Page images
PDF
EPUB

5

ΤΟ

15

20

25

30

Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes,
Il en est peu qui fort souvent

Ne se plaisent d'entendre dire

Qu'au livre du Destin les mortels peuvent lire.
Mais ce livre qu'Homère et les siens ont chanté,
Qu'est-ce, que le Hasard parmi l'antiquité,
Et parmi nous, la Providence?

Or du hasard il n'est point de science:
S'il en était, on aurait tort

De l'appeler hasard, ni fortune, ni sort,
Toutes choses très incertaines.

Quant aux volontés souveraines

De celui qui fait tout, et rien qu'avec dessein,
Qui les sait, que lui seul? Comment lire en son sein?
Aurait-il imprimé sur le front des étoiles

Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles?
A quelle utilité? Pour exercer l'esprit

De ceux qui de la sphère et du globe ont écrit ?
Pour nous faire éviter des maux inévitables?
Nous rendre dans les biens de plaisir incapables?
Et causant du dégoût pour ces biens prévenus,
Les convertir en maux devant qu'ils soient venus?
C'est erreur, ou plutôt c'est crime de le croire.
Le firmament se meut; les astres font leur cours;
Le soleil nous luit tous les jours;

Tous les jours sa clarté succède à l'ombre noire,
Sans que nous en puissions autre chose inférer
Que la nécessité de luire et d'éclairer,

D'amener les saisons, de mûrir les semences,
De verser sur les corps certaines influences.
Du reste, en quoi répond au sort toujours divers
Ce train toujours égal dont marche l'univers?

Charlatans, faiseurs d'horoscope,

Quittez les cours des princes de l'Europe :
Emmenez avec vous les souffleurs tout d'un temps;
Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens.
Je m'emporte un peu trop; revenons à l'histoire
De ce spéculateur qui fut contraint de boire.
Outre la vanité de son art mensonger,
C'est l'image de ceux qui bâillent aux chimères,
Cependant qu'ils sont en danger,

Soit pour eux, soit pour leurs affaires.

57. Le Lièvre et la Tortue

Rien ne sert de courir; il faut partir à point:
Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.
"Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Sitôt que moi ce but. Sitôt ! êtes-vous sage?
Repartit l'animal léger :

Ma commère, il faut vous purger
Avec quatre grains d'ellébore.
Sage, ou non, je parie encore."
Ainsi fut fait; et de tous deux
On mit près du but les enjeux.
Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,

Ni de quel juge l'on convint.

Notre lièvre n'avait que quatre pas à faire;

J'entends de ceux qu'il fait lorsque, près d'être atteint,

Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux calendes,

Et leur fait arpenter les landes.

Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir, et pour écouter

D'où vient le vent, il laisse la tortue

Aller son train de sénateur.

Elle part, elle s'évertue ;

Elle se hâte avec lenteur.

5

ΙΟ

15

20

25

30

5

15

20

25

30

Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,

Croit qu'il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose;
Il s'amuse à tout autre chose

Qu'à la gageure. A la fin, quand il vit
Que l'autre touchait presque au bout de la carrière,
Il partit comme un trait; mais les élans qu'il fit
Furent vains: la tortue arriva la première.
"Eh bien, lui cria-t-elle, avais-je pas raison?
De quoi vous sert votre vitesse?
Moi l'emporter! et que serait-ce
Si vous portiez une maison?"

58. Le Villageois et le Serpent

Ésope conte qu'un manant,
Charitable autant que peu sage,
Un jour d'hiver se promenant
A l'entour de son héritage,

Aperçut un serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile rendu,

N'ayant pas à vivre un quart d'heure.
Le villageois le prend, l'emporte en sa demeure ;
Et, sans considérer quel sera le loyer
D'une action de ce mérite,

Il l'étend le long du foyer,

Le réchauffe, le ressuscite.

L'animal engourdi sent à peine le chaud,
Que l'âme lui revient avecque la colère.
Il lève un peu la tête, et puis siffle aussitôt ;
Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut
Contre son bienfaiteur, son sauveur et son père.

"Ingrat, dit le manant, voilà donc mon salaire !

Tu mourras !" A ces mots, plein d'un juste courroux,
Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête;
Il fait trois serpents de deux coups,

Un tronçon, la queue, et la tête.

L'insecte, sautillant, cherche à se réunir;
Mais il ne put y parvenir.

Il est bon d'être charitable :

Mais envers qui? c'est là le point.
Quant aux ingrats, il n'en est point
Qui ne meure enfin misérable.

5

IO

59. Le Lion malade et le Renard
De par le roi des animaux,
Qui dans son antre était malade,
Fut fait savoir à ses vassaux
Que chaque espèce en ambassade
Envoyât gens le visiter,
Sous promesse de bien traiter
Les députés, eux et leur suite,
Foi de lion, très bien écrite ;
Bon passe-port contre la dent,
Contre la griffe tout autant.
L'édit du prince s'exécute :
De chaque espèce on lui députe.
Les renards gardant la maison,

Un d'eux en dit cette raison:

"Les pas empreints sur la poussière

Par ceux qui s'en vont faire au malade leur cour,

Tous, sans exception, regardent sa tanière ;

Pas un ne marque de retour :

Cela nous met en méfiance.

15

20

25

30

5

Que sa majesté nous dispense :
Grand merci de son passe-port;
Je le crois bon; mais dans cet antre
Je vois fort bien comme l'on entre
Et ne vois pas comme on en sort."

[ocr errors][ocr errors][merged small][merged small]

60. Le Cheval et l'Ane

En ce monde il se faut l'un l'autre secourir :
Si ton voisin vient à mourir,

C'est sur toi que le fardeau tombe.

Un âne accompagnait un cheval peu courtois,
Celui-ci ne portant que son simple harnois,
Et le pauvre baudet si chargé, qu'il succombe.
Il pria le cheval de l'aider quelque peu :
Autrement il mourrait devant qu'être à la ville.
"La prière, dit-il, n'en est pas incivile:
Moitié de ce fardeau ne vous sera que jeu."
Le cheval refusa, fit une pétarade;

Tant qu'il vit sous le faix mourir son camarade,
Et reconnut qu'il avait tort.

Du baudet, en cette aventure,
On lui fit porter la voiture,
Et la peau par-dessus encor.

61. Le Chartier embourbé

Le phaéton d'une voiture à foin

Vit son char embourbé. Le pauvre homme était loin
De tout humain secours : c'était à la campagne,

Près d'un certain canton de la Basse-Bretagne,
Appelé Quimper-Corentin.

On sait assez que le Destin

« PreviousContinue »