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point d'yeux pour les voir, d'odorat pour les sentir, de goût pour les savourer; bientôt le globe entier ne serait couvert que d'herbes flétries et de fruits en dissolution. Les forêts, renversées par la vieillesse, n'offriraient que des végétaux parasites croissant sur les débris de leurs troncs. En vain quelques arbres, sortant du milieu de leurs ruines, s'élèveraient vers les cieux, et brilleraient le matin des feux et des larmes de l'aurore; en vain les vents en balanceraient les cimes décorées de toute la pompe de la végétation : leurs sombres murmures n'annonceraient point, dans le silence des bois, une Providence qui n'aurait fait lever le soleil que sur des êtres insensibles, et qui n'aurait fait résulter du luxe de la vie végétale que l'inertie de la mort. Que dis-je! les bouleversemens mêmes du globe, ses rochers brisés, ses monts entr'ouverts, les plus affreuses secousses des tremblemens de terre, ne présenteraient que les ruines de la matière; mais l'ordre dans toutes les parties de la végétation et le désordre dans son ensemble, ses plans à la fois ébauchés et imparfaits, montreraient son organisation comme l'ouvrage d'un être doué à la fois d'un pouvoir immense et d'une intelligence bornée.

Sans doute l'homme, frappé de ces inconséquences, pourrait craindre que cet être ne vînt à confondre lui-même les lois primitives des élémens; et, tremblant pour sa propre existence, il aimerait mieux admettre pour premier principe un mouvėment aveugle et constant dans l'univers, qu'un dieu capricieux dans la nature.

Mais les puissances de la terre ne sont abandonnées ni aux jeux du hasard ni aux lois monotones du mouvement une sagesse infinie harmonie leurs destins; elle ne créa les végétaux que pour les besoins des animaux ; elle fit voler les oiseaux dans les airs, nager les poissons dans les eaux, marcher les quadrupèdes sur la terre; et distribuant leurs tribus innombrables dans tous les sites de la végétation, elle en fit résulter une infinité d'harmonies nouvelles. Les prairies furent pâturées par les quadrupèdes, les algues par les poissons, les fruits des arbres par les oiseaux ; la fourmi essémina les graines des hauts cyprès, et le ver, avec sa tarière, réduisit en poudre les troncs noueux des chênes renversés par les vents.

La puissance animale est d'un ordre bien supérieur à la végétale. Le papillon est plus beau et mieux organisé que la rose. Voyez la reine des fleurs, formée de portions sphériques, teinte de la plus riche des couleurs, contrastée par un feuillage du plus beau vert, et balancée par le zéphyr; le papillon la surpasse en harmonies de couleurs,

de

ormes et de mouvemens. Considérez avec quel art sont composées les quatre ailes dont il vole, la régularité des écailles qui les recouvrent comme des plumes, la variété de leurs teintes brillantes, les six pates, armées de griffes, avec lesquelles il résiste aux vents dans son repos, la trompe roulée dont il pompe sa nourriture au sein des fleurs; les antennes, organes exquis du toucher, qui couronnent sa tête; et le réseau admirable d'yeux dont elle est entourée au nombre de plus de douze mille. Mais ce qui le rend bien supérieur à la rose, il a, outre la beauté des formes, les facultés de voir, d'ouïr, d'odorer, de savourer, de sentir, de se mouvoir, de vouloir, enfin une ame douée de passions et d'intelligence. C'est pour le nourrir que la rose entr'ouvre les glandes nectarées de son sein; c'est pour en protéger les œufs, collés comme un bracelet autour de ses branches, qu'elle est entourée d'épines. La rose ne voit ni n'entend l'enfant qui accourt pour la cueillir; mais le papillon, posé sur elle, échappe à la main prête à le saisir, s'élève dans les airs, s'abaisse, s'éloigne, se rapproche, et, après s'être joué du chasseur, il prend sa volée, et va chercher sur d'autres fleurs une retraite plus tranquille.

Ici le philosophe m'arrête: l'Etre tout puissant, dit-il, est sans doute infiniment intelligent; mais il n'est pas bon, puisqu'il a livré à l'inquiétude et à la mort un être innocent et sensible.

La mort est une suite nécessaire des générations de la vie. Si le papillon ne mourait pas, s'il vivait seulement la vie d'un homme, la terre ne suffirait pas à sa postérité; mais il vit sans craindre la mort, et il meurt sans regretter la vie ; il voltige çà et là sans se méfier de l'embuscade perfide de l'araignée, ni du vol infatigable de l'hirondelle, qui l'englontit quelquefois tout entier. Peu lui importe pour lui-même l'avenir avec ses perspectives de terreur ou de gloire. Il ne s'inquiète point si un naturaliste barbare le clouera tout vivant avec une épingle, sous un cristal où il sera rongé des mites, ou si la bonne nature, attendant la fin de sa carrière, destinera son brillant squelette à l'immortalité, en versant sur lui une larme d'ambre jaune. Quand les Hyades pluvieuses ramènent les frimas et les autans, il ne s'afflige point de la rapidité de ses jours; il confie à la nature le soin de ses enfans, qu'il ne doit jamais voir. Content d'avoir prévu leurs premiers besoins et d'y avoir pourvu, sans s'embarrasser de leur reconnaissance, il meurt satisfait de sa propre destinée. Que pourrait-il desirer désormais sur la terre ? Il a vécu sur les fleurs, il a vu le soleil près d'entrer dans la région des ténèbres; il cherche un peu d'ombre au pied de la

plante qu'il a aimée, et, comme cet empereur qui voulut mourir debout, en empereur, se ressouvenant de sa beauté, il se pose sur ses pates, et, les ailes étendues, il expire en papillon. Oh! que le philosophe lui-même serait sage, si, comme le papillon, il vivait et mourait sans autre `souci que de parcourir avec la vertu la carrière que la nature lui a tracée!

Nous allons jeter d'abord un coup d'œil sur les facultés de la puissance animale. Des savans trop accrédités ont pris plaisir à les confondre avec celles des puissances précédentes. A les entendre, il n'existe que des passages et des nuances entre les trois règnes, le minéral, le végétal et l'animal; selon eux, une huître ne diffère de sa coquille que par des modifications; et l'homme, qu'ils rangent parmi les animaux, n'est lui-même qu'une matière organisée, soumise aux simples lois de la physique, dont l'attraction est encore, suivant leur opinion, le seul mobile. Quant aux puissances élémentaires, ils ont omis de les comprendre dans leur système; de sorte que le temple qu'ils ont prétendu élever à la nature manque à la fois de comble et de fondemens. Où placeront-ils donc les lois de la morale, qui doivent régir les sociétés humaines, s'ils n'aperçoivent dans l'univers que quelques lois physiques? Nous verrons, dans le cours de cet ouvrage, les harmonies morales régir les harmonies physiques ellesmêmes, et les réunir dans une vaste sphère autour de l'homme, qui en est le centre et l'objet principal. En attendant, nous commencerons à lever un coin du voile dont le matérialisme a couvert les destinées sublimes du genre humain.

Toutes les puissances de la nature ont un caractère qui leur est propre leurs facultés, même physiques, vont toujours en croissant et en se multipliant de l'une à l'autre. Je n'entreprendrai point d'analyser leurs principes; leur nature m'est inconnue pour les connaître et les distinguer les unes des autres relativement à nos besoins, il suffit de les comparer à leurs effets.

La puissance solaire est sans contredit la première de toutes; peut-être les a-t-elle renfermées dans son sein; peut-être ne sert-elle qu'à leur donner les couleurs, les formes, les mouvemens et la vie. Elle me paraît exister par elle-même; c'est une puissance céleste qui n'a pas besoin de celles de la terre, comme celles-ci ont besoin d'elle. Je conçois aisément un soleil sans terre, mais non une terre sans soleil. Je ne puis même me former une idée des propriétés de l'astre du jour, qu'en les rapportant à celles qu'elles communiquent aux autres puissances; et celles-ci ne peuvent être caractérisées

qu'en les combinant avec l'action du soleil. C'est par leur harmonie avec lui que je vois chacun d'elles se distinguer des autres, et croître en facultés, depuis la puissance aérienne jusqu'à la puissance humaine. C'est aussi par les sens en rapport avec les qualités, que l'homme en assigne les differences. L'air paraît le plus simple des élémens de notre globe. Si nous étions ensevelis dans une nuit profonde, nous le respirerions sans connaître aucune de ses qualités : mais le soleil vient-il à se lever, l'atmosphère se dilate, le vent souffle, et je juge par l'action de l'astre du jour que l'air est transparent, fluide, et susceptible de compression et de dilatation. C'est à peu près tout ce que j'en sais. Quelques naturalistes ajoutent qu'il est composé de parties branchues et rameuses; je serais plutôt porté à croire que ses parties intrinsèques sont rayonnantes autour du centre, à en juger par la figure de la neige et de l'eau qui se gèle, exposée à son action, si toutefois les formes rayonnantes n'appartiennent pas aux principes de l'eau.

L'eau a des qualités plus étendues que l'air. Sa nature est d'être solide ou glacée. C'est le soleil qui la rend fluide. L'absence du soleil n'a jamais changé l'air en rocher, en le rendant à ses principes. Le soleil, en échauffant l'eau, non-seulement la fait fondre, mais il la réduit en vapeurs par la médiation de l'air. Il décompose ses rayons en mille couleurs sur cette eau évaporée, comme on le voit dans l'arc-en-ciel qui apparaît dans les nuages pluvieux, et dans ceux de l'aurore et du couchant.

La terre réunit en elle les qualités de l'air et de l'eau, et elle y en joint d'autres qui lui sont propres. Réduite en poussière, elle se volatilise et devient susceptible de dilatation et de compression. Elle est transparente comme la glace dans ses cristaux; elle décompose, dans cet état, les rayons du soleil, et se liquéfie comme l'eau par la réunion des feux de cet astre dans le miroir ardent. Elle renferme dans son sein une multitude de fossiles opaques, dont les couleurs et les formes sont d'une variété infinie. On y distingue surtout les métaux, remarquables par leur pesanteur, leur électricité, leurs attractions, leur dureté, leur ductilité et leur éclat. Quelques-uns, comme l'or et l'argent, ont un peu de l'éclat du soleil et de la lune, dont ils portent les noms; ils semblent devoir leur origine à ces deux astres. L'or, surtout, paraît aussi ductile que la lumière, comme on le voit par les feuilles et les fils qu'on en tire à l'infini; il est inaltérable comme elle. Harmonie, dans l'expérience du galvanisme, avec l'argent ou d'autres métaux, il produit dans les nerfs des animaux, même après leur mort, des effets électriques comme en pro

duisent sur eux, pendant leur vie, les rayons combinés du soleil et de la lune, ou des autres planètes. On ne le trouve guère que dans la zone torride, que le soleil pénètre de sa plus grande influence; enfin, par sa pesanteur, qui surpasse de beaucoup celle de tous les autres métaux, il présente sur la terre une nouvelle analogie avec l'astre qui occupe dans les cieux le centre du système planétaire.

La puissance végétale, comme nous l'avons vu, reçoit toutes les qualités des puissances précédentes, par l'air et l'eau qu'elle s'approprie, par les couleurs et les formes de ses fleurs et de ses fruits, par des minéralisations même, dont quelques-unes sont connues, comme celle du fer, qu'on trouve dans toutes les cendres des végétaux. A ces qualités, elle en ajoute un grand nombre d'autres, qu'elle doit principalement au soleil, telles que ses parfums et ses saveurs; mais elle diffère essentiellement des minéraux par les cinq facultés de la vie, qui sont l'organisation, la nutrition, l'amour, la génération et la mort. Les puissances élémentaires n'ont en partage qu'une existence permanente, différemment modifiée; mais la puissance végétale a une propre vie, dont le principal caractère est de pouvoir renaître et se propager. Cependant la vie végétale differe essentiellement de la vie animale, comme nous le verrons.

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Nous ferons d'abord ici, sur leur différence, quelques remarques que nous ne croyons pas qu'on ait encore faites. Le végétal le plus simple me paraît composé d'un grand nombre de végétaux semblables, réunis sous une même écorce. Une plante est organisée comme un polype; chacune de ses fibres ligneuses ou nerveuses paraît un végétal, qui correspond depuis la racine jusqu'à la feuille qu'il nourrit. La preuve en est dans ses racines si vous en retranchez une, vous voyez languir les branches qui y correspondent. Si vous coupez une branche d'arbre, et si vous la replantez avec soin et dans une saison convenable, il en renaît un autre arbre; vous pouvez même le reproduire en la fendant en deux, comme on le voit dans celles du saule. La vie paraît disséminée également dans toutes les parties du végétal; on peut détruire impunément les unes, même dans son intérieur, tandis que les autres fructifient, comme il arrive aux arbres caverneux, qui n'en sont pas moins couverts de leurs feuillages. Un végétal est semblable au polype animal.

Il n'en est ainsi d'aucun animal proprement dit. Quoique ses muscles soient composés de fibres et de nerfs qui conservent des mouvemens particuliers après la mort, ils ne forment tous ensemble qu'un seul animal individuel et indivisible. L'animal est

seul dans sa peau, et le végétal est multiple dans son écorce. Vous pouvez, des tronçons d'un saule, planter un bocage; mais avec les quartiers d'un mouton vous ne ferez jamais naître un troupeau.

Une autre preuve que le végétal renferme dans chacune de ses fibres un végétal parfait, c'est qu'il produit indistinctement, dans toutes ses branches, un grand nombre de fleurs, qui ne paraissent être que les parties sexuelles des fibres, parvenues successivement à un âge adulte. Dans une plante annuelle, les fleurs paraissent après un certain nombre de lunaisons; mais, dans un arbre, le bois nouveau ne donne point de fleurs, et les fleurs de son vieux bois changent de place d'une année à l'autre. C'est encore par la même raison que, quand l'arbre produit beaucoup de fleurs, il ne pousse point de bois, et que, quand il pousse beaucoup de bois, il ne produit point de fleurs. On en peut conclure que l'harmonie soli-lunaire, qui produit en lui des cercles annuels, sert d'abord à former au dedans des fibres mâles et femelles, dont les fleurs deviennent ensuite le développement. Ces fleurs ne peuvent reparaître l'année suivante au même endroit, parce que les fibres qui les ont produites s'allongent par la couche annuelle et l'accroissement du bois, et viennent se terminer à d'autres points de l'écorce. Enfin ces fleurs ne peuvent se montrer sur le bois nouveau de l'année, parce qu'il n'est pas encore adulte. On peut conclure de tout ceci, que c'est souvent à tort que les jardiniers, taillent les pousses aunuelles des jeunes arbres. Il en résulte qu'ils ne portent ni fleurs, ni fiuits, parce que ce nouveau bois n'a pas le temps d'atteindre au terme de sa fécondité. Le plus simple est de le laisser croître : alors il fructifiera; c'est ce que j'ai éprouvé moi-même par ma propre expérience. J'ai eu des poiriers très-vigoureux, âgés de plus de vingt ans, qui n'avaient jamais fleuri, parce que le jardinier, fidèle à ses règles, ne manquait pas de retrancher en automne la plus grande partie des branches qui avaient poussé au printemps. Je parvins enfin une année à empêcher cette fatale amputation; mes arbres se couvrirent à l'ordinaire de rejetons pleins de suc. Après avoir jeté leur premier feu, ces rejetons s'arrêtèrent à la seconde année : ils produisirent alors des branches à fruits, couvertes de gros bourgeons, qui domèrent des fleurs et des fruits dans la troisième.

Je ne connais point de végétal vivace qui ne produise qu'une seule fleur l'animal, au contraire, n'a qu'un seul sexe. Quand il en réunit deux, comme les limaçons, ces sexes sont situés dans un lieu invariable. Les nerfs et les fibres des

muscles de l'animal concourent tous à la fois à une seule action, comme tous ses organes, tandis que les fibres des végétaux ont des actions particulières et isolées : elles n'agissent en commun que par leur agrégation. Un végétal, blessé dans une de ses parties, prospère dans toutes les autres; et l'animal, dans la même circonstance, languit dans tout son corps.

On pourrait dire peut-être que les fibres nerveuses, dans un animal, sont autant d'animaux distincts, réunis sous la même peau, parce qu'il éprouve plusieurs passions, quelquefois opposées les unes aux autres, surtout dans l'homme; mais il existera toujours une grande différence dans la composition du végétal et de l'animal. Le végétal est si bien composé d'un assemblage de végétaux, qu'il en renferme à la fois de jeunes et de vieux, dont quelques-uns n'ont quelquefois qu'une hunaison, et d'autres ont plus d'un siècle. Un rameau d'un arbre est moins âgé que sa tige, et son aubier que son tronc. L'arbre le plus caduc porte à la fois la vieillesse dans son cœur et la jeunesse sur sa tête: l'une et l'autre se manifestent encore dans sa racine et dans son écorce. L'accroissement de ses parties dépend évidemment des harmonies soli-lunaires, puisque ses cercles annuels, subdivisés en cercles lunaires, en sont la preuve, comme nous l'avons déja démontré, et comme nous le verrons encore ailleurs. L'animal n'est point formé d'un assemblage d'animaux. Le renouvellement périodique des couches qui composent ses os, prouvé par les os des poulets qui mangent de la garance, le soumet sans doute aux mêmes périodes planétaires que le végétal; mais la dégénération de ses parties se fait tout à la fois, de sorte qu'il n'en a ni de plus vieilles ni de plus jeunes les unes que les autres.

Voilà donc des différences très-marquées dans la constitution du végétal et de l'animal. Elles ne sont pas moins sensibles dans l'ensemble et la disposition de leurs organes. Tous les animaux se divisent en deux moitiés égales, comme il convenait à des corps destinés à changer de lieu; mais cet équilibre parfait ne se manifeste que dans les feuilles, les fleurs et les semences des végétaux. On le retrouve, à la vérité, dans les tiges des graminées; mais la plupart des buissons et des arbres ne le présentent que d'une manière fort singulière. La différence est encore plus sensible dans les organes de la nutrition et de la génération qui leur sont communs. Les végétaux ont leurs bouches ou leurs racines en bas, et leurs parties sexuelles ou fleurs en haut. Les animaux au contraire ont leur bouche à la partie supérieure ou antérieure de leur corps, et leurs parties sexuelles à la partie inféEUVRES POSTHUMES.

rieure ou postérieure. Les premiers portent leurs fruits au dehors, les seconds engendrent au dedans. Cependant les végétaux ne sont pas des animaux renversés, comme on l'a prétendu; car ils n'ont point les facultés ni les organes qui constituent l'animalité. Ils n'ont point de cerveau qui est le siége de l'intelligence, ni de cœur, qui est celui des passions. Les animaux diffèrent essentiellement des végétaux par ces viscères et par d'autres organes et qualités que nous allons développer.

Nous avons vu que la puissance végétale réunissait en elle les facultés des trois puissances élémentaires, qui sont, en autres, l'élasticité et les couleurs aériennes, les mouvemens ou les circulations aquatiques, et les formes terrestres, dont nous avons indiqué les progressions harmoniques ascendantes et descendantes. Nous avons démontré ensuite qu'elle avait, de plus, la vie végétale ou végétabilité, puissauce dont les harmonies, soumises aux mêmes lois, sont l'organisation, la nutrition ou développement, l'amour, la génération et la mort. La puissance animale réunit toutes les harmonies précédentes, et elle y joint, de plus, la vie animale ou animalité, puissance qui se divise en facultés sensitive, intellectuelle et morale. Chacune de ces facultés a ses harmonies, dont nous allons donner un aperçu.

La faculté sensitive est douée de cinq organes principaux, qui sont ceux de la vue, de la respiration, de la soif, du toucher et du goût. Ils sont répartis aux cinq puissances primitives et précédentes, au soleil, à l'air, à l'eau, à la terre et aux végétaux. Chacun de ces organes a des effets harmoniques, c'est-à-dire actifs et passifs, ou positifs et négatifs. Ainsi de la vue s'engendrent la veille et le sommeil; de la respiration, la voix et l'ouïe; de la soif, la potation et la méation; du toucher, le mouvement et le repos; du goût, le manger et les sécrétions. Les végétaux ne présentent rien de semblable, ni dans leurs organes, ni dans leurs fonctions. Ils n'ont point d'yeux pour voir, ni de paupières pour les voiler. Quoique quelques-uns, comme le tamarin, ferment leurs feuilles ou leurs fleurs dans les ténèbres, c'est pour les abriter la nuit de l'humidité, ou quelquefois le jour de l'action du soleil ; car il y en a qui les ferment en plein midi, comme le pissenlit. C'est abuser des termes que de dire qu'ils dorment la nuit. Leurs facultés, loin d'être suspendues, sont dans leur plus grande activité. C'est alors qu'ils végètent le plus. On peut dire aussi que les animaux jouissent, dans leur sommeil, de leur faculté végétale dans toute sa plénitude; car c'est à cette époque que leur sang, qui est leur séve, circule avec la plus grande faci

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lité, et qu'ils profitent le plus, comme les végétaux. Le sommeil appartient donc, non aux fonctions de la végétabilité, mais à celles de l'animalité, dont il est le repos. Il ne suspend que les facultés intellectuelle et morale, et leurs organes. Si les végétaux sont privés de l'organe de la vue, ils ne le sont pas moins de celui de la respiration. Ils as pirent sans doute l'air et l'expirent; mais ils n'ont point de larynx pour en produire des sons, ni d'oreilles pour les recevoir encore que quelques-uns engendrent des bruits, c'est par l'action du vent ou par quelque cause étrangère; ils n'en ont point le sentiment, ils ne les entendent point. Il en est de même de leurs rapports avec l'eau : ils la pompent comme l'air, mais ils ne la digèrent pas. Ils n'ont point de tact; et, quoique la sensitive ferme ses feuilles quand on la touche, elle doit son mouvement passif à une action extérieure, et non à un acte de sa volonté. Il y a grande apparence que l'hedysarum gyrans du Bengale doit le mouvement d'oscillation ou de balancement de ses folioles à l'action combinée de l'air et de la chaleur, ainsi que d'autres végétaux lui doivent celui de leur séve, et les animaux celui de leur sang. Mais ceux-ci ont le principe du mouvement en euxmêmes et dans leurs facultés intellectuelles. L'insecte, dont le corps est revêtu d'écailles insensibles, a des antennes où réside l'organe du toucher, ou peut-être de l'odorat, qui dirige ses mouvemens de progression. Ses antennes sont sa boussole. Beaucoup de poissons écailleux ont des barbillons qui leur servent aux mêmes usages. L'huître, que des naturalistes regardent comme un passage de la plante à l'animal, et comme un être mitoyen entre ces deux règnes, jouit du mouvement de ses lèvres. Elle entr'ouvre et ferme ses écailles à volonté. Elle jouit aussi du mouvement local; car elle trouve le moyen de se transporter où elle veut : les espèces d'huîtres même qui adhèrent aux rochers nagent quand elles viennent de naître. Elles se choisissent des anfractuosités, et y construisent leurs coquilles irrégulières, avec autant de géométrie au sein des tempêtes, que les abeilles leurs alvéoles hexagonales dans le séjour tranquille des forêts. La maçonnerie de cette espèce d'huître est si bonne qu'on ne peut la détacher qu'avec un morceau de rocher. Enfin les végétaux tirent leur nourriture des élémens, mais ils n'ont point d'organes du goût et des excrétions.

La faculté intellectuelle est d'un ordre supérieur à la faculté sensitive. Elle réunit trois qualités dont les végétaux sont totalement privés : ce sont l'imagination, le jugement et la mémoire. Ces qualités président aux sens. L'imagination reçoit l'image

des objets par la vue et l'ouïe; le jugement compare leurs rapports intimes par le toucher et le goût; la mémoire conserve les résultats de l'imagination et du jugement, pour en former l'expérience. La mémoire embrasse le passé, le jugement le présent, et l'imagination l'avenir. Ainsi, ces qualités s'étendent aux rapports des choses, des temps et des lieux, suivant certains rayons assignés à chaque genre d'animal; l'homme seul en embrasse la sphère. Cependant, quoique leurs fonctions semblent séparées, elles agissent aussi de concert. Le plus petit insecte fait usage de toutes à la fois ou en particulier, comme de ses yeux, de ses ailes et de ses pates. Leur siége est dans la tête de l'animal, ainsi que l'origine des nerfs, de la faculté sensitive qu'elles font mouvoir, et dont le sensorium est dans le cœur.

Le végétal n'a donc rien qui soit comparable aux facultés sensitive et intellectuelle de l'animal; il n'a point, comme celui-ci, le sentiment et l'intelligence de ses convenances naturelles. Cependant quelques philosophes, entre autres Descartes et Malebranche, ont voulu rabattre la puissance animale au-dessous de la végétale. Ils ont prétendu que les animaux n'étaient que de simples machines impassibles, ce qu'il serait absurde de dire même des simples végétaux, qui sont doués d'une véritable vie, puisqu'ils se propagent par des amours. Quand on objectait à Malebranche les cris douloureux d'un chien frappé, il les comparait au son d'une cloche dans la même circonstance. Pour le prouver, un jour, dans la fureur de la dispute, il tua d'un coup de pied sa propre chienne qui avait des petits. Le bon Jean-Jacques me dit à cette occasion: «Quand on commence à raisonner, on » cesse de sentir. » Je répète ici ce mot que j'ai cité ailleurs, parce qu'il jette une grande lumière sur la nature de l'ame des bêtes et sur la nôtre, en ce qu'elles ont de commun. Il prouve que l'ame a deux facultés très-distinctes, l'intelligence et le sentiment. La première provient en partie de l'expérience, et la seconde des lois fondamentales de la nature. L'une et l'autre sont en harmonie chez les animaux, et les dirigent toujours vers une bonne fin. Mais lorsque l'intelligence s'appuie en nous sur des systèmes humains, et se sépare du sentiment, qui est l'expression des lois naturelles, alors elle peut précipiter les génies les plus élevés et les plus doux dans les férocités les plus absurdes. Certes, Descartes et Malebranche sont tombés bien volontairement dans l'erreur, de prétendre que les bêtes n'étaient animées que par de simples attractions; la plus petite expérience suffisait pour les désabuser. Mettez une feuille de papier entre

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