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Point de bords escarpés, un sable pur et net.

Il entre; et son cheval le met

A couvert des voleurs, mais non de l'onde noire :
Tous deux au Styx allèrent boire;

Tous deux, à nager malheureux,

Allèrent traverser, au séjour ténébreux,

Bien d'autres fleuves que les nôtres.

Les gens sans bruit sont dangereux;
Il n'en est pas ainsi des autres.

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83. Le Gland et la Citrouille

Dieu fait bien ce qu'il fait. Sans en chercher la preuve
En tout cet univers, et l'aller parcourant,

Dans les citrouilles je la treuve.

Un villageois, considérant

Combien ce fruit est gros et sa tige menue :
"A quoi songeait, dit-il, l'auteur de tout cela?
Il a bien mal placé cette citrouille-là :

Hé parbleu ! je l'aurais pendue

A l'un des chênes que voilà ;
C'eût été justement l'affaire ;

Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.

C'est dommage, Garo, que tu n'es point entré
Au conseil de celui que prêche ton curé;

Tout en eût été mieux: car pourquoi, par exemple,
Le gland, qui n'est pas gros comme mon petit doigt,
Ne pend-il pas en cet endroit?

Dieu s'est mépris; plus je contemple
Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo
Que l'on a fait un quiproquo."

Cette réflexion embarrassant notre homme :

"On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit."
Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme.

Un gland tombe; le nez du dormeur en pâtit.
Il s'éveille; et, portant la main sur son visage,
Il trouve encor le gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage:
"Oh! oh! dit-il, je saigne! Et que serait-ce donc
S'il fût tombé de l'arbre une masse plus lourde,

Et que ce gland eût été gourde?

Dieu ne l'a pas voulu: sans doute il eut raison;
J'en vois bien à présent la cause."
En louant Dieu de toute chose,
Garo retourne à la maison.

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84. L'Écolier, le Pédant et le Maître d'un jardin

Certain enfant qui sentait son collège,
Doublement sot et doublement fripon
Par le jeune âge et par le privilège
Qu'ont les pédants de gâter la raison,
Chez un voisin dérobait, ce dit-on,

Et fleurs et fruits. Ce voisin, en automne,
Des plus beaux dons que nous offre Pomone
Avait la fleur, les autres le rebut.
Chaque saison apportait son tribut:

Car au printemps il jouissait encore

Des plus beaux dons que nous présente Flore.
Un jour dans son jardin il vit notre écolier,
Qui, grimpant sans égard sur un arbre fruitier,
Gâtait jusqu'aux boutons, douce et frêle espérance,
Avant-coureurs des biens que promet l'abondance.

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Même il ébranchait l'arbre, et fit tant, à la fin,
Que le possesseur du jardin

Envoya faire plainte au maître de la classe.
Celui-ci vint suivi d'un cortège d'enfants :
Voilà le verger plein de gens

Pires que le premier. Le pédant, de sa grâce,
Accrut le mal en amenant

Cette jeunesse mal instruite :

Le tout, à ce qu'il dit, pour faire un châtiment
Qui pût servir d'exemple, et dont toute sa suite
Se souvînt à jamais comme d'une leçon.
Là-dessus il cita Virgile et Cicéron,

Avec force traits de science.

Son discours dura tant que la maudite engeance
Eut le temps de gâter en cent lieux le jardin.

Je hais les pièces d'éloquence

Hors de leur place, et qui n'ont point de fin ;
Et ne sais bête au monde pire

Que l'écolier, si ce n'est le pédant.

Le meilleur de ces deux pour voisin, à vrai dire,
Ne me plairait aucunement.

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86. L'Huître et les Plaideurs

Un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent
Une huître, que le flot y venait d'apporter :

Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent;

A l'égard de la dent, il fallut contester.

L'un se baissait déjà pour ramasser la proie;
L'autre le pousse, et dit: "Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie.

Celui qui le premier a pu l'apercevoir

En sera le gobeur; l'autre le verra faire.
-Si par là l'on juge l'affaire,

Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci.
Je ne l'ai pas mauvais aussi,

Dit l'autre ; et je l'ai vue avant vous, sur ma vie.
- Hé bien! vous l'avez vue; et moi je l'ai sentie."
Pendant tout ce bel incident,

Perrin Dandin arrive: ils le prennent pour juge.
Perrin fort gravement, ouvre l'huître, et la gruge,
Nos deux messieurs le regardant.

Ce repas fait, il dit, d'un ton de président :

"Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille

Sans dépens; et qu'en paix chacun chez soi s'en aille."
Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui ;
Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles :
Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui,

Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles.

87. Le Singe et le Chat

Bertrand avec Raton, l'un singe et l'autre chat,
Commensaux d'un logis, avaient un commun maître.
D'animaux malfaisants c'était un très bon plat;

Ils n'y craignaient tous deux aucun, quel qu'il pût être.

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