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Je l'allais aborder, quand d'un son plein d'éclat

L'autre m'a fait prendre la fuite.

Mon fils, dit la souris, ce doucet est un chat,
Qui, sous son minois hypocrite,
Contre toute ta parenté

D'un malin vouloir est porté.
L'autre animal, tout au contraire,

Bien éloigné de nous mal faire,

Servira quelque jour peut-être à nos repas.

Quant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine.
Garde-toi, tant que tu vivras,

De juger des gens sur la mine."

92. Le Paysan du Danube

Il ne faut point juger des gens sur l'apparence.
Le conseil en est bon; mais il n'est pas nouveau.
Jadis l'erreur du souriceau

Me servit à prouver le discours que j'avance;
J'ai, pour le fonder à présent,

Le bon Socrate, Ésope, et certain paysan
Des rives du Danube, homme dont Marc-Aurèle
Nous fait un portrait fort fidèle.
On connaît les premiers; quant à l'autre, voici
Le personnage en raccourci.

Son menton nourrissait une barbe touffue;
Toute sa personne velue

Représentait un ours, mais un ours mal léché:
Sous un sourcil épais il avait l'œil caché,
Le regard de travers, nez tortu, grosse lèvre,
Portait sayon de poil de chèvre,

Et ceinture de joncs marins.

Cet homme ainsi bâti fut député des villes

Que lave le Danube. Il n'était point d'asiles
Où l'avarice des Romains

Ne pénétrât alors, et ne portât les mains.
Le député vint donc, et fit cette harangue :

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Romains, et vous sénat assis pour m'écouter,
Je supplie avant tout les dieux de m'assister:
Veuillent les immortels, conducteurs de ma langue,
Que je ne dise rien qui doive être repris !

Sans leur aide, il ne peut entrer dans les esprits
Que tout mal et toute injustice:

Faute d'y recourir, on viole leurs lois.

Témoin nous, que punit la romaine avarice :

Rome est, par nos forfaits, plus que par ses exploits,

L'instrument de notre supplice.

Craignez, Romains, craignez que le Ciel quelque jour
Ne transporte chez vous les pleurs et la misère;
Et mettant en nos mains, par un juste retour,
Les armes dont se sert sa vengeance sévère,

Il ne vous fasse, en sa colère,

Nos esclaves à votre tour.

Et pourquoi sommes-nous les vôtres ? Qu'on me die
En quoi vous valez mieux que cent peuples divers;
Quel droit vous a rendus maîtres de l'univers ?

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Pourquoi venir troubler une innocente vie?

Nous cultivions en paix d'heureux champs; et nos mains

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Étaient propres aux arts ainsi qu'au labourage :

Qu'avez-vous appris aux Germains?

Ils ont l'adresse et le courage:

S'ils avaient eu l'avidité,

Comme vous, et la violence,

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Peut-être en votre place ils auraient la puissance,

Et sauraient en user sans inhumanité.

Celle que vos préteurs ont sur nous exercée

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N'entre qu'à peine en la pensée.

La majesté de vos autels
Elle-même en est offensée;

Car sachez que les immortels

Ont les regards sur nous. Grâces à vos exemples,
Ils n'ont devant les yeux que des objets d'horreur,
De mépris d'eux et de leurs temples,

D'avarice qui va jusques à la fureur.

Rien ne suffit aux gens qui nous viennent de Rome.
La terre et le travail de l'homme

Font pour les assouvir des efforts superflus.
Retirez-les; on ne veut plus

Cultiver pour eux les campagnes ;

Nous quittons les cités, nous fuyons aux montagnes ;
Nous laissons nos chères compagnes.
Nous ne conversons plus qu'avec des ours affreux,
Découragés de mettre au jour des malheureux,
Et de peupler pour Rome un pays qu'elle opprime.
Quant à nos enfants déjà nés,

Nous souhaitons de voir leurs jours bientôt bornés :
Vos préteurs au malheur nous font joindre le crime.
Retirez-les ils ne nous apprendront

Que la mollesse et que le vice.

Les Germains comme eux deviendront
Gens de rapine et d'avarice.

C'est tout ce que j'ai vu dans Rome à mon abord :
N'a-t-on point de présent à faire,

Point de pourpre à donner, c'est en vain qu'on espère
Quelque refuge aux lois; encor leur ministère

A-t-il mille longueurs. Ce discours un peu fort
Doit commencer à vous déplaire.

Je finis. Punissez de mort

Une plainte un peu trop sincère."

A ces mots, il se couche; et chacun étonné
Admire le grand cœur, le bon sens, l'éloquence,
Du sauvage ainsi prosterné.

On le créa patrice; et ce fut la vengeance
Qu'on crut qu'un tel discours méritait. On choisit
D'autres préteurs; et par écrit

Le sénat demanda ce qu'avait dit cet homme,
Pour servir de modèle aux parleurs à venir.

On ne sut pas longtemps à Rome
Cette éloquence entretenir.

93. Le Chêne et le Roseau

Le chêne un jour dit au roseau :

"Vous avez bien sujet d'accuser la nature : Un roitelet pour vous est un pesant fardeau; Le moindre vent qui d'aventure

Fait rider la face de l'eau,

Vous oblige à baisser la tête ;

Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,

Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon; tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage

Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir:
Je vous défendrais de l'orage;

Mais vous.naissez le plus souvent

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Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
-Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci ;

Les vents me sont moins qu'à vous redoutables :

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Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables

Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin." Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants

Que le nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon; le roseau plie.

Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

94. Le Renard, le Loup et le Cheval

Un renard, jeune encor, quoique des plus madrés.
Vit le premier cheval qu'il eût vu de sa vie.
Il dit à certain loup, franc novice: "Accourez,
Un animal paît dans nos prés,

Beau, grand; j'en ai la vue encor toute ravie.
Est-il plus fort que nous? dit le loup en riant:
Fais-moi son portrait, je te prie.

-Si j'étais quelque peintre ou quelque étudiant,
Repartit le renard, j'avancerais la joie

Que vous aurez en le voyant.

Mais venez. Que sait-on? peut-être est-ce une proie
Que la Fortune nous envoie."

Ils vont ; et le cheval, qu'à l'herbe on avait mis,
Assez peu curieux de semblables amis,

Fut presque sur le point d'enfiler la venelle.
"Seigneur, dit le renard, vos humbles serviteurs
Apprendraient volontiers comment on vous appelle."
Le cheval, qui n'était dépourvu de cervelle,

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