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Les harmonies aquatiques extérieures des animaux sont en rapport avec les six océans.

Les uns en ont avec l'océan glacial, par leurs longs poils qui les mettent à l'abri des neiges : tels sont en général ceux qui avoisinent les pôles, ou qui vivent près des glaciers des hautes montagnes, et que la nature a revêtus d'épaisses fourrures. Nous observerons qu'elle a étendu ses précautions maternelles jusqu'aux animaux de nos climats, dont les poils deviennent plus longs et plus touffus en hiver qu'en été. Quelques espèces ont des organes particuliers en rapport avec les neiges, comme les élans et les rennes du Nord, dont les bois sont palmés et aplatis. Ils s'en servent, comme de bêches et de pelles, pour écarter la neige qui cache les mousses et les plantes dont ils se nourrissent. La neige elle-même est une espèce de matelas dont la nature couvre, en hiver, les herbes, pour les préserver du froid.

La plupart des animaux ont des harmonies avec l'océan aérien ou vaporeux, par la configuration de leurs corps et de leurs muscles, disposés de la manière la plus favorable, non-seulement pour faire écouler l'eau des pluies, mais pour la conduire depuis le sommet de leur tête jusqu'à leurs organes excrétoires, afin de les laver et de les déterger. Ils ont de plus leurs plumes ou leurs poils disposés les uns au dessus des autres en recouvrement, comme les tuiles d'un toit.

L'océan terrestre, suivant notre définition, se divise en océan fluviatile, qui coule en rivières et en fleuves à la surface des continens, qu'il arrose, et en océan souterrain, qui fournit sans cesse des sources à nos puits et à la végétation. Un grand nombre d'animaux ont, avec le premier, des rapports que nous examinerons en parlant de ceux de l'océan aquatique ou de l'Océan proprement dit, quoiqu'ils en aient aussi de particuliers. Quelques espèces en ont avec l'océan souterrain. C'est ainsi que les scarabées vivent sous terre, et ont les ailes revêtues d'étuis écailleux, pour les préserver de l'humidité. Plusieurs sont enduits d'huile, comme le stercoraire, et comme celui qu'on appelle, à cause de sa couleur, le capucin, qui passe sous la terre la saison des frimas, à l'abri des gelées, avec ses petits, qu'il y porte sur son dos, aplati comme celui d'une tortue.

Plusieurs insectes sont ordonnés à l'océan végétal, c'est-à-dire à la séve des plantes: tels sont ceux qui vivent à la surface des feuilles et des fruits, dont ils pompent les sucs; tels sont, entre autres, les cochenilles, qui nous donnent la riche couleur de l'écarlate. Elles naissent au Mexique, sur la feuille épaisse et épineuse du nopal, qu'elles

sucent dès qu'elles sont écloses. Leur trompe est si fragile qu'on ne peut les déranger de leur place sans la rompre et les faire périr ; elles restent donc fixées toute leur vie au même point qui les a vues naître, et à la mamelle végétale qui les nourrit. Mais, lorsque les femelles ont atteint l'âge de puberté, ce qui arrive au bout d'un certain nombre de phases lunaires, il vient des ailes aux mâles, qui se détachent de la plante qui les a vus naître, et ne vivent plus que pour l'amour. Les femelles, toujours immobiles, font leur ponte autour d'elles; mais leur postérité est si nombreuse qu'elle manquerait bientôt d'espace pour paitre sur la même feuille, et si délicate, qu'il lui serait impossible de passer d'une plante à l'autre, si la nature ne lui fournissait un moyen admirable d'émigration. A l'époque de leur naissance, une multitude d'araignées filent dans les nopalières, et c'est le long de ces fils, comme sur des ponts, que les petites cochenilles émigrent sur les nopals voisins.

L'océan animal, c'est-à-dire le fluide qui circule dans les animaux, sert à la nourriture de quantité d'insectes. Il n'y a peut-être pas d'animal qui n'ait son insecte particulier, depuis la puce jusqu'à la baleine. Beaucoup d'oiseaux ont des poux ailés, et j'en ai vu de tels à des pigeons à l'Ile-de-France. Mais, parmi les insectes sanguisorbes, il n'y en a point de construits avec un artifice plus étonnant que le cousin. Il a des ailes qui le transportent où il lui plaît, six pates armées de griffes pour s'attacher sur les corps les plus polis, et une trompe plus curieuse sans contredit que celle de l'éléphant. C'est un tuyau fendu dans sa longueur en deux parties flexibles, qui renferment un aiguillon d'une structure merveilleuse; il est composé de cinq ou six petites lames, semblables à des lancettes posées les unes sur les autres. Quelques-unes de ces lancettes sont dentelées à leur extrémité comme des scies; d'autres sont tranchantes comme des poignards. Le cousin se sert du tuyau de sa trompe comme d'un pieu, pour l'enfoncer dans un des pores de la peau; ensuite il en fait jouer les lames, qui tranchent les vaisseaux capillaires, et il en aspire le sang avec sa trompe, jusqu'à ce qu'il en soit rempli on voit sortir alors de son anus une petite goutte d'eau dont il se décharge. Nous avons supposé, aux harmonies aériennes, non sans vraisemblance, que cette goutte provenait d'une vessie pleine d'eau, que la nature a donnée aux insectes volatiles pour se tenir en équilibre dans l'air, comme elle a donné aux poissons une vessie pleine d'air pour se tenir en équilibre dans l'eau.

Bien des gens regardent les insectes sanguisorbes

comme produits par une puissance malveillante ou au moins imparfaite; mais tout est à sa place dans l'univers. Ces insectes, qui ne foisonnent que dans les chaleurs, pompent les humeurs surabondantes des corps des hommes et des animaux ; ils les empêchent de se livrer à de trop longs sommeils; ils les forcent de recourir aux bains si salutaires. Les mouches obligent, vers le milieu du jour, les boufs de quitter les vallées, et de chercher de nouvelles pâtures aux sommets des montagnes. L'œstrum, cette espèce de taon si redouté des rennes, les contraint, en été, de fuir vers le nord, où ils trouvent de nouveaux lichens que la fonte des neiges leur découvre. Quelques mouches bourdonnantes servent de barrière à leurs nombreux troupeaux, et les retiennent sans cesse dans les limites de l'hiver, pour lesquelles ils sont destinés. Pour juger la nature, il faut la voir dans son ensemble.

Les organes des insectes sont bien plus composés que ceux des autres animaux. Leur étude peut donner de grandes lumières sur la nature même des élémens avec lesquels ils semblent être en rapport. Les animaux microscopiques en sont en particulier la preuve par exemple, le rotifère n'est pas plus gros qu'un petit grain de sable. II habite les gouttières, où il peut supporter, sans périr, le 50o degré de chaleur, et le 19o degré de froidure au-dessous de la glace, au thermomètre de Réaumur. On le trouve dans un tel état de sécheresse, que si on le touche avec la pointe d'une aiguille, on le réduit en poudre. On peut le conserver un grand nombre d'années dans son état apparent de mort; il reste toujours en vie sans prendre aucune nourriture. Si on laisse tomber sur lui une petite goutte d'eau, elle le brise, tant ses organes sont délicats; mais, si cette eau le pénètre à travers la poussière, il développe peu à peu ses membres, et il nage dans sa goutte comme dans un océan. On lui voit alors alonger, de sa partie antérieure, deux tronçons qui portent chacun une roue, qui lui a fait donner le nom de rotifère ou porte-roue. Il sort ensuite de sa partie inférieure un trident, avec lequel il s'attache sur le plan où il est, comme avec une ancre. Son corps est composé d'anneaux qui lui servent de jambes; il s'en sert pour s'allonger et se contracter à son gré, comme un ver. Avec ses deux roues, composées de fils imperceptibles, il forme deux tourbillons rapides, au moyen desquels il s'élève et s'abaisse, et attire sa proie vers sa bouche, située entre ses deux tronçons. Certainement la trompe de l'éléphant est moins ingénieuse; j'entends ingénieuse par rapport à nous, qui mesurons les

degrés de l'intelligence divine sur la nôtre, c'est à-dire par des nombres et des séries. Mais il n'en est pas de même par rapport à la nature : elle a proportionné les organes des êtres à leurs besoins. L'excès de prévoyance, pour celui qui pourrait s'en passer, serait une inconséquence aussi grande que son défaut pour celui à qui cette prévoyance serait nécessaire. Tout est donc également ingénieux dans ses ouvrages, parce que tout y est à sa place et dans ses proportions. Une lourde baleine, faite en forme de soulier, n'est pas moins bien taillée pour voguer au sein des glaces de l'Océan, que le rotifère léger dans sa goutte d'eau, exposé sans cesse à être précipité du haut des toits où il fait sa demeure.

Quoiqu'un rotifère soit à peine visible, il a encore au-dessous de lui des séries d'animalcules si petits qu'il est, par rapport à eux, ce qu'est, par rapport à lui, un de ces nord-capers, qui ont jusqu'à cent cinquante pieds de longueur. Tels sont ceux qu'il attire dans ses tourbillons pour en faire sa proie, et surtout ceux qui s'agitent en nombre infini dans la séve des végétaux, et dans la lymphe et le sang des animaux. Si l'on regarde un têtard au microscope, on voit, dans les parties transparentes de sa queue, le sang circuler avec rapidité sous la forme de petits globules, qui s'allongent aux passages étroits, comme s'ils étaient animés. De simples dissolutions de poivre ou de graines manifestent, au microscope, un grand nombre d'animalcules qui ont des formes trèsextraordinaires. Le vinaigre en présente qui ressemblent à des anguilles; leur génération paraît se produire sans accouplement. La nature varie ses lois dans l'infiniment petit comme dans l'infiniment grand mais comment pourrions-nous la suivre dans ces longues perspectives de la vie, nous qui entrevoyons à peine la carrière rapide où nous devons marcher? contentons-nous seule ment d'en tirer quelques conséquences pour la guérison de nos maux ; la plus grande portion de notre bonheur ne consiste que dans leur absence.

Je crois donc qu'on peut attribuer la plupart des maladies contagieuses à des animalcules qui vivent dans des fluides, et qui s'attachent à des corps, au moyen desquels ils se communiquent par le contact. Il est certain qu'elles s'engendrent toutes par des temps chauds et humides, qui sont les grands mobiles des générations végétales et animales. Ces mêmes maladies ne cessent que par des froids rudes ou par des chaleurs arides, si contraires à toute espèce de génération. Celles qui naissent uniquemen de la corruption de l'air ne se communiquent point par le contact, et par consé

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quent ne sont point contagieuses telles sont les fièvres d'automne et celles des pays marécageux. Quant aux autres, comme les dartres, la gale, la lèpre, les maladies pédiculaires et vermineuses, les fièvres pourprées, la rougeole, la petite-vérole, la rage et la peste, qui ne se communiquent que par un attouchement plus ou moins intime, elles paraissent devoir leur origine à des animalcules invisibles, qui vivent dans nos humeurs viciées, et s'attachent même à de simples linges. Les dartres, la gale et la lèpre s'étendent sur la peau des animaux qu'elles rongent, comme ces insectes marins, appelés glands de mer, qui construisent des alvéoles sur les coques de crustacés, et même sur la peau des baleines, où elles parviennent quelquefois à la grosseur du poing. Il en est de même des maladies pédiculaires et vermineuses, qui prennent naissance dans les humeurs des enfans, et même dans celles des hommes, comme on le voit par l'exemple de Sylla, qui mourut de la première les poux sortaient par tous les pores de son corps, et vengèrent la mort de tant de citoyens qu'il avait fait égorger. Il est évident que la petite-vérole renferme dans ses écailles desséchées des animalcules vivans, comine les rotifères, qui se développent et reprennent leur activité par une simple transpiration. Le contact d'un mouchoir suffit pour communiquer la peste. Ce qu'il y a de singulier, c'est que les animalcules pestifères ne s'attachent ni aux bois, ni aux métaux, ni aux pierres ; mais aux laines, aux cotons, aux soieries, et à tout ce qui fait fil, pour me servir de l'expression des Orientaux. Aucun de ces maux contagieux ne se transporte par la médiation de l'air ou de l'eau; ce qui prouve encore qu'ils doivent leur propagation à des animalcules, qui ont besoin de se fixer sur des corps qui aient de la consistance. Enfin, leur origine paraîtra hors de doute, si l'on considère que le mercure, qui fait périr tous les insectes, guérit la plupart de ces maux, comme la gale, les maladies pédiculaires, vermineuses et la rage même.

L'océan aquatique, par son étendue, sa profondeur, sa fluidité et sa circulation, est l'Océan proprement dit, quoiqu'il ne soit lui-même qu'une emanation des océans glacés des deux pôles, combinés tour à tour avec la chaleur du soleil. C'est l'aquatique qui, par ses vapeurs, les rétablit dans leur état primitif, qui produit l'océan aérien qui flotte dans l'atmosphère, le terrestre qui circule en fleuves, et le souterrain en nappes d'eau. Nous ne saisissons que des harmonies. Ainsi l'idée et le nom d'un arbre s'attachent plutôt à son tronc et à ses branches chargées de feuilles et de fruits,

qu'aux racines, auxquelles il doit son existence. C'est sur les rivages de l'Océan qu'aboutissent toutes les modifications de la puissance aquatique: les glaces qui descendent des pôles, les pluies qu'attirent les marées, les brumes qui se fixent sur les côtes, la vaste nappe d'eau souterraine qui alimente les végétaux, les embouchures des fleuves qui abreuvent les animaux, et les embarcations de l'homme, qui de là étend ses jouissances par tout le globe. Ce n'est point au sommet des hautes montagnes, mais au centre de la puissance aquatique, sur les bords des mers, que la nature plaça d'abord l'être le plus indigent de la terre, pour lui en donner l'empire.

Jetons donc d'abord un coup d'œil sur les harmonies que les animaux ont avec les eaux proprement dites. La nature leur a donné à tous l'instinct et le moyen de les traverser. Il n'y a dans les quadrupèdes que quelques espèces qui volent, telles que les écureuils volans, les chauve-souris, les lézards volans... Mais tous nagent, les plus gros comme les plus petits. Nous avons parlé du mécanisme du vol, mais celui de nager est incomparablement plus varié et plus étendu. Les animaux ont besoin de faire des efforts pour voler, mais ils nagent d'eux-mêmes; quelque pesans que soient leurs corps, ils sont tous en équilibre avec l'eau ; et ce n'est pas une chose indigne d'être remarquée qu'une balance hydraulique si égale entre tant de corps, dont les os et les chairs ont des pesanteurs si différentes dans l'air. La nature a établi des compensations entre eux au moyen des cavités de leur poitrine et de leur ventre, beaucoup plus considérables dans les animaux terrestres que dans les animaux marins. La chair des quadrupèdes coule à fond, et celle des poissons surnage d'ellemême. Il y a plus, l'organe de la respiration dans les premiers est au-dessus de leur ligne de flottaison, et leur tête est portée perpendiculairement sur leur corps horizontal, autant pour faire écouler les eaux de la pluie de dessus leur corps que pour les faire respirer aisément lorsqu'ils nagent. Il n'en est pas ainsi des poissons, dont la tête sans cou plonge toujours dans l'eau, parce qu'ils y respirent l'air avec leurs ouïes. Le cheval solipède nage avec grâce et long-temps; mais le bœuf et le porc traversent les eaux avec encore plus de vigueur. Nous avons remarqué dans nos Études que ces deux espèces étaient destinées à paître sur les bords marécageux des fleuves, et que leurs pieds sont surmontés d'ergots en appendices pour les empêcher de s'embourber. Les bœufs nagent si bien, qu'on a donné à un détroit le nom de Bosphore, qui signifie passage du bœuf, parce

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que cet animal peut le passer à la nage. J'ai vu moi-même en Allemagne des vaches traverser en nageant des rivières profondes, la dernière portant le pâtre sur son dos. Quant au porc, il nage avec beaucoup de rapidité ; j'en ai vu un exemple sur un vaisseau à la rade de la Martinique. Notre chaloupe avait apporté pendant la nuit des cochons, qu'on montait l'un après l'autre sur le pont; mais à peine les avait-on déliés, qu'ils allaient de l'autre côté du vaisseau se jeter à la mer par un sabord. Ils regagnèrent la terre à plus d'un demi-mille de là, sans que la chaloupe, qui était toute prête et armée de bons rameurs, pût les rattraper. Cette facilité à nager, dans ces deux espèces d'animaux, est d'autant plus étonnante, que le bœuf a la tête fort lourde, et que le porc porte la sienne toujours inclinée vers la terre, qu'il fouille on devrait donc s'attendre à les voir bientôt se noyer; mais la nature n'a pas oublié de leur donner des contrepoids elle a fait leurs cuisses très-charnues et très-pesantes, de sorte que leur poids fait relever leur tête hors de l'eau. Au contraire, le chameau, habitant naturel des sables, qui a sa partie postérieure fort maigre, et le corps élevé sur de longues jambes, perdrait aisément son équilibre; mais il a l'instinct de se coucher sur l'eau, comme une outre, et de traverser les fleuves en se laissant aller à leur courant. Je reviens à nos animaux domestiques. Je connais plusieurs villages situés sur le bord des rivières, qui ont renoncé à des portions de communes qui étaient au delà, parce que les ponts qui servaient de communication à leurs troupeaux ont été détruits. Une simple grève des deux côtés leur eût suffi pour entrer dans l'eau et en sortir.

Il y a une grande classe d'animaux que la nature a faite pour vivre à la fois sur la terre et sur l'eau, c'est celle des amphibies. On peut la rapporter aux harmonies générales de la nature positives et négatives, car il y en a de jour et de nuit, d'aériens, d'aquatiques et de terrestres.

Ces amphibies ont, la plupart, des pieds et des rames. Ces rames, dans les oiseaux aquatiques, sont des folioles attachées aux doigts des pieds de ceux qui vivent au milieu des eaux, tels que les pilets, les macreuses, les frégates et quantité d'autres, qui se reposent sur les flots, et ne marchent que sur les grèves sablonneuses de l'Océan; mais ceux qui fréquentent les marais et les bords des rivières ont les doigts de leurs pieds réunis par des membranes qui les empêchent d'enfoncer dans la vase: tels sont les canards, les oies, les cygnes, etc. Les oiseaux aquatiques sont taillés de la manière la plus propre à faire à la fois de grands trajets

dans l'air, à voguer contre les courans, et même à y plonger. Ils ont de petites têtes et de longs cous, qui facilitent leur vol, mais qui nuiraient à leur nager s'ils s'en servaient pour fendre l'eau; car alors elle viendrait frapper contre leur poitrine, dont elle s'écarterait en lui opposant beaucoup de résistance. Ils fendent donc l'eau non avec la tête, mais avec leur poitrine même; et l'eau, en glissant le long de leurs flancs allongés, vient frapper leurs pieds palmés, situés à l'extrémité de leur corps, comme un gouvernail et des rames : ces organes exercent alors sur le fluide en mouvement la plus grande action possible d'après les lois de la mécanique. Cependant, en voguant à la surface des eaux, ils profitent des vents favorables. Le cygne entr'ouvre ses ailes, et, à l'aide des zéphyrs, remonte le cours des fleuves, le long des prairies, à l'ombre des forêts. L'albatros, plus hardi, vogue au milieu des mers, loin de la vue de toute terre. Il apparaît sur le dos des flots, comme un mouton sur les flancs d'une colline : ce qui a fait donner à cet oiseau le nom de ce quadrupède. Il annonce aux Européens les approches du cap des Tourmentes; il voit tranquillement les pâles matelots serrer leurs voiles et raffermir leurs mâts : pour lui, il se joue au sein des tempêtes, se balance sur les vagues écumantes, se plonge dans leurs flancs, y saisit les poissons, et, aux approches de la nuit, s'élevant au haut des airs, il va porter à ses petits la pâture de chaque jour. L'homme a pris sur la forme d'un oiseau de marine celle de son premier bateau, de sa voilure et de son gouvernail; mais quel Archimède réunira comme la nature, dans une seule machine, le bateau, la cloche du plongeur et l'aérostat ?

Quelque faciles que soient les mouvemens des oiseaux amphibies au sein des eaux, ils ne sont pas comparables encore à ceux des poissons, Nous allons jeter d'abord un coup d'œil sur leur construction intérieure, ensuite sur celle extérieure.

Nous remarquerons d'abord que les arêtes des poissons ne s'emboitent point à leurs extrémités, comme les os des amphibies, des oiseaux, et surtout des quadrupèdes; elles sont attachées par de simples cartilages. La raison de cette différence me paraît fondée sur ce que la chair des poissons est supportée en entier par le fluide où ils nagent, et que celle des animaux qui vivent dans l'air et sur la terre est portée par la charpente de leurs os, qui, pour cette raison, avaient besoin d'être fortement assemblés aux articulations par des charnières et des nerfs. La même différence de construction règne entre les animaux de l'eau et ceux de la terre, qu'entre les plantes qui croissent au

fond de la mer et celles qui végètent dans l'air. Les plantes marines, comme nous l'avons déja fait observer, ont des tiges fort menues à leur base, parce que leur feuillage est soutenu par l'eau, tandis que les plantes terrestres ont leurs tiges renforcées par le pied, parce que l'air n'aurait pu les soutenir. C'est sans doute pour cette raison que les poissons qui vivent à la fois dans l'eau et dans l'air, et qui sont obligés de respirer de temps en temps, ont des os au lieu d'arêtes, et que ceux qui habitent les rochers ont des toits pierreux et voûtés, qui les mettent à l'abri du roulement des cailloux. Les amphibies, qui viennent à terre, ont aussi des os; et il est très-remarquable qu'il n'y a pas une seule espèce d'amphibie qui ait des arêtes. Les animaux terrestres ont tous de fortes charpentes, et par un artifice merveilleux, l'emboitement de leurs os est plus considérable dans les parties inférieures de leur corps, chargées d'un plus grand poids, que dans les supérieures, qui le sont moins. C'est ce que l'on peut voir surtout dans le squelette du corps humain, qui en réunit les plus belles proportions. Les points d'appui des os sont plus larges, leurs charnières plus profondes, et leurs attaches plus fortes, en descendant de la tête aux pieds qu'en remontant des pieds à la tête; les vertèbres dorsales ont des articulations moins solides que les os des cuisses, ceux des cuisses que ceux des genoux, et ceux des genoux que ceux des pieds. Les genoux sont fortifiés de rotules pour empêcher le poids du corps de tomber en avant en marchant, et le bas de la jambe est fortifié, dans la même intention, par le pied entier, qui est un assemblage d'os en arcs-boutans les quadrupèdes, qui posent sur quatre pieds, ne les ont point allongés.

Jetons maintenant un coup d'œil sur la configuration extérieure des poissons. Ils sont d'abord, pour la plupart, couverts d'écailles lubrifiées par un enduit visqueux qui les rend très-glissans dans l'eau, et quelquefois dans les mains du pêcheur qui veut les saisir.

Nous avons fait observer, dans la forme des quadrupèdes, qu'ils avaient une déclinaison de la tête à la queue pour l'écoulement de l'eau des pluies, et que leurs muscles étaient séparés par des canaux et des méplats, qui la dirigeaient aux organes excrétoires. Les oiseaux, revêtus de plumes, n'ont point leurs muscles apparens; mais ils ont grand soin, quand il pleut, d'entr'ouvrir les ailes pour recevoir l'eau du ciel; beaucoup se baignent et trempent dans l'eau leur tête, qu'ils secouent afin de s'asperger et de se laver tout le corps : c'est ce que font fréquemment, même en cage, les serins et les perroquets. Quant à la direction du corps

des oiseaux, elle est à peu près pyramidale ou en forme de toit, comme celle des quadrupèdes. Il n'y a rien de semblable dans la forme des poissons leur attitude est horizontale, et leurs muscles ne sont point séparés par des gouttières, parce qu'étant entièrement plongés dans l'eau, ils en sont lavés de toutes parts. Leur corps, depuis la tête jusqu'à la queue, est composé d'une courbe unique, afin de glisser plus aisément dans le fluide qui l'environne. Il en est à peu près de même de celui des oiseaux destinés à glisser dans l'air; il est revêtu de plumes qui, par leur disposition, ne présentent à l'extérieur qu'une seule courbe.

Il y a ceci de très-remarquable entre la forme de l'oiseau qui fend l'air et celle du poisson qui fend l'eau, c'est que la partie antérieure du premier, qui comprend le bec, la tête et le cou, est alongée et pointue, tandis que sa partie postérieure, qui aboutit au croupion, est assez large : c'est le contraire dans le poisson. Sa tête, assez grosse et sans cou, se joint immédiatement à la partie antérieure de son corps qui est la plus large, tandis que la postérieure est fort prolongée et presque pyramidale. Le poisson est en quelque sorte un oiseau renversé. En effet leur action est aussi différente que les élémens où ils vivent. L'oiseau vole de la partie antérieure de son corps avec les ailes qui y sont attachées, et il se gouverne par la postérieure avec sa queue et ses pates, qu'il alonge comme un levier qui lui sert de gouvernail; tandis que le poisson, au contraire, nage par la partie postérieure avec sa queue qui, par ses ondulations, fait l'office de rame, et il se gouverne par l'antérieure avec les ailerons de sa tête. On peut observer ces diverses proportions dans les poissons les meilleurs nageurs, tels que le thon, la dorade, le marsouin, appelé des matelots la flèche de la mer, et les oiseaux les mieux volans, comme la frégate, le cygne, l'aigle, et même l'hirondelle.

Nous pouvons tirer de ces aperçus quelques conséquences utiles pour la navigation. Nos vaisseaux ont en général la forme d'un poisson en avant, et celle d'un oiseau ou d'un poisson tronqué en arrière; car leur proue est plus large que leur poupe. Il n'y a pas de doute que si leur carène était plus prolongée, c'est-à-dire si elle avait la forme entière d'un poisson, ils vogueraient avec plus de vitesse.

Peut-être a-t-on cru remplacer la direction horizontale de la queue du poisson par la direction perpendiculaire du gouvernail dans le vaisseau; mais leur action est bien différente : le gouvernail du vaisseau n'est qu'un levier, et la queue du poisson est un levier et une rame. Le poisson, comme je l'ai dit, se gouverne avec ses nageoires, et il

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