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CHAPITRE IX.

Conclufion.

APRÉS avoir pofé les vrais principes

'du droit politique, & taché de fonder l'État fur fa base, il resteroit à l'appuyer par fes rélations externes; ce qui comprendroit le droit des gens, le comerce, le droit de la guerre & les conquêtes, le droit public, les ligues, les négociations, les traités, &c. mais tout cela forme un nouvel objet trop vafte pour ma courte vue; j'aurois dû la fi◄ xer toujours plus près de moi.

Fin de la Quatrième & derniere Partie.

LETTR E

DE J. J. ROUSSEAU DE GENEVE;

Qui contient fa rénonciation à la Sociéte civile, & fes derniers adieux aux Hom mes, adreffée au feul Ami qui lui refte dans le monde.

Otre Lettre m'a donné la fatisfaction de

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voir qu'il me reftoit un ami dans le monde, & que la vérité avoit encore un partifan; mais au nom de notre amitié, ne me par-. lez plus de justification; quel parti voudriezvous que prît un homme, qui étant accufé d'un affaffinat, repréfenteroit le préten du mort, fans pouvoir défarmer fes Juges? celui de mourir comme Socrate, & tant d'autres victimes de l'erreur & de la méchanceté. J'avois confacré ma plume à la vérité & à la vertu; j'ai plaidé la caufe & défendu les droits de l'une & de l'autre, à la face du genre humain ; refolution témeraire & dangereuse pour des hommes bas & flatteurs; mais générenfe & louable pour un vrai Philofophe. Je n'ignorois pas, lorf

que je pris la plume pour la premiere fois; combien la route que je me propofois de tenir étoit périlleufe; je connoiffois trop bien le fiécle pour ne pas prévoir un évenement que votre affection pour moi (feul lien par lequel je tiens encore aux hommes) vous fait envisager comme trifte & funefte, mais que je regarde en effet comme glorieux & triomphant. Car ditez-moi, Monfieur, que pouvoient faire les hommes de plus conforme à mon inclination, & de plus propre à me procurer ce doux repos, que je cherche depuis fi long-tems, que de me profcrire de leur fociété? Je ne ferai plus le complice de fes crimes, le fpectateur oifif de fes injuftices, l'esclave de fes caprices, & le témoin de fa mifere; il n'y a plus pour moi d'engagement focial; celui que mes peres [au fens de mes adverfaires auroient pu contracter, vient d'être caffé & anéanti; plus de Patrie, plus de Concitoyen, par conféquent plus de devoirs ni envers l'une ni envers l'autre : j'ai enfin recouvert ce bien fi précieux aux yeux du fage, les immunités de l'état primitif, en un mot, c'eft en ce moment que je peux m'écrier: Jefuis

libre!

Ne penfez pas Mr. qu'il fût de mon honneur, de prévenir le genre humain, ma partie adverfe, par une rénonciation en forme à fa focieté; de folides raisons doivent

vous en convaincre : premierement on n'auroit pas manqué de me denier le droit de faire une pareille renonciation. Vos ancêtres m'auroit-on dit, fe font engagés à vivre eux & leur poftérité dans l'efclavage focial; vous n'êtes par conféquent pas le maître de réfoudre ce contrat à votre volonté: eodem mo do dirimitur contractum quo colligatur : Tant que vous ne produirez pas le confentement de votre partie adverfe, vous porterez des fers. J'aurois en vain reclamé les droits de la nature, de vils efclaves, mes Juges & mes Parties ne les conoiffent point: ils m'auroient injuftement condamné à vivre & mourir au milieu d'eux. Je vous dirai en fecond lieu que je dois avoir prouvé dans l'un de mes écrits, que l'homme eft né com patiffant, & porté par instinct à fecourir Tes femblables au befoin, & quoique la fo ciété détruise cette douce impreffion, que la nature a gravée dans nos cœurs, on ne m'auroit pas accufé avec moins d'empor tement, de vouloir me fouftraire aux devoirs de l'humanité; on auroit fuppofé; dans mon indifference apparente pour les hommes , un fond de haine & d'averfion

que

leur perverfité n'a jamais pu y faire naître. Il étoit donc à propos d'éviter ce foupçon injurieux, pour pouvoir mettre la juftice de mon côté, & le genre humain dans fon tort.

Enfin, mon cher ami, [ permettez-moi

de vous donner ce titre-pour la derniere fois l'amitié qui nous unit depuis longtems, & qui fera le feul objet de mes regrets pendant le divorce que je viens d'obtenir m'a empêché de folliciter plutôt cet heureux Décret de ma liberté originelle. Ne croyez pas que je puiffe jamais perdre le fouvenir de cette généreufe & conftante amitié; en repaffant dans mon efprit les cruautés que j'ai éprouvées dans la fociété des hommes, les bienfaits que j'ai reçu de vous viendront en adoucir le reffentiment; je m'en entretiendrai fouvent, non pas avec des Etres vils, orgueilleux & pervers, mais avec les ours, les tigres & les panthères, dont la douceur & l'innocence n'empoisonneront point mes difcours. Sages ennemis de ce prodige honteux de l'imagination & de l'ambition des hommes, de ces inftrumens odieux de la tyannie & du defpotifme, de ces loix enfin, qui ont enfanté tous les crimes, en étouffant toutes les vertus 2 on peut avec eux, fans crainte d'oppreffion, pratiquer la vertu & dire la vérité; ils ne peuvent méconnoître les droits précieux & inébranlables de l'égalité. Là je n'aurai plus devant les yeux des Miniftres fans foi & dégradés par un vil intérêt, des hommes làches & cruels comblés d'honneur & de gloire, pour avoir égorgé un million

L'arrêt du Parlement.

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