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imaginé de peindre sur les feuillets d'un livre toutes les nuances de chaque couleur principale, et de les marquer de différens numéros. Lorsqu'il dessinait un ciel, après avoir esquissé les plans et les formes des nuages, il en notait rapidement les teintes fugitives sur son tableau avec des chiffres correspondans à ceux de son livre, et il les colorait ensuite à loisir. Un jour, il fut bien surpris d'apercevoir au ciel la forme d'une ville renversée ; il en distinguait parfaitement les clochers, les tours, les maisons. Il se hâta de dessiner ce phénomène, et, résolu d'en connaître la cause, il s'achemina, suivant le même rhumb de vent, dans les montagnes. Mais quelle fut sa surprise de trouver à sept lieues de là la ville dont il avait vu le spectre dans le ciel, et dont il avait le dessein dans son portefeuille!

La réflexion d'une ville observée dans les airs par Vernet n'a rien de plus extraordinaire que le phénomène du détroit de Sicile, près de Messine. Il y est connu sous le nom de Fée Morgane. Tous les voyageurs qui ont été dans cette partie de l'île en parlent avec étonnement. Voici ce qu'en dit Brydone':

« Les anciens et les modernes remarquent sou>> vent que, dans la chaleur de l'été, après que la >> mer et l'air ont été agités par les vents et qu'un » calme parfait succède, on voit, à la pointe du » jour, dans cette partie du ciel qui est sur le dé>>troit, différentes formes singulières; quelques» unes sont en repos, et d'autres se meuvent avec >> beaucoup de vitesse; à mesure que la lumière >> augmente, elles semblent devenir plus aérien»nes, jusqu'à ce qu'enfin elles disparaissent en» tièrement un peu avant le lever du soleil.

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>>> Les auteurs siciliens parlent de ce phénomène » comme du plus beau 'spectacle de la nature. >> Léanti, un de leurs meilleurs écrivains, vint ici » pour le voir. Il dit que les cieux paraissaient remplis d'un grand nombre de palais, de jardins, de bois.....; que des figures d'hommes et » d'animaux semblaient être en mouvement au >> milieu de cette scène magnifique... Girardina, » jésuite, a fait dernièrement un traité sur cet objet; mais je n'ai pu le trouver. Le célèbre » Gallo, de Messine, a aussi publié un ouvrage » sur la même matière. Si je viens à bout de dé» couvrir ces deux livres dans l'ile, vous satisfe>> rez pleinement votre curiosité en les lisant. Les >> gens du commun disent, suivant la coutume, » que ce phénomène est produit par le diable; et » c'est, à la vérité, la manière la plus courte et

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VOYAGE EN SICILE, lettre IV.

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» la plus facile à expliquer une énigme. Ceux qui lui >> refusent cet honneur et qui se piquent d'être phi>>losophes, sont fort embarrassés d'en rendre raison; >> ils croient qu'ils provient de quelque réfraction » extraordinaire, ou d'une réflexion de rayons de » lumière, causée par l'eau du détroit. Ils disent » que cette eau, emportée en plusieurs tournans » et tourbillons, doit par conséquent produire un grand nombre de différentes figures lumineuses. >> Cette explication ne me paraît guère sensée; et, » jusqu'à ce qu'ils en inventent une plus raisonna»ble, ils auraient aussi bien fait de rapporter le >> tout au diable. Je soupçonne que c'est une es>> pèce d'aurore boréale, ainsi que plusieurs autres >> grands phénomènes de la nature. Il est peut-être » produit par l'électricité, qui aura sans doute au» tant de célébrité, dans les siècles futurs, comme » agent qui règle l'univers, que la gravitation de » Newton, ou la matière subtile de Descartes.

>>

» Ce pays de volcans produit une plus grande >> quantité de vapeurs électriques qu'aucun autre. » Ne peut-on pas supposer que l'air, fortement imprégné de cette matière, resserré entre deux >> chaînes de montagnes, et extrêmement agité au>> dessous par la violence du courant et les tour>> nans impétueux des flots, donnent naissance à » ces différens phénomènes ? »

Il est fâcheux que le savant Brydone n'ait pas observé lui-même des effets aussi extraordinaires pendant son séjour à Messine. Je lui sais bon gré, comme Anglais, de secouer un peu le joug de son compatriote Newton, et de rapporter à l'électricité plusieurs phénomènes qui en dépendent évidemment, tels que ceux des aurores boréales et les longues queues des comètes, que les newtoniens attribuent à l'attraction, dont ils veulent faire une loi unique dans l'univers. Mais je pense qu'il ne doit pas rejeter lui-même avec mépris l'explication simple des philosophes siciliens. Il est très-probable que, quand l'électricité serait la cause du phénomène qu'on aperçoit au-dessus du détroit de la Sicile, il s'y joint des reflets de ce détroit, qui se manifestent dans les cieux par des ondulations, des aspects de forêts, de châteaux, etc. Brydone lui-même adopte cette opinion, puisqu'il attribue ces mouvemens aériens aux tournans impétueux des flots qui sont au-dessous; mais il se trompe quand il fait résulter cette espèce d'aurore boréale des vapeurs volcaniques de la Sicile : car il est bien certain que les pôles qui nous renvoient, en hiver, de si magnifiques aurores, n'ont point de volcans au sein de leurs glaciers.

J'ai vu fréquemment, en Russie, des aurores boréales qui s'étendent quelquefois jusque sur le

climat de Paris et au-delà: elles sont blanches, bleues, vertes, rouges, rayonnantes et fluctuantes. Je suis très-disposé à attribuer leurs différentes couleurs et leurs mouvemens aux reflets mêmes des glaces polaires, des forêts de sapin du nord, des mines ferrugineuses et rougeâtres de la Sibérie, et aux ondulations de l'Océan, qui se réfléchissent dans les cieux. Ce qui me confirme dans cette idée, c'est que l'aurore australe, si souvent observée par le capitaine Cook, est blanche et bleue, sans le mélange d'aucune autre couleur. Cette uniformité vient sans doute des simples reflets des glaces et de l'Océan du pôle austral, qui, comme on le sait, n'a point de continent qui l'environne. Je remarquerai que ces aurores n'ont lieu aux deux pôles que lorsque le soleil est au-dessous de leur horizon, c'est-à-dire dans leur hiver, et qu'il en est de même de celles du détroit de la Sicile, qui ne sont sensibles qu'avant le lever du soleil, à la fin de la nuit. Il paraît donc que leurs effets résultent d'une atmosphère vaporeuse, condensée par le froid, qui réfléchit à la fois les objets de la terre et la lumière des cieux. Ces réverbérations terrestres doivent être assez communes dans l'atmosphère des montagnes à glaces de l'Italie, telles que les Alpes et les Apennins. Vernet les y a observées. J'en conclus qu'il est possible que le physicien qui m'est venu voir, ait réussi, à l'ile de France, à découvrir un vaisseau qui en était à de grandes distances, au moyen de l'atmosphère condensée de l'île de Bourbon, qui en est à quarante lieues, et dont les sommets sont toujours couverts de glaces; et qu'il ait échoué au port de Brest, dans l'horizon duquel il n'y a point de semblables montagnes, et par conséquent point de vapeurs spéculaires.

Non-seulement les vapeurs aquatiques décomposent les rayons du soleil en couleurs, et réfléchissent sa circonférence dans les arcs-en-ciel, et son disque entier dans les parélies; mais elles s'imbibent de sa chaleur, et la transmettent à la terre par les pluies qui la fécondent. L'eau est le véhicule du feu. Observons d'abord que l'océan de vapeurs dont l'atmosphère est remplie contient toute l'eau des fleuves qui doit couler en un jour sur la terre, et que s'il tombait du ciel en masse, il ravagerait toutes les campagnes; mais il tombe en longs filets divisés par gouttes, dont la chute ne produit point de dommages. L'eau aérienne est la matrice du feu électrique, c'est-à-dire de ce feu solaire, souvent invisible, qui féconde et anime tout l'univers. C'est par les raies de la pluie, comme par autant de conducteurs, qu'il descend des nuages qui le renferment: en effet, il n'y a point de ton

nerres sans nuages. A la vérité, les anciens ont observé qu'il tonnait quelquefois en temps serein; Pline, qui rapporte ce phénomène, ajoute qu'il était d'un grand présage. Il est douteux qu'il ait jamais eu lieu; mais il ne l'est pas qu'il ne sorte quelquefois des éclairs de la terre : et c'est ce que les anciens, suivant le témoignage du même auteur, appelaient foudres infernales. Cet effet doit arriver lorsqu'une portion métallique de la terre, isolée sur quelque roche vitreuse ou sulfureuse, se trouve plus chargée de feu électrique que l'atmosphère qui lui correspond; car, ne pouvant se répandre au dedans par la qualité anti-électrique, propre au verre et au soufre, il s'élance au dehors vers le nuage qui l'attire; il se met de niveau, passant du corps qui en a le plus à celui qui en a le moins. C'est sur ce principe qu'on a imaginé les aiguilles électriques qui surmontent nos maisons, et qui les garantissent de la foudre. C'est dans un morceau d'ambre que la propriété électrique fut aperçue pour la première fois, et l'homme est parti de ce point pour arracher la foudre du ciel.

Une preuve que le feu électrique vient du soleil, c'est, comme nous l'avons déja dit, qu'il y a en hiver très-peu de tonnerre, parce que cet astre a peu d'action sur notre hémisphère; et qu'en été, au contraire, où il en a beaucoup, les orages son! fréquens. Il est remarquable aussi que les pluies d'orage, qui sont pénétrées de ce feu électrique, font éclore très-promptement les semences des végétaux et les œufs des insectes. Le tonnerre annonce presque partout l'arrivée du printemps, c'est-à-dire l'action du soleil sur la végétation. En Russie, le peuple ne se croit dans le printemps que quand il a entendu le tonnerre; en France même, nos paysans disent en proverbe : « Quand >> il tonne en avril, le laboureur se réjouit. » Cependant plusieurs d'entre eux regardent ce brillant météore comme un signe de la colère de Dieu envers les hommes; ils sonnent de toutes leurs forces les cloches de leur village pour l'en écarter, et assez souvent ils le font tomber sur le clocher même, dont la croix de fer le soutire. Le tonnerre, loin d'être une preuve de la colère de Dieu, en est une de sa bonté. Il rafraîchit l'atmosphère en en faisant écouler les couches supérieures, toujours froides, dans les inférieures, trop échauffées par les reflets de la terre; et il verse sur celle-ci des eaux tièdes, sulfurées et nitreuses qui la fécondent. A la vérité, ses feux vifs et ses roulemens, accompagnés d'éclats, ont quelque chose d'effrayant ; mais rien n'est fait en vain. Comme cette communication rapide du feu des nuages avec la terre est meurtrière pour ceux qui se trouveraient dans sa

direction, son bruit avertit les animaux qui ont les sens de l'ouïe et de la vue, de se mettre à l'abri. Un autre météore l'accompagne souvent, c'est celui de la grêle. Il est nuisible aux vignes et aux moissons, mais il est toujours funeste aux insectes, dont les orages favorisent la multiplication. Il s'annonce aussi par un bruit alarmant et une espèce de cliquetis lointain, qui donnent au moins aux hommes le temps de l'éviter. D'ailleurs, tout est compensé : les contrées les plus sujettes aux orages sont les plus fertiles, ainsi que celles qui sont voisines des volcans, ces tonnerres de la terre et des mers.

C'est donc par les harmonies aquatiques de l'air mises en action par le soleil que s'opèrent la décomposition de la lumière en mille teintes colorées; les pluies fécondantes, sources des fleuves; les arcs-en-ciel, les tonnerres rafraîchissans des zones torrides, et les parélies des zones glaciales.

C'est pour produire ces différens effets que le soleil pompe sans cesse les eaux de l'Océan en vapeurs, qu'il les rassemble en nuages, qu'il les disperse dans l'atmosphère par plans élevés les uns au dessus des autres, pour y produire ces perspectives aériennes si ravissantes, qui donnent tant d'étendue à nos horizons, et dont la magnificence redouble avec le coucher de l'astre du jour.

On vante beaucoup l'aurore et fort peu le couchant. Il en est de même du mois de mai, cette aurore de l'année végétale, et du mois de septembre qui la termine. Le mois de mai n'amène pas toujours la fin des frimas; je l'ai souvent trouvé humide et froid comme l'aurore, tandis que septembre est sec et chaud comme le couchant. L'aurore et le mois de mai ont sans doute de grandes beautés; mais la principale est de plaire à notre imagination, parce que l'une nous annonce le commencement du jour, et l'autre celui du printemps au contraire, le couchant et le mois de septembre sont les précurseurs, l'un de la nuit, et l'autre de l'hiver. Les premiers sont les symboles de la jeunesse et de ses plaisirs, les seconds de la vieillesse et de ses infirmités. Nos idées morales dénaturent souvent nos sensations physiques. Pour moi j'ai trouvé, dans le cours de ma vie, le couchant plus intéressant que l'aurore, septembre plus doux que mai, et mon automne plus agréable que mon printemps.

Lorsque j'étais en pleine mer, et que je n'avais d'autre spectacle que le ciel et l'eau, je m'amusais quelquefois à de siner les beaux nuages blancs et gris, semblables à des croupes de montagnes, qui voguaient à la suite les uns des autres sur l'azur des cieux. C'était surtout vers la fin du jour qu'ils (EUVRES POSTHUMES.

développaient toute leur beauté en se réunissant au couchant, où ils se revêtaient des plus riches couleurs, et se combinaient sous les formes les plus magnifiques. Sur la terre, chaque site présente toujours le même horizon; dans le ciel, claque heure, et surtout chaque soir, en offre de nouveaux. J'ai tâché d'en tracer quelques tableaux dans mes Études. Je vais ici en esquisser un, aussi imparfait que mes crayons.

Un soir, environ une demi-heure avant le coucher du soleil, le vent alizé du sud-est se ralentit, comme il arrive d'ordinaire vers ce temps. Les nuages qu'il voiture dans le ciel à des distances égales comme son souffle devinrent plus rares, et ceux de la partie de l'ouest s'arrêtèrent et se groupèrent entre eux sous les formes d'un paysage. Ils représentaient une grande terre formée de hautes montagues, séparées par des vallées profondes, et surmontées de rochers pyramidaux. Sur leurs sommets et leurs flancs apparaissaient des brouillards détachés, semblables à ceux qui s'élèvent autour des terres véritables. Un long fleuve semblait circuler dans leurs vallons, et tomber çà et là en cataractes; il était traversé par un grand pont, appuyé sur des arcades à demi ruinées. Des bosquets de cocotiers, au centre desquels on entrevoyait des habitations, s'élevaient sur les croupes et les profils de cette ile aérienne. Tous ces objets n'étaient point revêtus de ces riches teintes de pourpre, de jaune doré, de nacarat, d'émeraude, si communes le soir dans les couchans de ces parages; ce paysage n'était point un tableau colorié : c'était une simple estampe, où se réunissaient tous les accords de la lumière et des ombres. Il représentait, non une contrée éclairée en face des rayons du soleil; mais par derrière, de leurs simples reflets. En effet, dès que l'astre du jour se fut caché derrière lui, quelques-uns de ses rayons décomposés éclairèrent les arcades demi - transparentes du pont d'une couleur ponceau, se reflétèrent dans les vallons et au sommet des rochers, tandis que des torrens de lumière couvraient ses contours de l'or le plus pur, et divergeaient vers les cieux comme les rayons d'une gloire; mais la masse entière resta dans sa demi-teinte obscure, et on voyait autour des nuages qui s'élevaient de ses flancs les lueurs des tonnerres, dont on entendait les roulemens lointains. On aurait juré que c'était une terre véritable, située environ à une lieue et demie de nous. Peut-être était-ce une de ces réverbérations célestes de quelque île très-éloignée, dont les nuages nous répétaient la forme par leurs reflets, et les tonnerres par leurs échos. Plus d'une fois des ma

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rins expérimentés ont été trompés par de semblables aspects. Quoi qu'il en soit, tout cet appareil fantastique de magnificence et de terreur, ces montagnes surmontées de palmiers, ces orages qui grondaient sur leurs sommets, ce fleuve, ce pont, tout se fondit et disparut à l'arrivée de la nuit, comme les illusions du monde aux approches de la mort. L'astre des nuits, la triple Hécate, qui répète par des harmonies plus douces celles de l'astre du jour, en se levant sur l'horizon, dissipa l'empire de la lumière, et fit régner celui des ombres. Bientôt des étoiles innombrables et d'un cclat éternel brillèrent au sein des ténèbres. Oh! si le jour n'est lui-même qu'une image de la vie; si les heures rapides de l'aube du matin, du midi et du soir représentent les âges si fugitifs de l'enfance, de la jeunesse, de la virilité et de la vieillesse; la mort, comme la nuit, doit nous découvrir aussi de nouveaux cieux et de nouveaux mondes !

HARMONIES AQUATIQUES

DE L'EAU.

Quoique l'eau soit évaporable, et qu'elle puisse occuper, dans cet état, un espace plusieurs milliers de fois plus grand que dans son état naturel. elle est incompréhensible. On a beau la presser. on ne fait point rentrer ses molécules en ellesmêmes, comme celles de l'air. L'eau fortement comprimée dans un tuyau de métal le fait crever s'il est de fer, et passe à travers ses pores s'il est d'or. On en peut conclure encore que les molécules de l'eau sont plus déliées que celles de l'air, et qu'elles en diffèrent; car celles-ci, quelque pressées qu'elles soient, ne transpirent point à travers les pores de l'or. D'ailleurs, les vapeurs de l'eau s'élèvent dans l'air le plus dilaté, et ne se confondent point-avec lui.

Cependant il ne faut pas croire que l'eau soit incompressible en elle-même. La nature a des moyens inconnus à notre physique, et bien supérieurs à nos machines. Elle condense l'air dans le chêne, au point d'y en renfermer le tiers de la pesanteur de ce bois, suivant l'expérience qu'en a faite le chimiste Homberg. Il paraît qu'elle y comprime l'eau dans une proportion beaucoup plus grande. Quoique ce bois paraisse, à l'intérieur même, dans un état de sécheresse, on peut connaître qu'il renferme une grande quantité d'eau par la fumée qui en sort lorsqu'on le brûle. Une corde de bois, qui pèse près de deux milliers, ne donne qu'un boisseau de cendre qui ne pèse pas vingt livres. Tout ce qui s'en est évaporé n'était presque que de l'air et de l'cau qui y étaient com

binés sous une forme solide. Cependant, dans cet état de combinaison intime, l'air et l'eau diffèrent encore; car le premier sort invisible, mais souvent avec des sifflemens et des murmures; et l'autre en silence, sous la forme de vapeurs obscures. Il faut sans doute en déduire la matière même du feu qui résulte de la combinaison des rayons du soleil dans le bois, lesquels, par un mécanisme encore plus merveilleux, y acquièrent de la pesanteur, s'y engagent d'une manière invisible, et se développent en feu et en flamme par la combustion.

Si l'eau, réduite en vapeurs, réfracte les rayons du soleil, et les décompose en couleurs; lorsqu'elle est fluide, elle les réfléchit au dehors, tandis qu'elle reflète, en apparence au dedans, tous les objets qui l'environnent, et qui, comme on sait, renvoient de toutes parts des rayons colorés qui les rendent visibles. Je dis que l'eau reflète, en apparence au dedans, les objets qui l'environnent, car ce reflet n'a lieu qu'à sa surface, ainsi qu'à celle de tous les corps polis.

Je n'ai jamais bien compris comment il se pouvait faire que l'eau renvoyât au dehors la lumière comme un miroir, et qu'elle ne réfléchit pas également au dehors les formes des corps coloriés et même lumineux. J'entrevois la raison de ces lois de l'optique, sans en concevoir la cause première ni le mécanisme. Quoi qu'en disent nos docteurs, nous ne saisissons que des causes finales. Il était nécessaire que les rayons du soleil fussent réfléchis et étendissent leur action vivifiante sur la terre. C'est pour cela que les eaux sont répandues dans toute sa circonférence, et surtout aux pôles, dont les neiges et les glaces sont réverbérantes, afin de dédommager les zones des longues absences de l'astre du jour. Mais si ces mêmes eaux, soit fluides, soit solides, eussent réfléchi les images des corps, mille formes illusoires se fussent mêlées aux véritables: le vaste Océan eût réfléchi dans le ciel un autre ciel et un autre soleil; les fleuves qui circulent eussent représenté des forêts et des collines mouvantes, perpendiculaires à leur surface; le ruisseau eût offert, sur la sienne, la verdure et les fleurs de la prairie voisine; la bergère, trompée, eût mené paître ses moutons sur les eaux, et eût cru y voir doubler son troupeau. Elle-même, en y consultant ses attraits, eût reculé épouvantée en voyant une figure semblable à la sienne s'élever au dessus de l'onde et lui sourire. Son berger, incertain, n'eût su à laquelle des deux adresser son hommage, et lui-même, dans sa propre image, eût cru rencontrer un rival. Le chien seul, par son instinct, fût resté fidèle an troupeau, à la maîtresse, à l'amant. L'eau

eût renvoyé tous les objets de la terre dans les airs. Mais, par une magie céleste, sa surface mobile réfléchit vers les cieux la lumière qui en descend. Elle éclaire, de ses reflets, les ombres des corps voisins, tandis que leurs formes paraissent s'enfoncer dans sa profondeur. Ainsi, l'hémisphère réel et l'hémisphère réfléchi forment une sphère entière séparée par des jets lumineux, et consonnent entre eux au lieu de se confondre.

Cependant les eaux liquides présentent quelquefois les mêmes phénomènes que les eaux évaporées. J'ai vu, dans des tempêtes, les couleurs de l'arc-en-ciel sur la crête des flots. Il est possible même qu'elles figurent des parélies dans leurs courbes, lorsqu'elles se creusent en vallons par le poids des vents, et qu'on voie sortir des soleils du sein des mers, ainsi que des nuages condensés du nord. C'est par le même effet qu'un miroir concave renvoie dans l'air et y fixe l'image d'un objet qui lui est opposé. J'attribue à de semblables réverbérations une espèce de flamme bleue que j'ai vue quelquefois sortir de la mer au coucher du soleil, au moment où son disque disparaît de dessus l'horizon.

La réflexion des rayons du soleil est plus grande sur l'eau que sur la terre. Les matelots sont plus basanés que les laboureurs, aux mêmes latitudes. Les coups de soleil sont plus fréquens sur le bord des rivières qu'au milieu des campagnes. Les reflets des eaux sont proportionnés à leurs ondulations, d'où il arrive que, dans les tempêtes où le soleil apparaît, la mer renvoie une chaleur plus forte qu'à l'ordinaire, parce que ses flots, en se creusant, doublent leurs surfaces et leurs réverbérations. Si cependant il y a des rivages dont l'atmosphère est plus froide que celles des terres qui les avoisinent, c'est que les eaux qui les baignent sortent de quelque souterrain, ou d'une montagne à glace, ou des pôles mêmes de la terre.

les

Non-seulement les rayons du soleil se réfléchissent sur les eaux, mais ils les pénètrent jusqu'au fond. Si, comme on le croit communément, abimes de l'Océan ont autant de profondeur que les plus hautes montagnes ont d'élévation, il est certain que les rayons du soleil parviennent jusqu'au fond de leurs bassins, à travers des masses liquides de plus de trois mille toises. Si cela n'était pas, il y aurait des cavités sous-marines, dont l'eau, tout-à-fait privée de la chaleur du soleil, fondrait à certaines périodes. Or, si ces effets avaient lieu, on verrait au milieu des mers torridiennes, qui sont les plus profondes du globe, des glaciers sous-marins s'élever tout à coup à leur surface, frapper de congélation l'atmosphère

chaude de leurs îles, et en faire périr à la fois les végétaux et les animaux. Le Caraibe vagabond, le Nègre misérable, le voluptueux Taïtien, n'oseraient voguer autour sans craindre, à chaque instant, de voir leurs pirogues portées au haut des airs par des roches jaillissantes du fond des mers. Il était donc nécessaire que le soleil en réchauffât de ses rayons toute la profondeur, afin qu'une zone glaciale n'apparût pas subitement au sein de la zone torride.

On ne peut que spéculer sur des lieux aussi éloignés des recherches des hommes; mais on est tenté d'y pénétrer au moins en esprit, lorsqu'on pense que c'est là que se combinent tant de matières qui servent aux principaux besoins de la vie. C'est au fond de l'Océan que se sont formés les argi'es, les pierres de taille, les pierres à chaux, les marnes, les ardoises, les marbres, les gypses, les grès, les cailloux et les métaux même, disposés pour la plupart par couches horizontales, et remplis de coquillages marins qui attestent que tous ces fossiles sont les ouvrages des eaux de l'Océan. C'est sur ses bords que, par un battement continuel des flots et le roulement des cailloux, se pulvérisent ces longues grèves, dont les sables volatils vont, à l'aide des vents, réparer les sommets des montagnes les plus élevées dans l'atmosphère, et les plus reculées dans le continent : ce n'est donc pas sans raison que, dès la plus haute antiquité, l'Océan a été appelé le père de toutes choses.

Si l'Océan est le berceau de la terre, il en est aussi le tombeau. C'est dans son sein que se rendent les débris des roches et des montagnes, que les torrens entraînent dans les fleuves, qui en deviennent tout noirs ou tout jaunes après d'abondantes pluies. C'est là que flottent, en dissolution, les huiles, les bitumes, les nitres, qui forment des volcans sur les rivages; c'est là aussi que les siècles ensevelissent à la longue les ruines des villes et des puissances humaines. La meilleure partie de Rome n'est plus sur le sol de Rome; elle est au fond du Tibre et dans les bancs de la Méditerranée. Ses peuples innombrables ne gissent plus dans les catacombes, et ses empereurs dans leurs vastes tombeaux: il n'en reste tout au plus que les squelettes; leurs chairs se sont écoulées avec les eaux souterraines vers les feux du Vésuve et de l'Etna. Quant à nous, peuples modernes, l'Océan est pavé de nos boulets, de nos canons, des lingots du Pérou et du Mexique, et des ossemens des nations qui se les sont disputés, par le fer et le feu, au sein des eaux. Oh ! que la cloche du plongeur nous serait bien plus utile que le globe de

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