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mers, sont sujets à être renversés par leurs courans comme les saules et les mangliers, dont les branches peuvent devenir racines et les racines devenir branches. De même les rivages peuvent être bassins ou montagnes tour à tour. Une montagne a les mêmes propriétés qu'un hémisphère : ainsi une branche a celles du trone qui la porte.

Nous nous trouvons quelquefois misérables de voir autour de nous une nature immortelle, tandis que nous dépérissons chaque jour; si, au contraire, nous étions immortels, et que la nature vieillit et se dégradât sans se réparer, nous aurions raison de nous plaindre. Comment une vie éternelle pourrait-elle se soutenir par des jouissances caduques? Mais la nature se renouvelle sans cesse; et si elle détruit successivement chacun de nous, c'est pour tirer de meilleures vies de notre mort. Elle ne se plaît pas dans un cercle monotone de créations et de destructions; elle ne se contente pas de tirer sans cesse les mêmes harmonies des mêmes objets, comme un peintre médiocre qui peindrait toujours le même site, comme un musicien peu habile qui jouerait toujours le même air, comme un poète sans imagination qui composerait toujours le même drame : elle varie sans cesse ses scènes, ses tableaux, ses caractères. Un mécanicien ingénieux dispose des tuyaux harmonieux dans une boîte; il y fait correspondre des notes saillantes, qu'il fiche sur un cylindre suspendu à un essieu il le fait mouvoir; et aussitôt on entend un air agréable. Il relève par des crans les pôles de son cylindre, et de nouveaux airs viennent successivement charmer les oreilles. L'homme aurait-il donc mis dans une serinette plus d'industrie que la nature n'en a mis dans le globe? Elle a distribué à sa surface ses diverses puissances; elle le fait tourner, et elle répand tour à tour sur elles les harmonies solaires des jours, des mois, des saisons, des années, des siècles; elle en change les pôles; et de nouvelles harmonies vont reparaître sur chaque horizon.

Dieu est non-seulement infini en durée, en puissance, en étendue, en bonté, mais il l'est en intelligence. Ses ouvrages vont de perfection en perfection. Sans sortir de notre globe, la source qui coule du rocher est préférable à la vapeur que le rocher attire; le ruisseau qui se précipite de la colline, à la source; la rivière qui traverse les vallons et les plaines, au ruisseau; le fleuve majestueux qui descend des hautes montagnes et va se rendre dans la mer, à la rivière; la mer qui baigne des îles et de vastes contrées, au fleuve; l'Océan, qui environne le globe entier, à la mer. Le végétal, pour qui toutes ces harmonies furent établies, est

plus parfait que les vents qui l'agitent, que l'eau qui l'arrose, que le sol qui le porte, et présente des périodes encore plus étendues. Il en est de même de l'animal, supérieur au végétal, et de l'homme à l'animal. Mais toutes ces puissances vont ellesmêmes en s'améliorant. L'air et l'eau se changent dans la substance de la terre et dans celle des végétaux et des animaux; de nouveaux continens sortent du sein des mers. Les vergers de l'Asie couronnent les fossiles marins de l'Europe, et s'étendent jusque sur les plages de l'Amérique; et les troupeaux de l'ancien Monde se propagent dans les savanes du nouveau. Mais c'est surtout dans le genre humain que cette amélioration est sensible. Un temps a été où il n'apparaissait de l'Europe que les monts Riphées, les volcans de l'Hécla, de l'Auvergne, de l'Etna, les Alpes, les Pyrénées, les Apennins; et alors le pêcheur ancrait sa nacelle aux glaciers de la Suisse. Peu à peu les eaux se sont écoulées; et l'Europe a vu sortir des villes magnifiques du sein de ses obscures carrières, et des escadres invincibles des chênes de ses forêts. Ses enfans industrieux et innombrables se sont répandus sur tout le globe, et ont recueilli une partie de ses richesses. Les forêts du Nouveau-Monde ont ombragé leurs parcs, et leurs tables ont été chargées des fruits naturels à l'Asie. Le temps viendra où des continens inconnus sortiront de la mer du Sud, où les hameaux de ses insulaires se changeront en superbes métropoles, et où leurs vaisseaux, ornés de banderolles, mouilleront, au son des flûtes, sur nos rivages. Les hommes alors commerceront sur un océan moins vaste, parsemé d'iles fécondes; ils se communiqueront avec joie les bienfaits de la nature, et, de concert, en invoqueront le père. Un jour viendra, et j'en entrevois déja l'aurore, où les Européens substitueront dans le cœur de leurs enfans, à l'ambition fatale d'être les premiers parmi leurs semblables, celle de les servir, et où ils connaîtront que l'intérêt de chacun d'eux est dans l'intérêt du genre humain.

C'est le soleil qui préparera ces heureux changemens. Il élabore sans cesse notre air et nos eaux, et les transforme dans les substances des végétaux et des animaux. Ses rayons pénètrent, dans la zone torride, le sein des terres, et y déposent le diamant dans les mines de Golconde, le rubis dans celles du Pégu, l'éméraude dans les rochers du Pérou, et la perle au fond de la mer orientale; ils parfument l'ambre sur ses rivages, et ils versent l'éclat des pierreries sur les plumes de ses oiseaux. Peutêtre le temps viendra que son atmosphère allumera la nôtre d'une lumière durable, et fera de notre planète un séjour semblable au sien. Ah! si

les hommes s'amélioraient comme elle, peut-être que leurs vertus attireraient un jour sur eux-mêmes la gloire de ses habitans immortels. Ce sont leurs influences qui éclairent nos génies et réchauffent les cœurs vertueux. C'est sans doute de cette terre céleste que les ames des gens de bien, débarrassées de leurs passions par la mort, voient ce que nous ne faisons qu'entrevoir ici-bas dans les siècles à venir. C'est dans cette source de toutes les harmonies que sont les vérités évidentes, les jouissances toujours variées et les félicités inépuisables. Mais le soleil n'est lui-même qu'un point où se fixe la Divinité pour verser ses bienfaits sur de faibles mortels. Il n'est qu'une étincelle de sa gloire, répandue dans tout l'univers.

HARMONIES AQUATIQUES

DES VEGÉTAUX.

Ce n'est point aux enfans des ténèbres à pénétrer dans le soleil. Redescendons sur la terre, parcourons ses humbles vallées, suivons leurs ruisseaux à travers les prairies, les vergers et les forêts: nous y trouverons à notre portée assez de traces 'd'une Providence infinie et des influences de l'astre du jour.

Nous avons déja entrevu quatre harmonies des eaux avec les élémens. Il en résulte quatre océans, un glacial sur les pôles, un aérien dans l'atmosphère, un aquatique dans les eaux circulantes, un souterrain dans la terre. Chacun d'eux a ses harmonies positives on négatives, actives ou passives, dont le soleil est le premier moteur. Nous allons maintenant en présenter un cinquième, sujet aux mêmes lois : c'est l'océan végétal. J'appelle ainsi celui qui circule et se modifie dans les végétaux, et qui les transforme en une matière solide par un flux et reflux perpétuels. Pour s'en faire une idée, qu'on songe à l'étendue de nos prairies et de nos moissons, qui comblent chaque année nos greniers et nos granges: à celle de nos vergers et de nos vignobles, dont les fruits et les boissons remplissent nos caves et nos celliers; au bois que consomment nos chantiers, nos foyers et nos navigations; à la hauteur des forêts et à l'épaisseur de leurs feuillages, aux couches de terre végétale qui en résultent: toutes ces productions sont les ouvrages de l'océan végétal. J'invite les naturalistes à chercher dans quelles proportions ces cinq oceans sont entre eux je, me bornerai seulement, dans ce paragraphe, aux harmonies principales de la puissance végétale avec les océans élémentaires. Elle en a par des racines, avec l'océan souterrain; par des

écorces, avec le glacial; par des feuilles, avec l'aérien; par des semences, avec l'aquatique.

Les harmonies de chaque puissance se croisent, et chacune d'elles est circonférence et centre à son tour. Le disque d'une marguerite nous en offre une image chacun des fleurons de sa circonférence est le centre d'un demi-cercle de fleurons, qui passe par le centre de son disque. Ils représentent tous ensemble les harmonies des puissances de la nature conjuguées sphériquement; et leur fleuron central, entouré au loin de pétales blancs, est une image naïve du soleil, qui projette ses rayons autour de son système. La nature consonne avec elle-même dans les petits objets comme dans les grands; et afin que nos faibles yeux puissent saisir l'ensemble des harmonies de ses puissances avec l'astre du jour, elle les réunit dans un grain de sable, dans une goutte d'eau, au sein d'une fleur. Non-seulement les puissances de la nature se croisent dans leurs harmonies, mais encore dans leur essence. On a dit du végétal qu'il était un animal renversé. En effet, si l'on considère un arbre avec ses branches, ses fleurs et ses fruits dirigés vers le ciel, on trouvera qu'il a ses jambes en haut et sa tête en bas. Mais il a encore de plus en dehors plusieurs parties que l'animal porte en dedans. Il a ses entrailles dans ses racines, sa langue dans ses feuilles, son sexe et ses générations à découvert dans ses fleurs et ses fruits. C'est en quelque sorte un animal retourné. On trouverait des contrastes d'un autre genre, si on comparait la puissance végétale aux puissances élémentaires. Il n'est donc pas possible de tracer ses harmonies aquatiques dans le même ordre que celui des quatre océans élémentaires, qui sont le glacial, l'aérien, l'aquatique et le souterrain. Mais, en suivant l'ordre végétal, nous passerons successivement de la racine à l'écorce, aux feuilles et aux semences : nous établirons ainsi des harmonies progressives et presque inverses avec l'océan souterrain, le glacial, l'aérien et l'aquatique. Nous pourrions même en tracer d'entièrement inverses; car les écorces ont aussi des harmonies avec les eaux fluides, et les semences avec les eaux glacées; mais, dans un sujet aussi étendu, il faut se circonscrire. Il suffit à l'homme d'entrevoir les principaux linéamens du plan de la nature: elle est infinie, et il est très-borné.

Nous indiquerons d'abord les rapports intérieurs des végétaux avec les eaux, et ensuite leurs rapports extérieurs.

Prenons pour exemple une noix, et examinonsla dans sa maturité parfaite. Elle est d'abord revêtue d'un brou amer, qui la préserve de l'attaque des oiseaux, et qui est peut-être destiné à la sub

sistance de quelque animal qui nous est inconnu, dans le pays dont elle est originaire; car la nature ne fait rien pour une seule fin. Sous le brou est une coque ligneuse, de la forme d'un bateau, ayant une proue pointue, une poupe aplatie, et une longueur à peu près double de sa largeur. Sa coupe lui est plus avantageuse que celle de nos bateaux; car elle est formée de deux coquilles convexes, dont l'une sert de carène et l'autre de pont, de manière qu'elle peut voguer sur le côté ou renversée. La nature lui a donné une forme nautique, ainsi qu'à toutes les semences dont les végétaux étaient destinés à croître dans les eaux, ou à embellir leurs rivages. Ces deux coquilles, réunies par une suture, renferment deux lobes divisés en partie par un zeste et réunis vers la pointe, qui contient le germe ou les premiers linéamens du noyer: ces deux lobes sont recouverts d'une pellicule. La noix, parvenue à sa maturité, tombe de l'arbre qui la porte; elle roule loin de lui par sa forme arrondie, et s'en écarte assez pour que rien ne gêne sa végétation future. Quelquefois un ruisseau voisin l'emporte fort loin de là; plus souvent elle reste à terre où elle passe l'hiver à l'abri des gelées, à la faveur des feuilles de noyer, qui tombent en automne. Au printemps, l'humidité de la terre, aidée de la chaleur, gonfle ces deux lobes, qui forcent les deux coquilles de s'entr'ouvrir. Le germe paraît; il tient aux deux lobes devenus laiteux, et il en tire sa première nourriture, comme de deux mamelles. Cependant il sort de la partie inférieure du germe une radicule qui, par un mécanisme incompréhensible, se dirige vers la terre, tandis que l'autre s'élève vers le ciel. La radicule, en se divisant en chevelu, va pomper dans la terre les émanations de l'océan souterrain; et le germe, en se divisant en feuilles, va recueillir les vapeurs de l'océan aérien. Ce double effet a lieu dans quelque sens que se trouve la noix : si elle est renversée, le germe se redresse et la radicule s'abaisse. Ce premier mécanisme de la végétation est le même dans le développement de toutes les graines, et quoique infiniment commun, il n'en est pas plus aisé à concevoir. Les pierres qui sont dans le sein de la terre ne forcent point le germe de végéter en bas, ni les pluies n'attirent point la radicule en haut. Ces deux parties organiques ont leurs harmonies déterminées, l'une avec l'océan aérien, l'autre avec l'océan souterrain: elles en prouvent évidemment l'existence. Si l'océan souterrain n'existait pas, aucune semence ne lèverait en Égypte, au Pérou, et dans d'autres lieux où il ne pleut presque jamais. Ce sont ses transpirations qui les humectent et attirent leurs racines. Si l'humidité seule de l'air suffisait

pour produire cette attraction, les racines de nos végétaux, dans nos climats pluvieux, se dirigeraient toutes vers la surface de la terre; or c'est ce qui n'arrive pas au contraire, elles s'y enfoncent quelquefois à des profondeurs étonnantes, malgré toutes sortes d'obstacles. J'ai vu, dans l'atmosphère humide des collines de la rivière d'Essone, des racines de vigne qui ont pénétré à plus de quinze pieds de profondeur à travers une carrière de pierre à chaux. Il est donc certain qu'il existe un océan souterrain dont les émanations traversent les bancs de pierre les plus épais, et sont en harmonie avec les racines des plantes.

Nous observerons ici que les précautions maternelles dont la nature s'est servie pour garantir les semences des injures des élémens ou des animaux ne sont point des obstacles à leur développement. Celles qui sont renfermées dans des coques dures s'en dégagent par des sutures ou par des trous qui y sont ménagés. Les noisettes, qui paraissent d'une seule pièce, sont percées de petits trous presque imperceptibles. J'ai vu de jeunes filles assez adroites pour les enfiler avec un cheveu ou même un crin. Le coco, la plus grosse sans doute des noisettes, a trois de ces ouvertures, qui lui donnent l'apparence d'une tête de singe. Elles sont recouvertes d'une légère pellicule par où sort le germe; cependant il y a apparence que le coco a des sutures aussi, car il y a des nègres qui savent le fendre en deux moitiés avec un petit bâton. Il est probable qu'il en est de même de tous les noyaux qui paraissent d'une seule pièce. J'ai remarqué que celui de la pêche appelée téton de Vénus se fend souvent en deux dans le fruit même; on en trouve alors l'amande consommée par une sorte de moisissure ou d'insecte. Mais, ce qui m'a paru très-singulier et inexplicable, comme tant d'autres choses fort communes, c'est que le noyau, fendu en deux, quoique bien formé et trèsdur, était quelquefois brisé en plusieurs pièces, sans que je pusse concevoir d'où provenaient ces fractures multipliées d'un corps dur au sein d'un fruit mou, qui n'a été offensé par aucun choc. Est-ce un effet de quelque électricité végétale ou animale ?

Quoi qu'il en soit, la radicule, après avoir pénétré enterre, se change en racines souvent divergentes, qui établissent des rapports de solidite entre le sol et le végétal. Nous en parlerons aux harmonies terrestres, comme nous avons parlé de ceux de la tige aux harmonies aériennes. Ces racines fournissent encore à la nourriture des fibres de la tige, auxquelles elles correspondent par leur che velu. Il est remarquable qu'elles s'étendent beau

coup plus à l'Orient, au midi et à l'occident, qu'au septentrion, ce qui prouve l'influence du soleil, même sous la terre. Il en est de même des fibres du bois, qui sont plus serrées au nord que partout ailleurs. Ces racines, pour l'ordinaire, se subdivisent à l'infini, et correspondent aux branches de l'arbre, en nombre égal. Le palmier, qui n'a point de branches, et qui ne porte que des feuilles ligneuses, ne pousse qu'une seule racine, garnie, à la vérité, de quantité de chevelus. Ce sont ces chevelus qui sont les suçoirs, et, en quelque sorte, les entrailles des végétaux. Ils pompent l'eau souterraine; ils la changent en séve circulante, qui s'élabore ensuite en bois, en écorce, en feuilles, en fleurs et en fruits, par l'action du soleil. On a cherché, mais bien en vain, à expliquer cette métamorphose merveilleuse. Il sera toujours impossible à l'homme de concevoir comment la même séve peut se combiner en sucre dans la pulpe d'un fruit, en pierre dans son noyau, en huile dans son amande, en saveur amère dans sa feuille, et en bois insipide dans le tronc qui le nourrit. Le même sol peut produire à la fois des alimens et des poisons. Les opérations de la nature nous seront à jamais inconnues, nous ne pouvons en entrevoir que les résultats ; la connaissance des causes premières n'appartient qu'à celui qui en est le moteur; mais celle des causes finales est à la portée de l'homme, qui en a la jouissance.

Plus un arbre a de chevelu, plus il tire de nourriture. C'est donc une des bonnes maximes de l'agriculture, de couper une partie des grosses racines et des branches d'un arbre qu'on transplante; car les racines alors produiront une grande quantité de chevelu, et il aura ainsi d'une part beaucoup de substance, et de l'autre peu de bois à entretenir.

L'eau pompée par les racines s'appelle liqueur lymphatique, parce qu'elle diffère fort peu de l'eau pure. Elle monte d'abord au moyen des trachées ou tuyaux aériens en spirales, rangés le long des fibres longitudinaires du bois. Ces fibres sont ellesmêmes des espèces de canaux où l'eau pourrait monter sans trachées, comme dans les tuyaux capillaires; mais il faut sans doute, pour préparer la séve, le concours de plusieurs élémens. Les fibres du bois, qui paraissent collées ensemble, s'écartent de distance en distance, et renferment entre leurs ouvertures des utricules : ces utricules sont ainsi nommées parce qu'elles ressemblent à de petites outres. Elles sont de forme ovale, couchées à la suite les unes des autres, bouche contre bouche, entre les fibres; elles vont de la circonférence de l'arbre au centre, depuis l'écorce jusqu'à la moelle, EUVRES POSTHUMES.

qui ne paraît être elle-même qu'un long canal rempli d'utricules plus larges. Celles qui vo: t de la circonférence au centre sont rangées par plans, posés les uns sur les autres dans toutes les parties du tronc où les fibres s'écartent. C'est à leur direction horizontale qu'il faut attribuer la facilité que l'arbre a de se fendre de la circonférence au centre, ce qui ne manque guère d'arriver, lorsqu'elles viennent à se dessécher tout à coup; car elles se resserrent dans la sécheresse et se dilatent dans l'humidité. Comme ces utricules superposées sont à la suite les unes des autres, presque dans toute la longueur de l'arbre, il est aisé d'en fendre le tronc; car il ne fait de résistance qu'aux endroits où les fibres ligneuses se rapprochent.

Je ne parlerai point ici de la tige ligneuse des arbres, composée de trachées, d'utricules et de fibres. Il parait qu'elle est principalement en rapport avec les vents. La nature ne donne de bois qu'aux arbres et aux buissons qui y sont exposés. Les herbes n'en ont guère que dans leurs racines; cependant ces grands roseaux des Indes, appelés bambous, et les palmiers mêmes, n'ont point de bois proprement dit, et ils résistent mieux aux ouragans que les arbres.

La feuille, par son côté inférieur, a des rapports immédiats avec les vapeurs de l'océan souterrain; et, par son côté supérieur, avec celles de l'océan aérien : c'est elle qui reçoit l'eau des pluies; elle est faite pour l'ordinaire en forme de langue. Elle est attachée à son rameau par une queue ou pédicule fort court, sillonné en gouttière. Le ramean forme avec la branche, et la branche avec le trone, des angles de 30 à 40 degrés. Le tronc est perpendiculaire au sol, et il a son écorce cannelée de crevasses longitudinales. Au moyen de ces dispositions, l'eau de la pluie s'écoule de la feuille au rameau, du rameau à la branche, de la branche au tronc, du tronc à la racine, d'où elle se rend, quand elle est abondante, à l'océan souterrain.

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La circulation de l'eau des pluies est la même à la surface de l'arbre qu'à celle de la terre elle tombe sur le rocher, qui l'attire en vapeurs comme la feuille. De là elle passe successivement à la fontaine, au ruisseau, à la rivière, au fleuve et à la mer, qui forment entre eux des embranchemens semblables, en quelque sorte, à ceux d'un arbre, comme on peut le voir sur les cartes.

Les feuilles présentent d'autres configurations dans différentes espèces de végétaux; elles sont faites en bec d'oiseau dans le genêt, en coquille dans le sarrazin, en écope dans les graminées naissantes. Les folioles du pin sont agrégées en pinceaux, qui ramassent les plus petites vapeurs aé

riennes. C'est au sein de la zone torride que la nature fait végéter les raquettes, les aloès, les cactus, les cierges, et toutes les espèces de plantes grasses dont les feuilles semblent être des éponges pleines d'eau. Mais ces fontaines et ces citernes végétales, ces formes d'aqueducs dans les feuilles et leurs agrégations, n'ont lieu que dans les végétaux de montagnes ou des lieux arides, qui avaient sans cesse besoin d'être arrosés. Ceux qui croissent sur le bord des eaux ont des formes, des dispositions tout opposées, quoique souvent ils soient du même genre. Leurs feuilles, loin d'attirer l'eau, la repoussent; elle y glisse sans les mouiller, ou elle s'y rassemble comme des gouttes de vif-argent. Telles sont celles des nymphæa, qui flottent à la surface des étangs sans être humectées. Il en est de même de celles des roseaux et des jones. Aucun d'eux n'a de cannelure pour conduire la pluie à sa racine, tandis que le jonc de montagne est creusé en écope dans toute sa longueur. Les feuilles des peupliers et des trembles ont de longs pédicules, et sont mobiles; d'autres arbres, au lieu de diriger leurs branches vers le ciel, les courbent au-dehors en arcades, comme s'ils voulaient écarter la pluie de leurs tiges. Tels sont, en général, les osiers, les saules, lorsqu'on n'arrête point leur développement naturel par des coupes réitérées. Leur port ressemble alors à celui des saules de Babylone. Enfin, d'autres ont leurs feuilles disposées en recouvrement comme les tuiles d'un toit: tels sont les noyers et les marronniers d'Inde.

J'en ai rapporté un assez grand nombre d'exemples dans mes Etudes nautiques. Il est certain que, comme les végétaux montagnards c'est-à-dire dont les semences sont aériennes, ont des sous-genres qui peuvent se répartir aux différentes couches de l'atmosphère et aux divers rumbs de vents, les végétaux aquatiques ont aussi des sous-genres harmoniés avec l'océan glacial, souterrain, aquatique et aérien. On pourrait rapporter même à l'océan végétal les plantes parasites, qui tirent leur substance de la séve des végétaux, comme les guis, les scolopendres, les lichens, les agarics, les mousses... Les harmonies de la nature, si merveilleuses dans les grands objets, le sont encore davantage dans les petits. Elles se multiplient en raison inverse de l'espace. La construction d'une mousse est plus étonnante que celle du cèdre, et celle du moucheron plus que celle de l'éléphant.

Les mousses composent un sous-genre de plantessi nombreux, que le botaniste Vaillant en a compté cent trente-sept espèces dans les seuls environs de Paris, c'est-à-dire plus que d'aucun autre genre de végétal. Elles sont en beaucoup plus grand nom

bre dans le nord, qui est leur patrie naturelle. Elles approchent, suivant Adanson, de la famille des pins par la disposition de leurs feuilles, et par les cônes de leurs fleurs femelles. Il y a des mousses qui n'ont pas quatre lignes de hauteur, comme le phasque; et d'autres qui ont jusqu'à cinq ou six pieds de longueur, comme le lycopode ou pied de loup; mais celui-ci rampe en s'enracinant d'espace en espace. Les mousses ont des urnes, souvent chargées de coiffes, et qui quelquefois en sont privées. Les unes en ont de plates, mais le plus grand nombre les portent terminées en forme d'aiguilles. Au centre de ces urnes est une poussière que quelques naturalistes prennent pour le pollen des mousses, d'autres pour leurs graines. Le contour intérieur de leur couvercle a un ou plusieurs rangs de filets élastiques, qui se redressent peu à peu, et, dans le temps de la fructification, le font sauler tout à coup avec les grains qu'il renferme : l'urne ressemble alors à un mortier qui lance des bombes. Cette poussière, soit fécondante, soit formée de semences fécondées, est semblable à la fleur de soufre. Celle du lycopode est très-inflammable : jetée sur la flamme d'une bougie, elle prend feu comme la poudre à canon. On l'emploie, à l'Opéra, dans des torches à l'esprit-de-vin, qui jettent des flammes de quinze pieds de haut, lorsqu'on les agite. Les doigts, empreints de cette poudre, ne sont pas susceptibles d'être mouillés. Les mousses sont les meilleurs préservatifs contre l'humidité. Celle qu'on appelle la fontinale, parce qu'elle croit dans les fontaines, a un caractère bien opposé aux semences du lycopode: c'est qu'elle ne peut conserver ni communiquer le feu; elle s'y réduit en cendre sans s'enflammer. On peut s'en servir pour préserver de l'incendie des charpentes trop voisines du foyer. Les mousses conservent leurs facultés végétales pendant beaucoup d'années; car, quoiqu'elles soient alors très-sèches, si on les humecte, elles reverdissent. Cependant on ne peut les faire croìtre où l'on veut, tandis que souvent elles viennent où l'on ne veut pas.

Je ne dirai rien ici du nostoc ou mousse fugitive, espèce de lichen membraneux, qui apparaît sur la terre immédiatement après la pluie, et qui disparaît avec le vent; je ne parlerai pas non plus de la mousse aquatique ou sphaigne des marais, composée de filamens soyeux d'un beau vert; ni de la conferve, espèce de byssus composé de filets qui n'ont ni racines, ni feuilles, ni fleurs, ni fruits. Je jetterai un coup d'œil sur les plantes fluviatiles et maritimes, dont la botanique est presque tout-àfait inconnue.

Il y a une multitude de plantes qui croissent

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