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MONSEIGNEUR,

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'il y a quelque chose d'ingénieux dans la république des lettres, on peut dire que c'est la manière dont Ésope a débité sa morale. Il seroit véritablement à souhaiter que d'autres mains que les miennes y eussent ajouté les ornements de la poésie, puisque le plus sage

des anciens * a jugé qu'ils n'y étoient pas inutiles. J'ose, MONSEIGNEUR, vous en présenter quelques essais. C'est un entretien convenable à vos premières années. Vous êtes en un âge** où l'amusement et les jeux sont permis aux princes; mais en même temps vous devez donner quelques unes de vos pensées à des réflexions sérieuses. Tout cela se rencontre aux fables que nous devons à Ésope. L'apparence en est puérile, je le confesse; mais ces pue rilités servent d'enveloppe à des vérités importantes.

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Je ne doute point, MONSEIGNEUR, que vous ne regardiez favorablement des inventions si utiles et tout ensemble si agréables: car que peut-on souhaiter davantage que ces deux points? Ce sont eux qui ont introduit les sciences parmi les hommes. Ésope a trouvé un art singulier de les joindre l'un avec l'autre: la lecture de son ouvrage répand insensiblement dans une ame les semences de la vertu, et lui apprend à se connoître sans qu'elle s'aperçoive de cette étude, et tandis qu'elle croit faire tout autre chose. C'est une adresse dont s'est servi très heureusement celui* sur lequel Sa Majesté a jeté les yeux pour vous donner des instructions. Il fait en sorte que vous appreniez sans peine, ou, pour mieux parler, avec plaisir, tout ce qu'il est nécessaire qu'un prince sache. Nous espérons beaucoup de cette conduite. Mais, à dire la vérité, il y a des choses dont nous espérons infiniment davantage : ce sont, MONSEIGNEUR, les qualités que notre invincible monarque vous a données avec la naissance; c'est l'exemple que tous les jours il vous donne. Quand vous le voyez former de si grands desseins; quand vous le considérez qui regarde sans s'étonner l'agitation de l'Europe ** et les machines qu'elle remue pour le détourner de son entreprise; quand il pénetre dès sa première démarche jusque dans le cœur d'une province *** où l'on trouve à chaque pas des barrières insurmontables, et qu'il en subjugue une autre **** en huit

M. le président de Perigni.

** Il désigne la triple alliance que l'Angleterre, l'Espagne et la Hollande, firent ensemble, il y a environ vingt ans, pour arrêter les conquêtes du roi. (Note de Richelet.)

Il parle de la Flandre, où le roi fit la guerre en 1667, et prit Douai, Tournai, Oudenarde, Ath, Alost, et Lille. (Note de Richelet.)

C'est la Franche-Comté, qu'il conquit en 1668.

jours, pendant la saison la plus ennemie de la guerre,

que

lors

il

le repos et les plaisirs règnent dans les cours des autres princes; quand, non content de dompter les hommes, veut triompher aussi des éléments; et quand, au retour de cette expédition où il a vaincu comme un Alexandre, vous le voyez gouverner ses peuples comme un Auguste: avouez le vrai, MONSEIGNEUR, vous soupirez pour la gloire aussi bien que lui, malgré l'impuissance de vos années; vous allendez avec impatience le temps où vous pourrez vous déclarer son rival dans l'amour de cette divine maîtresse. Vous ne l'allendez pas, MONSEIGNEUR, vous le prévenez. Je n'en veux pour témoignage que ces nobles inquiétudes, celle vivacité, celte ardeur, ces marques d'esprit, de courage, et de grandeur d'ame, que vous faites paroître à tous les moments. Certainement c'est une joie bien sensible à notre monarque; mais c'est un spectacle bien agréable pour l'univers, que de voir ainsi croître une jeune plante qui couvrira un jour de son ombre tant de peuples et de nations.

Je devrois m'étendre sur ce sujet; mais, comme le dessein que j'ai de vous divertir est plus proportionné à mes forces que celui de vous louer, je me hâte de venir aux fables, et n'ajouterai aux vérités que je vous ai dites celle-ci : c'est, MONSEIGNEUR, que je suis, avec un zèle respectueux,

que

Votre très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur,

DE LA FONTAINE,

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