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Jésus «Laissez venir à moi les petits enfants. » Dans sa prison il se souvint des douleurs de son jeune âge, lorsque, obligé d'aller à l'école, il avait souffert des mauvais traitements de son maître. Aussi a-t-il mis le nom de ce maître, avec un reproche détourné, dans ce passage touchant du Biyan où il fait parler un petit écolier: « En vérité, ô Mohammed, ô mon maître, ne me frappe pas jusqu'à ce que je sois arrivé à l'âge de cinq ans, lors même qu'il ne s'en faudrait que d'un clin d'œil que j'eusse atteint cette limite. Au delà de cinq ans, si tu veux me frapper, ne me donne pas plus de cinq coups, et fais en sorte qu'entre la peau qui les reçoit et la main ou la verge qui les donne, il y ait une couverture. » «Ne frappe jamais que très-doucement, ajoute-t-il. En vérité, le temps que les enfants passent à étudier n'est pas compté dans leur vie, et certes, permets-leur tout ce qui peut les rendre heureux: les rires et le jeu. » Comment ne serait-il pas bon pour les enfants, puisqu'il l'est même pour les animaux. «N'imposez pas, dit-il, aux animaux, d'autres charges que celles qui sont proportionnées à leurs forces. >>

Un point important à noter, c'est que le Bâb ne stipule rien relativement au gouvernement proprement dit; il ne s'en occupe pas on dirait qu'un tel objet lui paraît indigne de son attention. « Une telle façon de sentir et d'apprécier les choses de la vie, dit M. de Gobineau, est un signe auquel on peut reconnaître sûrement les sociétés vieillies. On le rencontre dans toute l'Asie, à une époque déjà bien ancienne; la Rome impériale suggère une semblable disposition de pensée à ses philosophes et à ses poëtes, et de nos jours nous voyons les partis avancés penser à peu près la même chose et le dire... Au rebours des sociétés jeunes et vivaces, où nul homme ne conçoit un plus bel emploi de sa fortune ou de ses talents, de son influence ou de sa bravoure, que de les employer à la chose publique..., les babys raisonnent comme les économistes européens, imaginant une organisation politique disposée de manière à donner la plus grande somme possible de tranquillité,

de sécurité et de bien-être (1). » Ces réflexions et ces comparaisons de M. de Gobineau ne nous paraissent pas rendre compte, d'une manière sérieuse, de l'indifférence politique des babys. On ne voit nullement d'abord que les partis avancés et les économistes de l'Europe se désintéressent du rôle de l'État, des attributions qu'il convient de lui accorder, des limites que son action doit s'imposer, de la forme gouvernementale qu'il doit prendre; il est vrai qu'en Europe la tendance est de donner de plus en plus à la politique un but individualiste, but qui contraste avec celui qu'elle poursuivait dans les cités antiques, et qui établit une grande différence entre la république d'Athènes, par exemple, et celle des États-Unis; mais de ce que le but de la politique a changé, il ne suit nullement que la politique soit devenue un objet secondaire des préoccupations. La vérité est que l'indifférence politique des babys est un fait essentiellement asiatique. L'Asie n'a jamais fait de politique proprement dite, parce qu'elle n'a jamais conçu, en dehors de la religion, de la forme religieuse des sociétés, que le pur despotisme; parce que la pensée des Asiatiques est complétement étrangère à l'idée d'un ordre politique et civil distinct de l'ordre religieux. Il ne faut pas demander au babysme cette idée de la distinction des deux puissances temporelle et spirituelle, qui est née dans un pays conquis par les armes romaines, soumis à l'administration romaine, et qui s'est développée et réalisée, non sahs luttes, sur le sol européen. Le babysme ne s'occupe pas du gouvernement, parce que, dans la société par lui renouvelée, il n'imagine pas sans doute de gouvernement en dehors de la puissance sacerdotale, de l'unité prophétique; il n'entend certainement pas borner son empire à la direction des consciences, à une autorité purement morale.

M. de Gobineau a vu, d'une manière confuse, les analogies qui existent entre le babysme et les théories socialistes de

(1) Les Philosophies et les Religions de l'Asie centrale, p. 354.

notre Occident. «Si le babysme est une utopie, dit-il, des utopies semblables existent également chez les sectes philanthropiques d'Angleterre, d'Allemagne et de France (1). » Il est certain qu'on peut signaler entre la nouvelle religion persane et les doctrines de Fourier et d'Enfantin, plus d'un rapprochement curieux la place faite à la femme dans l'unité prophétique, la négation très-accentuée de l'ascétisme, la glorification de l'industrie, la réhabilitation des plaisirs et du luxe. On sait que le saint-simonisme a voulu fonder dans la France du XIXe siècle une religion panthéiste et une véritable théocratie; on sait que le fouriérisme a, comme le babysme, sa mathématique sociale, qu'il prescrit de l'appliquer à l'organisation des séries, et qu'il voit, lui aussi, naître de cette application le rétablissement de l'harmonie dans le monde. M. de Gobineau, qui ne songe pas à comparer le babysme au saint-simonisme et au fouriérisme, remarque que les babys font jouer « à l'intervention du Dieu qui vit au fond de la conscience de chaque fidèle, le même rôle que Proudhon à ce qu'il appelle la Justice>> »; << en analysant, dit-il, les deux conceptions, peut-être les trouverait-on plus étroitement parentes qu'il ne semble. >> Voilà une parenté qu'il n'eût pas été inutile de mettre en lumière, car rien ne paraît plus éloigné du mysticisme, de la théocratie, des doctrines d'amour, d'organisation et d'autorité que le socialisme égalitaire, an-archiste, mutuelliste et rationaliste de Proudhon (2).

(1) Les Philosophies et les Religions de l'Asie centrale, p. 355.

(2) La naissance et les progrès du babysme en Perse, le triomphe qu'il paraît devoir y espérer pour un avenir plus ou moins prochain, semblent confirmer la théorie qui met en opposition l'une avec l'autre la race sémitique et la race aryenne, comme ayant une tendance primitive, essentielle, innée, la première au monothéisme, la seconde, au polythéisme et au panthéisme. On sait que les Persans appartiennent à la race aryenne. « L'esprit persan, dit cette théorie, a subi la foi monothéiste, mais en faisant de continuels efforts pour échapper à un joug qui lui était étranger. Il n'a cessé d'être dans l'islamisme, comme l'esprit grec dans le christianisme, la source des hérésies. Il vient de produire et de trouver dans le babysme une conception de Dieu conforme à sa nature. » Nous n'avons pas voulu aborder, à

propos du babysme, la question générale des rapports de l'ethnologie avec la science des religions. Nous ne l'aurions pu, sans discuter le rôle, à nos yeux très-exagéré, que certains critiques font jouer au déterminisme ethnique dans les origines religieuses; ce qui nous eût entraîné trop loin. Nous dirons seulement que, pour le cas particulier dont il s'agit ici, l'explication tirée de la race est assez malheureuse; car la vieille religion des Aryens Perses, la religion mazdéenne est assurément fort éloignée du polythéisme et du panthéisme.

F. PILLON.

LES RELIGIONS DE L'INDE.

EUGÈNE BURNOUF. Introduction à l'histoire du bouddhisme indien.

E. QUINET. Le Génie des religions.

ÉMILE BURNOUF. Essai sur le Véda. (Dézobry, in-8°, 1863.)

F. NEVE. Essai sur le mythe des Ribhavas.

Le Bouddhisme, son fondateur et ses écritures.
J. MICHELET. Bible de l'humanité. (1864, Chamerot.)
CH. RENOUVIER. Essais de critique générale.

Quatrième essai. Introduction à la philosophie analytique de l'histoire. (Ladrange, in-8°, 1864.) H. TAINE. Nouveaux Essais de critique et d'histoire. (Hachette, 1865.) C.-C.-J. DE BUNSEN. Dieu dans l'histoire (traduction réduite par Dietz, in-8°, Didier, 1868).

MAX MULLER. A history of ancient sanscrit literature. (London, 1859.)
Essai de Mythologie comparée.

BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE. Le Bouddha et sa religion. (Didier, 1860, 3e édit., revue et corrigée, 1866.)

Articles divers du Journal des Savants.

VASSILIEF. Le Bouddhisme, ses dogmes, son histoire et sa littérature (trad. par La Comme, in-8°, 1863).

PH.-ED. FOUCAUX. Doctrine des bouddhistes sur le Nivarna (1864).
J.-B.-F. OBRY. Du Nirvana bouddhique. (Durand, 1863.)

Les religions aryennes de l'Asie n'ont commencé à être connues que depuis la fin du siècle dernier, c'est-à-dire depuis l'époque où l'étude de la langue sanscrite et des idiomes de l'Inde, soulevant en partie le voile qui nous dérobait ce pays, produisit une sorte de renaissance orientale analogue à la renaissance gréco-latine du xvre siècle. Jusque-là on ne possédait, en Europe, sur les institutions hindoues, et sur cette grande religion qui s'appelle le brahmanisme, que les maigres renseignements fournis par l'antiquité classique, et par les récits plus ou moins confus des voyageurs.

Cinq siècles avant Jésus-Christ, Hérodote parle de certains

II.

ANN PH.

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