J'ai reçu la lettre que vous avez bien voulu m'écrire; je vous remercie des choses obligeantes qu'elle contient. J'ai fait lire votre Paul et Virginie à quelques dames de ce pays, que je vois habituellement; elles avouent que la langue du Tasse n'a rien produit de si doux; elles se sont passé le livre de l'une à l'autre, et toutes en ont la même opinion. Je leur ai dit que le père de Paul était de mes amis, et qu'il serait possible qu'il fit un voyage dans le pays où Virgile et le Tasse ont pris les originaux des tableaux dont ils enchantent le monde depuis tant de siècles : nous desirons que cette espérance se réalise. Agréez, monsieur, mon estime sincère et mon attachement. Votre affectionné, JOSEPH BONAPARTE. ⚫ Bernardin de Saint-Pierre avait refusé une place chez Joseph Bonaparte, qui lui répondit par cette lettre et un brevet de 6,000 fr. de pension. (Voyez le Supplément à la Vie de Bernardin de Saint-Pierre.) Lettre de Ducis à Bernardin de Saint-Pierre. Versailles, le fer nivose an VIII. Cette lettre est pour vous seul, mon cher ami. Je commence par vous plaindre, par mêler ma douleur avec la vôtre sur la haute perte que vous venez de faire. Hélas! c'est au même âge que j'ai aussi perdu ma tendre femme, ma première, la mère de mes enfans, ame pure et sensible que je regretterai jusqu'au dernier soupir. Puissiez-vous, mon cher ami, être plus heureux que moi, et ne pas voir encore s'éteindre et mourir sous vos yeux paternels les deux enfans qui vous restent de votre chère Félicité! Tel a été mon sort, après avoir élevé et marié les miens. J'ai bien pu dire : Anima mea defecit in gemitibus. Il ne me reste plus, mon cher ami, que quelques années, peu heureuses, qui attendent les infirmités d'une vieillesse plus avancée. Avant que j'en aie vu s'écouler quatre, je serai septuagénaire : ce mot ne me fait pas peur, mais il me console. On m'a dit que vous veniez d'être nommé membre du sénat conservateur dans notre nouvelle constitution. J'en suis bien aise pour ma patrie; et, si cela vous convient, recevez-en mon compliment très-sincère. Quant à moi, j'ai bien pris mon parti; ma résolution est inébranlable si on me fait l'honneur de songer à moi, ma lettre de remerciement est déja prête; je n'aurai plus qu'à la signer. Je pourrais dire comme Corneille, en reconnaissant la distance infinie qui me sépare de lui comme poète : : Mon génie an théâtre a voulu m'attacher; Il en a fait mon fort, je dois m'y retrancher, Partout ailleurs je rampe, et ne suis plus moi-même. Il m'est impossible de m'occuper d'affaires : elles me répugnent; j'en ai horreur. Le mot de devoir me fait frémir. Si j'étais chargé de grandes et hautes fonctions, je ne dormirais pas. Mon ame se trouble aisément; ma sensibilité est pour moi un supplice. Mes principes religieux me rendraient plus propre à une solitude des déserts de la Thébaïde qu'à toute autre condition. J'aime, comme vous, à voir la nature avec goût, avec amour, avec un œil pur et sensible, et cet œil, qui est ma lumière et mon trésor, je le sens s'éteindre et m'échapper lorsque je mets le pied dans le monde. Si j'étais le maître de choisir, en me supposant ambitieux, je ne voudrais ni du sceptre des rois, ni des faisceaux consulaires. Je suis catholique, poète, républicain et solitaire : voilà les élémens qui me composent, et qui ne peuvent s'arranger avec les hommes en société et avec les places. Je vous donne ma parole d'honneur, mon cher ami, que j'aimerais mieux mourir tout doucement à Versailles, dans le lit de ma mère, pour être déposé ensuite auprès d'elle, que d'accepter la place de sénateur. Je n'aurai qu'une physionomie, celle d'un bonhomme et d'un auteur tragique qui n'était pas propre à autre chose. En restant constamment comme je suis et ce que je suis, je conserve tout ce qui m'est acquis par l'àge. En me mettant en vue, je me mettrais en prise. Les serpens lettrés se joindraient aux serpens politiques; les calomnies pleuvraient sur mes cheveux blancs. Enfin, il y a dans mon ame, naturellement douce, quelque chose d'indompté qui brise avec fureur et à leur seule idée les chaines misérables de nos institutions humaines. Je ne vis plus, j'assiste à la vie. Je voudrais quelquefois n'être qu'un œil qui voit; mais j'ai encore une ame qui sent; elle est trop jeune, elle ne marche pas avec son vieux camarade. Ainsi donc, mon cher ami, si vous voyez notre illustre consul Bonaparte, si vous voyez Réveillère-Lépeaux et vos autres confrères, parez, je vous en conjure, le coup dont je suis menacé; engagez David, qui connaît bien ma façon d'être et ma résolution, à me servir dans les mêmes vues. Il doit être initié, comme peintre, dans les secrets de ma complexion poétique. Je suis bien fâché que mon parti de remercier contrarie mon frère. J'aurais bien voulu lui être plus utile; mais j'ai fait ce qui dépendait de moi avec la mesure de mon crédit et de mes moyens. Je ne puis changer de nature, avoir d'autres nerfs, d'autres fibres, une autre organisation, d'autres habitudes dans mes pensées, dans mes affections, dans mes goûts, dans mes jouissances, dans ma façon de voir dans le présent et dans l'avenir. Je sais bien aussi que ma femme ne peut concevoir mon refus; mais elle est ma femme la richesse, les titres, les honneurs, son intérêt personnel, tout cela agit sur elle. Cela ne m'enchante point, mais ne m'étonne point. Vous voyez bien, mon cher ami, que c'est dans moimême et au fond de moi-même, et sur moi-même, et par moi-même que je dois chercher mon bonheur. Il se forme du repos et de la joie d'un enfant, quand je ne fais rien, et d'un charme incroyable, qui ne songe point du tout à la gloire, quand je suis dans mon travail avec Melpomène. Je n'ai plus que la moitié de mon premier acte à faire pour terminer ma nouvelle tragédie; tout le reste est fait. Je vous consulterai à Paris sur cet ouvrage. Je voudrais bien qu'il réussît, parce qu'il me rapporterait quelque argent et que je suis pau : vre; mais aussi parce qu'il prouverait peut-être que je suis excusable d'avoir refusé une grande place, parce que je n'étais propre qu'à la tragédie. Mon cœur est bien soulagé, mon cher ami, car je viens d'épancher mon ame dans la vôtre. J'y gémis avec vous. Je marche avec vous sur les traces de mes anciennes douleurs. Tout ceci n'est que pour vous. Que ma femme, mon frère et David ne sachent pas que je vous ai écrit. Mais, je vous en conjure encore, qu'on ne songe pas à faire de moi un sénateur; qu'on laisse le pauvre ermite dans sa cellule, et dire sur les tombeaux de ses chères filles, de sa pauvre femme et de la vôtre, ces grandes paroles : Vanitas vanitatum et omnia vanitas, præter amare Deum et illi soli servire; hoc est cujus omnis homo. Votre ami, JEAN-FRANÇOIS Ducis. Lettre de Ducis à Bernardin de Saint-Pierre. Versailles, le 2 nivose an XII. J'ai trouvé, mon cher ami, hier en arrivant chez moi, un peu avant midi, la lettre de M. Lacépède, qui m'apprend ma nomination, et me marque, par post-scriptum, que je serai averti du jour où je devrai prêter serment. La lettre est datée, du 27 frimaire; elle m'a été d'abord adressée à mon domicile, rue Bailleul, et ensuite renvoyée à Versailles. Je n'avais pas un instant à perdre. J'ai répondu sur-le-champ, et fait porter ma réponse par an exprès, pour être sûr qu'elle serait remise au chancelier de la Légion-d'Honneur. C'est mercredi dernier que la lettre est arrivée à Versailles, à huit heures du soir. Vous savez, mon cher confrère, quelle était ma résolution, qui était inébranlable. Je n'ai pas pu vous consulter, comme je vous l'avais promis chez M. le comte de Balk, sur ma manière de l'exprimer. Je vous prie de m'excuser si j'ai manqué à ma parole; mais j'étais pressé de répondre. Vous connaissez mon caractère. Je suis assis sur le tombeau de ma première femme et de mes enfans. Vous en avez deux en bas åge, un au berceau, une jeune épouse que vous ne pouvez trop aimer. Vous avez à pourvoir et à prévoir. Bonjour, mon ami. Je vous embrasse auprès de mon feu et dans ma retraite, qui est ma sœur, ma compagne, et le soutien consolateur de mes vieux jours. JEAN-FRANÇOIS DUCIS. FIN DES CEUVRES POSTHUMES. TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME. - - - - position avec les fruits de nos climats, 69. - - HARMONIES VÉGÉTALES DU SOLEIL ET DE .. 77 Les feuilles vernissées des arbres du Nord don- 15 17 17 LA LUNE . . . 49 - Invocation à Vénus, 50. — Tableau du ciel, ibid. HARMONIES VÉGÉTALES DE LA TERRE . . . 84 HARMONIES Végétales de l'hOMME... 91 - - - -- - - de la nature pour préserver les plantes de l'orage, - végétaux, 144. - Bruit du vent dans les arbres, - Sur les parfums des fleurs, 95. Sur les sa- mense, 97. Observations philosophiques sur la doctrine de Pythagore, ibid. — Anecdote de la chaumière française en Russie; l'homme libre, 98. Tombeaux de différentes nations, 99. Description pittoresque de nos cimetières, ibid. Invocation à la déesse des fleurs, ibid. De la botanique, ibid. — Leçon de botanique de Paul et Virginie, 104. Analogie des fleurs avec le caractère et la figure de l'homme, 109. — Ob- servations singulières sur les divers alphabets des langues anciennes et modernes, ibid. Conseils aux peintres sur la manière de compo- ser leurs tableaux, 111.- La déesse Amida naît du sein d'une fleur, 112. Harmonies ravis- santes des oiseaux et des plantes, ibid. - Beau- tés d'un passage de Virgile, 113. — Quinault, 114. Analyse d'une fable de La Fontaine, ibid. - Observations sur La Fontaine, 115.. Tityre et Mélibée, ibid. - Traduction, imita- tion et analyse des Eglogues de Virgile, 116. - - - - - -- - - 125. — Instinct des enfans pour les fruits, ibid. - Effets de l'ivresse, 126. — Anecdote d'un so- litaire, 128. Incertitude des jugemens de nos LIVRE II. HARMONIES AÉRIENNES. HARMONIES AÉRIENNES DU SOLEIL ET DE LA LUNE. -- 132 ibid. - De l'air, 133. — Compression de l'air, 134. - Origine des mots est, sud, etc., ibid. - Diffé- rentes qualités des vents, 135. HARMONIES aériennes de L'EAU. - - 138 Attraction de l'air et de l'eau, 136. - Pesanteur de l'air, ibid. - Spectacle de la mer, 137. — Tableau d'une tempête, ibid. - Explication nouvelle de la cause des fractures des rochers, 167. Les Mille et une Nuits citées, 169.-Rochers de la Finlande, 171.- Les pôles du globe changent avec le cen- tre de gravité de la terre, ibid. -- Océan souter- HARMONIES AQUATIQUES DES VÉGÉTAUX. 175 Quatre océans : l'aérien, le glacial, l'aquatique et le souterrain, ibid. Océan végétal, ibid. - - Harmonies des montagnes à réverbères; elles sont toutes situées dans les pays froids, ibid. - Sur Maupertuis, 205. - Tableau du Spitzberg, 206. · Montagnes qui exhalent de doux par- fums, 207. Montagnes hyemales, ou dont le sommet est toujours couvert de glaces, 208. Montagnes volcaniques, 209. - Beaux vers de inexplicable de la larme batavique, 211.- Oi- seau singulier qui habite les volcans, 212. HARMONIES TERRESTRES DE L'AIR .. 213 Montagnes qui ont des harmonies avec l'air, . |