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leur utilité; mais je trouve que ceux de la mer, le long des côtes, sont incomparablement plus intéressans, Les vues prises du sommet des hautes montagnes s'appellent vues d'oiseau; mais j'appellerais par excellence vues d'hommes celles du fond des vallées. Dans les premières, vous voyez tous les objets s'abaisser les uns derrière les autres, et se terminer par la terre; dans les secondes, vous les voyez s'élever successivement, et couronnés par le ciel. C'est surtout sur les bords de l'Océan, au fond de cette immense vallée qui le renferme, que se réunissent les harmonies de toutes les puissances de la nature. C'est là que se développent, sur un horizon de niveau avec nos yeux, toutes les magnificences du lever et du coucher du soleil, des météores de l'air, le flux et le reflux des mers; les vastes embouchures des fleuves, des montagnes escarpées par les flots qui montrent les minéraux qu'elles renferment dans leurs flancs, les végétaux et les animaux fluviatiles, marins et terrestres; enfin, des cités populeuses où abordent des vaisseaux de toutes les nations. Ce n'est point au sommet des montagnes, mais au bord des mers, non aux loges, mais au parterre qu'aboutissent les perspectives, les décorations, les concerts, les drames de l'architecte, du peintre, du musicien et du poète de l'univers.

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Les vulnéraires et les laitages de la Suisse sont en grande réputation à Dieu ne plaise que j'ôte la foi en des choses innocentes! mais les végétaux et les troupeaux de la Bretagne, de la Normandie et de la Hollande, ont des qualités qui ne sont pas moins bienfaisantes. Que dis-je! c'est des rivages de la mer, et non des glaciers du globe, que nous avons tiré nos richesses végétales. Ce fut au pied de l'Etna, et non sur ses sommets glacés, que la Sicile montra aux hommes le châtaignier superbe chargé de fruits, et l'humble graminée qui porte le blé. C'est des îles de l'Archipel, et non du mont Ida, que sont venus la plupart de nos arbres fruitiers. Le noyer, le figuier, le poirier, la vigne, l'olivier, le cafier, le cacaotier, le cotonnier, la canne à sucre, l'indigo, croissent sur les rivages et dans les îles de l'Amérique, et non sur les croupes des Cordilières. C'est sur les rives des îles Moluques, et non sur les pics de Java, que se recueillent le poivre, la muscade et le girofle. Enfin, voulez-vous voir sur les bords mêmes de la mer des glaciers comme sur les Alpes; ses contre-courans vous conduiront en été jusqu'au pied de la coupole glaciale du pôle nord, qui a encore alors cinq à six lieues de hauteur et deux à trois mille de circonférence.

Si la fortune me l'eût permis, j'aurais entrepris

un voyage autour de l'Europe, et peut-être autour du monde, moins fatigant, plus agréable et plus utile que celui que l'on fait tous les jours pour aller se promener dans les montagnes de la Suisse. Je l'aurais fait par mer, le long des terres, à la manière des sauvages. Un canot léger avec une voile latine et quelques matelas, m'eût servi de voiture. Deux matelots, avec leurs compagnes, auraient formé mon équipage. Je n'aurais pas hésité à m'y embarquer avec la mienne et mes enfans; tout fût devenu pour moi instruction ou plaisir. Suis-je curieux de minéraux; les falaises m'entrouvent leurs flancs; je trouve à leur pied des galets métalliques que les fleuves et les courans y roulent à l'envi. Aimé-je les plantes; j'en cueille sur les grèves, que les flots y entraînent des contrées les plus éloignées. Les semences même de la Jamaique sont portées, en hiver, jusque sur les rivages des Orcades; pourquoi celles des Orcades n'aborderaient-elles pas, en été, sur ceux de la France? Chaque coup de rame me lève un feuillet du livre de la nature et me découvre un nouveau paysage. Ici j'aperçois, sur un banc de sable couvert de veaux marins sédentaires, des flamans couleur de feu, des aigrettes, des pélicans et d'autres oiseaux voyageurs de la zone torride; là, au sein des dunes, s'élèvent les ruines d'un monument au haut desquelles la cigogne fait son nid. Plus loin, j'entrevois l'embouchure d'une rivière bordée de saules; je la remonte au sein des prairies et des campagnes labourées, terminées à l'horizon par les tours d'une ville. Une forêt s'élève au milieu d'une île, je viens me reposer sous ses majestueux ombrages. L'alcyon, en rasant les flots, et l'alouette marine, par ses cris, m'annoncent-ils les approches de la tempête ou de la nuit, nous échouons notre barque sur la grève; nous la trainons au pied d'un vieux arbre, ou derrière un rocher, à l'embouchure d'un ruisseau. Cependant les hommes se dispersent pour la chasse ou pour la pêche; les femmes allument le feu et préparent à manger; tous se réunissent ensuite dans la barque abritée, par sa voile, de la pluie, du froid et des

vents.

Le matin, nous nous rembarquons, si l'aurore nous annonce un beau jour. Nous n'avons à payer ni poste, ni aubergiste, ni péage, ni barrière; nous n'avons à montrer ni passe-port, ni certificat; nous échappons à toutes les dissensions civiles, aux guerres qui versent le sang des nations par les nations, et aux calomnies encore plus cruelles qui détruisent les hommes par les hommes, au sein même de la paix. C'est ainsi que voyageaient les Sauvages des côtes de l'Asie, lors

qu'ils peuplèrent l'Amérique et les iles fortunées de la mer du Sud. C'est encore chez leurs hordes pelagiennes et errantes que la liberté et le bonbeur se sont conservés; c'est ainsi que vous vivez, pauvres Patagons, méprisés des fastueux Européens; mais n'enviez point leur sort. Les Apennins, les Alpes, les Cordilières, sont leurs esclaves; mais les écueils du cap Horn sont toujours libres: ils succombent sous le nombre et l'insuffisance de leurs lois, et vous ne connaissez que celles de la nature. Ils embrassent un long avenir dans leurs vains projets, et vous jouissez de la vie comme vous la recevez, jour par jour; elle n'est pour vous qu'un voyage innocent et rapide, qui vous mène au séjour de vos aïeux. Vous la soutenez sans crime, vous la passez sans remords, et vous la quittez sans regrets.

HARMONIES, AQUATIQUES

DES ENFANS,

OU HISTOIRE D'UN RUISSEAU.

Je me suppose instituteur. Pour donner à mes élèves le premier apprentissage des harmonies de l'eau, je les mènerais à la campagne par un temps de pluie. Je leur dirais : « Mes enfans, suivons le cours du ruisseau qui descend là-bas de cette colline couverte de bois, remontons jusqu'à sa source. Il pleut; mais qu'importe la pluie à des hommes? Ils doivent s'accoutumer de bonne heure à braver les élémens, et surtout celui de l'eau. Il pleut dans nos climats plus de la moitié de l'année. Un soldat, un marin, un cultivateur, un voyageur, un ouvrier, s'exposent fréquemment à la pluie, souvent pour leurs intérêts particuliers: vous ne devez pas la craindre, surtout lorsqu'il s'agit d'acquérir des lumières. La pluie n'est qu'un bain. Elle est salutaire tant qu'on est en mouvement; elle n'est nuisible que lorsque la transpiration est arrêtée par le repos : elle ne doit apporter aucun obstacle aux exercices des garçons. Il n'en est pas de même de ceux des filles, destinées par la nature à avoir soin de l'intérieur de la maison. La faiblesse de leur sexe les dispense des fatigues que les hommes ne doivent pas craindre. C'est à elles à les soulager un jour, comme mères de familles, lorsqu'elles pourvoiront aux besoins de leurs maris et de leurs fils, revenant du travail. Qu'elles aillent donc dès à présent faire l'apprentissage de leurs devoirs futurs, en préparant à leurs frères, de retour d'une promenade laborieu e, des vêtemens secs et des alimens chauds. Leurs frères les amuseront par le récit de leurs courses; et si elles

n'en reçoivent pas d'instruction, au moins elles en obtiendront de la reconnaissance.

>> Allons, mettons-nous en marche, tâchons de découvrir d'où ce ruisseau tire sa source; remontons le long de son cours; chemin faisant, nous prendrons une idée des harmonies des puissances de la nature avec l'eau, sous tous les rapports que nous lui connaissons, d'évaporation, de fluidité et de congélation.

>> Commençons par celles du soleil. Considérez ces brouillards qui semblent fixés sur les sommets lointaius des montagnes : ce sont eux qui fournissent l'eau qui coule à vos pieds dans ce ruisseau. Mais d'où tirent-ils eux-mêmes leur origine? Il fut un temps où les hommes, se fuyant les uns les autres à cause de leurs brigandages, et n'obéissant qu'aux frayeurs de la superstition, s'imaginèrent que leurs rivières et leurs fleuves étaient des divinités qui versaient leurs eaux par des urnes; qu'elles habitaient les sommets des montagnes, et que les brouillards qui s'y arrêtaient étaient des nuages dont elles se voilaient aux yeux des mortels. Ils croyaient que les orages qui s'y forment étaient des tonnerres et des foudres dont elles étaient armées. C'est ainsi que les Grecs placèrent Jupiter fulminant au haut de l'Olympe, et que les Arcadiens, réfugiés en Italie, assuraient avoir vu ce dieu avec son égide sur la cime forestière du Capitole, ainsi que le bon roi Evandre le racontait à Enée ':

Hoc nemus, hunc, inquit, frondoso vertice collem,
Quis deus, incertum est, habitat deus: Arcades ipsum
Credunt se vidisse Jovem, quum sæpe nigrantem
Ægida concuteret dextrâ, nimbosque cieret.

« Un dieu, dit Evandre, habite cette forêt et cette colline » ombragée d'un sombre feuillage. Quel est ce dieu? On » l'ignore. Les Arcadiens croient y avoir vu souvent Jupiter » lui-même agiter de sa main toute-puissante sa noire égide, » et s'environner de tempêtes. »

>> Mais lorsqu'ils se rapprochèrent par leurs besoins, et mirent en commun leurs observations, ils s'assurèrent que les brouillards étaient élevés de dessus l'Océan par la chaleur du soleil, que l'air les pompait et les voiturait, que la terre les attirait par les sommets électriques de ses montagnes, que de là ils se résolvaient en pluie, dont les canaux de rivières recueillaient les eaux pour féconder les campagnes. Alors, au lieu de trembler devant des dieux imaginaires et terribles, au nom desquels des prêtres avares exigeaient souvent des sacrifices cruels, ils adorèrent en commun le Père de l'univers, dont les élémens étaient les minis

'ENÉIDE, liv. VIII, vers 331.

tres, qui ne se manifestait aux hommes que par des bienfaits.

>> Considérons maintenant quelques qualités principales de l'eau : elle est refractante dans ses vapeurs, refléchissante et réflétante à sa surface.

>> J'appelle réfraction la faculté qu'elle a de rompre les rayons de la lumière, et d'augmenter l'ouverture des angles des corps que l'on aperçoit à travers, de manière qu'ils nous apparaissent plus grands. C'est ainsi que le soleil levant, que vous voyez à travers ce brouillard, semble une fois plus large qu'à l'ordinaire. C'est encore par la réfraction qu'un bâton, plongé dans l'eau, y parait rompu, et d'un plus grand diamètre que la partie qui est hors de l'eau. Lorsque les vapeurs sont opposées au soleil et réunies en gouttes de pluie, elles réfractent à la fois et réfléchissent la lumière, qui s'y décompose en couleurs. Telle est la cause de cet arc-en-ciel dont vous apercevez quelques traces vers le couchant.

>>> La réflexion sans réfraction renvoie la lumière toute pure. C'est par cette raison que ce ruisseau paraît là-bas, au milieu de la vallée, brillant comme un miroir.

» Le reflet est la propriété que l'eau a de représenter les objets qui l'environnent, comme s'ils étaient renfermés dans son sein. La physique vous expliquera un jour les lois de ce mécanisme merveilleux. L'eau réfléchit la lumière au dehors sur les corps qui l'avoisinent, et elle reflète leurs formes au dedans. Si elle les eût réfléchies comme la lumière, les formes des arbres et des terres qui bordent ses rivages eussent apparu à sa surface, et cette répétition des mêmes objets sur les mêmes plans eût détruit l'unité des sites de la nature : l'illusion se fût confondue sans cesse avec la réalité. Les oiseaux eussent voltigé en vain autour d'un saule fantastique pour y faire leurs nids, et les bœufs se fussent heurtés contre un saule réel, en le prenant pour son image. Cependant la nature a employé partout de doubles consonnances, mais elle les a transportées d'une puissance dans l'autre, pour ne pas les confondre. Si ce ruisseau reflète au fond de son lit la colline qui est sur ses bords, la colline de son côté répète à son sommet le murmure du ruisseau. Les reflets de l'eau sont à la terre ce que les échos de la terre sont à l'air; mais la nature a répandu le charme des consonnances morales jusque dans les objets physiques.

>>L'eau doit les qualités qui lui paraissent propres à des harmonies combinées. Ses vapeurs, ses pluies, sa fluidité, ses réfractions, ses réflexions, ses reflets, ses neiges, ses grêles, ses glaces, résultent de la présence ou de l'absence du soleil.

Elle doit son ascension dans l'atmosphère à la spongiabilité et à la pesanteur relative de l'air, ses mouvemens au cours des vents, et son équilibre avec elle-même, ou son niveau sur la terre ainsi que ses courans, à l'attraction du globe.

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» La terre attire l'eau jusque dans ses parties les plus petites et les plus dures. Elle s'en imbibe comme une éponge, lorsqu'elle est en état de poussière la pierre la plus sèche en renferme. Voyez ce four à chaux, sur la pente de la colline; il en sort un tourbillon épais de fumée, quoiqu'il ne soit chauffé qu'avec des bourrées, et qu'il ne soit rempli que de pierres. Si vous mettez même une pierre à chaux sur des charbons ardens, vous la verrez fumer; elle exhale les vapeurs de l'eau qu'elle contenait, et qui, par leur extrême ténuité, pénètrent les corps les plus compactes: vous en pouvez voir l'effet dans un petit gravier fort estimé, à cause de la propriété qu'il a de s'imbiber d'eau très-promptement. Il est naturellement opaque; mais, si on le met dans l'eau, il s'en pénètre et devient, par ce moyen, demi-transparent. On l'appelle oculus mundi, œil du monde. C'est donner un grand nom à un bien petit objet, car il n'est guère plus gros qu'une lentille, et il ressemble au fragment de la croûte d'un caillou, dont on dit qu'il est un débris. Il y a tel de ces graviers qui a été vendu cent louis, à cause de leur rareté. Pour moi, je trouve la pierre à chaux, sans comparaison, plus curieuse et plus utile, car, après avoir renfermé de l'eau, qu'elle rend visible par sa fumée si on la met dans le feu, elle s'imbibe de feu, qu'elle rend sensible si on la remet dans l'eau. Elle sert d'ailleurs à une infinité d'usages.

» Mais ne nous écartons pas de notre ruisseau. Une chose importante à observer est son courant; il le doit à l'attraction centrale de la terre; la terre attire l'eau à son centre, dans l'état de fluidité, et au sommet de ses montagnes, dans l'état d'évaporation. La terre est un aimant qui paraît avoir plusieurs pôles; j'en distingue de trois sortes qui partent du même centre : les pôles des montagnes, les deux pôles du globe et le pôle central, qui est le siége même de l'attraction. Voyez ce brouillard qui couvre le sommet de cette colline; il y paraît fixé il s'y en joint d'autres qui viennent s'y rendre de différentes parties de la vallée. Dans les pays de montagnes, vous voyez les pyramides de rochers qui les couronnent, entourées d'un chapeau de nuages. Si elles sont fort élevées, il se forme, de ces nuages, des amas considérables de neiges et de glaces qui durent toute l'année; telles sont plusieurs montagnes de la Suisse. Leurs glaciers ont quelquefois trente lieues de longueur sur

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cinq ou six lieues de diamètre, et jusqu'à cinq ou six cents pieds d'élévation. Ce sont les châteaux d'eau du Rhin, du Rhône et de plusieurs autres fleuves. Les glaciers des Cordilières, en Amérique, sont beaucoup plus étendus et plus élevés; aussi il en sort des fleuves qui, comme l'Amazone, ont quatorze ou quinze cents lieues de cours, et plus de cent vingt lieues d'embouchure. Mais ces glaciers des Cordilières ne sont rien en comparaison de ceux des pôles, qui ont, dans leur hiver, quatre à cinq mille lieues de circonférence, et peut-être jusqu'à vingt-cinq lieues de hauteur, et dont l'Océan lui-même tire ses sources. Le conrant de toutes ces eaux se dirige au centre de la terre, où est l'attraction générale de tous les corps; ces diverses attractions des montagnes, des pôles et du centre, s'étendent peut-être aux autres corps, à en juger du moins par la boussole; car, si elle dirige sa pointe générale vers le pôle nord, elle la varie au voisinage de beaucoup de montagnes, et elle tend aussi vers le centre de la terre par son inclinaison. A la vérité, il y a grande apparence que ce sont des mines de fer qui occasionent ces diverses attractions; mais il est remarquable que les sommets des montagnes qui attirent les eaux sont, pour l'ordinaire, ferrugineux. Au reste, l'attraction centrale de la terre agit sur tous les corps sans exception, puisqu'elle est la cause de leur pesanteur. Quoi qu'il en soit, c'est la tendance générale des fluides vers le centre de la terre, qui forme, d'un côté le niveau des lacs, et de l'autre le courant des rivières; c'est d'après cette tendance qu'on a imaginé le niveau d'eau. Le niveau de l'eau n'étant que l'équilibre de toutes ses parties autour du centre de la terre, il s'ensuit que la surface d'un lac et celle de la mer sont sphériques. Cette courbure est très-sensible en pleine mer, car elle cache le corps d'un vaisseau à une lieue et demie de distance, et toute la hanteur de ses mâts à cinq ou six lienes. Il s'ensuit encore que la surface de la terre, qui offre aussi des arcs de cercle dans presque toute sa circonférence, a été dans un état de fluidité, et nivelée par les

eaux.

» Voilà pour les eaux de niveau et en repos, mais il y en a bien peu qui le soient naturellement. Depuis la fontaine jusqu'à l'Océan, la plupart des eaux circulent. La pluie qui tombe forme cette source située vis-à-vis de nous; la source forme le ruisseau, le ruisseau-se jette dans la rivière, la rivière dans le fleuve, le fleuve dans la mer, cette mer dans l'océan Atlantique, dont les vapeurs nous fournissent la pluie. Pour l'ordinaire la fontaine tire sa source d'un rocher; le ruisseau d'une col

line; la rivière, d'une montagne; les grands fleuves, des montagnes à glaces, telles que celles des Alpes; la mer, des continens qui l'environnent en tout ou en partie; et l'Océan, des glaces qui couvrent les pôles du monde.

» Ce faible ruisseau suffit pour nous offrir une idée de l'Océan et de son bassin, comme une petite plante peut vous donner celle d'un grand arbre. Vous voyez ici des rives, des grèves, des détroits, des isthmes, des promontoires, des caps, des baies, des bancs de sable, des hauts-fonds, des îles, des presqu'îles, des confluens, des marais même. Si la terre a des matières qui attirent l'eau, elle en a qui la repoussent; telles sont en général les glaises et les argiles. La glaise est une terre grise et compacte, grasse, et douce au toucher; on s'en sert pour faire des pots. L'argile n'en diffère que par des parties ferrugineuses qui se manifestent, surtout dans la cuisson, par une couleur rougeâtre. Vous voyez des lits de ces différentes terres dans l'escarpement des bords d'un ruisseau. Observez qu'il découle au-dessus plusieurs filets d'eau. L'eau des pluies, attirée par les rochers, pénètre la terre végétale et les couches de sable où elle se purifie; mais elle se perdrait dans l'intérieur de la terre, si elle n'était arrêtée par des lits de glaise ou d'argile que la nature y a placés à différentes profondeurs. C'est sur ces lits que reposent les nappes d'eaux souterraines qui fournissent des sources à nos rivières et de l'eau à nos puits. On retrouve fréquemment ces sources sur les rivages de la mer, surtout quand elle s'abaisse dans le reflux; car c'est sur ses rivages qu'aboutit la coupe des différens lits de la terre. Cette observation peut être très-importante à un homme qui a fait naufrage, même sur un banc de sable aride. Il peut trouver de l'eau douce sur le bord de la mer, en y creusant à un pied de profondeur pendant son reflux. C'est aux eaux souterraines arrêtées par des couches glaisenses ou argileuses, et quelquefois par des bancs de roche, qu'il faut attribuer les fortes transpirations de la terre qui, la nuit, baignent de rosée les plantes pendant les ardeurs brûlantes de l'été. Sans ces admirables prévoyances, une partie de la végétation périrait; car il y a bien des lieux sur la terre où il ne pleut que dans une certaine saison.

» Mais nous voici parvenus à la source du ruissean. Voyez comme il sort en murmurant de la fente de ce rocher couvert de capillaires et de scolopendres. Ses eaux se rassemblent dans un petit bassin bordé de joncs et de roseaux. Tout autour sont des peupliers et des saules; plus loin, sur les hauteurs voisines, des hêtres et des châtaigniers.

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Observez d'abord que l'eau coule de toutes les parties de ce rocher : c'est qu'il attire le brouillard de toutes parts. En temps de pluie et de dégel, vous remarquerez des effets semblables dans l'intérieur même des maisons, sur les pierres et sur les vitres, qui deviennent alors tout humides, parce qu'elles attirent les vapeurs. La source de ce ruisseau vient d'un terrain encore plus élevé que celui où nous sommes. Elle y est formée par des vapeurs rassemblées, par d'autres rochers, en filets d'eau, qui après avoir pénétré la surface de la terre, se réunissent sur un lit de roches, se dégorgent par cette ouverture, et se rassemblent dans ce bassin. Sans ces différens réservoirs, tant intérieurs qu'extérieurs, les eaux pluviales s'écouleraient tout d'un coup, et quand les vents n'apporteraient plus de vapeurs au haut de ces collines, leur ruisseau resterait à sec. Vous trouverez des dispositions semblables à la source de tous les courans d'eau réguliers. Si les ravines, occasionées par les pluies, s'écoulent rapidement; si elles restent sans eau après les orages, c'est qu'elles n'ont pas dé réservoir à leur source. Le torrent est l'ouvrage du hasard, le ruisseau est celui de la nature. Il y a donc des réservoirs sur toutes les hauteurs qui attirent les eaux, et à la source de tous les courans réguliers: souvent ce n'est qu'un simple bassin à celle d'un ruisseau, un étang ou un marais à celle d'une rivière; mais un grand fleuve a pour château-d'eau une montagne à glace, avec un lac à son pied qui en reçoit les fontes; et l'Océan a dans notre hémisphère un des pôles du monde couvert d'une coupole de glaces de quatre ou cinq mille lieues de circonférence, avec des méditerranées autour, qui en distribuent les eaux à tout le globe.

» Mais, me direz-vous, comment des causes insensibles, aveugles et mécaniques, peuvent-elles produire des résultats si bien combinés? La main qui trace des caractères en ignore les pensées; l'intelligence seule réside dans l'ame invisible qui les ordonne et qui meut la main. Vous voyez donc bien qu'une Providence très-sage a combiné entre eux les élémens pour les besoins des végétaux et des animaux. Elle échappe à nos sens corporels, mais elle s'y manifeste par ses bienfaits : Mens agitat molem, l'esprit modifie la matière. Quel sera un jour notre étonnement, lorsque, étudiant les harmonies positives et négatives des végétaux avec les eaux, vous verrez ceux des montagnes élevées et des terrains arides attirer les vapeurs et les recueillir avec des feuilles faites en pinceaux, en langues, en coupes, en écopes, comme les pins, les ormes, les châtaigniers; tandis que ceux qui croissent au sein des eaux, et qui n'ont pas besoin

d'être arrosés, comme les nymphæa, les roseaux, les joncs, les cristes-marines, les repoussent, et portent des feuillages qui ne peuvent se mouiller ni servir d'aquéducs! Quel sera notre ravissement lorsque, à l'instar des végétaux, vous verrez les oiseaux des montagnes se plaire à arroser leurs plumes des eaux du ciel ou de celles des fontaines, tandis que les oiseaux aquatiques plongent dans l'onde sans pouvoir mouiller leur plumage! Que d'instruction vous pourrez tirer des différentes manières dont voguent les habitans des eaux ! Quel Vaucanson parmi vous formera un jour, sur le mécanisme d'un poisson, un bateau qui en ait la vitesse? La nature, je le sais, n'a pas besoin que vous vous livriez à tant de recherches pour éclairer votre esprit et toucher votre cœur. Ses harmonies manifestent, sans études, l'intelligence infinie de son Auteur et ses bienfaits envers ses créatures; mais en vous invitant à étendre vos lumières et à perfectionner vos vertus, je vous indique la nature comme la source unique des arts et des sciences connus et à connaître. C'est dans son sein surtout que la physique va puiser ses lois. Isolée, elle ne tire guère sa théologie que de ses expériences, et sa morale que de ses machines. Puissiez-vous n'en inventer jamais de cruelles aux animaux, et de funestes aux hommes !

>> Il faut admirer la Providence, qui a permis que le corps humain, si délicat, pût supporter toutes les vicissitudes des élémens, afin qu'il vécût dans tous les climats. L'habitude est pour lui une seconde nature, non parce qu'il se crée une seconde existence, mais parce qu'étant harmonié d'une infinité de manières avec la nature, il est susceptible d'une infinité d'habitudes. Il n'en est ainsi d'aucun autre animal. C'est principalement pour l'usage de l'homme que la nature a distribué des eaux potables par toute la terre : elle les a mises en neiges, en glaces dans les zones glaciales, et en couches souterraines dans les sables brûlans de la zone torride; elle les verse en pluie sur les vastes plaines de la mer, et elle les fait couler en ruisseaux, en rivières et en fleuves sur les continens. L'éléphant de la zone torride, qui ne peut boire qu'en pompant l'eau avec sa trompe, périrait de soif au milieu des neiges de la Laponie, s'il n'y mourait pas de froid. Au contraire, le renne de la zone glaciale, qui broute la neige avec la mousse, mourrait de soif, et sans doute de chaud, sur les bords des eaux tièdes du Sénégal et de la Gambie. L'homme seul trouve partout des eaux potables: il y en a jusqu'au milieu des mers australes et septentrionales. Leurs glaces flottantes, quoique formées au sein des eaux salées, se fondent en eaux

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