Page images
PDF
EPUB

31. La Belette entrée dans un grenier

Damoiselle belette, au corps long et flouet,
Entra dans un grenier par un trou fort étroit:
Elle sortait de maladie.

Là, vivant à discrétion,

La galante fit chère lie,

Mangea, rongea: Dieu sait la vie,

Et le lard qui périt en cette occasion!
La voilà, pour conclusion,

Grasse, maflue et rebondie.

Au bout de la semaine, ayant dîné son soûl,
Elle entend quelque bruit, veut sortir par le trou,
Ne peut plus repasser, et croit s'être méprise.
Après avoir fait quelques tours:

"C'est, dit-elle, l'endroit: me voilà bien surprise;
J'ai passé par ici depuis cinq ou six jours."

Un rat, qui la voyait en peine,

Lui dit : "Vous aviez lors la panse un peu moins pleine.
Vous êtes maigre entrée, il faut maigre sortir.
Ce que je vous dis là, l'on le dit à bien d'autres;
Mais ne confondons point, par trop approfondir,
Leurs affaires avec les vôtres."

32. L'Ane et le petit Chien

Ne forçons point notre talent;
Nous ne ferions rien avec grâce.
Jamais un lourdaud, quoi qu'il fasse,
Ne saurait passer pour galant.

Peu de gens, que le ciel chérit et gratifie,
Ont le don d'agréer infus avec la vie.

C'est un point qu'il leur faut laisser,

5

10

15

20

25

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

Et ne pas ressembler à l'âne de la fable,
Qui pour se rendre plus aimable
Et plus cher à son maître, alla le caresser.

"Comment? disait-il en son âme,
Ce chien, parce qu'il est mignon,
Vivra de pair à compagnon
Avec monsieur, avec madame,
Et j'aurai des coups de bâton?
Que fait-il? il donne la patte,
Puis aussitôt il est baisé.

S'il en faut faire autant afin que l'on me flatte,
Cela n'est pas bien malaisé."

Dans cette admirable pensée,

Voyant son maître en joie, il s'en vient lourdement,
Lève une corne toute usée,

La lui porte au menton fort amoureusement,
Non sans accompagner, pour plus grand ornement,
De son chant gracieux cette action hardie.
"Oh! oh! quelle caresse! et quelle mélodie!
Dit le maître aussitôt. Holà, Martin-bâton !"
Martin-bâton accourt: l'âne change de ton.
Ainsi finit la comédie.

33. Le Geai paré des plumes du Paon

Un paon muait: un geai prit son plumage;
Puis après se l'accommoda;

Puis parmi d'autres paons tout fier se panada,
Croyant être un beau personnage.

Quelqu'un le reconnut: il se vit bafoué,

Berné, sifflé, moqué, joué,

Et par messieurs les paons plumé d'étrange sorte;
Même vers ses pareils s'étant réfugié,

Il fut par eux mis à la porte.

Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent des dépouilles d'autrui,
Et que l'on nomme plagiaires.

Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui :
Ce ne sont pas là mes affaires.

34. Le Cheval s'étant voulu venger du Cerf

De tous temps les chevaux ne sont nés pour les hommes.
Lorsque le genre humain de gland se contentait,

Ane, cheval, et mule, aux forêts habitait :

Et l'on ne voyait point, comme au siècle où nous sommes,
Tant de selles et tant de bâts,

Tant de harnais pour les combats,
Tant de chaises, tant de carrosses;
Comme aussi ne voyait-on pas
Tant de festins et tant de noces.
Or un cheval eut alors différend

Avec un cerf plein de vitesse ;

Et ne pouvant l'attraper en courant,

Il eut recours à l'homme, implora son adresse.
L'homme lui mit un frein, lui sauta sur le dos,
Ne lui donna point de repos

Que le cerf ne fût pris, et n'y laissât la vie.

Et cela fait, le cheval remercie

[merged small][merged small][ocr errors][merged small]

L'homme son bienfaiteur, disant: "Je suis à vous;

Adieu je m'en retourne en mon séjour sauvage.

Non pas cela, dit l'homme; il fait meilleur chez nous :
Je vois trop quel est votre usage.

25

Demeurez donc; vous serez bien traité,
Et jusqu'au ventre en la litière."
Hélas! que sert la bonne chère
Quand on n'a pas la liberté?

30

5

Le cheval s'aperçut qu'il avait fait folie;
Mais il n'était plus temps; déjà son écurie
Était prête et toute bâtie.

Il y mourut en traînant son lien :
Sage s'il eût remis une légère offense.

Quel que soit le plaisir que cause la vengeance,
C'est l'acheter trop cher que l'acheter d'un bien
Sans qui les autres ne sont rien.

10

15

20

35. Le Renard et le Buste

Les grands, pour la plupart, sont masques de théâtre ;
Leur apparence impose au vulgaire idolâtre.

L'âne n'en sait juger que par ce qu'il en voit :
Le renard, au contraire, à fond les examine,
Les tourne de tout sens; et, quand il s'aperçoit
Que leur fait n'est que bonne mine,
Il leur applique un mot qu'un buste de héros
Lui fit dire fort à propos.

C'était un buste creux, et plus grand que nature.
Le renard, en louant l'effort de la sculpture:

"Belle tête, dit-il; mais de cervelle point."

Combien de grands seigneurs sont bustes en ce point!

25

36. La Besace

Jupiter dit un jour: "Que tout ce qui respire
S'en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur ;
Si dans son composé quelqu'un trouve à redire, fict

Il peut le déclarer sans peur ;

Je mettrai remède à la chose.

Venez, singe, parlez le premier, et pour cause:
Voyez ces animaux, faites comparaison

De leurs beautés avec les vôtres.

[ocr errors]

Étes-vous satisfait? - Moi, dit-il; pourquoi non?
N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres?
Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproché :
Mais pour mon frère l'ours, on ne l'a qu'ébauché;
Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre."
L'ours venant là-dessus, on crut qu'il s'allait plaindre.
Tant s'en faut de sa forme il se loua très fort;
Glosa sur l'éléphant, dit qu'on pourrait encor
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;
Que c'était une masse informe et sans beauté.
L'éléphant étant écouté,

Tout sage qu'il était, dit des choses pareilles :
Il jugea qu'à son appétit

Dame baleine était trop grosse.

Dame fourmi trouva le ciron trop petit, m
Se croyant pour elle un colosse.

Jupin les renvoya s'étant censurés tous,

[ocr errors]

IO

15

5.

20

Du reste contents d'eux. Mais parmi les plus fous
Notre espèce excella; car tout ce que nous sommes,
Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous,

Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes.
On se voit d'un autre œil qu'on ne voit son prochain.

Le fabricateur souverain

Nous créa besaciers tous de même manière,

Tant ceux du temps passé que du temps d'aujourd'hui :

Il fit pour nos défauts la poche de derrière,

Et celle de devant pour les défauts d'autrui.

25

30

« PreviousContinue »