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où se révèle une sûre intuition de l'âme féminine, de ses défauts et de ses qualités, et des moyens de la prendre. Les idées abondent dans ce petit ouvrage, souvent justes, parfois chimériques, toujours intéressantes: éducation agréable, leçons de choses, emploi de l'art et du sens esthétique, exclusion de la musique, agent d'exaltation nerveuse, au profit du dessin, subordination du savoir au jugement et à l'utilité pratique, etc. Fénelon fait tout découler d'un principe: la considération du rôle de la femme dans la famille et dans le monde ; dès qu'on s'inquiète de former la femme pour son emploi futur, on a un criterium infaillible pour dresser le programme de son éducation. A ce principe s'en joint un autre, qui inspire toute la méthode : il faut suivre la nature, l'aider, la redresser au besoin, surtout la développer. Ce prêtre croit à la bonté de la nature.

Les trois Dialogues platoniciens sur l'éloquence sont pleins d'aisance, de grâce, d'esprit. Fénelon y définit son idéal, qui est l'idéal de son tempérament : une éloquence naturelle, familière, insinuante, qui persuade par sentiment plus que par logique, qui aille du cœur au cœur, et soit faite surtout de ferveur et de tendresse. Les tours et les détours de l'interrogation socratique font passer devant nos yeux une foule d'idées, que Fénelon tantôt effleure et tantôt développe sur les poètes et les orateurs anciens, sur les Pères de l'Église, sur la poésie biblique qu'il a profondément sentie, sur l'architecture gothique dont il parle comme tout son temps avec ignorance et dégoût, etc. Remontant, comme fait Platon, aux principes premiers et évidents, il ramène l'éloquence de la chaire à l'éloquence en général, et de là il passe aux beaux-arts, pour chercher son principe dans une théorie contestable et dangereuse : il pense que l'œuvre d'art doit avoir un but moral. Heureusement il ne sentira nulle part de beauté qu'il ne sache y trouver assez d'intention morale pour satisfaire au principe.

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PORTRAIT DE FÉNELON. Gravure de Drevet d'après Vivien. Au bas du portrait les armoiries des Salignac d'or à trois bandes de gueules (Bibl. Nat., Est.). CL. HACHETTE.

pauvreté de la langue, il regrette l'épuration à laquelle Malherbe, Vaugelas et leurs contemporains ont procédé ; il regrette le court, nerveux et pittoresque langage du XVIe siècle. Est-ce un précurseur du romantisme qu'on entend? Non : Fénelon nous ramène à Ronsard, ou plutôt à du Bartas, presque à l'écolier limousin : il rêve d'inutiles synonymes, des composés de forme grecque ou latine, toute une fabrication artificielle de mots littéraires. Cela nous arrive souvent avec Fénelon : il a l'air d'un révolutionnaire, et il est effrénément réactionnaire. Mais il est le premier à voir l'impossibilité de ses rêves ; cela ne l'embarrasse pas; il passe légèrement sans rien retirer. C'est un causeur : il use du privilège d'incohérence et de contradiction qu'on a toujours laissé à la conversation.

Un bon nombre des idées des Dialogues se retrouvent dans la Lettre à l'Académie, qui fut composée près de trente ans plus tard. L'Académie, sur le point d'achever la revision de son dictionnaire, se demanda, et demanda, à chacun de ses membres, ce qu'elle pourrait bien faire ensuite. Fénelon envoya sa consultation dans un court mémoire, qui fit tant de plaisir, qu'on lui demanda de le publier. Il le reprit, et l'étendit pour le rendre plus digne de l'Académie. Il propose à l'Académie de faire une grammaire, une rhétorique, une poétique, des traités sur la tragédie, la comédie, l'histoire ; et à ce propos il dit ses idées, ses impressions, son goût sur les genres et sur les

œuvres.

Il écrit au moment où l'esprit français vient d'acquérir la domination sur le monde civilisé, où la langue française devient universelle : on le sent, à la préoccupation qu'il a de rendre notre langue plus accessible aux étrangers par la simplification de la grammaire. Mais, dans les pages qui suivent, le voilà qui veut tout brouiller : il se plaint de la

Il n'y a qu'à louer son chapitre de la rhétorique : il s'attache à expliquer l'infériorité de notre éloquence politique et judiciaire à l'égard de celle des anciens. Il reprend à Fontenelle sa théorie des climats. Il indique une voie nouvelle et féconde en découvertes, lorsqu'il établit le rapport des institutions et de la littérature, et qu'il rend compte par la monarchie absolue de l'absence d'éloquence politique en France. Sur l'éloquence en général, il complète, dégage, éclaircit en perfection la théorie des Dialogues: il ramène l'éloquence au raisonnement; mais il distingue le véritable ordre, naturel et efficace, des divisions scolastiques et sèches ; il enveloppe le raisonne

ment de passion : il montre la puissance de la sincérité et de la simplicité.

Ce sont ces qualités-là qu'il aime aussi dans la poésie. Après une étrange et bien fausse critique de notre système de versification, où apparaissent les limites de son sens artistique, Fénelon signale le défaut général de la poésie moderne le trop d'esprit. Son idéal, c'est un beau si naturel, si familier, si simple, que jamais il n'étonne en séduisant toujours : il est ravi du pittoresque et du pathétique de la poésie antique. Il nous découvre une délicatesse de goût sensible surtout à la couleur pittoresque et à la grâce élégiaque. Les hautes parties du lyrique et de l'épique le touchent moins. Il semble qu'André Chénier soit venu réaliser son idéal. Mais n'était-il pas réalisé déjà? et ne devrait-on pas lui reprocher plus qu'à Boileau de ne pas nommer La Fontaine, si simplement pittoresque et pathétique?

Dans les chapitres de la tragédie et de la comédie, il parle du théâtre très librement, avec une réelle largeur d'esprit pour un archevêque : je le juge un peu sévère dans

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sa critique de nos tragédies où il trouve trop de pompe, des sentiments faux, de la fade galanterie, et un abus monotone des peintures de l'amour; mais il est à noter qu'il admet Phèdre, et ne blâme qu'Aricie et Hippolyte ; au fond, il a raison dans son goût pour la vérité humaine et la pure passion des tragédies antiques. Il est un peu maigre sur la comédie, un peu dur pour Molière : un peu trop académique de goût, et un peu trop homme de salon, dans sa critique du style de Molière et dans son dégoût du bas comique, un peu trop prêtre dans sa condamnation de la morale de Molière. Néanmoins le mot essentiel est dit: ce prélat « admire » Molière et le trouve « grand ". Du chapitre sur la comédie ressort une préférence de Fénelon pour la comédie sentimentale: son admiration. pour Térence oriente la comédie vers le genre larmoyant. Tout est excellent, tout est neuf dans le chapitre de l'Histoire il veut qu'une histoire soit philosophique par l'explication des causes, par l'étude des institutions et de leurs transformations, dramatique par la peinture des mœurs, des caractères, par la vraie et vive couleur du récit. Ce sera une œuvre d'art par la composition, les proportions, l'unité. Ressusciter le passé, montrer la vie des peuples et le progrès de la civilisation, voilà l'idée que Fénelon se fait de la tâche de l'historien : idée singulièrement originale en un temps où l'on n'avait que Mézeray et le P. Daniel, si originale qu'il faudra attendre Augustin Thierry et Michelet pour l'exécuter.

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Au moment où Fénelon dut écrire la lettre à l'Académie, la querelle des anciens et des modernes s'était réveillée : les deux partis en appelaient à lui; il lui fallut bien en parler. Désireux de plaire à tout le monde, il proposa une dizaine de raisons pour et contre l'une et l'autre opinion, encouragea les modernes en approuvant les anciens, et finit par s'échapper sans conclure. Toute sa lettre concluait pour lui: partout il y citait les anciens pour les louer, les modernes pour les critiquer ; d'un bout à l'autre, elle exprimait l'impression de la supériorité des anciens.

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Cette Lettre à l'Académie est, après l'Art poétique, le plus important ouvrage que la critique nous présente ; avec elle, nous sommes à la fois tout près et très loin de Boileau les résultats sont identiques, mais la méthode et l'esprit diffèrent. Fénelon admire les anciens : mais il ne fonde pas son admiration sur des règles absolues et évidentes ; il nous donne des impressions plutôt qu'il ne formule des règles; c'est son sens individuel qui admire les anciens. Avec la Lettre à l'Académie, la relativité du goût devient secrètement le principe de la critique. Mais la Lettre à l'Académie resta à peu près sans influence.

Il faut lire le Télémaque à temps, dans l'innocence de la première jeunesse, dans l'étourdissement des premières connaissances, pour sentir le charme de l'ouvrage. Il faut le lire dans la maturité, lorsque l'on connaît bien l'histoire de la société française, pour en comprendre l'importance historique. C'est un roman pédagogique que Fénelon a composé pour donner au duc de Bourgogne un enseigne

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ment moral approprié à ses besoins, tout en lui faisant repasser la mythologie et l'histoire poétique de l'antiquité grecque. Il y a dans ce livre un merveilleux assez froid et un mélange incohérent de fictions païennes et d'esprit chrétien. Les continuelles allusions au temps présent diminuent la chaleur et la vraisemblance du récit : il arrive trop d'aventures à point nommé, pour instruire Télémaque, et par ricochet le duc de Bourgogne. La langue enguirlandée d'épithètes douceâtres ou pompeuses est un pastiche d'Homère, où l'on sent trop d'élégance aristocratique et d'intelligence spirituelle. Avec tout cela, ce style n'est point factice: il sort naturellement d'une imagination toute pénétrée de la poésie homérique, et échauffée d'une sincère admiration. Le Télémaque est le point de départ de la réaction contre le gouvernement de Louis XIV. Fénelon eut beau se défendre de toute intention satirique : spontanément, en suivant sa nature, il avait appris à son élève à haïr la politique de son aïeul; et les principes

1. Les deux dialogues sur les Peintres n'ont été imprimés qu'en 1730, par l'abbé de Monville, avec sa vie de Mignard. Sur la critique d'art au XVIIe siècle, cf. Brunetière, Revue des Deux Mondes, 1er juillet 1883.

de gouvernement dont il l'avait imbu étaient justement le contraire de l'esprit qui animait Louis XIV. Aussi, tout naturellement, les princes que Fénelon voulut rendre odieux au duc de Bourgogne pour le détourner de les imiter, eurent-ils tous quelques traits du grand roi : les ennemis intérieurs et extérieurs de Louis XIV eurent raison d'en être frappés.

Un semblable esprit anime les Dialogues des morts: ces dialogues sont encore instructifs et moraux. Il est intéressant d'y voir Fénelon, comme dans les Dialogues sur l'éloquence et dans la Lettre à l'Académie, jeter un regard vers les beaux-arts, essayer d'intéresser son élève à la peinture, juger Raphaël, ou Titien, ou Poussin. Fénelon se trouve ainsi être presque le premier de nos écrivains qui ait mis en communication la littérature et les arts. Mais les Dialogues des morts ont surtout un intérêt historique et politique Fénelon juge les rois de France, et parfois rudement. Il marque les bornes de la puissance absolue ; il enseigne à aimer la paix, la justice, la patrie, l'humanité.

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L'idée générale du livre est de soumettre la politique à la morale: il n'y avait pas d'autre façon de montrer les choses à un enfant destiné à régner; l'essentiel était qu'il tirât de ses études une bonne règle de conduite.

Dans le Traité de l'existence de Dieu 1, dont la première partie est bien antérieure à la seconde, nous retrouvons cette fécondité de vues qui est un des caractères de Fénelon, et cette souplesse d'intelligence qui s'assimile toutes les connaissances. On remarquera surtout la démonstration de l'existence de Dieu par les merveilles de la nature. L'argument est d'une valeur philosophique assez faible: mais sa puissance littéraire est grande. C'est une source de poésie pittoresque et lyrique. L'idée de Dieu sert à faire rentrer, dans une littérature trop exclusivement humaine et intellectuelle, la nature et ses beautés sensibles. Cette partie de l'œuvre de Fénelon est identique, en son fond, au Génie du Christianisme : mais Fénelon n'a pas la langue pittoresque, les impressions particulières qui ont fait la puissance de Chateaubriand 2.

REFLEXIONS

SUR

LA GRAMMAIRE,

LA RHETORIQUE,

LA POETIQUE ET L'HISTOIRE,

OU

MEMOIRE SUR LES TRAVAUX de l'Académie Françoife à M. DACIER, Secretaire perpetuel de l'Académie, & Garde des Livres du Cabinet du Roy. Parfen M. DE FENELON, Archerefque Duc de Cambray, l'un des Quarante de l'Académie.

A PARIS,

Chez JEAN BAPTISTE COIGNARD, Imprimeur ordinaire du Roy, & de l'Académie Françoife, rue S. Jacques, à la Bible d'or.

MDCCXV I.

AVEC PRIVILEGE DE SA MAJESTÉ,

RÉFLEXIONS SUR LA GRAMMAIRE, ouvrage de Fénelon plus connu sous le nom de Lettre à l'Académie. Edition originale. On remarquera l'inscription de la vignette Al'Immortalité (Bibl. Nat., Imp.) CL. HACHETTE.

Il se pourrait que le chef-d'œuvre de Fénelon, ce fût sa vaste correspondance. Toutes les variétés de sentiments, toutes les sortes d'esprit y sont : et quelle connaissance de l'homme et du monde, des ressorts par lesquels se manient les cœurs ! quel exquis ménagement des intérêts légitimes, et quelle délicieuse souplesse pour se couler dans une âme, pour s'établir dans son centre et en régler tous les mouvements! Quelle irrésistible séduction, qui fait l'idéal chrétien aimable, et ne l'abaisse pas ! Ces lettres sont l'œuvre où il faut chercher Fénelon tout entier, comme on cherche Voltaire dans les siennes.

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les ouvrages que j'ai nommés, dans tous ceux que j'ai laissés, ce qu'il y a de plus intéressant, c'est cette originale, complexe et captivante personne, si enveloppée et si équivoque avec tant de spontanéité, si peu semblable enfin à la candide et innocente figure de la légende.

Saint-Simon, qui l'a connu, a démêlé admirablement le trait essentiel du personnage : de sa gravité d'évêque, de sa politesse noble de grand seigneur, émane une puissance de séduction, dont personne, et pas même ce petit duc pénétrant et jaloux, ne peut se défendre. Fénelon est charmant et coquet comme une femme : toute sa force est dans ce don et ce désir de plaire.

Si l'on descend au fond de son âme, la raison de ce besoin de plaire est un amour infini de soi-même. « Je ne puis expliquer mon fond, écrivait-il un jour. Il m'échappe, il me paraît changer à toute heure. Je ne saurais guère rien dire qui ne me paraisse faux un moment après. Le défaut subsistant et facile à dire, c'est que je tiens à moi, et que l'amour-propre me décide souvent. » Oui, il tenait à soi, à ne s'en pouvoir déprendre jamais. Il était attaché obstinément à sa pensée, à son goût, une fois exprimés, et engageant son amour-propre : il était incapable de dire simplement, sans arrière-pensée : je me suis trompé, j'ai eu tort.

Ce caractère se découvre dans l'affaire du quiétisme, qui fut l'écueil de sa fortune et de son ambition. Il se perdit faute de se résoudre à confesser simplement, devant trois amis, une erreur. Il signa les articles d'Issy; tout en disputant pied à pied le terrain, il était souple, humble "comme un petit enfant ", devant Bossuet, qui avait protégé ses débuts, qui avait une entière confiance en lui, avec une grande admiration de son esprit. Il se donnait pour un écolier, qui n'aurait d'autre doctrine que celle de son maître. Nommé archevêque de Cambrai grâce au silence des commissaires d'Issy sur ses doctrines, qu'il paraissait avoir rétractées, sacré par Bossuet, le souple abbé, devenu prélat et prince de l'empire, se redresse ; il travaille à regagner le terrain perdu, à rattraper ses adés veux dans ses lettres, il incrimine Bossuet, il se montre

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1. Ne pas oublier que ces Dialogues sont postérieurs à ceux de Fontenelle (1683), qui pourtant ont un air plus moderne.

2. A noter dans la seconde partie un chapitre sur le spinosisme : Spinosa a scandalisé mais épouvanté aussi tous les penseurs de son temps.

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DEVOIR DU DUC DE BOURGOGNE, L'ÉLÈVE DE FÉNELON. On remarquera cette description d'Apollon servi par les Néréides qui pourrait évoquer ies statues du parc de
Versailles (Bibl. Nat., Mss.). CL. HACHETTE.

persécuté, offensé par lui; et, le gagnant de vitesse, il
fait paraître son Explication des Maximes des Saints avant
les États d'Oraison. Son livre fait scandale : le voilà au plus
bas.

Tout le monde l'a abandonné, hors le petit troupeau de
ses amis. Le roi lui interdit d'aller à Rome se défendre,
l'exile dans son diocèse, chasse ses amis de la cour. C'est
ici le triomphe de l'art de Fénelon : il plie; tout en lui est
modeste, résigné; son attitude, ses lettres font voir au
public la plus douce des victimes; on commence à le
plaindre, sans le justifier. Pendant le procès en cour de
Rome, il envoie là-bas le naïf abbé de Chanterac, agent
confiant et docile qu'il fait mouvoir de Cambrai, et par qui
il lutte contre les intrigues et les emportements de l'abbé
Bossuet ; il expédie à Rome mémoire sur mémoire, dépla-
çant la question, éludant les objections, embrouillant tout à
force d'expliquer tout, et, sous prétexte d'expliquer,
escamotant les doctrines insoutenables pour en substituer
d'autres qu'il dérobera bientôt avec une égale aisance;
c'est un polémiste incomparable, perfide, insaisissable. Ce
jeu irrite Bossuet, le logicien ferme et droit, qui fait de son
mieux pour fixer les points du débat, pour débrouiller les
équivoques : il frappe de plus en plus fort sur cet adversaire
qui ne s'avouera jamais touché, tant qu'il ne sera pas
assommé. Mais Bossuet, naïvement, publie tous ses écrits
en France Fénelon, plus malin, fait parvenir sans bruit

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ses défenses à Rome. Il les supprime en France, si bien que Bossuet a l'air de s'acharner sur un adversaire désarmé. Cette apparence, exploitée par les voix de quelques fidèles, retourne l'opinion publique. Le légende de la cruauté brutale de Bossuet, de la douce résignation de Fénelon s'établit; et quand enfin la cour de Rome ne peut se dispenser de condamner les Maximes des Saints, Fénelon triomphe et à Rome et en France. Il se soumet tout juste au point de vue des théologiens; mais il se soumet de façon à saisir le public, avec une humilité glorieuse et irrésistible. Au fond, il se croit victime et martyr pour la vérité : il a confessé qu'on avait pu se tromper sur sa pensée ; il n'a pas reconnu que sa pensée se fût trompée; ses lettres postérieures, son testament affirment que sa doctrine était vraie, et que ses ennemis avaient opprimé en lui l'innocence, la justice et la raison.

Jamais son amour-propre ne se consola de cette défaite : il couvrit mal son aigreur contre Bossuet, qui mourut trop tôt pour en sentir les effets. Mais le cardinal de Noailles survivait; Fénelon le guetta d'une haine paisible, souriante, dissimulée; il dénonça sous main les doctrines du prélat, excita le P. Tellier contre lui, poussant à le faire condamner publiquement pour jansénisme. C'eût été la revanche des Maximes.

Il avait d'autant plus sur le cœur son humiliation, que sa fortune avait sombré dans cette affaire de quiétisme.

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