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Orateurs leur faifant cultiver avec foin les talens qu'ils ont receus de la nature. Tellement qu'on voit briller dans leurs difcours, la liberté de leur païs.

Mais nous, continuoit-il, qui avons appris dés nos premieres années à fouffrir le jong d'une domination legitime: qui avons efté comme enveloppez par les coûtumes & les façons de faire de la Monarchie, lorfque nous avions encore l'imagination tendre, & capable de toutes foites d'impreffions: En un mot qui n'avons jamais goûté de cette vive & feconde foutce de l'êloquence, je veux dire de la liberté : ce qui arrive ordinairement de nous, c'eft que nous nous rendons de grands & magnifiques flateurs. C'est pourquoi il eftimoit, difoit-il, qu'un homme mêmes né dans la fervitude étoit capable des autres fciences mais que nul Efclave ne pouvoit jamais être Orateur: Car un efprit continua-t-il, abattu & comme domté par l'accoûtumance au joug, n'oferoit plus s'enhardir à rien: tout ce qu'il avoit de vigueur s'évapore de foi-même, & il demeure toûjours comme en prifon. En un mot pour me fervir des termes d'Homere:

Le même jour qui met un homme libre aux fers
Lui ravit la moitié de fa vertu premiere.

zato De même donc que, fi ce qu'on dit eft vrai,
orces boëtes où l'on enferme les Pygmées vulgai
rement appellez Nains, les empêchent non
non feu-
ublement de croitre, mais les rendent même plus
petits, par le moien de cette bande dont on leur
3 entoure le corps: Ainfi la fervitude, je dis, la fer-
vitude la plus juftement établie, eft une espece
de prifon, où l'ame décroift & le rappetiffe en

quelque forte. Je fçai bien qu'il eft fort aifé à l'homme & que c'eft fon naturel de blâmer toûjours les chofes prefentes, mais prenez garde

que

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Et certainement,pourfuivis-je, fi les delices d'une trop longue paix font capables de corrompre les plus belles ames; cette guerre fans fin qui trouble depuis fi long-temps toute la terre, n'est pas un moindre obftacle à nos defirs.

Ajoutez à cela ces paffions qui affiegent continuellement noftre vie, & qui portent dans nôtre ame la confufion & le defordre. En effet continuay-je, c'eft le defir des richeffes, dont nous fommes tous malades par excés, c'eft l'amour des plaifirs, qui à bien parler nous jette dans la fervitude, &, pour mieux dire, nous traîne dans le precipice, où tous nos talens font comme engloutis. Il n'y a point de paffion plus baffe que l'Avarice, il n'y a point de vice plus infame que la Volupté. Je ne voy donc pas comment ceux qui font fi grand cas des Richeffes, & qui s'en font comme une efpece de Divinité, pourroient être atteints de cette maladie, fans recevoir en même temps avec elle tous les maux dont elle est naturellement accompagnée ? Et certainement la Profufion & les autres mauvaises habitudes fuivent de prés les Richeffes exceffives : elles marchent, pour ainfi dire, fur leurs pas, & par leur moien elles s'ouvrent les portes des villes & des maifons, elles y entrent, elles s'y établiffent. Mais à peine y ont-elles fejourné quelque temps, qu'elles y font leur nid, fuivant la penfée des Sages, & travaillent à fe multiplier. Voiés donc ce qu'elles y produifent. Elles y engendrent le Faste & la Molleffe qui ne font point des enfans baftards:mais leurs vraies & legitimes productions.

Que fi nous laiffons une fois croiftre en nous ces dignes enfans des Richeffes, ils y auront bientoft fait éclore l'Infolence, le Déreglement, l'Effronterie, & tous ces autres impitoiables Tyrans de l'ame.

Si-toft donc qu'un homme oubliant le soin de Vertu, n'a plus d'admiration que pour les choses frivoles & periffables: il faut de neceffité que tout ce que nous avons dit arrive en lui: il ne fçauroit plus lever les yeux, pour regarder au deffus de foi, ni rien dire qui paffe le commun: il fe fait en peu de temps une corruption generale dans toute fon ame. Tout ce qu'il avoit de noble & de grand fe flétrit & fe feche de foi-même, & n'attire plus que le mépris.

Et comme il n'eft pas poffible qu'un Juge qu'o a corrompu, juge fainement & fans paffion de ce qui eft jufte & honnefte: parce qu'un efprit qui s'eft laiffé gagner aux prefens, ne connoist de jufte & d'honnefte, que ce qui lui eft utile:Comment voudrions-nous que dans ce temps où la corruptio regne fur les mœurs & fur les efprits de tous des Hommes: où nous ne fongeons qu'à attraper la fucceffio de celui-ci;qu'à tendre des pieges à cet autre, pour nous faire écrire dans fon teftament: qu'à tirer un infame gain de toutes chofes, vendant pour cela jufqu'à noftre ame, miferables Efclaves de nos propres paffions: Comment,disje, fe pourroit-il faire que dans cette contagion generale, il fe trouvaft un homme fain de jugement, & libre de paffion, qui n'eftant point aveuglé, ni feduit par l'amour du gain, puft difcerner ce qui eft veritablement grand, & digne de la pofterité? En un mot étant tous faits de la maniere que j'ay dit, ne vaut-il pas mieux, qu'un autre nous commande, que de demeurer en nofte

propre puiffance: de peur que cette rage infatiable d'acquerir, comme un Furieux qui a rompu fes fers, & qui fe jette fur ceux qui l'environnent, n'aille porter le feu aux quatre coins de la terre ? Enfin, lui dis-je, c'est l'amour du luxe qui eft caufe de cette faineantise où tous les Efprits, excepté un petit nombre, croupiffent aujourd'huy. En effet fi nous étudions quelquefois, on peut dire que c'eft comme des gens qui relevent de maladie, pour le plaifir, & pour avoir lieu de nous vanter, & non point par une noble émulation, & pour en tirer quelque profit loüable & folide. Mais c'eft affez parlé là deffus. Venons maintenant aux Paffions dont nous avons promis de faire un Traité à part. Car, à mon avis, elles ne font pas un des moindres ornemens du Diffur tout, pour ce qui regarde le Su- ·

cours ,

blime.

FIN.

REMARQUES.

Mon cher Terentianus.] Le Grec porte, mon

cher Pofthumius Terentianus: mais j'ai retranché Pofthumius, le nom de Terentianus n'étant déja que trop long. Au refte on ne fçait pas trop bien qui étoit ce Terentianus. Ce qu'il y a de conftant, c'eft que c'étoit un Latin, comme fon nom le fait affez connoiftre, & comme Longin le témoigne lui-même dans le Chapi

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Cecilius] C'eftoit un Rheteur Sicilien. Il vi→ voir fous Augufte & étoit contemporain de Denys d'Halycarnaffe avec qui il fut lié même d'une amitié affez étroite.

La baffeffe de fon file, &c. C'eft ainfi qu'il faut entendre pov. Je ne me fouviens point d'avoir jamais vû ce mot emploié dans le fens que lui veut donner Monfieur Dacier, & quand il s'en trouveroit quelque exemple, il faudroit toûjours, à mon avis, revenir au fens le plus naturel, qui eft celui que je lui ay donné. Car pour ce qui eft des paroles qui fuivent dans zonos, cela veut dire; que fon file eft par tout inferieur à son sujet. Y ayant beaucoup d'exemples en Grec de ees Adjectifs mis pour l'Adverbe.

Pour le deffein qu'il a eu de bien faire. ] Il faut prendre ici le mot d'ima comme il eft pris en beaucoup d'endroits pour une fimple pensée. Cecilius n'eft pas tant à blâmer pour ses defauts, qu'à

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