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HARMONIES AÉRIENNES

DE LA TERRE.

La terre a aussi des espèces de fluides en harmonie avec l'air: ce sont ses sables. Les sables sont des débris de marnes, de roches, de coquillages, de cailloux ou galets, que l'Océan réduit sans cesse en poudre par le roulement perpétuel de ses flots au fond de son bassin, et surtout sur ses rivages. C'est là que vous voyez les grèves immenses, grises, jaunes, rouges, blanches, et de toutes couleurs, qui sont les principes des matières diverses que la terre renferme dans son sein, et même de l'humus qui la couvre, comme les eaux maritimes le sont de toutes les eaux douces qui l'arrosent. C'est l'atmosphère qui en est le véhicule. Si le vent porte au sommet des montagnes les nuages dont se forment les sources des rivières, il y voiture de même les terres que les eaux en dégradent sans cesse. Il est aussi aisé au vent de charrier des montagnes de sable, grain à grain, des bords de la mer jusqu'au sommet des Alpes, que d'y transporter, du sein de ses eaux, goutte à goutte, les glaces énormes qui les couronnent, et les grands fleuves qui en découlent. Des puissances invisibles gouvernent le monde au physique comme au moral, et ne se rendent apparentes que par leurs effets. Si nous étions attentifs aux harmonies générales de la nature, nous pourrions dire, à la vue des nuages que les vents de l'ouest et du sud voiturent en hiver au haut des airs: Voilà des portions du Rhône, du Rhin et de leurs glaciers; et voilà les grèves de leurs rivages, en voyant ces tourbillons de sable que les vents du nord et de l'est élèvent en été sur nos chemins et sur les bords de nos mers. D'où viendraient même les sables marins qui composent en partie la terre végétale, si ce n'est de l'action des vents qui les apportent de fort loin? Il y a des pluies de terre comme des pluies d'eau. Je ne citerai ici ni les orages de sable de la Lybie, qui engloutissent des caravanes entières, ni les tourbillons de poussière des provinces septentrionales de la Chine, qui obligent les habitans de Pékin à se couvrir le visage d'un crêpe lorsqu'ils sortent de leurs maisons; ni ceux des bords de la mer Caspienne, dont le sable est si subtil, que les Turcs disent en proverbe qu'il pénètre à travers la coque d'un œuf; ni ceux que j'ai éprouvés moi-même au cap de Bonne-Espérance, où, malgré les doubles châssis des fenêtres de chaque maison, le sable s'introduit dans l'intérieur des appartemens, et se fait sentir dans tout ce qu'on mange. Nous pouvons ici nous former

une idée de l'abondance de cette poussière volatile, par ses effets dans les chambres qui ne sont pas habitées. Quelque bien fermées qu'elles soient, en peu de temps les meubles en sont tout couverts. C'est cette poussière qui se dépose au haut de nos murs, sur les corniches des tours les plus élevées, s'engage dans les fentes de leurs pierres, et y entretient la végétation des mousses, des pariétaires, des mufles-de-veau, des giroflées jaunes, et quelquefois même celle des arbres. La nature avait sans doute prévu ces résultats, lorsqu'elle a donné des ailerons et des volans aux semences des érables, des ormes et de quantité de végétaux saxatiles, et des noyaux indigestibles à celles des merisiers des prairies, afin de les transporter au sommet des roches par les estomacs et par les ailes des oiseaux.

La terre réagit aussi sur l'air par ses montagnes; ce sont leurs différens plans qui causent la grande variété des vents, par les divers entonnoirs de leurs vallées. Il y a plus, c'est que, lorsqu'elles sont échauffées du soleil, et qu'elles ont dilaté l'air qui les environne, les vents se dirigent vers elles et ne cessent d'y souffler pendant une partie du jour. Ces effets se remarquent principalement le long des rivages de la mer, dans la zone torride. Deux ou trois heures après le lever du soleil, lorsque la terre commence à être échauffée de ses rayons, les vents généraux de l'Océan se détournent de leurs cours et soufflent vers elle pour en rafraichir l'atmosphère. On appelle ces vents maritimes des brises du large; ils se font sentir tout le long de la côte d'Afrique et autour des îles situées entre les tropiques; ils apportent dans leur climat brûlant, non-seulement un air frais de la mer, mais les pluies nécessaires au renouvellement de leurs fleuves et à leur végétation. C'est ainsi que la nature a balancé par des réactions les effets de ses lois générales, afin que toutes les latitudes participassent aux harmonies des élémens. Elle a opposé à la condensation de l'atmosphère glaciale du pôle qui pèse vers l'équateur, la dilatation de l'atmosphère ardente de la zone torride qui l'attire; et au cours général des vents alizés qui en résultent en pleine mer, les cours particuliers des vents qui soufflent le long des terres. La nature est consonnante avec elle-même. Le soleil donne par sa chaleur, à l'atmosphère comme à l'Océan, des courans généraux, qui sont les vents alizés, et des marées en sens souvent contraires, qui sont les brises.

Comme les marées ont un flux et reflux, les brises ont aussi le leur. Les brises soufflent de la mer vers la terre pendant le jour, et pendant la nuit

elles soufflent de la terre vers la mer. Les unes et les autres varient suivant le cours du soleil; mais cette théorie des mouvemens de l'air nous mènerait ici beaucoup trop loin. Contentons-nous d'ajouter qu'il y a des montagnes caverneuses qui envoient des vents, comme si elles les produisaient dans leurs flancs. Tels sont les monts Eoliens d'Italie. Leurs effets sont aisés à expliquer par l'action du soleil qui les échauffe, dilate l'air qu'ils renferment, et l'oblige d'en sortir pendant le jour; mais cet air y rentre ensuite condensé par la fraîcheur de la nuit. Nous verrons qu'il y a ailleurs qu'en Italie des monts Eoliens qui ne sont pas caverneux; ils produisent des vents par la configuration de leurs vallons et la densité de leur atmosphère, sur laquelle le soleil agit comme sur celle des pôles. Il y a aussi des montagnes à glace, par le moyen desquelles le soleil produit des courans généraux et des flux et reflux dans les lacs qui sont à leur pied, comme il en produit dans l'Océan par le moyen des glaces polaires. Les montagnes ne sont pas de simples débris de la terre, ou des ouvrages des eaux faits au hasard, comme on le prétend; mais il y en a d'harmoniées positivement et négativement avec les élémens; il y en a de solaires et d'hyémales, de vulcaniennes, d'éoliennes; d'hydrauliques, qui attirent les eaux; de littorales, qui les repoussent, les unes maritimes, les autres fluviatiles; de métalliques, de végétales, etc.; elles sont aussi combinées entre elles sur différens plans. Nous donnerons une idée de leurs diverses espèces aux harmonies terrestres de la terre, et une idée de leur ensemble aux harmonies sociales ou morales.

L'air produit une infinité d'harmonies, nonseulement à la surface de la terre, mais dans son intérieur. Les arbres par leurs racines, et les animaux par leurs travaux, l'y font pénétrer à de grandes profondeurs. Les vers de terre, les scarabées, les taupes, les lapins, etc., y creusent une multitude de souterrains; la vigne y fait descendre ses radicules à travers les carrières de pierres les plus dures. Non-seulement les racines des arbres y font communiquer l'air, mais elles l'y pompent; car sans lui, elles ne pourraient y végéter. En effet, l'air y est renfermé dans les bancs des pierres calcaires, toutes remplies de petits trous et de coquillages qui en contiennent dans leurs cavités. Mais c'est surtout dans les couches de sable qu'il est en abondance; il remplit les interstices qui sont entre ses grains. Ce n'est que par le moyen de cet air que l'eau y pénètre en tout sens, comme dans des tuyaux capillaires. Les sables sont des éponges à la fois remplies d'air et d'eau, qui

entretiennent la circulation de ces deux élémens dans l'intérieur du globe. L'inflammation des pyrites, à de grandes distances de sa surface, ne peut avoir lieu que par l'action de l'air, qui les décompose et les enflamme. Il n'y a point de feu sans air. C'est à l'action de cette atmosphère souterraine qu'il faut attribuer les volcans des bords de la mer, les tremblemens de terre qui proviennent de sa dilatation, la circulation des eaux intérieures, les compositions et décompositions minéralogiques, enfin la température du globe, qu'on trouve de dix degrés environ au fond de toutes les mines, et qui est la même que celle qui est au fond des mers. C'est par cet air souterrain que la chaleur du soleil pénètre la terre dans toutes ses parties, et qu'elle se manifeste même sous les glaciers, d'où il sort toujours en hiver des courans d'eau, et qui en été fondent principalement par leurs bases.

J'ai vu quelquefois, dans de fortes gelées, les pavés, et même les seuils des portes, se soulever de manière à perdre tout-à-fait leur niveau. Cet effet est produit par la dilatation de l'eau ou du sol, occasionée par le développement de l'air qu'elle renferme lorsqu'elle vient à se geler. Il est certain que l'eau, en se gelant, augmente de volume; mais, d'un autre côté, comme l'eau augmente encore de volume en se dilatant par la chaleur, comme on le voit aux tubes de nos thermomètres, qui renferment souvent plus d'eau que d'esprit de vin, j'en ai tiré une singulière conclusion c'est que le froid, agissant en hiver sur la couche supérieure de la terre toute pénétrée d'eau et d'air, doit dilater toute la partie septentrionale de notre hémisphère, et en accroître la hauteur; mais la chaleur dilatant également l'Océan dans la zone torride, leur ancien niveau n'est point dérangé, et les eaux du pôle sud arrivent toujours par la même pente aux environs de notre pôle. Il est certain que la terre entière doit être sujette aux contractions et aux dilatations occasionées par l'air qu'elle renferme dans sa masse, et que c'est peut-être à ces effets qu'il faut rapporter les fractures de tant de roches, dont les débris gisent à sa surface. Nous nous étendrons davantage, aux harmonies terrestres, sur ce sujet intéressant et tout neuf. Les philosophes ont imaginé plusieurs systèmes pour expliquer la formation des planètes; mais je voudrais bien que, sans sortir de notre globe, ils voulussent nous dire seulement pourquoi tant de cailloux, de pierres et de roches sont rompus, et par éclats, dans presque toutes les parties du monde. Les frondes ont été les premières armes des hommes, et les lapidations leurs premiers supplices. Ils

trouvent partout de quoi se tuer. Si l'attraction, les eaux, le temps, arrondissaient toutes choses, nos rochers ne seraient pas si anguleux et nos montagnes si raboteuses. Nous tâcherons de trouver une origine à une ruine en apparence universelle, et qui ne nous semble qu'un résultat de l'harmonie qui conserve le monde en le renouvelant. Les mêmes causes qui forment les minéraux les brisent.

Non-seulement la terre est en rapport avec l'air au dedans et au dehors, mais ses parties intrinsèques y sont aussi. Les marbres les plus durs sont criblés d'une multitude de pores; le microscope en découvre une infinité sur les métaux les plus polis.

On peut donner l'idée du microscope et de ses effets par une goutte d'eau au sein d'une fleur, dont elle fait apercevoir les glandes nectarées, invisibles à la vue. Quelquefois on trouve après un brouillard de ces gouttes d'eau enfilées, comme des semences de perle à des fils d'araignée, et toutes brillantes au soleil des couleurs de l'arc-enciel. Elles grossissent prodigieusement l'insecte infortuné, encore plus brillant qu'elles, suspendu à la même toile. On peut donner de même une idée du télescope, qui agrandit les objets éloignés, d'après les effets d'un nuage transparent qui augmente la grandeur de la lune à l'horizon. Il est bien important de faire remarquer ici que l'homme n'a rien imaginé de lui-même, et qu'il n'a développé son intelligence que d'après celle de la

nature.

Nous avons des microscopes qui font paraître les objets six mille fois plus gros qu'ils ne le sont. Une puce paraît plus grosse qu'un mouton dans le microscope solaire. Cependant cet instrument ne peut nous faire voir une particule élémentaire d'air ou même d'eau: comment donc pourrait-il nous faire apercevoir le fluide qui environne une pierre d'aimant, et qui attire à elle, à plusieurs pouces de distance, des particules de fer? Il y a plus, ce fluide magnétique qui agit sans cesse autour de cette pierre se communique à l'infini sans s'affaiblir. Il s'attache à tous les morceaux de fer qui en sont frottés, et leur donne la même vertu. Il semble participer de la nature du feu, et il en diffère, en ce qu'il n'a pas besoin, comme lui, d'aliment, ou du moins qu'il ne le consomme pas. D'ailleurs, il se sépare pour toujours de son aimant par l'action même du feu.S'il est un corps, comment est-il invisible et impalpable comme un esprit ? et s'il est un esprit, comment peut-il s'attacher à des corps et les faire mouvoir? Il y a donc des principes de mouvement actifs par eux-mêmes, qui s'unissent à des corps, et qui échappent à tous nos sens, et

même à nos raisonnemens. Pourquoi n'y aurait-il pas aussi des principes de vie et d'intelligence qui existent par eux-mêmes, qui s'attachent à la matière, l'organisent, la font mouvoir, se propager, sentir, raisonner? Ils existent sans doute, car il y a des êtres matériels organisés qui se meuvent, se propagent, sont sensibles et raisonnables, et ne sont plus que de la matière lorsqu'ils sont séparés de l'ame qui les anime. Si tous les arts des hommes ne sont que de faibles imitations de la nature que nous voyons, cette nature elle-même n'est que le résultat de principes que nous ne voyons pas. Nous sommes environnés d'air, d'attraction, d'électricité, de magnétisme, d'êtres organisans, sensibles, passionnés, intelligens, tous invisibles par leur essence, et qui ne se manifestent à nos sens qu'en se combinant avec la matière. Mais ils n'en existent pas moins sans elle, comme elle existe sans eux. Il y en a sans doute d'une nature supérieure, qui échappent à nos sens, et qui se rendent sensibles à notre raison par l'existence des premiers. Tel est celui qui a formé les harmonies de cet univers, et qui les maintient pour nous, êtres passagers. Ses jouissances éternelles ne sont pas comparables aux nôtres. Elles doivent être immenses comme sa puissance infinie et son immortalité. Soyez donc certains que ce monde, comme l'a dit Platon, n'est qu'une ombre fugitive d'un autre monde, habité par des êtres invisibles pour nous, mais bien supérieurs à nous.

HARMONIES AÉRIENNES DES VÉGÉTAUX.

Si les métaux les plus durs ont des rapports intérieurs avec l'air et avec d'autres élémens plus subtils, les végétaux en ont encore de plus étendus. Des expériences réitérées, faites par les plus habiles chimistes, entre autres par Homberg, prouvent que l'air entre comme matière solide dans la composition des plantes. Le chêne en contient le tiers de sa pesanteur; le feu l'en dégage. Lorsqu'on brûle une bûche de ce bois, on entend souvent de longs murmures sortir de ses flancs; c'est l'air qui s'échappe de ses trachées. Les pois renferment aussi un tiers de leur pesanteur d'air. Des tuyaux et des globes de fer n'en contiendraient pas la dixième partie de leur poids sans crever : il y a apparence même que toutes les forces humaines ne produiraient pas une pareille condensation; cependant elle est le résultat de l'action des rayons si légers du soleil. Ses feux sont les tisserands des élémens; ils les assemblent et les séparent; ils en sont à la fois la navette et les ciseaux. Nos instrumens

de physique n'opèrent rien de semblable. On ne peut donc bien étudier la nature que dans la nature même.

Les végétaux ont des harmonies sensibles avec l'air par leur respiration. Si on frotte d'huile une plante vivante, on la fait mourir presque subitement, tandis que par une semblable opération on préserve un morceau de fer de la rouille qui le détruit. Sur ce point, le végétal diffère donc essentiellement du métal. En effet, le premier a les organes de la respiration, dont le dernier est privé. Les plantes ont des tuyaux par où l'air se communique dans tout leur intérieur. Malpighi est le premier qui a fait cette découverte et qui leur a donné le nom de trachées. « Ce sont, dit-il, des vaisseaux formés par les différens contours d'une lame fort mince, comme argentée, plate, assez large, élastique, qui, se roulant sur elle-même en ligne spirale en tire-bourre, forme un tuyau assez long et comme divisé dans sa longueur en plusieurs cellules. Ces lames sont composées de plusieurs pièces, divisées par écailles comme les trachées des insectes, ce qui leur en a fait donner le nom. Quand on déchire ces vaisseaux, on s'aperçoit qu'ils ont une espèce de mouvement péristaltique.»>

Hales, dans sa Statique des Végétaux, observe que la spire de ces vaisseaux est dans un sens contraire au mouvement diurne du soleil. Cette observation est importante, et confirme ce que nous avons dit de l'influence de l'astre du jour sur toutes les puissances de la nature, dont il est le premier moteur. Les ressorts des plantes sont de petites roues de rencontre, mues par son cercle journalier, comme leurs harmonies le sont par son cercle annuel. Peut-être trouvera-t-on une disposition différente dans les spires des trachées des plantes nocturnes, c'est-à-dire qui n'ouvrent leurs fleurs que la nuit, comme le jalap, une espèce de convolvulus, l'arbre triste des Moluques, etc.; celles-ci ont sans doute des harmonies lunaires qui leur sont propres.

Quoi qu'il en soit, on découvre facilement les trachées des plantes en cassant net des tendrons de vigne ou de jeunes branches de rosier, de tilleul, etc. elles paraissent en forme de spirales de couleur argentée. Quand on déchire doucement une feuille, on en voit les trachées s'allonger, en écartant les portions de la feuille l'une de l'autre. Les trachées ont plus de diamètre que les autres vaisseaux des plantes; elles sont toujours placées autour des fibres ligneuses, et sont plus grandes dans les racines que dans les tiges. Il n'y a pas de doute que ces tuyaux élastiques ne soient des véhicules de l'air, et qu'ils ne l'aspirent et ne l'ex

priment. Leur ressort, mis en mouvement par celui du soleil, fait sans doute monter et circuler la séve par la médiation de la chaleur de l'air; et l'air lui-même est peut-être composé de spirales élastiques comme les spires des trachées. Au reste, la plante aspire et expire l'air principalement par ses feuilles, criblées à cet effet d'une infinité de pores ou de petits trous: Leuwenhoek en a compté plus de soixante-deux mille sur un seul côté d'une feuille de buis.

Les plantes cherchent à la fois l'air et la lumière celles que l'on cultive dans les appartemens se tournent toujours vers les fenêtres; les plantes privées d'air et de lumière, telles que celles qui végètent dans les souterrains, s'étiolent, c'est-à dire blanchissent. Tels sont les cardons et les chicorées que l'on conserve l'hiver dans des caves, et les laitues romaines dont l'été on lie les feuilles pour les attendrir. Tous ces végétaux artificiels, privés d'air et des rayons du soleil, ont peu de substance et de vertu. Il en est de même de l'herbe qui croît à l'ombre des arbres; elle y devient longue et molle, et ce qu'on appelle en Normandie veule, c'est-à-dire flasque : les bestiaux refusent d'en manger: aussi on ne souffre point d'arbre, pas même de pommier, dans les riches pâturages de la Basse-Normandie. Il n'y a qu'un fort petit nombre de plantes qui prospèrent à l'ombre: telles sont l'anémone des forêts, qui au printemps couvre le sol de ses réseaux; et la pervenche des bois, toujours verte, qui donne en hiver ses fleurs bleues. On peut y joindre le framboisier du Canada, avec ses roses cramoisies; le grand convolvulus à cloches blanches, dont les fleurs éclatantes produisent de si charmans effets dans l'ombre; et le lierre surtout qui couvre le sol des forêts humides d'un tapis toujours vert au milieu même des neiges. Ce sont des beautés qui manquent souvent à nos jardins anglais, où les bosquets interceptent l'air et la lumière à la plupart des plantes.

Les végétaux sont si bien harmoniés avec l'atmosphère, qu'ils changent en air pur l'air méphitique, comme l'a fort bien prouvé le savant docteur Ingenhousz. Cette régénération est encore l'ouvrage du soleil; car des plantes, et surtout des fleurs, mises en grande quantité dans une chambre fermée, en méphitisent l'air au point de faire mourir les personnes qui le respirent, surtout la nuit. Des femmes ont péri pour avoir dormi dans une chambre où il y avait beaucoup de fleurs de lis. Nous ne saurions trop admirer l'influence de l'astre du jour sur tous les agens de la nature : toutes leurs harmonies sont suspendues ou trou

blées par son absence. Mais voyez comme l'Auteur de la nature a bien combiné lui-même leurs différens effets. Les animaux corrompent l'air par leur transpiration, et les plantes destinées à leur nourriture le rétablissent dans toute sa pureté : il y a plus, elles changent les odeurs les plus fétides en parfums délicieux. C'est sur des fumiers que croissent les roses les plus odorantes, et sur des couches de matières fécales que les jardiniers cultivent l'hiver, à Paris, les tubéreuses si suaves.

Les végétaux ont des harmonies avec l'air extérieur par leurs tiges: d'abord, le côté qui est exposé au vent du midi est beaucoup plus dilaté que celui qui est frappé du vent du nord. Cette observation peut être utile pour s'orienter, si par hasard on se trouvait égaré dans un bois; car, en coupant une branche d'arbre, on connaîtrait le côté qui regarde le midi, parce qu'il y a plus de distance de ce côté-là, depuis la moelle de la branche jusqu'à son écorce. Les écorces mêmes des végétaux sont en harmonie avec les températures de l'atmosphère : ce sont des espèces d'habits dont la nature les a revêtus, suivant les latitudes. Ceux des pays froids ont des écorces fort épaisses, et souvent enduites de résine, comme les sapins; ceux des pays chauds les ont légères ; ceux qui ne vivent que le cours d'un été n'en ont presque point: telles sont les graminées, qui n'ont, pour ainsi dire, que des épidermes. On peut aussi connaître, par la dureté et la finesse des feuilles, les végétaux qui croissent dans les lieux battus des vents. Les pins, les sapins, les cèdres, les mélèzes, qui se plaisent sur le sommet des montagnes, ont des feuilles menues et ligneuses : il en est de même des giroflées jaunes, qui viennent sur le haut des murailles; leurs feuilles ne donnent point de prise aux vents. Les végétaux qui les ont grandes et tendres, tels que nos figuiers et les bananiers des Indes, aiment à croître sur les bords des ruisseaux, à l'abri des rochers; tous ont leurs tiges en rapport avec la force des vents auxquels ils sont exposés. Le figuier a un bois très-fragile, et le bananier n'est formé que d'un paquet de feuilles. Ce sont des habitans des humbles vallées. Ceux qui s'élèvent sur les flancs des montagnes résistent aux tempêtes par la raideur de leurs troncs: tels sont les ormes, les hêtres et les chênes ; ils ne craignent pas de supporter un ample feuillage. Ceux qui ont un bois léger et cassant, comme les sapins et les peupliers d'Italie, portent leurs têtes en pyramides couvertes de feuilles minces et légères. Il est très-remarquable que le peuplier de nos climats, qui supporte une large tête, a un bois beaucoup plus élastique que le peuplier pyramidal d'Italie;

nos paysans emploient ces branches souples aux mêmes usages que l'osier. Les palmiers des Indes croissent dans des lieux exposés à toute la violence des ouragans de la zone torride : les uns sur les montagnes, comme les palmistes; les autres sur le bord des mers, comme les lataniers et les cocotiers. Tous ont leurs troncs formés, non d'un vrai bois, mais de fibres ligneuses très - élastiques; leurs longues feuilles, semblables à de longues branches empennées, sont de la même nature. Quand elles sont sèches, on s'en sert comme de tablettes, où l'on écrit avec un poinçon comme sur des lames de bois. Nous avons observé, en parlant de la direction oblique des vents vers la terre, qu'ils décrivaient une courbe composée de leur mouvement horizontal de progression et de leur mouvement perpendiculaire de pesanteur : il en résulte une parabole. Je m'arrête à cette idée, parce qu'elle peut servir à expliquer le renflement du tronc du palmier, d'après lequel les architectes grecs ont imité celui qu'ils donnent à la colonne, sans qu'ils en apportent d'autre raison, sinon que ce renflement, formé d'une courbe, lui donne meilleure grâce. Quoique les naturalistes disent que le palmier, à l'exception de toutes les autres espèces d'arbres, a son tronc partout d'un diamètre égal, j'ai cru observer sur des cocotiers, que leur tronc était enflé dans la colonne, aux deux tiers de sa hauteur. Cette courbe sert à sa solidité, car elle se trouve en arc-boutant avec celle du vent, de quelque côté qu'il souffle.

On ne doutera pas de ces prévoyances de la nature pour raffermir les palmiers contre la violence des ouragans, par celles qu'elle prend dans les mêmes climats pour garantir les autres végétaux de leurs ravages. J'ai vu à l'île de France un arbre sur des rochers, où ses racines avaient bien de la peine à pénétrer, dont le tronc avait tout autour de longues côtes faites comme de larges planches qui lui servaient d'étais et d'appuis; elles avaient au niveau de la terre plus de sept pieds de largeur, et elles s'élevaient le long de sa tige à plus de quinze pieds de hauteur. Elles laissaient entre elles, autour de l'arbre, plusieurs intervalles, dont on aurait pu faire autant de petites cabanes. Il sortait de plus, des extrémités de ses branches, des cordes végétales qui descendaient jusqu'à terre, y prenaient racine, et devenaient des troncs qui nonseulement supportaient les branches qui les avaient produites, mais s'élevaient encore au-dessus. Le père Dutertre en décrit un semblable, qu'il a vu à la Guadeloupe, dont les planches, ou arcs-boutans, s'éloignaient du pied de l'arbre de trente à quarante pieds; et son supérieur, dit-il, en voulait

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