Page images
PDF
EPUB

bien entendre avec des cris et des gémissemens, dont les sons, supérieurs à toute éloquence, remuent le cœur maternel. Philosophe, démontre à une mère, par les lois de la physique, par l'amour de l'ordre, par celui même de la patrie, qu'elle doit allaiter son enfant. Que lui répondras-tu, si elle oppose à tes raisons générales ses raisons particulières, sa délicatesse, de longues veilles, des inquiétudes toujours renaissantes, un ordre qui l'opprime, une patrie indifférente à ses besoins, et cet enfant même, objet de tant de soucis, qui, devenu homme, fera peut-être son plus cruel tourment? Mais elle entend la voix gémissante de son enfant, et elle l'allaite sans raisonner.

Comment arrive-t-il ensuite que des parens deviennent insensibles aux cris de leurs enfans? Comment se peut-il qu'eux-mêmes les fassent naître pour des châtimens à la fois obscènes et cruels? Les Sauvages les plus féroces envers leurs ennemis rougiraient d'en employer de semblables; cependant, on voit encore, dans nos écoles, des maîtres et des maîtresses les mains armées de verges et de fouets. Les choses n'ont changé que de nom : les habitudes, les mœurs et les hommes sont toujours les mènies. Passe pour des maîtres mercenaires, qui ne veulent gouverner que par la terreur, et qui, dans des enfans étrangers, ne voient que des esclaves; mais le père qui, trompé par de mauvais exemples et de fausses autorités, ose violer envers son fils le premier pacte de la pitié formé entre eux par la nature, le viole en même temps envers le genre humain!

La mère est le premier instituteur de son enfant; tâchons de l'aider dans les premiers soins de son éducation. Il est nécessaire qu'elle renouvelle fréquemment l'air autour de lui: c'est, après la chaleur, son premier élément et son premier aliment. Non-seulement elle doit renouveler l'air qu'il respire, mais elle doit laver ses langes, son berceau, ses rideaux, la chambre même où il couche, afin d'en enlever les miasmes méphitiques, qui s'attachent partout, et qui proviennent de la transpiration et de la respiration. Je n'ai pas besoin de dire qu'il faut en ouvrir les fenêtres pendant le jour. Un enfant languit sans air, comme la plante qui en est privée; il pâlit et s'étiole comme elle dans une chambre fermée. Rien ne le fortifie davantage que de l'exposer au grand air, même en hiver. Pendant le froid rigoureux que nous avons éprouvé au commencement de 1795, ma femme avait souvent l'attention de se promener au soleil et à l'air, à l'heure de midi, en tenant ma fille bien couverte dans ses bras; elle était alors âgée de six mois. Elle jetait souvent des cris dans la chambre,

sans doute par le besoin de respirer le grand air; car, dès qu'on l'y portait, elle devenait tranquille, et bientôt elle était saisie d'un sommeil doux et paisible, qui la faisait profiter à vue d'œil.

J'ai toujours remarqué qu'elle pleurait et criait quand on lui mettait ses vêtemens, et qu'elle se réjouissait quand on les lui ôtait. Tout enfant est gai quand il est nu. C'est donc avec raison qu'on représente ainsi les amours. La gaieté dans les enfans nus ne provient pas seulement de ce qu'ils sont débarrassés de la contrainte de leurs langes, car ma fille n'a jamais été gênée dans les siens; mais elle vient, je pense, aussi de l'action de l'air qui pénètre par les pores du corps, et y facilite le mouvement des fluides: au moins, c'est par les pores que le corps transpire. Beaucoup de maux ne proviennent que de transpirations arrêtées; peut-être le corps même respire-t-il par le tissu cellulaire. C'est sans doute dans cette idée qu'un médecin célèbre conseillait les bains d'air comme très-salutaires. J'attribue le prompt accroissement des enfans des Nègres, non-seulement à l'influence du soleil sur eux, mais à ce qu'ils vont tout nus à l'air; car les enfans des Sauvages de l'Amérique, élevés de la même manière, ne sont pas moins vigoureux. Les uns et les autres, étant accoutumés comme les animaux aux vicissitudes de l'air, étant hommes, ils ne sont point sujets comme nous aux rhumes et aux rhumatismes.

Avant de guérir les maux des enfans, occuponsnous du soin de les prévenir. Si nos mœurs ne nous permetteut pas de les laisser aller tout nus, au moins accoutumons les garçons à vivre à l'air le plus vif, la poitrine découverte. Sortons-les même au milieu de l'hiver, de l'air de l'école, et donnons-leur quelque instruction en pleine campagne; menons-les à la promenade sur une hauteur. La seule attention que l'on doit avoir est que les enfans échauffés dans leurs jeux ne se refroidissent pas subitement. Il faut les faire bien couvrir de leurs habits, lorsqu'ils cessent de jouer, et les tenir toujours en mouvement jusqu'à ce qu'ils soient de retour à la maison. On évitera par ces précautions les pleurésies, les fluxions de poitrine, les rhumes et les rhumatismes, qui ne viennent que de transpirations arrêtées.

On peut avec ces exercices amusans leur donner une idée des sciences les plus profondes. La chute de leur ballon leur rendra sensible l'attraction de la terre; et la courbe qu'il décrit en l'air, la théorie de la parabole, composée du mouvement perpendiculaire de la pesanteur et de son mouvement horizontal de projection. Tandis que quelques-uns élèvent à grands cris leur cerf-volant, et qu'ils le

voient avec admiration s'élever, en se balançant au haut des airs, expliquez-leur le mécanisme de son ascension et les lois de la décomposition des forces, c'est-à-dire du vent, sur le plan incliné du cerfvolant. Vous pouvez même, si le temps est favorable, leur donner avec prudence le spectacle étonnant de l'électricité atmosphérique, par un cerf-volant dont la ficelle est filée avec un fil de laiton, qui attire le feu électrique, et terminée par un cordon de soie, qui en arrête le cours, dans la main de celui qui le tient. Vous pouvez leur dire que l'électricité atmosphérique est le feu solaire répandu autour de nous d'une manière invisible; que ce feu se communique aux nuages, et ne les rend foudroyans que parce qu'il cherche partout à se mettre de niveau; qu'on distingue pour cette raison deux électricités, l'une en plus, et l'autre en moins; que les métaux, entre autres le fer et le cuivre, lui servent de conducteurs; que c'est à cause de ces propriétés qu'on met au haut de plusieurs édifices des barres de fer, avec des fils de fer qui s'en éloignent, non pas pour attirer le tonnerre, comme le pense le vulgaire, mais pour le soutirer et l'éloigner du corps du bâtiment. Une aiguille électrique n'attire pas plus le tonnerre sur le toit d'un édifice, que la gouttière de ce toit n'y attire la pluie. L'une et l'autre servent au contraire à en écarter ces deux météores. Quant au coup invisible qui frappe celui qui touche la ficelle du conducteur, dans le cerf-volant électrique, j'en ai entendu donner des explications savantes; mais j'avoue que je n'y ai rien compris. Je soupçonne seulement que le feu électrique, et que tout feu en général, renferme en lui plusieurs propriétés qui nous sont inconnues, entre autres les principes du mouvement; je pense aussi que tout feu vient du soleil: la chose me paraît évidente.

Au reste, comme Michel Montaigne, j'avance mes opinions, non comme vraies, mais comme iniennes. Dans toute espèce de système, on ne doit jamais balancer à avouer ses doutes et même son ignorance.

Il est surtout nécessaire, lorsqu'on parlera aux enfans des lois générales de la physique, d'en faire l'application aux besoins de la société. En tout il faut fixer leur jugement sur des faits qui les intéressent. Donnez toujours un corps et une action aux principes, c'est le seul moyen de les leur rendre sensibles. Vous pourrez donc, en leur expliquant l'ascension du cerf-volant par la force du vent qui, en se décomposant sur son plan incliné en deux actions, l'une horizontale, et l'autre oblique, le force à monter, leur faire connaître que cette même force, en se décomposant sur les plans in

clinés des ailes d'un moulin, les tait mouvoir circulairement. Peut-être le cours d'une rivière profonde produirait-il le même effet sur les ailes d'un moulin à eau disposées semblablement. Il est bon de jeter de temps en temps des corollaires au milieu de l'instruction; ce sont des perspectives au milieu d'un paysage; elles étendent et développent le génie. Rien n'est égal peut-être à celui de l'inventeur du moulin à vent, car je n'en vois point de modèle dans la nature, quoique je sois bien persuadé qu'il y est, ainsi que tous les modèles de nos inventions. Mais c'est surtout par son utilité que cette ingénieuse machine est recommandable. Elle fournit à notre premier besoin dans la plus grande partie de l'Europe, et épargne aux animaux et aux hommes une multitude de fatigues. On aurait dû élever une statue à son auteur, dont le nom même est ignoré. Le célèbre mathématicien de la Hire ne passait jamais devant un moulin à vent sans ôter son chapeau, par respect, disait-il, pour la mémoire de celui qui l'avait inventé. Combien de gens ne le regardent que comme l'habitation d'un meunier! Apprenons de bonne heure aux enfans à n'estimer les arts et les hommes que par rapport à leurs besoins. Reprenez-les quand ils parlent, même à de simples manœuvres, avec mépris ou en les tutoyant. Le ton de l'extrême familiarité devient celui de l'orgueil, quand il n'est pas réciproque. D'ailleurs, des enfans, quels qu'ils soient, doivent toujours respecter un homme. Tirons leurs leçons de morale de leurs actions les plus communes, ainsi que leurs lumières de leurs jeux : c'est à la morale qu'ils doivent rapporter toutes leurs sciences. Si j'en effleure par-ci par-là quelques-unes, si je leur ai fait entrevoir l'influence nécessaire du soleil et de l'air sur toutes les puissances de la nature, c'est non-seulement pour leur propre utilité, mais pour celle de leurs semblables; c'est pour qu'un jour ils ne plantent pas sur leurs propriétés de grands arbres dont l'ombrage puisse nuire à leurs voisins; c'est afin qu'ils soient plus justes que les lois qui le permettent. J'ai vu dans le pré Saint-Gervais, par ces plantations de bois, un riche propriétaire forcer successivement tous ses voisins de lui vendre leurs jardins et leurs champs, jadis si bien cultivés, mais qui maintenant couverts d'ombre n'avaient plus ni soleil ni air.

C'est le soleil qui, par sa présence et par son absence, est cause de toutes les harmonies de l'atmosphère, sur les eaux, la terre, les végétaux, les animaux et les hommes. Ce sont peut-être ses reflets que la lune nous envoie au milieu des nuits, qui modifient l'action des vents. Souvent la lune

produit à ses différentes phases des changemens de temps. Les naturalistes modernes n'en sont pas d'accord; mais l'expérience des laboureurs et des marins est plus sûre que la théorie imparfaite des physiciens. Ceux-ci assurent qu'elle soulève l'Océan, et ils nient qu'elle puisse mouvoir l'atmosphère. Ce sont deux erreurs qui se contredisent. Je l'ai vue souvent sur la mer, à son lever, fondre et dissiper les nuages suspendus dans les régions glaciales de l'air, sans doute par la même influence qui lui fait fondre les glaces des pôles. Quand elle s'entoure d'un limbe jaune, attendez-vous au mauvais temps. La lune nous annonce par sa pâleur la pluie; par sa rougeur, le vent; et par sa blancheur, la sérénité.

:

Mais le ciel se couvre de toutes parts. Le soleil, voilé par des nuages sombres, laisse échapper de longs rais d'une lumière pâle qui nous annoncent la tempête. Déja elle s'élève des giboulées de neige volent dans les airs, comme des plumes d'oiseaux; les troupeaux inquiets mugissent au fond des vallées; le berger, trompé par l'espoir d'un beau jour, se hâte de les rassembler avant la nuit. Le terrible vent du sud-ouest s'élève de l'horizon, il couvre le ciel de montagnes de nuages sembla bles à celles des Alpes; dans sa course rapide et pesante, il creuse la surface des eaux, et courbe les cimes des forêts, qui font entendre au loin de rauques rugissemens; les troncs des arbres tombent avec fracas: tandis que ces vieux monumens des siècles sont renversés, un oiseau paraît immobile dans les cieux. L'épervier lutte contre la tempête, en jetant des cris funèbres; il épie quelque oiseau malheureux qui ne doit plus revoir le printemps.

Ne regardez point les tempêtes de l'atmosphère, les ravages des forêts et les guerres des animaux, comme des désordres de la nature: tout est bien dans un plan infiniment sage. L'oiseau de proie, en détruisant les oiseaux âgés ou infirmes, prépare de nouvelles places à leurs générations. Les tourbillons du sud-ouest renouvellent les vieux végélaux, et disséminent au loin leurs graines; ils portent aux régions glacées du nord l'air chaud de J'Afrique, chargé des vapeurs de la Méditerranée; ils adoucissent l'atmosphère de notre zone, et enfassent sur notre pôle septentrional des montagnes le neige, qui doivent donner, à l'équinoxe du printemps, de nouvelles sources à l'Océan.

Enfans, hâtez-vous de rassembler vos ballons, yos volans et vos cerfs-volans: déja vos mères inquiètes accourent et vous rappellent à vos foyers. Heureux celui qui habite avec des parens chéris une humble chaumière au fond d'un vallon! A l'a

bri des collines et des vergers, il entend la nuit, sans crainte, les mugissemens des vents. Il s'endort au murmure lointain des forêts, et en fermant les yeux à la lumière, il bénit celui qui a pourvu aux besoins de tout l'univers.

LIVRE TROISIÈME.

HARMONIES AQUATIQUES.

Inspirez-moi, douces Naïades, soumises aux influences du Verseau, vous qui répandez sur la terre les ondes argentées! Venez aussi à mon aide, Néréides qui les exhalez en vapeurs vers les cieux, et qui les recevez dans les bassins des mers! Je suis né sur vos rivages. Combien de fois j'ai vu s'écouler mes journées sur vos grèves solitaires, ne me plaignant qu'à vous et au ciel des injustices des hommes ! Vos gémissemens semblaient répondre à mes gémissemens. Souvent, assis au pied d'un rocher, j'ai contemplé vos orages, images de ceux de ma vie. Alors, mes yeux mouillés de larmes suivaient sur vos horizons une voile lointaine, emportant vers d'autres mondes un ami malheureux. Moi-même j'ai poursuivi vers d'autres climats, à travers vos plaines liquides, un bonheur inconstant comme elles. Partout j'ai trouvé une fortune trompeuse comme les hommes, mais partout j'ai senti une nature bienfaitrice, immuable. Les hautes montagnes des Alpes n'ont rien de plus élevé que vos profondeurs, et les vastes continens ne renferment point d'objets plus ravissans que les ombrages de vos rives. C'est vous qui avez nivelé les terres, creusé les vallons et arrondi les collines; c'est sur vos bords verdoyans, c'est au sein de vos flots azurés, qu'au milieu d'une nuit jusqu'alors éternelle, Vénus apparut baignée de vos ondes transparentes, et éclairée des premiers feux de l'aurore. Viens m'animer des mêmes feux, soleil, astre brillant du jour : la lumière, la chaleur, les couleurs, les formes, les mouvemens et toutes les harmonies de la vie naissent sous tes rayons éclatans. Maintenant que ma course rapide est sur son déclin, viens éclairer mon couchant d'un rayon de tes aurores éternelles. Attire-moi de cette terre de boue vers la Divinité, dont tu es la plus sensible image. Vastes mers, inspirez-moi des pensées profondes comme vos abimes; et vous, agréables fontaines, des paroles mélodieuses comme vos plus doux murmures. Puissent-elles à la fois paraître sublimes aux sages, et touchantes aux mortels les plus simples.

HARMONIES AQUATIQUES

DE L'AIR.

C'est aux simples vapeurs de l'eau que l'atmosphère doit les riches couleurs et les belles formes de nuages qui font la beauté des cieux. Si ces vapeurs n'existaient pas, le soleil nous apparaîtrait sensiblement plus petit dans un firmament d'un bleu foncé, ainsi qu'on le voit du sommet des hautes montagnes. Il n'y a rien de plus monotone qu'un ciel sans nuages.

C'est aux vapeurs aquatiques de l'air qui décomposent les rayons du soleil, que l'aurore doit ses magnifiques couleurs. Elles se manifestent d'abord à l'horizon par la couleur blanche, qui est celle de la lumière pure. On lui a donné le nom d'aube, du mot latin alba. Cette blancheur, en s'élevant au-dessus de l'horizon, se décompose en différentes nuances de jaune, qui parviennent au jaune doré, qui est en général la couleur des rayons du soleil dans notre atmosphère. Ce jaune doré, relevé d'un peu de vermillon, forme la couleur de l'aurore proprement dite, et s'élève ensuite, par différentes teintes de rouge, jusqu'au carmin au zénith: de là, descendant par les nuances du pourpre et du violet, il arrive au bleu vers le couchant, et enfin du bleu au noir au lieu où la nuit étend encore ses voiles. Toutes les teintes imaginables sont composées de ces cinq couleurs primitives. Je ne m'arrêterai pas ici aux harmonies de ces couleurs, parce que j'en ai parlé assez au long dans mes Études. Je ferai observer seulement que ces cinq couleurs primitives et leurs nuances principales semblent réparties aux sept puissances de la nature : le blanc au soleil, le bleu à l'air et à l'eau, le jaune à la terre, le vert aux végétaux, le rouge au sang des animaux, et toutes les couleurs aux hommes, depuis le blanc des peuples septentrionaux jusqu'au noir des peuples méridionaux. Il n'est pas moins remarquable que le goût de ces couleurs primitives est adopté par les peuples, suivant un ordre géographique en rapport avec l'ordre atmosphérique. Ainsi, les Chinois, situés à l'orient, ont pour couleur principale le jaune de l'aurore; les Africains, au midi, le rouge; les peuples de l'occident de l'Europe, le bleu. Les peuples latéraux, comme les Thibétains, ont choisi l'orangé; les Russes, le vert; les Italiens, le violet. Ce sont là les couleurs impériales, royales et distinctives de ces nations. Le blanc et le noir, par leurs durs contrastes, sont chez elles des signes de deuil : le blanc chez les nations noires ; et le noir chez les nations blanches.

C'est dans le ciel, comme dans le genre humain,

que s'harmonient à la fois toutes les couleurs primitives. La pluie nous les montre rassemblées dans les couleurs de l'arc-en-ciel alors il suffit d'une goutte d'eau pour les engendrer.

Si les vapeurs aquatiques dispersées dans l'air décomposent en une infinité de couleurs les rayons du soleil, et tracent même un arc de circonférence lorsqu'elles sont réunies en gouttes de pluie, elles représentent quelquefois le soleil lui-même en entier et avec tout son éclat, lorsqu'elles sont en forme de nuage : c'est cette image qu'on nomme parélie, des mots яapà, hos, qui signifient soleil proche, ou autour (du véritable).

Ces faux soleils ne sont communs que sur les mers glaciales, où ils servent puissamment à accélérer en été la fonte des glaces polaires; car la nature ne fait rien en vain. Martens, qui les y a observés fréquemment, dit qu'ils sont d'un éclat éblouissant, et qu'ils ont plus de chaleur que le soleil lui-même. Cela doit être, car ils en rassemblent les rayons sur un grand diamètre, et produisent l'effet d'un miroir ardent.

Les parélies sont communs dans les zones glaciales, rares dans les tempérées, et on n'en a peutêtre jamais vu dans les deux torrides, quoique l'australe soit très-aquatique, et par conséquent très-nuageuse. Il est aisé d'en sentir la raison : les parélies qui fondent les glaces de l'Océan boréal et austral causeraient des incendies dans les forêts des zones torrides. Mais il n'est pas si facile de trouver pourquoi il ne s'en forme pas dans les nuages des zones torrides, car ils sont en grand nombre, et la plupart de ceux qui remplissent l'atmosphère y prennent leur source, pour se répandre de là jusqu'aux pôles.

Je crois cependant entrevoir la cause de ces effets différens. Dans les mers méridionales et dans nos étés, les nuages, dilatés par la chaleur, s'étendent horizontalement dans une atmosphère dilatée. Au contraire, dans les mers glaciales, ainsi que dans nos hivers, les nuages, comprimés par le froid, s'élèvent perpendiculairement ou obliquement dans une atmosphère condensée. Il résulte de ces deux dispositions que les nuages horizontaux des contrées et des saisons chaudes donnent peu de réflexions solaires et beaucoup d'ombre, et qu'au contraire les nuages perpendiculaires ou obliques des régions ou saisons glaciales produisent peu d'ombre sur la terre et beaucoup de reflets solaires.

Ces différences de réflexions sont sensibles dans nos climats même, non-seulement dans le cours de l'année, mais dans celui du jour. Lorsque le soleil est le matin à l'horizon, il éclaire les nuages en dessous, et y fait naître les riches couleurs de

l'aurore. Quand il est à son midi, il les éclaire en dessus alors ils sont sans couleurs, et jettent beaucoup d'ombre; mais quand le soir il est an couchant, il leur donne un éclat encore plus vif qu'au matin, parce qu'il a élevé beaucoup de vapeurs pendant le jour.

On peut observer aussi que les parélies, ainsi que les arcs-en-ciel, n'ont lieu que lorsque le soleil est peu élevé sur l'horizon.

Ceci posé, les nuages des mers glaciales sont formés, en été, des brumes peu dilatées qui s'élèvent perpendiculairement des glaces en fusion. Elles réfléchissent, dans leurs cavités, les rayons et le disque même du soleil, comme les glaces dont elles émanent, et qui sont alors d'un éclat éblouissant. Elles échauffent tellement l'atmosphère, que Martens dit qu'elles faisaient fondre, par leur reflet, le goudron de son vaisseau. Ce sont ces mêmes nuages perpendiculaires ou obliques, et semblables, par leurs croupes entassées et éblouissantes, à des portions des Alpes, qui descendent, au mois de mars, du nord dans notre atmosphère. Ils contribuent par leur réverbération, aux coups de soleil si fréquens dans ce mois, en augmentant l'activité de ses rayons sur une terre engourdie par l'hiver. Ceux, au contraire, que les vents du sud nous amènent de la zone torride, sont obscurs, étendus dans les cieux, et projettent leurs grandes ombres sur la terre. La nature a donné aux nuages des zones chaudes et froides les mêmes dispositions qu'aux feuillages de leurs végétaux, dont les uns, horizontaux, sont des parasols, et les autres, perpendiculaires, sont des réverbères : voilà pourquoi le palmier de l'Afrique diverge ses rameaux en ombelles, et le sapin de la Russie élève les siens en pyramides.

Non-seulement les nuages, condensés par le froid, perpendiculaires ou obliques à l'horizon, renvoient des reflets et quelquefois des images du soleil; mais il est possible qu'étant horizontaux, ils nous présentent l'aspect des objets terrestres. Ainsi, les montagnes, les forêts, les armées même, qu'on a cru quelquefois apercevoir dans les nuages, ne sont pas toujours aussi illusoires qu'on le pense.

J'appuierai ce paradoxe de faits assez curieux. Quelque temps après avoir publié mes Etudes de la nature, un homme vint me dire qu'il avait trouvé le secret d'annoncer l'arrivée des vaisseaux, lorsqu'ils étaient encore à soixante ou quatre-vingts lieues du port, et même plus loin. Il en avait fait, ajoutait-il, l'expérience plusieurs fois à l'ile de France, devant plusieurs témoins qui avaient signé son mémoire, et il voulait le présenter au ministre

de la marine, pour la réitérer en France. Son dessein était de me prier de l'apostiller, parce qu'il supposait qu'ayant été ingénieur à l'île de France, j'avais oui parler de sa découverte, et que j'en devais sentir la possibilité, parce que je m'étais livré à l'étude de la nature. Il concluait que quelques succès en ce genre dans le public avaient dû me donner beaucoup de crédit dans les bureaux. Je lui répondis qu'étant à l'île de France, j'avais oui dire en effet que les oiseaux du tropique annonçaient l'arrivée des vaisseaux d'Europe en les devançant de fort loin et en venant aborder avant eux, mais que les faits personnels qu'il alléguait m'étaient entièrement inconnus; que j'étais un solitaire sans crédit; qu'il n'avait besoin d'ailleurs de celui de personne pour mettre sa découverte en évidence, et que pour attester son expérience il ne fallait que l'expérience même et des témoins irréprochables. J'ignorais alors qu'il ne suffit pas de présenter aux hommes la vérité toute nue pour la leur faire adopter; qu'il faut la couvrir des voiles du mystère, lui donner un théâtre, des prôneurs et des protecteurs, et que ces accessoires sont si puissans, qu'ils suffisent par toute la terre à l'erreur pour cacher la vérité aux yeux même les plus clairvoyans. Mon spéculateur de vaisseau ne fut pas content de ma réponse. Il avait avec lui un avocat qui avait rédigé le mémoire de sa prétendue découverte. Il s'était imaginé que je lui ferais d'avance beaucoup de complimens, et qu'il en prendrait acte, comme d'une autorité. Cependant, pour l'encourager autant qu'il m'était possible, je lui dis que j'étais intimement convaincu qu'il y avait dans la nature une infinité de choses inconnues aux hommes, et surtout à moi; que sa découverte pouvait être de ce nombre; qu'elle m'était problématique; que je ne la croyais pas, mais que je ne la niais pas non

plus.

J'ai appris depuis qu'il avait été envoyé à Brest pour faire son expérience devant des commissaires, et qu'elle n'avait pas réussi.

dans

J'ai pensé que cet observateur avait pu, quelque circonstance favorable et commune dans le ciel des tropiques, avoir la vue des vaisseaux éloignés par la réflexion des nuages. Ce qui me confirme dans cette idée, c'est un phénomène trèssingulier qui m'a été raconté par notre célèbre peintre Vernet, mon ami. Etant, dans sa jeunesse, en Italie, il se livrait particulièrement à l'étude du ciel, plus intéressante sans doute que celle de l'antique, puisque c'est des sources de la lumière que partent les couleurs et les perspectives aériennes qui font le charme des tableaux ainsi que de la nature. Vernet, pour en fixer les variations, avait

« PreviousContinue »