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où, dans le deffein de divertir l'affemblée, en égorgeoit des hommes qui fouvent n'avoient pas mérité la mort. Sous le regne d'Antiochus Epiphane, Roi de Syrie, les arts & les fciences qui corrigent la férocité de l'homme & qui même quelquefois amoliffent trop fon courage, fleuriffoient depuis long-tems dans tous les pays habités par les Grecs. Quelques ufages pratiqués autrefois dans les jeux funébres, & qui pouvoient reffembler aux combats des Gladiateurs, y étoient abolis depuis long-tems. Antiochus qui formoit de grands projets, & qui mettoit en ouvre, pour les faire réuffir, le genre de magnificence qui eft propre à concilier aux Souverains la bienveillance des Nations, fit venir de Rome à grands frais des Gladiateurs, pour donner aux Grecs, amoureux de toutes les fêtes, un fpectacle nouveau. Peut-être penfoit-il auffi qu'en affiftant à ces combats, on conçut le mépris de la vie qui avoit rendu le foldat des Légions plus déterminé que celui des Phalanges, dans les guerres, où fon pere Antiochus le grand & Philippe Roi de Macedoine avoient été battus par les Romains. D'abord, dit

Tite-Live, l'aréne ne parut qu'un objet d'horreur. Qu'on s'imagine ce que les Grecs, toujours ingénieux à fe vanter, comme à rabaiffer les Barbares purent dire fur la férocité des autres Nations; Antiochus ne fe rebuta point. Afin d'apprivoifer peu à peu les peuples avec fon nouveau fpectacle,il y fit combattre les Champions feulement jufqu'au premier fang. Nos Philofophes regarderent avec plaifir ces combats mitigés; mais bien-tôt ils ne détournerent plus les yeux des combats à toute outrance, & ils s'accoutumerent à voir tuer des hommes uniquement pour les divertir; il fe forma même des Gladiateurs dans le pays. (a) Gladiatorum munus Romanæ confuetudinis, primò majore cum terrore hominum, infuetorum ad tale Spectaculum, quàm cum voluptate dedit: Deinde fæpiùs dando, & modò vulneribus tenùs, modò fine miffione etiam, & familiare oculis gratumque id fpectaculum fecit, & armorum ftudium plerifque juvenum accendit. Itaque, qui primò ab Roma magnis præmiis paratos Gladiatores arceffere folitus erat, jam fuo, &c.

Nous avons dans notre voifinage un (a) Livius, lib. 41.

peuple tellement avare des fouffrances des hommes, qu'il refpecte encore l'humanité dans les plus grands fcélérats. Il a mieux aimé que les criminels échapaffent fouvent aux châtimens que l'intérêt de la fociété civile demande qu'on leur faffe fubir, que de permettre qu'un innocent pût être jamais expofé à ces tourmens dont les Juges fe fervent dans les autres pays chrétiens pour arracher aux accufés l'aveu de leurs crimes. Tous les fupplices dont il permet l'ufage, font de ceux qui tuent les condamnés fans leur faire fouffrir d'autre peine que la mort. Néanmoins ce peuple, fi refpectueux envers l'humanité, fe plaît infiniment à voir les bêtes s'entre-déchirer. Il a même rendu capables de fe tuer ceux des animaux à qui la nature a voulu refufer des armes qui puffent faire des bleffures mortelles à leurs femblables; il leur fournit avec induftrie des armes artificielles qui blessent facilement à mort. Le peuple dont je parle, regarde encore avec tant de plaifir des hommes, payés pour cela fe battre jufqu'à fe faire des bleffures dangereufes, qu'on peut croire qu'il auroit de véritables Gladiateurs à la

Romaine, fi la Bible défendoit un peu moins pofitivement de verfer le fang des hommes hors les cas d'une abfolue néceffité.

On peut dire la même chofe d'autres Nations très-polies, & qui font profeffion de la religion ennemie de l'effufion du fang humain. Les fêtes les plus cheres à nos ancêtres, les tournois n'étoient-ils pas des fpectacles où la vie des tenans couroit un véritable danger arrivoit quelquefois que la ? Il y

lance à roquet bleffoit à mort auffi-bien que la lance à fer émolu: la France ne l'éprouva que trop, quand le Roi Henri II fut bleffé mortellement dans une de ces fêtes. Mais nous avons dans nos Annales une preuve encore plus forte que celle-là, pour montrer qu'il eft dans les fpectacles les plus cruels une efpece d'attrait capable de les faire aimer des peuples les plus humains. Les combats en champ clos, entre deux ou plufieurs champions, ont été long-tems en ufage parmi nous, & les perfonnes les plus confidérables de la Nation y tiroient l'épée par un motif plus férieux que celui de divertir l'affemblée ; c'étoit pour vuider leurs querelles, c'étoit

pour s'entretuer. On accouroit cependant à ces combats comme à des fêtes; & la Cour de Henri II, fi polie d'ailleurs, affista dans S. Germain au duel de Jarnac & de la Chategneraie.

Les fêtes des taureaux coûtent bien fouvent la vie aux combattans. Un grenadier n'eft pas plus expofé à l'attaque d'un chemin couvert, que le font les champions qui combattent ces animaux furieux. Les Espagnols de toute condition montrent néanmoins pour des fêtes fi dangereufes l'empreffement qu'avoient les Romains pour les fêtes de l'amphithéâtre. Malgré les efforts des Papes pour abolir les combats de tauils fubfiftent encore ; & la nation Espagnole, qui fe pique de paroître du moins leur obéir avec foumiffion, n'a point eu dans ce cas-là de déférence pour leurs remontrances & pour leurs ordres. L'attrait de l'émotion fait oublier les premiers principes de l'humanité aux nations les plus débonnaires, & il cache aux plus chrétiennes les maximes les plus évidentes de leur religion.

reaux,

Beaucoup de perfonnes mettent tous les jours une partie confidérable de leur

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