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Leur dit: "Lisez mon nom, vous le pouvez, messieurs;
Mon cordonnier l'a mis autour de ma semelle."

Le renard s'excusa sur son peu de savoir.

"Mes parents, reprit-il, ne m'ont point fait instruire;

Ils sont pauvres, et n'ont qu'un trou pour tout avoir;
Ceux du loup, gros messieurs, l'ont fait apprendre à lire."
Le loup, par ce discours flatté,
S'approcha. Mais sa vanité

Lui coûta quatre dents : le cheval lui desserre
Un coup; et haut le pied. Voilà mon loup par terre,
Mal en point, sanglant et gâté.

"Frère, dit le renard, ceci nous justifie

Ce que m'ont dit des gens d'esprit :
Cet animal vous a sur la mâchoire écrit
Que de tout inconnu le sage se méfie."

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95. La Tortue et les deux Canards

Une tortue était, à la tête légère,

Qui, lasse de son trou, voulut voir le pays.
Volontiers on fait cas d'une terre étrangère ;
Volontiers gens boiteux haïssent le logis.

Deux canards, à qui la commère
Communiqua ce beau dessein,

Lui dirent qu'ils avaient de quoi la satisfaire :
"Voyez-vous ce large chemin?

Nous vous voiturerons, par l'air, en Amérique.

Vous verrez mainte république,

Maint royaume, maint peuple; et vous profiterez
Des différentes mœurs que vous remarquerez.

Ulysse en fit autant." On ne s'attendait guère
De voir Ulysse en cette affaire.

La tortue écouta la proposition.

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Marché fait, les oiseaux forgent une machine

Pour transporter la pèlerine.

Dans la gueule, en travers, on lui passe un bâton.
"Serrez bien, dirent-ils, gardez de lâcher prise."
Puis chaque canard prend ce bâton par un bout.
La tortue enlevée, on s'étonne partout

De voir aller en cette guise

L'animal lent et sa maison,

Justement au milieu de l'un et l'autre oison.
"Miracle! criait-on: venez voir dans les nues
Passer la reine des tortues.

La reine vraiment oui je la suis en effet ;

Ne vous en moquez point." Elle eût beaucoup mieux fait

De passer son chemin sans dire aucune chose;

Car, lâchant le bâton en desserrant les dents,
Elle tombe, elle crève aux pieds des regardants.
Son indiscrétion de sa perte fut cause.

Imprudence, babil, et sotte vanité,

Et vaine curiosité,

Ont ensemble étroit parentage ;
Ce sont enfants tous d'un lignage.

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96. Le Rieur et les Poissons

On cherche les rieurs, et moi je les évite :
Cet art veut, sur tout autre, un suprême mérite;
Dieu ne créa que pour les sots

Les méchants diseurs de bons mots.
J'en vais peut-être en une fable
Introduire un; peut-être aussi

Que quelqu'un trouvera que j'aurai réussi.

Un rieur était à la table

D'un financier, et n'avait en son coin

Que de petits poissons; tous les gros étaient loin.
Il prend donc les menus, puis leur parle à l'oreille,
Et puis il feint, à la pareille,

D'écouter leur réponse. On demeura surpris ;
Cela suspendit les esprits.

Le rieur alors, d'un ton sage,

Dit qu'il craignait qu'un sien ami,
Pour les grandes Indes parti,

N'eût depuis un an fait naufrage;

Il s'en informait donc à ce menu fretin;

Mais tous lui répondaient qu'ils n'étaient pas d'un âge
A savoir au vrai son destin;

Les gros en sauraient davantage.

"N'en puis-je donc, messieurs, un gros interroger?" De dire si la compagnie

Prit goût à sa plaisanterie,

J'en doute; mais enfin il les sut engager

A lui servir d'un monstre assez vieux pour lui dire
Tous les noms des chercheurs de mondes inconnus
Qui n'en étaient pas revenus,

Et que, depuis cent ans, sous l'abîme avaient vus
Les anciens du vaste empire.

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97. Le Chat et un vieux Rat

J'ai lu, chez un conteur de fables,

Qu'un second Rodilard, l'Alexandre des chats,
L'Attila, le fléau des rats,

Rendait ces derniers misérables.

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J'ai lu, dis-je, en certain auteur,

Que ce chat exterminateur,

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Vrai Cerbère, était craint une lieue à la ronde:
Il voulait de souris dépeupler tout le monde.
Les planches qu'on suspend sur un léger appui,
La mort-aux-rats, les souricières,

N'étaient que jeux au prix de lui.

Comme il voit que dans leurs tanières

Les souris étaient prisonnières,

Qu'elles n'osaient sortir, qu'il avait beau chercher,
Le galant fait le mort, et du haut d'un plancher
Se pend la tête en bas; la bête scélérate
A de certains cordons se tenait par la patte.
Le peuple des souris croit que c'est châtiment,
Qu'il a fait un larcin de rôt ou de fromage,
Égratigné quelqu'un, causé quelque dommage;
Enfin qu'on a pendu le mauvais garnement.
Toutes, dis-je, unanimement,

Se promettent de rire à son enterrement,
Mettent le nez à l'air, montrent un peu la tête,
Puis rentrent dans leurs nids à rats,
Puis ressortant font quatre pas,

Puis enfin se mettent en quête.

Mais voici bien une autre fête :

Le pendu ressuscite, et, sur ses pieds tombant,
Attrape les plus paresseuses.

"Nous en savons plus d'un, dit-il en les gobant :
C'est tour de vieille guerre; et vos cavernes creuses
Ne vous sauveront pas, je vous en avertis :

Vous viendrez toutes au logis."

Il prophétisait vrai: notre maître Mitis,
Pour la seconde fois, les trompe et les affine,
Blanchit sa robe et s'enfarine;

Et, de la sorte déguisé,

Se niche et se blottit dans une huche ouverte.

Ce fut à lui bien avisé :

La gent trotte-menu s'en vient chercher sa perte.
Un rat, sans plus, s'abstient d'aller flairer autour :
C'était un vieux routier, il savait plus d'un tour;
Même il avait perdu sa queue à la bataille.
"Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille,
S'écria-t-il de loin au général des chats :
Je soupçonne dessous encor quelque machine.
Rien ne te sert d'être farine;

Car, quand tu serais sac, je n'approcherais pas.'
C'était bien dit à lui; j'approuve sa prudence:
Il était expérimenté,

Et savait que la méfiance

Est mère de la sûreté.

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98. L'Alouette et ses Petits, avec le Maître d'un champ

Ne t'attends qu'à toi seul; c'est un commun proverbe.
Voici comme Ésope le mit

En crédit :

Les alouettes font leur nid

Dans les blés quand ils sont en herbe,
C'est-à-dire environ le temps

Que tout aime et que tout pullule dans le monde,
Monstres marins au fond de l'onde,

Tigres dans les forêts, alouettes aux champs.
Une pourtant de ces dernières

Avait laissé passer la moitié d'un printemps

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Sans goûter le plaisir des amours printanières.

A toute force enfin elle se résolut

D'imiter la nature et d'être mère encore.

Elle bâtit un nid, pond, couve et fait éclore,
A la hâte le tout alla du mieux qu'il put.

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