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Ce principe eft même conforme aux mas ximes établies de tous les temps, & à la pratique conftante de tous les peuples policés. Les déclarations de guerre font moins des avertiffemens aux puitfances qu'à leurs fujets. L'étranger, foit Roi, foit particulier, foir peuple, qui vole, tue, ou détient les fujets fans déclarer la guerre au Prince, n'est pas un ennemi, c'eft un brigand. Même en pleine guerre un Prince jufte s'empare bien en pays ennemi de tout ce qui appartient au public, mais il refpecte la perfonne & les biens des particuliers; il refpecte des droits fur lefquels font fondés les fiens. La fin de la guerre étant la deftruction de l'État ennemi, on a droit d'en tuer les defenfeurs tant qu'ils ont les armes à la main; mais fi-tôt qu'ils les pofent & fe rendent, ceffant d'être ennemis ou inftrumens de l'ennemi, ils redeviennent fimplement hommes, & l'on n'a plus de droit fur leur vie. Quelquefois on peut tuer l'état fans tuer un feul de fes membres: Or la guerre ne donne aucun droit qui ne foit néceffaire à sa fin. Ces principes ne font pas ceux de Grotius, ils ne

font pas fondés fur des autorités de Poëtes; mais ils dérivent de la nature des chofes, & font fondés fur la raison.

A l'égard du droit de conquête, il n'a d'autre fondement que la loi du plus fort. Si la guerre ne donne point au vainqueur le droit de maffacrer les peuples vaincus, ce droit qu'il n'a pas, ne peut fonder celui de les affervir. On n'a le droit de tuer l'ennemi, que quand on ne peut le faire efclave; le droit de le faire efclave ne vient donc pás du droit de le tuer? C'est donc un échange inique de lui faire achêter au prix de fa liz berté sa vie fur laquelle on n'a aucun droit, en établiffant le droit de vie & de mort fur laquelle on n'a aucun droit. En établissant le droit de vie & de mort fur le droit d'ef clavage, & le droit d'esclavage fur le droit de vie & de mort, n'eft-il pas clair qu'on tombe dans le cercle vicieux?

En fuppofant même ce terrible droit de tout tuer, je dis qu'un efclave fait la guer re, ou un peuple conquis n'eft tenu à rien du tout envers fon maître, qu'à lui obéir aucant qu'il y eft forcé. En prenant un équi

valent à fa vie, le vainqueur ne lui a point fait grace: au lieu de le tuer fans fruit, it l'a tué inutilement. Loin donc qu'il ait acquis fur lui nulle autorité jointe à la forcce, l'etat de guerre fubfifte entr'eux comme auparavant, leur rélation même en eft l'effet, & l'ufage du doit de la guerre ne fuppofe aucum traité de paix. Ils ont fait une convention, foit: mais cette convention, loin de détruire l'état de guerre, en fuppofe la continuité.

a! Ainfi, de quelque fens qu'on envisage les chofes, le droit d'esclavage eft nul, nonfeulement parce qu'il eft illégitime, mais parce qu'il eft abfurde & ne fignifie rien. Ces mots Efclavage & droit, font contradictoires, ils s'excluent mutuellement. Soit d'un homme à un homme, foit d'un homme à un peuple, ce difcours fera toujours également infenfé. Je fais avec toi une convention toute à ta charge & toute à mon pro fit, que j'obferverai tant qu'il me plaira,

que tu obferveras tant qu'il me plaira.

CHAPITRE V. .

Qu'il faut toujours remonter à une pre

miere convention.

UAND j'accorderois tout ce que j'ai réfuté jufqu'ici les fauteurs du defpotisme n'en feroient pas plus avancés. Il y aura toujours une grande diférence entre foumettre une multitude, & régir une focieté. Que des hommes épars foient fucceffivement af fervis à un feul, en quelque nombre qu'ils puiffent être, je ne vois là qu'un maître & des efclaves, je n'y vois point un peuple & fon chef; c'eft fi l'on veut, une aggrégation, mais non pas une affociation; il n'y a là ni bien public ni corps politique. Cet homme, eût-il aflervi la moitié du monde, 'n'est toujours qu'un particulier; fon intérêt feparé de celui des autres, n'est toujours qu'un intérêt privé. Si ce même hommie vient à perir, fon Empire après lui refte épars & fans liaison, comme un chêne fe diffout & tombe en un tas de cendres, après que le feu la confumé.

Un peuple, dit Grotius, peut fe donner a un Roi. Selon Grotius un peuple eft donc un peuple avant de fe donner à un Roi. Ce don même est un acte civil, il fuppofe une délibération publique. Avant donc que d'examiner l'acte par lequel un peuple élit un Roi, il feroit bon d'examiner l'acte par lequel un peuple est un peuple. Car cet acte étant nécessairement antérieur à l'autre, eft le vrai fondement de la focieté.

En effet, s'il n'y avoit point de conven tion antérieure, où feroit, à moins que l'élection ne fût unanime, l'obligation pour le petit nombre de fe foumettre au choix du grand? & d'où cent qui veulent un maître, ont-ils le droit de voter pour dix qui n'en veulent point? La loi de la pluralité de fuffrages eft-elle même un établissement de convention, & fuppole au moins une fois l'unanimité.

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