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FABLE XIII

Le Cheval s'étant voulu venger du Cerf.*

De tout temps les chevaux ne sont nés pour les hommes.
Lorsque le genre humain de glands se contentoit,
Ane, cheval, et mule, aux forêts habitoit :

Et l'on ne voyoit point, comme au siècle où nous sommes,
Tant de selles et tant de bâts,

Tant de harnois pour les combats,
Tant de chaises, tant de carrosses,
Comme aussi ne voyoit-on pas

Tant de festins et tant de noces.
Or, un cheval eut alors différend

Avec un cerf plein de vitesse;
Et, ne pouvant l'attraper en courant,
Il eut recours à l'homme, implora son adresse.
L'homme lui mit un frein, lui sauta sur le dos,
Ne lui donna point de repos

-

Stesichorus apud Aristot., Rhetoric. lib. II, c. xx, edit. in-folio', Paris, 1619, t. II, p. 52. Traduction de la Rhétorique d'Aristote, par Cassandre, p. 290.-Fabulæ Æsopicæ, 383, Equus et Cervus.-Horat., Epist. lib. 1, 10.Phædr., IV, 4 sive 3, Equus et Aper.

Que le cerf ne fût pris, et n'y laissât la vie.

Et cela fait, le cheval remercie

L'homme son bienfaiteur, disant: Je suis à vous;
Adieu; je m'en retourne en mon séjour sauvage.
Non pas cela, dit l'homme; il fait meilleur chez nous:
Je vois trop quel est votre usage.

Demeurez donc; vous serez bien traité,
Et jusqu'au ventre en la litière.

Hélas! que sert la bonne chère
Quand on n'a pas la liberté?

Le cheval s'aperçut qu'il avoit fait folie;
Mais il n'étoit plus temps; déjà son écurie
Étoit prête et toute bâtie.

Il y mourut en traînant son lien :
Sage s'il eût remis une légère offense.

Quel que soit le plaisir que cause la vengeance,

C'est l'acheter trop cher que l'acheter d'un bien
Sans qui les autres ne sont rien.

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