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le Difcours a naturellement la vertu de rendre les chofes grandes, petites; & les petites, grandes: qu'il fçait donner les graces de la nouveauté aux chofes les plus vieilles, & qu'il fait paroître vieilles celles qui font nouvellement faites. Eft - ce ainfi, dira quelqu'un, ô Ifocrate, que vous allez changer toutes chofes à l'égard des Lacedemoniens & des Atheniens? En faifant de cette forte l'éloge du Difcours, il fait proprement un Exorde pour exhorter fes Auditeurs à ne rien croire de ce qu'il leur va dire.

C'eft pourquoi il faut fuppofer, à l'égard des Hyperboles, ce que nous avons dit pour toutes les Figures en general que celles-là font les meilleures qui font entierement cachées, & qu'on ne prend point pour des Hyperboles. Pour cela donc, il faut avoir foin que ce foit toûjours la paffion qui les faffe produire au milieu de quelque grande circonftance. Comme, par exemple, I'Hyperbole de Thucydide, à propos des Atheniens qui perirent dans la Sicile. Les Siciliens étant defcendus en ce lieu, ils y firent un grand carnage de ceux fur tout qui s'étoient jette dans le fleuve. L'eau fut en un moment corrompuë du fang de ces miferables: & neanmoins toute bourbeufe & toute fanglante qu'elle étoit, ils fe battoient pour en boire. Il eft affez peu croiable que des Hommes boivent du fang & de la boue, & fe battent même pour en boire & toutefois la grandeur de la paffion, au milieu de cette étrange circonftance, ne laiffe

pas de donner une apparence de raifon à la chose. Il en eft de même de ce que dit Herodote de ces Lacedemoniens qui combattirent au pas des Thermopyles. Ils fe deffendirent encore quelque temps en ce Lieu avec les armes qui leur restoient avec les mains & les dents : jufqu'à ce que les Bar

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bares, tirants toûjours, les euffent comme enfervelis fous leurs traits. Que dites-vous de cette Hyperbole? Quelle apparence que des Hommes fe defendent avec les mains & les dents contre des gens armez, & que tant de perfonnes foient enfevelies fous les traits de leurs Ennemis ? Cela ne laiffe pas neanmoins d'avoir de la vrai-femblance: parce que la chofe ne femble pas recherchée pour l'Hyperbole; mais que l'Hyperbole femble naiftre du fujet même. En effet, pour ne me point départir de ce que j'ai dit, un remede infaillible , pour empêcher que les hardieffes ne choquent; c'eft de ne les emploier que dans la paffion, & aux endroits à peu prés qui femblent les demander. Cela eft fi vrai que dans le Comique on dit des chofes qui font abfurdes d'ellesmêmes, & qui ne laiffent pas toutefois de paffer pour vrai-femblables, à caufe qu'elles émeuvent la paffion, je veux dire, qu'elles excitent à rire. En effet le Rire eft une Paffion de l'ame causée par le plaifir. Tel eft ce trait d'un Poëte Comique Il poffedoit une terre à la campagne qui n'étoit pas plus grande qu'une Epiftre de Lacedemo

nien.

Au refte on fe peut fervir de l'Hyperbole auffi bien pour diminuer les chofes,que pour les agrandir: Car l'Exageration eft propre à ces deux differens effets & le Diafyrme, qui eft une espece d'Hyperbole : n'eft, à le bien prendre, que l'exageration d'une chofe baffe & ridicule.

CHAPITRE

XXXII.

Del Arrangement des Paroles.

Es cinq Parties qui produifent le Grand, comme nous avons fupposé d'abord, il refte encore la cinquième à examiner : c'est à fçavoir la Compofition & l'Arrangement des Paroles. Mais comme nous avons déja donné deux volumes de cette matiere, où nous avons fuffifaminent expliqué tout ce qu'une longue fpeculation nours en a pû apprendre: Nous nous contenterons de dire ici ce que nous jugeons absolument necesfaire à noftre fujet; Comme, par exemple : que l'Harmonie n'eft pas fimplement un agrément que la Nature a mis dans la voix de l'Homme pour perfuader & pour infpirer le plaifir: mais dans les inftrumens même inanimés c'est un moien merveilleux pour élever le courage & pour émouvoir les paffions.

que

Et de vrai, ne voions-nous pas que le fon des faites émeut l'ame de ceux qui l'écoutent & les remplit de fureur, comme s'ils étoient hors d'euxmêmes? Que leur imprimant dans l'oreille le Inouvement de fa cadence, il les contraint de la fuivre, & d'y conformer en quelque forte le mouvement de leur corps. Et non feulement le fon des flûtes, mais prefque tout ce qu'il y a de differens fons au monde, comme par exemple, ceux de la Lyre, font cet effet. Car bien qu'ils ne fignifient rien d'eux-mêmes: Neanmoins par ces changemens de tons qui s'entrechoquent les uns les autres,& par le mélange de leurs accords, fouvent, comme nous voions, ils caufent à l'a

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me un tranfport, & un raviffement admirable. Cependant ce ne font que des images & de fimples imitations de la voix, qui ne difent & ne perfuadent rien, n'êtant s'il faut parler ainsi que des fons baftards, & non point, comme j'ai dit, des effets de la nature de l'homme. Que ne dirons-nous donc point de la Compofition, qui. eft en effet comme l'harmonie du difcours dont l'ufage eft naturel à l'homme, qui ne frappe pas fimplement l'oreille, mais l'efprit: qui remue tout à la fois tant de differentes fortes de noms, de pensées, de chofes, tant de beautez, & d'élegances avec lefquelles noftre ame a comme une efpece de liaison & d'affinité : qui par le mélange & la diverfité des fons infinue dans les efprits, infpire à ceux qui écoutent, les paffions mêmes de l'Orateur, & qui baftit fur ce fublime amas de paroles, ce Grand & ce Merveilleux que nous cherchons? Pouvons-nous, dis-je, nier qu'elle ne contribue beaucoup à la grandeur, à la majefté, à la magnificence du difcours, & à

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toutes

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ces autres beautez qu'elle renferme en soi & qu'ayant un empire abfolu fur les efprits, elle ne puiffe en tout temps les ravir, & les enlever? Il y auroit de la folie à douter d'une verité fi univerfellement reconnue, & l'experience en fait foi.

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Au refte il en eft de même des Difcours que des corps qui doivent ordinairement leur principale excellence à l'aflemblage, & à la jufte proportion de leurs membres De forte même qu'encore qu'un membre fepare de l'autre n'ait men en foi de remarquable, tous enfemble ne laiffent

q Auteur pour donner ict un exemple del arrangement des paroles, raporte un paffage de Demofthene. Mais comme ce qu'il en dit eft entierement attaché à la langue Grecque, je me fuis contenté de le traduire dans les Remar jues.

Voyez les Remarques.

pas de faire un corps parfait. Ainfi les parties du Sublime érant divisées, le Sublimme fe diffipe entierement, au lieu que venant à ne former qu'un corps par l'affemblage qu'on en fait, & par cette liaifon harmonieufe qui les joint, le feul tour de la Periode leur donne du fon & de l'emphafe. C'eft pourquoi l'on peut comparer le Sublime dans les Periodes à un feftin par écot auquel plufieurs ont contribué. Jufques-là qu'on voit beaucoup de Poëtes & d'Ecrivains qui n'eftant point nés au Sublime, n'en ont jamais manqué neanmoins; bien que pour l'ordinaire ils fe ferviffent de façons de parler baffes, communes & fort peu elegantes. En effet ils fe foûtiennent par ce feul arrangement de paroles qui leur enfle & groffit en quelque forte la voix: Si bien qu'on ne remarque point leur baffeffe. Philifte eft de ce nombre. Tel eft auffi Ariftophane en quelques endroits, & Euripide en plufieurs, comme nous l'avons déja fuffifamment montré. Ainfi quand Hercule dans cet Auteur aprés avoir tué les enfans dit;

Tant de maux à la fois font entrez dans mon ame, Que je n'y puis loger de nouvelles douleurs:

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Cette pensée eft fort triviale. Cependant il la rend noble par le moien de ce tour qui a quelque chofe de mufical & d'harmonieux: Et certainement, pour peu que vous renverfiez l'ordre de fa periode, vous verrez manifeftement combien Euripide eft plus heureux dans l'arrangement de fes paroles, que dans le fens de fes pensées. De même, dans fa Tragedie intitulée Dircé emportée par un Taureau.

Il tourne aux environs dans fa route incertaine: Mâ courant an couolicux où fa rage le meine,

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