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CHAPITRE VII.

Du Souverain.

ON voit par cette formule que l'acte

d'affociation renferme un engagement ré ciproque du public avec les particuliers, & que chaque individu, contractant, pour ainfi dire, avec lui-même, fe trouve enga gé fous un double rapport; fçavoir, comme membre du Souverain envers les particuliers & comme membre de l'Etat envers le Sou verain. Mais on ne peut appliquer ici la maxime du droit civil, que nul n'eft tenu aux engagemens pris avec lui-même; car il y a bien de la différence entre s'obliger en vers foi, ou envers un tout dont on fait partie.

Il faut remarquer encore que la délibéra◄ tion publique, qui peut obliger tous les fu→ jets envers le Souverain, à caufe des diffé rens rapports fous lequel chacun d'eux eft envifagé, ne peut, pour la raifon contraire, obliger le Souverain envers lui-même, &

C

que, par confequent, il eft contre la na ture du corps politique que le Souverain s'impofe une loi qu'il ne puiffe enfreindre. Ne pouvant fe confiderer que fous un feul & même rapport, il eft alors dans le cas d'un particulier contratant avec foi-même; par où l'on voit qu'il n'y a, ni ne peut y avoir nulle efpece de Loi fonda-mentale obligatoire pour le corps du peuple, pas même le contrat focial. Ce qui ne fignifie pas que ce corps ne puiffe fort bien s'engager envers autrui en ce qui ne déroge point à ce contrat; car à l'égard de l'étranger, il dévient un être fimple, un individu.

Mais le corps politique où le Souverain ne tirant fon être que de la fainteté du contrat, ne peut jamais s'obliger, à rien qui déroge à cet acte primitif, comme d'aliéner quelque portion de lui-même ou de fe foumettre à un autre fouverain. Violer l'acte par lequel il exifte, feroit s'anéantir; & ce qui n'eft rien ne produit rien.

Si-tôt que cette multitude eft ainfi réunie en un corps, on ne peut offenfer un des

membres fans attaquer le corps; encore moins offenfer le corps fans que les mem bres s'en reffentent. Ainfi le devoir & l'inté rêt obligent également les deux parties contractantes à s'entre-aider mutuellement, & les mêmes hommes doivent chercher à réunir fous ce double rapport tous les avantages qui en dépendent.

Or le Souverain n'étant formé que des particuliers qui le compofent, n'a ni ne peut avoir d'intérêt contraire au leur; par conféquent la puiffance fouveraine n'a nul befoin de garant envers les fujets, parcequ'il eft impoffible que le corps veuille nuire à tous fes membres; & nous verrons ci-après qu'il ne peut nuire à aucun en particulier. Le Souverain, par cela feul qu'il eft, cft tou jours ce qu'il doit être.

Mais il n'en eft pas ainfi des fujets envers le Souverain, auquel malgré l'intérêt commun, rien ne répondroit de leurs engagemens s'il ne trouvoit des moyens de s'affu rer de leur fidélité.

En effet chaque individu peut comme homme av une volonté particuliere, con

traire ou diffemblable à la volonté générale qu'il a comme Cytoyen. Son intérêt particulier peut lui parler tout autrement que l'intérêt commun, fon existence abfolue & naturellement indépendante peut lui faire envifager ce qu'il doit à la caufe commune comme une contribution gratuite, dont la perte fera moins nuifible aux autres que le payement n'en eft onéreux pour lui; & regardant la perfonne morale qui conftitue l'Etat, comme un être de raifon, parce que ce n'eft pas un homme, il jouiroit des droits du cytoyen fans vouloir remplir les devoirs du füjet; injustice dont le progrès cauferoit la ruine du corps politique.

Afin donc que le pacte focial ne foit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet engagement qui feul peut donner de la force aux autres, que quiconque refufera d'obéir à la volonté générale, y fera contraint par tout le corps; ce qui ne fig nifie autre chose finon qu'on le forcera d'être libre: car telle eft la condition qui donnant chaque Cytoyen à la Patrie le garantit de toute dépendance perfonnelle; condition

qui fait l'artifice & le jeu de la machine po litique, & qui feule rend légitimes les engagemens civils, lefquels fans cela feroient abfurdes, tyranniques, & fujets aux plus énormes abus.

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