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gage doux, agréable aux oreilles, affectueux, allant au cœur, poli, gracieux pour les autres, » est celui que doit tenir le religieux.

Une autre vertu recommandée avec insistance et dont le Bouddha s'est montré le modèle, c'est l'humilité. Lorsque le roi Prasénadjit, provoqué par les brahmanes, engage Çakyamouni, qu'il protége, à imposer, par des miracles, silence à ses ennemis, le Bouddha, tout en consentant à ce que le roi lui demande, lui répond : « Grand roi, je n'enseigne pas la Loi à mes auditeurs en leur disant : Allez, ô religieux, et devant les brahmanes et les maîtres de maison, opérez à l'aide d'une puissance surnaturelle des miracles supérieurs à tout ce que l'homme peut faire; mais je leur dis, en leur enseignant la Loi: Vivez, ô religieux, en cachant vos bonnes œuvres et en montrant vos péchés. » Ne croit-on pas lire dans l'Evangile cette recommandation de Jésus à ses disciples : « Lorsque vous ferez l'aumône, que votre main gauche ne sache point ce que fait votre main droite. >>

Montrez vos péchés de cette parole, probablement, et d'autres semblables, est sortie une institution remarquable qui appartient aux premiers temps de l'Eglise bouddhique, qui s'est longtemps conservée dans le bouddhisme indien, et qui subsiste encore au Thibet: celle de la confession. Deux fois par mois, à la nouvelle et à la pleine lune, chaque religieux devait confesser ses fautes devant l'assemblée des bhikṣhous. Quant aux laïques, nous savons par les édits religieux du roi Piyadasi qu'il leur était recommandé de se confesser tous les trois ans, ou au moins tous les cinq ans. Eugène Burnouf nous explique d'une manière remarquable l'origine de la confession dans le bouddhisme. « La loi fatale de la transmigration, dit-il, attache, on le sait, des récompenses aux bonnes actions et des peines aux mauvaises; elle établit même la compensation des unes par les autres, en offrant au coupable le moyen de se relever par la pratique de la vertu. Là est l'origine de l'expiation, qui tient tant de place dans la loi

brahmanique; le pécheur, en effet, outre l'intérêt de sa réhabilitation présente, devait désirer de recueillir dans l'autre vie les fruits de son repentir. Cette théorie est passée dans le bouddhisme, qui l'a reçue toute faite avec tant d'autres éléments constitutifs de la société indienne; mais elle y a pris une forme particulière, qui en a sensiblement modifié l'application pratique. Les bouddhistes ont continué de croire avec les brahmanes à la compensation des mauvaises actions par les bonnes, car ils admettaient avec eux que les unes étaient fatalement punies, et les autres fatalement récompensées. Mais comme, d'une autre part, ils ne croyaient plus à l'efficacité morale des tortures et des supplices par lesquels, selon les brahmanes, le coupable pouvait effacer son crime (1), l'expiation se trouva naturellement réduite à son principe, c'est-à-dire au sentiment du repentir, et la seule forme qu'elle reçut dans la pratique fut celle de l'aveu ou de la confession. Une légende nous raconte l'histoire d'un religieux qui, injurié par un autre, lui dit : « A cause de cette faute, confesse que tu as péché, et par là cette action sera diminuée, elle sera détruite, elle sera pardonnée. » Ainsi, l'aveu de la faute, accompagné du repentir, en était la véritable expiation, tant pour cette vie que pour l'autre. De cet aveu fait à celui qu'on avait blessé, de cette confession purement individuelle, à l'aveu public fait devant l'assemblée des bhikshous, on comprend que la transition devait être facile.» (2)

Cette théorie de la confession bouddhique nous permet de saisir la différence qui la sépare de la confession catholique. Dans le bouddhisme, la récompense est fatale, la peine est fatale; l'effacement du péché, le pardon est la conséquence

(1) Le Bouddha veut qu'on éteigne en soi tout désir, qu'on dompte l'esprit; il réprouve les macérations physiques. « Celui qui veut devenir Arňat (vénérable), dit-il, doit se garder de ces deux choses: les désirs pervers et les mortifications des brahmanes. » L'ascétisme bouddhique diffère par son caractère spirituel de l'ascétisme brahmanique.

(2) Introduction à l'Histoire du bouddhisme indien, p. 299.

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fatale de l'expiation, dont la confession n'est qu'un mode, qu'une forme. Montrez vos péchés; confesse cette faute, et elle sera détruite voilà l'origine de la confession bouddhique; on n'y voit qu'un seul terme, le coupable qui expie en faisant l'humble et pénible aveu de son péché. Expression du repentir, la confession bouddhique renferme tout à la fois la satisfaction et l'absolution. Dans la confession catholique, il y a deux termes un coupable qui s'accuse de sa faute en implorant et pour obtenir son pardon; un juge qui accorde ou refuse le pardon demandé. Le pardon ne s'y confond pas avec le repentir il en es distinct; c'est une grâce, c'est-à-dire un acte de la liberté de Dieu et de la liberté du représentant de Dieu. Tout ce que vous lierez et délierez sur la terre sera lié et délié dans le ciel; les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez : voilà l'origine de la confession catholique. Il s'agit de l'exercice d'une autorité. Ne dit-on pas le tribunal de la pénitence?

XVII.

Entre la morale bouddhique et la morale chrétienne, réduite à ses éléments propres, il y a, comme on a pu le voir, des analogies frappantes. Ces analogies portent sur les points suivants : les vertus bouddhiques et les vertus chrétiennes sont exclusivement privées, j'allais dire féminines; le bouddhisme et le christianisme ignorent les vertus viriles, les vertus militaires, politiques, sociales; ils ont fait des saints; ils n'ont jamais fait de citoyens; ils ont arraché l'homme à l'esprit de famille, à l'esprit de caste et à l'esprit de patrie, en lui parlant de son salut individuel et ultra-vital et du salut universel; ils ont répandu dans le monde et pour ainsi dire vulgarisé la sainteté et la charité aux dépens du courage militaire et de l'énergie civique; ainsi ont-ils pu prêcher à l'homme et à la femme le même idéal de vie et la même méthode de salut, et proclamer l'égalité morale et religieuse des

deux sexes, par cette raison impossible à méconnaître qu'ils ont tendu à supprimer le rôle social de la force, en supprimant l'action, et à dépouiller l'homme de sa virilité; enfin, uniquement préoccupés d'une perfection chimérique, ils ont plané, dans un vol sublime, interrompu souvent par de lourdes et honteuses chutes, au-dessus du droit et de la justice, et n'ont rien donné à l'humanité sous ce rapport. On explique ces analogies par la similitude des milieux et des circonstances dans lesquelles le bouddhisme et le christianisme ont paru. Les deux religions, les deux morales, sont nées du désespoir, au sein de sociétés abattues, abaissées, courbées sous un joug qu'il paraissait impossible de secouer. Dans un tel état social, qui était celui de l'Inde brahmanique à l'époque de Çakya-mouni, et du monde gréco-romain à l'époque de Jésus, la réaction de la conscience contre l'injustice régnante et invincible ne pouvait prendre d'autre forme que celle de l'amour et du sacrifice.

M. Taine, en un éloquent tableau, nous peint cette réaction de l'amour contre les abus de la force, que l'on a vue se produire deux fois à cinq siècles de distance. «Dans la société brahmanique, dit-il, le despotisme est partout; de toutes parts l'action est barrée et la volonté brisée. Dans l'énervement général, les royautés militaires se sont changées en tyrannies arbitraires, et les supplices, les exactions, les dévastations, toutes les misères des gouvernements orientaux ont commencé. Les barrières des castes sont infranchissables, et chacun est lié à son état comme par une chaîne de fer. Bien plus, tous les moments et toutes les parties de la vie sont réglés, et il n'y a plus dans l'homme un seul mouvement qui soit libre. La tyrannie ecclésiastique, bien plus étroite que la tyrannie laïque, n'a rien laissé chez lui qu'elle n'ait lié et garrotté.... Rien de plus approprié que le bouddhisme à l'état des âmes sous cette double tyrannie. Ce qu'il y a de plus voisin de l'abattement profond, c'est le renoncement à soi-même. L'indignation, les convoitises, tous les âpres désirs militants

ou absorbants, se sont affaissés; on peut marcher sur l'homme sans le mettre en colère; il ne songe plus à se relever; à force d'être tombé, il trouve naturel d'être à terre; quand on lui parle de lui, il lui semble que c'est d'un étranger; il ne tient plus à lui-même; les objets beaux et brillants le laissent inerte; sa sensibilité est usée; il est tout prêt à recevoir le précepte de l'abnégation infinie.... Arrivé à cet état, l'homme semble dénaturé, pareil à une pierre, capable de tout souffrir, mais incapable de rien aimer. C'est justement dans ce renoncement parfait que la charité trouve sa racine, car la délivrance à laquelle aspire Çakya-mouni n'est pas seu lement la sienne, c'est encore celle de toute créature.... Dans son idée de la souffrance, il y a l'idée de la souffrance des autres; au fond de sa tristesse, il y a la compassion. La voilà, la parole unique, la bonne nouvelle qui relèvera et consolera tant de misérables; c'est elle qu'attendaient tous ces cœurs défaillants ou désespérés. Au fond de l'extrême douleur, et dans l'abîme sans issue, quand l'énergie et l'âpreté des passions viriles ont été brisées, quand l'âme délicate et l'organisation nerveuse, à force de froissements, sont tombées dans la résignation et ont renoncé à la résistance; quand les larmes, à force de couler, sont taries; quand un faible et triste sourire erre languissamment sur les lèvres pâlies; lorsque, à force de souffrir, l'homme a cessé de penser à sa souffrance, quand il se détend et se déprend de lui-même; alors souvent, comme un murmure, s'élève dans son cœur une petite voix douce et touchante; et ses bras qui n'ont plus de vigueur pour combattre, retrouvent un dernier reste de force pour se tendre vers les malheureux qui pleurent à côté de lui.....

« Cinq siècles plus tard, parmi les frères occidentaux des conquérants de l'Inde, parut, après une élaboration presque semblable, une rénovation presque semblable, et de tous les événements de l'histoire, cette concordance est le plus grand... Pendant quinze cents ans, les mœurs et la morale viriles avaient régné sur les bords de la Méditerranée comme dans la

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