Achetait un cent d'œufs; faisait triple couvée : D'élever des poulets autour de ma maison; S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon. Le lait tombe; adieu veau, vache, cochon, couvée. Va s'excuser à son mari, En grand danger d'être battue. Quel esprit ne bat la campagne? Picrochole, Pyrrhus, la laitière, enfin tous, Autant les sages que les fous. Chacun songe en veillant; il n'est rien de plus doux : Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes; Tout le bien du monde est à nous, Tous les honneurs, toutes les femmes. Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi; Je m'écarte, je vais détrôner le sophi; On m'élit roi, mon peuple m'aime; 5 ΙΟ 15 20 25 30 5 IO 155 20 25 Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant : Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même : 70. Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe Un loup disait que l'on l'avait volé : Un renard, son voisin, d'assez mauvaise vie, Non point par avocats, mais par chaque partie. De mémoire de singe, à fait plus embrouillé. Après qu'on eut bien contesté, Répliqué, crié, tempêté, Le juge, instruit de leur malice, Leur dit: "Je vous connais de longtemps, mes amis; Car toi, loup, tu te plains, quoiqu'on ne t'ait rien pris; On ne saurait manquer, condamnant un pervers. 71. Le Chat, la Belette et le petit Lapin Du palais d'un jeune lapin Dame belette, un beau matin, S'empara; c'est une rusée. Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée. Qu'il était allé faire à l'Aurore sa cour Après qu'il eut brouté, trotté, fait tous ses tours, O là! madame la belette, Que l'on déloge sans trompette, Ou je vais avertir tous les rats du pays." "C'était un beau sujet de guerre Qu'un logis où lui-même il n'entrait qu'en rampant. Je voudrais bien savoir, dit-elle, quelle loi En a pour toujours fait l'octroi A Jean, fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume, Jean lapin allégua la coutume et l'usage: "Ce sont, dit-il, leurs lois qui m'ont de ce logis Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis." Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras, Jean lapin pour juge l'agrée. Les voilà tous deux arrivés Devant sa majesté fourrée. Grippeminaud leur dit: "Mes enfants, approchez, 5 IO 15 20 25 30 L'un et l'autre approcha, ne craignant nulle chose. Grippeminaud le bon apôtre, Jetant des deux côtés la griffe en même temps, Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre. Ceci ressemble fort aux débats qu'ont parfois Les petits souverains se rapportant aux rois. 72. Le Corbeau voulant imiter l'Aigle L'oiseau de Jupiter enlevant un mouton, Et plus faible de reins, mais non pas moins glouton, Il tourne à l'entour du troupeau, Marque entre cent moutons le plus gras, le plus beau, On l'avait réservé pour la bouche des dieux. Mais ton corps me paraît en merveilleux état : Sur l'animal bêlant à ces mots il s'abat. La moutonnière créature Pesait plus qu'un fromage; outre que sa toison Et mêlée à peu près de la même façon Que la barbe de Polyphème. Elle empêtra si bien les serres du corbeau, Il faut se mesurer; la conséquence est nette : L'exemple est un dangereux leurre : Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands seigneurs ; 5 IO 73. La Mort et le Mourant La Mort ne surprend point le sage: S'étant su lui-même avertir Du temps où l'on se doit résoudre à ce passage. Ce temps, hélas ! embrasse tous les temps: Qu'on le partage en jours, en heures, en moments, Il n'en est point qu'il ne comprenne Dans le fatal tribut; tous sont de son domaine; Et le premier instant où les enfants des rois Est celui qui vient quelquefois Alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse : Un jour le monde entier accroîtra sa richesse. Et, puisqu'il faut que je le die, Rien où l'on soit moins préparé. Un mourant, qui comptait plus de cent ans de vie, Elle le contraignait de partir tout à l'heure, Sans qu'il eût fait son testament, Sans l'avertir au moins. "Est-il juste qu'on meure |