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doit toujours le faire par deux propofitions qu'on ne puiffe jamais fupprimer, & qui paffent féparément par les fuffrages.

La premiere; S'il plait au Souverain de conferver la prefente forme du Gouvernement. La feconde; S'il plait au peuple d'en laif fer l'adminiftration à ceux qui en font actuellement chargés.

Je fuppofe ici ce que je crois avoir démontré, fçavoir qu'il n'y a dans l'État aucune loi fondamentale qui ne fe puisse révoquer, non pas même le pacte focial; car fi tous les citoyens s'affembloient pour rompre ce pacte d'un commun accord, on ne peut douter qu'il ne fut très légitimement rompu. Grotius penfe même que chacun peut renoncer à l'État dont il eft membre, & reprendre fa liberté naturelle & les biens en fortant du pays. Or il feroit abfurde que tous les Citoyens réunis ne puffent pas ce que peut féparement chacun d'eux.

*Bien entendre qu'on ne quitte pas pour éluder fon devoir & fe difpenfer de fervir la patrie au moment qu'elle a besoin de nous. La fuite alors feroit criminelle & puniffable? ce ne feroit plus retraite, mais defertion.

PRINCIPES

DU DROIT

POLITIQUE.

LIVRE QUATRIEME.

CHAPITRE I.

Que la volonté générale eft indestructible. TANT que plufieurs hommes réunis fe

confidérent comme un feul corps, ils n'ont qu'une feule volonté, qui fe rapporte à la commune confervation, & au bien être général. Alors tous les refforts de l'Etat

font vigoureux & fimples, fes maximes font claires & lumineules, il n'a point d'intérêts embrouillés, contradictoires, le bien commun se montre par-tout avec évidence, & ne demande que du bon fens pour être ap perçu. La paix, l'union, l'égalité font ennemies des fubtilités politiques. Les hommes droits & fimples font difficiles à tromper à cause de leur fimplicité, les leurres, les prétextes rafinés ne leur en impofent point; ils ne font pas même affez fins pour être dupes Quand on voit chez le plus heureux peuple du monde des troupes de payfans régler les affaires de l'État fous un chêne, & fe conduire toujours fagement, peut-on s'empêcher de méprifer les rafinemens des autres nations, qui fe rendent illuftres & miféra bles avec tant d'art & de mystéres ?

Un État ainfi gouverné a besoin de trèspeu de Loix, & à mesure qu'il devient néceffaire d'en promulger de nouvelles, cette néceffité fe voit univerfellement. Le premier qui les propofe ne fait que dire ce que tous ont déjà fenti, & il n'est question ni de brigues ni d'éloquence pour faire passer

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en loi ce que chacun a déjà réfolu de faire;

fi-tôt qu'il fera fûr que les autres le feront comme lui.

Ce qui trompe les raifonneurs, c'est que ne voyant que des États mal conftitués dès leur origine, ils font frappés de l'impoffibilité d'y maintenir une femblable police. Ils rient d'imaginer toutes les fottifes qu'un fourbe adroit, un parleur infinuant pourroit perfuader au peuple de Paris ou de Londres. Ils ne fçavent pas que Cromvel eut été mis aux fonnettes par le peuple de Berne, & le Duc de Beaufort à la difcipline par les Génévois.

Mais, quand le noeud focial commence à fe relâcher & l'État à s'affoiblir; quand les intérêts particuliers commencent à se faire fentir, & les petites fociétés à influer fur la grande, l'intérêt commun s'altere & trouve des oppofans; l'unanimité ne regne plus 'dans les voix, la volonté générale n'eft plus la volonté de tous, il s'éleve des contradictions, des débats, & le meilleur avis ne pafle point fans difputes,

Enfin quand l-État près de fa ruine ne fubfifte plus que par une forme illufoire & vaine, que le lien focial est rompu dans tous les cœurs, que le plus vil intérêt fe pare effrontément du nom facré du bien public; alors la volonté générale devient muette, tous guidés par des motifs fecrets n'opinent pas plus comme Citoyens que fi l'État n'eût jamais exifté, & l'on fait passer fauffement fous le nom de Loix, des décrets iniques qui n'ont pour but que l'intérêt parti culier.

S'enfuit-il de-là que la volonté générale foit anéantie ou corrompue? Non, elle eft toujours conftante, inaltérable & pure; mais elle eft fubordonnée à d'autres qui l'em portent fur elle. Chacun, détachant fon intérêt de l'intérêt commun, voit bien qu'il ne peut l'en séparer tout-à-fait, mais fa part du mal public ne lui paroît rien, auprès du bien exclufif qu'il prétend s'approprier. Ce bien particulier excepté, il veut le bien général pour fon propre intérêt tout auffi fortement qu'aucun autre. Même en vendant son suf

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