l'Amérique, et pas même un seul de l'Australie et des archipels de la Polynésie?» A l'œuvre donc! et que notre civilisation, qui, victorieuse des forces inanimées, triomphe si merveilleusement d'obstacles matériels qui auraient fait reculer nos pères, dompte les forces vivantes répandues avec prodigalité dans la nature et également incapables de résister à l'intelligence qui voudra les assujettir!

Transmutations organiques. Formation des os.- Qu'estce que la vie? je veux dire la vie du corps? C'est une lutte continuelle de l'être organisé contre les forces destructives qui, soit intérieures, soit extérieures, attaquent son existence. C'est un mouvement sans autre repos que le repos fatal de la mort; un mouvement où les forces de l'être travaillent sans relâche à enlever les matériaux usés de l'organisme, et les remplacent par d'autres nouvellement conquis sur le monde extérieur. A tout instant s'opèrent des transmutations; nulle partie n'en est exempte; les organes les plus profonds comme les plus superficiels, les organes essentiels, ceux qui ne sont qu'accessoires, les plus durs comme les plus mous, les os mêmes résistants comme la pierre, tous sont incessamment détruits, tous sont incessamment réparés. De l'être vivant, au bout de quelques années, aucun des éléments ne subsiste; tout a changé en lui, tout, excepté la puissance régulatrice intérieure, qui coordonne et maintient l'ensemble harmonieux. Il en est ainsi, vous ne pouvez en douter; la main de l'ami que vous pressez, le visage de l'être bien-aimé que vous Un naturaliste cependant est venu qui s'est préoccupé couvrez de vos regards, ils seront, en peu de temps, entiède la question. M. Is. Geoffroy Saint-Hilaire lutte depuis rement détruits; bientôt vous serrerez une autre main, plusieurs années, poussant le monde civilisé vers ces biens vous contemplerez un autre visage. Bientôt, ce que vous qu'il peut saisir. Comprenant qu'un homme seul est ca- avez vu, ce que vous avez touché, ne sera plus que débris pable de peu de chose pour des essais si dispendieux, il a rendus à la terre; vous verrez, vous toucherez un être fait effort pour grouper des volontés nombreuses et dévouées nouveau. Mais qu'importe! ces vêtements renouvelés sans à son entreprise; il a réussi. Une société particulière s'est cesse couvrent toujours les mêmes âmes; et la rencontre fondée; elle fait des expériences suivies; ses moyens d'ac- de deux mains qui se pressent avec bonheur, est-ce autre tion grandissent de jour en jour dans tous les pays, des chose que l'étreinte de deux âmes? hommes distingués ont eu à cœur de s'associer à son œuvre qui intéresse l'humanité tout entière.

Cette année, M. Is. Geoffroy Saint-Hilaire a donné un tableau des animaux qui sont actuellement réduits à l'état domestique; scrutant, les monuments les plus anciens de notre civilisation, il a retrouvé leur patrie originaire; il a cherché la date de leur réunion à l'homme, et ce tableau met en relief la triste histoire de notre incurie dans les temps modernes. Il résulte de son travail que, sur cent quarante mille espèces d'animaux connues, nous en avons réduit quarante-sept seulement à l'état domestique : c'est environ une sur trois mille. Sur ces quarante-sept espèces, combien en doit-on aux modernes? Treize seulement, parmi lesquelles encore nous devons dire qu'il se trouve bien des animaux qui ne sont que des animaux d'agrément : j'y vois trois es

Cette transmutation continuelle des éléments des organes est hors de doute, et parmi les expériences qui l'ont fait connaître, celles qui ont été suivies sur les parties les plus résistantes, sur les os, sont, sans contredit, les plus remarquables. C'est une observation d'un chirurgien anglais, Belchier, qui a servi de point de départ. Belchier, vers le milieu du siècle dernier, vit avec étonnement que les os d'un animal qu'on avait servi à l'un de ses repas étaient colorés en rouge très-vif. Il s'informa, et apprit que l'animal avait été nourri avec de la garance mêlée à d'autres aliments. Il vérifia le fait sur d'autres sujets qu'il éleva lui-même; puis, après avoir fait suivre ce régime à quelques-uns, il leur donna une nourriture ordinaire, et il vit que peu à peu les os reprenaient leur couleur ordinaire. Un travail intérieur s'était donc accompli, il avait enlevé

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