Page images
PDF
EPUB

5

ΙΟ

15

20

25

30

Les blés d'alentour mûrs avant que la nitée
Se trouvât assez forte encor

Pour voler et prendre l'essor,

De mille soins divers l'alouette agitée
S'en va chercher pâture, avertit ses enfants
D'être toujours au guet et faire sentinelle.
"Si le possesseur de ces champs

Vient avecque son fils, comme il viendra, dit-elle,
Écoutez bien: selon ce qu'il dira,

Sitôt

Chacun de nous décampera."

que l'alouette eut quitté sa famille,

Le possesseur du champ vient avecque son fils.
"Ces blés sont mûrs, dit-il: allez chez nos amis
Les prier que chacun, apportant sa faucille,
Nous vienne aider demain dès la pointe du jour."
Notre alouette de retour

Trouve en alarme sa couvée.

L'un commence : "Il a dit que l'aurore levée,
L'on fît venir demain ses amis pour l'aider.
-S'il n'a dit que cela, repartit l'alouette,

Rien ne nous presse encor de changer de retraite ;
Mais c'est demain qu'il faut tout de bon écouter.
Cependant, soyez gais; voilà de quoi manger."
Eux repus, tout s'endort, les petits et la mère.
L'aube du jour arrive, et d'amis point du tout.
L'alouette à l'essor, le maître s'en vient faire
Sa ronde ainsi qu'à l'ordinaire.

"Ces blés ne devraient pas, dit-il, être debout.
Nos amis ont grand tort, et tort qui se repose
Sur de tels paresseux, à servir ainsi lents.
Mon fils, allez chez nos parents

Les prier de la même chose."

L'épouvante est au nid plus forte que jamais.

"Il a dit ses parents, mère ! c'est à cette heure..

[ocr errors]

- Non, mes enfants; dormez en paix :
Ne bougeons de notre demeure."

L'alouette eut raison; car personne ne vint.
Pour la troisième fois, le maître se souvint
De visiter ses blés. "Notre erreur est extrême,
Dit-il, de nous attendre à d'autres gens que nous :
Il n'est meilleur ami ni parent que soi-même.
Retenez bien cela, mon fils. Et savez-vous
Ce qu'il faut faire ? Il faut qu'avec notre famille
Nous prenions dès demain chacun une faucille :
C'est là notre plus court; et nous achèverons

Notre moisson quand nous pourrons."

Dès lors que ce dessein fut su de l'alouette:

"C'est ce coup qu'il est bon de partir, mes enfants!" Et les petits, en même temps,

Voletants, se culebutants,

Délogèrent tous sans trompette.

99. Le Loup et le Chien maigre

Autrefois carpillon fretin

Eut beau prêcher, il eut beau dire,
On le mit dans la poêle à frire.

Je fis voir que lâcher ce qu'on a dans la main,

Sous espoir de grosse aventure,

Est imprudence toute pure.

Le pêcheur eut raison; carpillon n'eut pas tort.
Chacun dit ce qu'il peut pour défendre sa vie.

Maintenant il faut que j'appuie

Ce que j'avançai lors, de quelque trait encor.

Certain loup, aussi sot que le pêcheur fut sage,
Trouvant un chien hors du village,

5

ΙΟ

15

20

25

30

5

ΤΟ

15

20

25

30

S'en allait l'emporter. Le chien représenta
Sa maigreur: "Jà ne plaise à votre seigneurie

De me prendre en cet état-là;
Attendez: mon maître marie

Sa fille unique; et vous jugez

Qu'étant de noce, il faut, malgré moi, que j'engraisse."
Le loup le croit, le loup le laisse.

Le loup, quelques jours écoulés,

Revient voir si son chien n'est point meilleur à prendre.
Mais le drôle était au logis;

Il dit au loup par un treillis :

"Ami, je vais sortir; et, si tu veux attendre,
Le portier du logis et moi

Nous serons tout à l'heure à toi."

Le portier du logis était un chien énorme,
Expédiant les loups en forme.

Celui-ci s'en douta. "Serviteur au portier,"
Dit-il; et de courir. Il était fort agile;
Mais il n'était pas fort habile:

Ce loup ne savait pas encor bien son métier.

100. Les deux Pigeons

Deux pigeons s'aimaient d'amour tendre:
L'un d'eux, s'ennuyant au logis,
Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en lointain pays.

L'autre lui dit: "Qu'allez-vous faire?

Voulez-vouz quitter votre frère?

L'absence est le plus grand des maux;

Non pas pour vous, cruel! Au moins, que les travaux,

Les dangers, les soins du voyage,

Changent un peu votre courage.

Encor si la saison s'avançait davantage !

Attendez les zéphyrs: qui vous presse? un corbeau
Tout à l'heure annonçait malheur à quelque oiseau.

Je ne songerai plus que rencontre funeste,

Que faucons, que réseaux. "Hélas! dirai-je, il pleut :
Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut,

Bon soupé, bon gîte, et le reste?

Ce discours ébranla le cœur

De notre imprudent voyageur;

Mais le désir de voir et l'humeur inquiète
L'emportèrent enfin. Il dit: "Ne pleurez point:
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite;
Je reviendrai dans peu conter de point en point
Mes aventures à mon frère.

Je le désennuierai: quiconque ne voit guère
N'a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d'un plaisir extrême.

Je dirai: "J'étais là; telle chose m'avint;
Vous y croirez être vous-même."

A ces mots, en pleurant, ils se dirent adieu.
Le voyageur s'éloigne, et voilà qu'un nuage
L'oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s'offrit, tel encor que l'orage
Maltraita le pigeon en dépit du feuillage.
L'air devenu serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie,
Dans un champ à l'écart voit du blé répandu,
Voit un pigeon auprès cela lui donne envie ;

Il y vole, il est pris: ce blé couvrait d'un lacs
Les menteurs et traîtres appâts.

Le lacs était usé: si bien que, de son aile,

[ocr errors][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin ;
Quelque plume y périt; et le pis du destin

5

ΤΟ

15

20

25

30

Fut qu'un certain vautour, à la serre cruelle,
Vit notre malheureux, qui, traînant la ficelle
Et les morceaux du lacs qui l'avait attrapé,
Semblait un forçat échappé.

Le vautour s'en allait le lier, quand des nues
Fond à son tour un aigle aux ailes étendues.
Le pigeon profita du conflit des voleurs,
S'envola, s'abattit auprès d'une masure,

Crut, pour ce coup, que ses malheurs
Finiraient par cette aventure :

Mais un fripon d'enfant (cet âge est sans pitié)
Prit sa fronde, et, du coup, tua plus d'à moitié
La volatile malheureuse,

Qui, maudissant sa curiosité,

Traînant l'aile, et tirant le pied,
Demi-morte et demi-boiteuse,
Droit au logis s'en retourna :
Que bien, que mal, elle arriva

Sans autre aventure fâcheuse.

Voilà nos gens rejoints; et je laisse à juger
De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.

Amants, heureux amants, voulez-vous voyager?
Que ce soit aux rives prochaines;
Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,
Toujours divers, toujours nouveau ;

Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste.
J'ai quelquefois aimé; je n'aurais pas alors

Honorés

Contre le Louvre et ses trésors,

Contre le firmament et sa voûte céleste
Changé les bois, changé les lieux
par les pas, éclairés par les yeux
De l'aimable et jeune bergère
Pour qui, sous le fils de Cythère,

« PreviousContinue »