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7. Le Lion devenu vieux

Le lion, terreur des forêts,

Chargé d'ans et pleurant son antique prouesse,
Fut enfin attaqué par ses propres sujets,

Devenus forts par sa faiblesse.

Le cheval s'approchant lui donne un coup de pied;

Le loup, un coup de dent; le bœuf, un coup de corne.

Le malheureux lion, languissant, triste, et morne,

Peut à peine rugir, par l'âge estropié.

Il attend son destin, sans faire aucunes plaintes,
Quand voyant l'âne même à son antre accourir :
"Ah! c'est trop, lui dit-il: je voulais bien mourir ;
Mais c'est mourir deux fois que souffrir tes atteintes."

8. Le Chien qui lâche sa proie pour l'ombre

Chacun se trompe ici-bas:

On voit courir après l'ombre
Tant de fous qu'on n'en sait pas,

La plupart du temps, le nombre.

Au chien dont parle Ésope il faut les renvoyer.

Ce chien voyant sa proie en l'eau représentée,
La quitta pour l'image, et pensa se noyer.
La rivière devint tout d'un coup agitée ;

A toute peine il regagna les bords,
Et n'eut ni l'ombre ni le corps.

9. Parole de Socrate

Socrate un jour faisant bâtir,

Chacun censurait son ouvrage :

L'un trouvait les dedans, pour ne lui point mentir,
Indignes d'un tel personnage;

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L'autre blámait la face, et tous étaient d'avis
Que les appartements en étaient trop petits.
Quelle maison pour lui! l'on y tournait à peine.
"Plût au ciel que de vrais amis,

Telle qu'elle est, dit-il, elle pût être pleine !"

Le bon Socrate avait raison

De trouver pour ceux-là trop grande sa maison.
Chacun se dit ami; mais fol qui s'y repose.

Rien n'est plus commun que ce nom,
Rien n'est plus rare que la chose.

10. La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le Bœuf

Une grenouille vit un boeuf

Qui lui sembla de belle taille.

Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille,

Pour égaler l'animal en grosseur,

Disant: "Regardez bien, ma sœur ;

Est-ce assez? dites-moi; n'y suis-je point encore?

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Nenni. M'y voici donc? - Point du tout. — M'y voilà ?
Vous n'en approchez point." La chétive pécore 1
S'enfla si bien qu'elle creva.

Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages:
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs;
Tout petit prince a des ambassadeurs;

Tout marquis veut avoir des pages.

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Deux mulets cheminaient, l'un d'avoine chargé,
L'autre portant l'argent de la gabelle.
Celui-ci, glorieux d'une charge si belle,
N'eût voulu pour beaucoup en être soulage.

Il marchait d'un pas relevé, nd

Et faisait sonner sa sonnette :
Quand l'ennemi se présentant,
Comme il en voulait à l'argent,
Sur le mulet du fisc une troupe se jette,

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Le saisit au frein et l'arrête.

Le mulet, en se défendant,

Se sent percer de coups; il gémit, il soupire.
"Est-ce donc là, dit-il, ce qu'on m'avait promis?
Ce mulet qui me suit du danger se retire;

Et moi, j'y tombe et je péris.

— Ami, lui dit son camarade,

Il n'est pas toujours bon d'avoir un haut emploi :
Si tu n'avais servi qu'un meunier, comme moi,
Tu ne serais pas si malade."

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12. La Mort et le Bûcheron

Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.

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Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde?

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Point de pain quelquefois, et jamais de repos."
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier, et la corvée

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.

"C'est, dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois; tu ne tarderas guère."

Le trépas vient tout guérir ;

Mais ne bougeons d'où nous sommes:
Plutôt souffrir que mourir,

C'est la devise des hommes.

13. La Génisse, la Chèvre et la Brebis, en société avec le Lion

La génisse, la chèvre, et leur sœur la brebis,
Avec un fier lion, seigneur du voisinage,
Firent société, dit-on, au temps jadis,

Et mirent en commun le gain et le dommage.
Dans les lacs de la chèvre un cerf se trouva pris.
Vers ses associés aussitôt elle envoie.

Eux venus, le lion par ses ongles compta,

Et dit: "Nous sommes quatre à partager la proie.”
Puis en autant de parts le cerf il dépeça ;
Prit pour lui la première en qualité de sire:
"Elle doit être à moi, dit-il; et la raison,
C'est que je m'appelle lion:

A cela l'on n'a rien à dire.

La seconde par droit me doit échoir encor :
Ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort.
Comme le plus vaillant, je prétends la troisième.
Si quelqu'une de vous touche à la quatrième,
Je l'étranglerai tout d'abord."

14. Le Rat de ville et le Rat des champs

Autrefois le rat de ville
Invita le rat des champs,
D'une façon fort civile,
A des reliefs d'ortolans.

Sur un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.

Le régal fut fort honnête :
Rien ne manquait au festin;
Mais quelqu'un troubla la fête
Pendant qu'ils étaient en train.

A la porte de la salle

Ils entendirent du bruit;

Le rat de ville détale ;

Son camarade le suit.

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