Page images
PDF
EPUB

non-seulement sur le bord des eaux, qu'elles embellissent, comme les salicaires, dont les épis sont pourpres; les iris jaunes, les menthes odorantes, mais il y en a qui viennent dans le sein même des eaux, comme les cressons, les lentilles d'eau, les glaieuls, les joncs, les nymphæa, les sagittaires, ainsi nommées parce que leurs feuilles sont faites en fer de flèche. D'autres sont tout-à-fait submergées : telle est, entre autres, une espèce de plante en longs filets, dont les extrémités sont articulées en forme de pates d'écrevisses. Il est remarquable que toutes ces plantes fluviatiles épanouissent leurs fleurs à la surface des eaux. Une rivière, en été, ressemble souvent à une prairie ondoyante. Les petits oiseaux s'y reposent, et j'ai vu plus d'une fois la bergeronnette y courir après les insectes qui y voltigent. On en doit conclure que l'action immédiate du soleil est nécessaire à leur floraison, et qu'elles sont faites pour embellir le séjour de l'homme, car les bords de la mer n'offrent rien de semblable. Les plantes fluviatiles ont des fleurs, et les plantes marines n'en ont point. Les premières semblent destinées, par leurs couleurs et leurs parfums, à fournir des couronnes, des ceintures et des bouquets aux bergères et aux baigneuses; et les secondes, par leur glu et leur élasticité, à favoriser les échouages des barques des marins et des pêcheurs.

Les plantes qui croissent dans le sein de la mer sont soumises à d'autres lois végétales que celles qui fleurissent à la surface de la terre et des eaux donces; elles sont encore si peu connues, qu'elles manquent même de nomenclature. On leur donne, en général, les noms de fucus, d'algues ou de varechs, avec aussi peu de fondement que si on donnait le nom général d'herbes ou de graminées à toutes les plantes de la terre, parmi lesquelles il y a tant de genres différens et tant d'espèces si variées.

A juger du nombre des plantes de la mer et de leurs espèces par celui de ses animaux, il y a apparence qu'étant beaucoup plus étendue que la terre, elle est encore plus féconde en végétaux; mais nous ne connaissons guère que ceux qui croissent sur nos rivages, ou que les courans nous apportent. Quoique nous vantions beaucoup nos connaissances en histoire naturelle, je crois que nous n'en avons guère plus en plantes marines que les poissons n'en ont en plantes terrestres.

Il y a une bien plus grande variété de couleurs dans les plantes de la mer que dans celles de la terre. J'en ai vu de blanches, de grises, de vertes, de couleur de citron, de rose, de pourpre, de rouille, de brun enfumé, etc.: il semble que la

nature, qui leur a refusé les fleurs, leur en donne l'éclat et même les teintures, quoiqu'à cet égard on en fasse peu d'usage. Il est remarquable qu'il n'y en a point de bleues, ou du moins très-peu, parce qu'elles seraient confondues avec la mer qui est de cette couleur. C'est par la même raison qu'on ne voit guère de plantes terrestres de la couleur du sol qui les produit, parce qu'elles n'auraient pu être distinguées par les animaux auxquels elles étaient destinées. Ceux-là donc sont dans une grande erreur qui veulent établir de simples attractions et des consonnances mécaniques dans les ouvrages de la nature, qui nous présentent de toutes parts d'ingénieux contrastes.

Les diverses espèces de plantes marines ne diffèrent pas moins entre elles de formes que de couleurs. Il y en a en arbrisseaux, en feuilles de laitue, en longues lanières, en cordelettes uries; d'autres avec des nœuds, comme des disciplines; d'autres, chargées de siliques, de digitées, de chevelures; en flottes, comme les trombes du cap de Bonne-Espérance; en grappes de raisin, telles que celles qui en portent le nom sous notre tropique. Les unes flottent sans paraître être attachées à la terre; d'autres ont des racines qu'elles collent aux corps les plus unis, à des galets, à des bouteilles. Il y en a qui s'élèvent à la surface des flots, an moyen de petites vessies pleines d'air; d'autres ont de larges feuilles en éventail, criblées de trous, à travers lesquels l'eau passe comme par un tamis : tels sont les panaches marins qui croissent dans les détroits; il en est qui végètent sur la croûte des coquilles, comme des poils follets; d'autres, comme celles qui sont autour des îles de Kerguelen, vers le pôle austral, s'élèvent du fond des abimes de la mer, et ont jusqu'à trois cents brasses de longueur.

Toutes les plantes marines, même les plus submergées, ont des rapports avec l'air; elles le séparent de l'eau par un mécanisme non moins difficile à comprendre que celui des ouïes des poissons, qu'on nous donne pour l'expliquer. Une des plantes les plus extraordinaires en ce genre est le fucus giganteus, décrit par Roblet, chirurgien du capitaine Marchand, dans son voyage aux iles Charlotte, dans la mer du Sud. Il diffère de celui dont Forster nous a donné la description dans le Voyage de Cook, en ce qu'il est branchu, et que sa tige et ses branches sont des tuyaux pleins d'air d'un bout à l'autre. Au reste, ils parviennent tous deux à une grandeur prodigieuse, qui leur a fait donner le nom de gigantesques; car ils ont plus de trois cents brasses de long: celui de Roblet en avait trois cent quatorze. Sa végétation n'est pas moins

étrange que sa longueur. A sa naissance au fond de la mer, il n'est pas plus gros que le petit doigt, et il va en s'élargissant jusqu'à la surface des flots, où il se termine par une boule creuse entourée de feuillages; il était couvert de bernacles d'un bout à l'autre. Il ne se soutient dans l'eau qu'au moyen de l'air qu'il renferme; car si on le coupe, ses tronçons coulent à fond.

En général, les végétaux marins ont leur tige plus menue en bas et plus épaisse en haut, tandis que les végétaux de terre ont des proportions toutes contraires. C'est que dans les premiers le haut de la tige porte le bas, et dans les seconds le bas porte le haut. La plante marine est supportée, dans toutes ses parties, par l'eau, tandis que la plante terrestre pèse, par toutes ses parties, sur sa base, qui par conséquent devait être renforcée. La nature ne fait rien de trop ni de trop peu; ses harmonies sont si précises, que les végétaux terrestres qui s'accrochent par des vrilles ou des spirales, et qui par conséquent ne pèsent pas sur leur tige, l'ont plus menue par en bas et plus large par en haut, comme les plantes marines: tels sont les pois, les haricots, etc.

On pourrait, je crois, se servir d'un fucus giganteus à tube aérien pour descendre dans la mer; il servirait de trompe pour respirer l'air, puisque c'est une espèce de tamis qui le sépare de l'eau; on n'aurait point à craindre la compression de l'atmosphère, comme dans la cloche du plongeur.

Chaque rivage produit des plantes marines qui lui sont propres. J'ai vu à Dieppe de ces fucus blancs et rameux, tournés en spirale, dans des filets que nettoyaient des pêcheurs qui venaient de prendre des crabes sur les côtes d'Ecosse. Il y en avait de plusieurs autres espèces qu'on ne voit point sur nos rivages. Les ordures de leurs filets auraient enrichi nos cabinets les plus curieux. S'il y a un grand nombre de plantes marines sédentaires, il y en a de voyageuses. En revenant de l'île de France, j'ai vu, pendant plus de quatre-vingts lieues, la mer couverte de celles qu'on appelle raisins du tropique: on prétend qu'elles viennent des hauts-fonds de la Floride. Ce serait une nouvelle preuve du courant de la mer Atlantique, en été, du pôle nord vers le pôle sud. Mais comme en hiver les bords septentrionaux de cette même mer en sont couverts par grands tas, on en peut conclure encore qu'elle remonte au nord dans cette saison: ses riverains s'en servent avantageusement pour fumer leurs terres, ou pour en tirer de la soude. Elles sont recueillies avec soin par les habitans des côtes de Bretagne, de Normandie, des iles de Scilly, de l'Angleterre, de l'Ecosse, de

l'Irlande, des Orcades, et même de la sterile Islande, où quelquefois elles servent de pâture aux vaches.

Parmi ces végétaux maritimes si nombreux et si vigoureux, il n'y en a pas un que l'on puisse comparer à un tronc d'arbre, par sa solidité et sa grosseur; tous sont menus et élastiques comme des herbes. Il paraît que l'intention de la nature a éte de donner pendant l'hiver, aux amphibies du nord, des litières molles et chaudes, qu'elle a refusées à ceux du midi, qui ne trouvent sur leurs grèves que des sables et des mangliers dont les feuillages élevés les mettent à l'abri de la chaleur. Il est remarquable que les madrépores, ces espèces de végétations pierreuses dont les debris prodnisent tant de sables, viennent en abondance sur les rivages de la zone torride, tandis qu'on en trouve fort peu sur ceux des zones tempérées, et point du tout dans les zones glaciales. Au contraire, les plantes marines souples, telles que les algues et les fucus, sont d'une grandeur considérable, et très-communes dans les zones glaciales: moins nombreuses dans les tempérées, on en trouve fort peu dans la zone torride, où elles sont remplacées par les madrépores. Cependant ces deux productions si dissemblables paraissent avoir entre elles des analogies, car elles ne portent ni fleurs ni fruits, et quand on les brûle, elles ont toutes deux une odeur désagréable de poisson ou d'insecte. Je serais disposé à les ranger dans la classe des polypiers; pourquoi même n'y comprendrait-on pas aussi les plantes terrestres, puisqu'on trouve des animalcules en abondance dans leur séve?

Quoique l'anatomie des plantes marines nous soit encore inconnue, il est certain qu'elles sont harmoniées avec toutes les puissances de la nature. Elles croissent au fond de la mer; mais elles s'enracinent sur ses sables et ses rochers; elles pompent l'air mêlé avec ses eaux, comme on le voit par celles qui ont des vessies aériennes, et par les poissons qui respirent avec leurs ouies. Les rayons du soleil, ce premier moteur de tous les êtres, y pénètrent aussi, non-seulement par leur chaleur, mais encore par leur lumière; car les poissons ont des yeux. Il n'y a pas même de doute que les rayons de la lune n'éclairent jusqu'au fond des abîmes de l'Océan; car c'est sur ses phases que les poissons règlent leurs voyages, leurs amours et le temps de leur frai : enfin l'influence de l'astre des nuits y est si grande, que les poissons à coquille ont leur coquillage revêtu d'autant de couches qu'ils ont vécu de lunes, ainsi que nous l'avons remarqué ailleurs.

Ces observations détruisent l'erreur mise en

avant par Bouguer, au sujet de la lumière de la June. Cet astronome prétend que cette lumière n'est que la trois cent millième partie de celle du soleil; il tire cette conséquence d'une expérience qu'il a faite avec un certain nombre de verres posés les uns sur les autres, à travers lesquels il a fait passer les rayons de l'astre du jour, qu'il a réduits ainsi à un clair de lune. Mais si la lumière de l'astre des nuits n'était en effet que la trois cent millième partie de celle de l'astre du jour, nonseulement elle n'irait pas jusqu'au fond des mers, mais même celle du soleil n'y pénétrerait jamais, car elle a à traverser des couches d'eau beaucoup plus épaisses que tous les verres qu'on peut entasser les uns sur les autres. Cependant les mœurs des poissons et les accroissemens périodiques de leurs coquilles prouvent l'influence des rayons de la lune jusqu'au sein des eaux les plus profondes. Bouguer n'avait besoin que du témoignage de ses yeux pour se convaincre d'une erreur de calcul aussi énorme. Pouvait-il croire qu'un clair de pleine lune est trois cent mille fois plus faible que le jour ? Les ombres sont en même proportion que les lumières. Y a-t-il un rapport d'un à trois cent mille entre les ombres des corps éclairés par ces deux astres? S'il fallait à Bouguer, élevé dans l'obeissance académique, des expériences physiques pour s'assurer de ce qu'il voyait dans la nature, il n'avait qu'à bien fermer les volets de sa chambre, et y faire un trou qui fût la trois cent millième partie du disque apparent du soleil, qui est à peu près d'un demi-pied de diamètre; il aurait vu si le filet de lumière solaire qui l'eût éclairé était comparable à celle d'un clair de lune. Il y a dans le volet de ma chambre cinq trous, de plus d'un demi - pouce de diamètre chacun lorsque les rayons du soleil passent à travers, ils n'y rendent pas sensibles les objets qui sont à l'extrémité. Bouguer s'est encore trompé lorsque, dans son Traité de la Navigation, il fixe à un degré la plus grande réfraction du soleil sur tous les horizons du globe. Berents avait prouvé qu'elle était de deux degrés et demi sur l'horizon de la Nouvelle - Zemble, où il vit le soleil quinze jours plus tôt qu'il n'y devait paraitre. Il est vrai qu'on en peut conclure en même temps que la terre s'alonge au nord, tandis que Bouguer, par une autre erreur, l'y suppose aplatie. Non-seulement il s'est trompé encore dans le même livre, mais il s'est contredit lorsqu'il affirme, d'une part, que la lune produit les marées par son attraction; tandis qu'il avoue, de l'autre, que les grandes marées n'arrivent qu'un jour et demi ou deux après le passage de cet astre au méridien. Je suis porté à croire qu'il n'y a point d'erreur,

même physique, qui n'ait sa source dans un défaut de morale. Bouguer voulait appuyer l'expérience du célèbre Buffon, qui refuse toute chaleur aux rayons de la lune; en conséquence, il affaiblissait, autant qu'il était en lui, par des expériences non moins illusoires, la lumière du réverbère céleste. D'un autre côté, il tenait fortement au système de l'attraction, qu'il voulait étendre à tout; il aimait donc mieux s'en confier au calcul qu'à l'évidence, et à l'autorité de Newton, qu'au témoignage de ses sens. C'était un bon néophyte, fidèle à sa foi, parce qu'il lui devait son poste d'astronome. Il y resta constamment attaché, ainsi qu'à sa patrie. Chargé, avec deux autres acadé miciens, de mesurer, au Pérou, un arc du méridien, près de l'équateur, il n'y fut ni querelleur, ni ambitieux, ni cupide. Il fut le seul d'entre eux qui retourna en France et à son académie, dès qu'il lui fut possible. Ses erreurs furent celles de son système plutôt que les siennes. Si je les relève ici en particulier, c'est qu'elles sont dans un ouvrage d'ailleurs estimable, et c'est afin de garantir la génération future de l'autorité des noms accrédités par les corps. Pour connaître la vérité, il faut s'affranchir des préjugés de famille, de tribu, et

même de nation.

Mais laissons les systèmes variables des hommes, et revenons aux lois permanentes de la nature. Nous avons rapporté chacune de ses puissances à douze harmonies principales, qui les divisent en genres. On peut rapporter chaque genre aux mêmes harmonies, et il en résultera au moins cent quarante-quatre espèces positives et autant de négatives. On aura, par la même marche, les sous-espèces ou variétés. Si l'on applique cette méthode aux plantes marines, elles se trouveront toutes classées dans leur ordre naturel. Il en résultera une connaissance a profondie de leurs formes, et par conséquent leur nomenclature : rem verba sequuntur, les choses portent avec elles leurs expressions. Jusqu'ici nous avons été dans une ignorance profonde sur les plantes marines, auxquelles nous n'avons donné tout au plus qu'une douzaine de noms, tandis qu'elles sont peut-être d'espèces et de genres aussi variés que les plantes terrestres. Il est très - vraisemblable qu'il y a entre les premières et les animaux de la mer les mêmes rapports qu'entre les secondes et les animaux de la terre. Quand même tous les végétaux marins ne seraient que des polypiers, ils n'en servent pas moins aux besoins et à la nourriture des poissons, dont plusieurs espèces méridionales ont un palais osseux qui leur sert à broyer les coraux.

On peut donc rapporter les madrépores si nombreux qui pavent les mers de la zone torride, au soleil, et les algues aux zones glaciales. Quoique toutes ces végétations croissent au sein des eaux, il y a des plantes marines qui appartiennent particulièrement à l'air, et qui sont en quelque sorte amphibies. Je citerai plusieurs espèces de varechs attachés aux rochers, que la mer couvre et découvre dans ses flux et reflux. Les vents en agitent les feuillages comme ceux des forêts. D'autres sont ordonnés à la terre, et servent à en protéger les rivages contre les courans: tels sont les algues du nord, tels sont surtout les madrépores, qui augmentent insensiblement la circonférence des îles situées entre les tropiques; plusieurs même de ces îles leur doivent leur naissance, comme l'a observé Cook dans les mers du Sud. C'est de leurs débris pierreux que se sont formés autrefois les pierres calcaires, les marnes et les marbres qui forment le sol de la plus grande partie de la terre, et surtout de l'Europe. Chose étrange! des animalcules marius, à peine visibles au microscope, accroissent notre globe de leurs travaux. Il n'y a de force si petite, que la constance ne rende toute puissante: omnia vincit labor improbus, rien ne résiste à un travail opiniâtre. Les harmonies animales des plantes marines ne sont pas moins admirables que les terrestres. Les algues du nord servent à la pâture d'une multitude d'insectes, qui servent à leur tour de nourriture à d'énormes cétacés. C'est sans doute à ces plantes si communes et si vigoureuses vers les cercles polaires, qu'il faut attribuer cette quantité prodigieuse de poissons que l'on pêche dans les mers septentrionales, dont les espèces sont sans contredit plus nombreuses, plus variées et plus volumineuses que celles qui vivent dans les mers torridiennes. Il y a de ces plantes marines à l'usage des hommes telles sont celles que nous employons aux engrais, et dont nous tirons des soudes. Mais combien d'autres pourraient servir aux teintures, et même aux alimens! Les Chinois, et surtout les Japonais, à l'aide de quelques préparations, en tirent des mets agréables, ainsi que nous avons fait de l'olive si amère. Y a-t-il parmi les végétaux marins une substance plus coriace et moins savoureuse que le grain de café, dont les Indiens ont fait une boisson exquise, par la torréfaction et la combinaison du sucre ? Que ne peuvent les harmonies des différens sels jointes à celles du feu!

Les plantes marines servent aussi aux harmonies morales du globe. Les unes se groupent fraternellement, comme celles qui décorent les rochers par leurs consonnances; d'autres, par de doux contrastes, les parent d'une pompe conjugale: telles

sont les corralloides, si variées de formes et de couleurs. D'autres se conjuguent entre elles à la surface des flots, et servent de radeaux à des couples heureux. On voit souvent, aux environs du cap de Bonne-Espérance, des veaux marins, mâle et femelle, voguer ensemble sur des trombes, creusées sans doute et renflées pour cette fin par la nature. Ce fut sur un lit de plantes marines que la Vénus des Grecs apparut au sein des mers, où la fable la fait naître. Les Chinois font également naître la déesse des amours au sein d'une fleur qui s'épanouissait au milieu des eaux. Ainsi, le sentiment des mêmes harmonies est commun à tous les peuples. Un grand nombre de plantes marines sont destinées à des relations maternelles. Elles servent à abriter et à voiturer le frai des poissons qui s'y attache. Souvent des alcyons et de petits oiseaux de terre, et même de faibles quadrupèdes, y font leurs nids, et voguent vers des îles inconnues. Ces végétations flottantes forment quelquefois des tribus si nombreuses, qu'elles arrêtent la course des vaisseaux: telles sont celles de la Floride. D'autres semblent poser des limites stables, et tracer des lignes de démarcation sur les plaines liquides de la mer: elles peuvent déterminer les bornes des diverses puissances maritimes, et donner aux navigateurs des points plus sûrs que leurs longitudes estimées. D'autres font comme eux le tour du globe, et circulent d'un pôle à l'autre avec l'Océan. C'est peut-être parmi ces espèces voyageuses et cosmopolites que de malheureux marins, naufragés sur un écueil, peuvent choisir des trajectiles propres à annoncer leur infortune sur tous les rivages. L'épaisseur de leurs feuilles et de leurs tiges est propre à recevoir toutes sortes d'inscriptions. Il est aisé d'en réunir des trains, pour les rendre apparens au sein des mers et signaler un naufrage.

Ainsi, la grève la plus aride, le rocher battu des tempêtes, peuvent offrir à l'homme le plus abandonné de ses semblables des objets de curiosité, d'aliment, d'agrément, d'espérance et de consolation. Dans mon enfance, j'allais souvent seul sur le bord de la mer m'asseoir dans l'enfoncement d'une falaise blanche comme le lait, au milieu de ses débris décorés de pampres marins de toutes couleurs, et frappés des vagues écumantes. Là, comme Chrysés, représenté par Homère, et sans doute comme ce grand poète l'avait éprouvé luimême, je trouvais de la douceur à me plaindre au soleil de la tyrannie des hommes. Les vents et les flots semblaient prendre part à ma douleur par leurs murmures. Je les voyais venir des extrémités de l'horizon, sillonner la mer azurée et agiter autour de moi mille guirlandes pélagiennes. Ces lointains,

ces bruits confus, ces mouvemens perpétuels, plongeaient mon ame dans de douces rêveries. J'admirais ces plantes mobiles, semées par la nature sur la voûte des rochers, et qui bravaient toutes les tempêtes. De pauvres enfans, demi-nus, pleins de gaieté, venaient avec des corbeilles y chercher des crabes et des vignots. Je les trouvais bien plus heureux que moi avec mes livres de collége, qui me coûtaient tant de larmes. Michel Montaigne raconte qu'il retira un jour dans son château un semblable enfant qu'il avait trouvé sur le bord de la mer; nais celui-ci préféra bientôt d'y retourner, et de chercher sa vie dans la même occupation. Montaigue attribue ce goût au sentiment de la liberté; inais il tient encore à celui des harmonies inexprimables que la nature a répandues sur les rivages de la mer. Ce sont elles qui portent le Patagon demi-nu à errer sans cesse au milieu des frimas et des tempêtes du cap Horn. Il préfère ses grèves brumeuses aux plaines fécondes de l'Amérique, et sa grossière industrie à tous les arts des Européens. La nature a mis le berceau de la liberté dans le jarlin des Néréides. Ce n'est point sur les sommets arides des hautes montagnes, mais sur les bords de l'Océan, que se sont formées les premières républiques. Là, les solitudes les plus sauvages sont habitées par une foule d'êtres animés, et l'abordance s'y trouve au milieu du plus sublime spectacle de la nature.

HARMONIES AQUATIQUES

DES ANIMAUX.

Nous avons distingué cinq océans, le glacial, l'aérien, l'aquatique, le terrestre, le végétal ; nous pouvons en ajouter un sixième, qui est l'animal, composé des humeurs et du sang des animaux. Celui-ci est non-seulement organisé comme le végétal, mais il est en quelque sorte animé. Tous ces océans qui constituent la puissance aquatique sont modifiés par l'action positive et négative du soleil, action combinée avec les autres puissances de la nature, et ils sont entre eux dans les mêmes proportions descendantes que chacune de ces puis

sances.

Non-seulement chaque animala des rapports généraux avec tous ces océans, mais les animaux forment différens genres qui peuvent se rapporter à chacun de ces océans en particulier. Avant de parler de leurs harmonies aquatiques extérieures, nous allons jeter un coup d'œil sur celles qui sont intérieures.

Nous remarquerons d'abord que les animaux aspirent les fluides par des organes positifs, comme

des becs, des lèvres, des langues, des trompes, et qu'après en avoir rempli leur vessie et leurs vaisseaux lymphatiques, ils les expirent par des organes négatifs.

Les becs sont des espèces d'écopes d'une manière cornée, qui servent aux oiseaux pour prendre leurs alimens solides et liquides. Les uns boivent l'eau par cuillerée, comme la poule, qui, à chaque gorgée, lève les yeux au ciel; d'autres la pompent d'une haleine, comme le pigeon, qui a le bec un peu charnu, afin que ses deux parties tassent mieux le vide : le canard a le sien élargi par le bout, et boit en barbotant.

Les lèvres sont des espèces de membranes avec lesquelles les quadrupèdes attirent l'eau en formant le vide, comme le cheval et le bœuf.

Les langues sont aux animaux ce que les feuilles sont aux végétaux, les véhicules de l'eau et les mobiles des sons et des murmures: les unes et les autres sont, pour cet effet, taillées à peu près de la même manière. Le chat se sert de sa langue pour lécher l'eau, ainsi que le lion et le tigre; et le chien, qui l'a fort longue et fort mince, en forme, en lapant, une espèce de cornet avec lequel il l'attire. Les poissons ont des langues courtes et immobiles, adhérentes à leur mâchoire inférieure, C'est par cette raison qu'ils sont muets : ils n'avaient pas besoin d'un des organes du son dans un élément qui n'est pas sonore.

La trompe sert principalement aux insectes pour pomper leur boisson. Les insectes sanguisorbes ont une trompe d'une structure particulière. L'éléphant porte aussi une trompe; mais ce n'est qu'un nez prolongé, ou une pompe aspirante avec laquelle il attire l'eau, qu'il verse ensuite dans sa bouche. Celle des insectes est un gosier et non un nez, parce qu'ils respirent par des trachées.

Il est certain que les poissons boivent, puisqu'ils transpirent: il est probable que leurs ouïes leur servent à séparer l'eau douce de l'eau marine, comme ils en séparent l'air qu'ils respirent. Il est très remarquable que ceux de la mer n'ont ni la lymphe ni le sang sales. Les matelots pressés de la saif boivent le sang des tortues de mer, qui est doux. Nous remarquerons encore que les poissons proprement dits n'ont point de vessie aquatique, parce qu'ils n'avaient pas besoin de réservoir au milieu des eaux, où ils peuvent se désaltérer sans cesse. C'est sans doute par la même raison qu'ils ont fort peu de sang ou de lymphe qui leur en tient lieu; mais ils ont une vessie aérienne qui leur sert à s'élever ou à descendre dans l'eau, lorsqu'ils la dilatent ou qu'ils la compriment, et que, par ce moyen, ils occupent un plus grand ou un plus petit espace,

« PreviousContinue »