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lions de lieues. Vous ne devez ces connaissances qu'aux observations réunies de tous les hommes dispersés sur le globe. Vous voyez donc bien que vous leur devez de la reconnaissance, puisque vous ne pouvez rien savoir seuls et par vous-mêmes. Dieu a attaché les sciences et le bonheur des hommes à leur union. >>

Il est aisé de donner aux enfans une idée du mouvement de rotation de la terre, et des effets du soleil sur elle, par celui d'une boule qui tourne devant un flambeau. Lorsqu'ils auront une notion générale de la grosseur de la terre, de sa distance au soleil et de son mouvement journalier et annuel, cela doit leur suffire. Après cela, je leur déterminerais les quatre points cardinaux, comme je l'ai dit ailleurs, par ceux de l'horizon, lorsqu'ils ont le visage tourné vers le midi. J'y ajouterais les deux points des pôles, et les cercles principaux de la sphère.

Ces notions préliminaires établies, je leur donnerais une idée des principales parties de la terre, par les végétaux qui sont à leur usage; je commencerais par ceux de leur patrie. Quelqu'un avait eu l'idée de faire une géographie pour les enfans, en caractérisant chaque ville par quelque friandise. Ainsi, par exemple, ils auraient connu Reims par son pain d'épices; Verdun, par ses dragées; Rouen, par ses gelées de pomme. Ce répertoire de la gourmandise aurait été aussi agréable aux hommes qu'aux enfans; mais il ne faut pas faire naître les lumières d'un vice. Toutefois en donnant plus d'étendue à ces premières notions géographiques, on peut les rendre plus utiles qu'on ne pense ; il ne s'agit que d'y comprendre les végétaux les plus intéressans, les animaux les plus nécessaires, et surtout les hommes qui ont été les bienfaiteurs de l'humanité. Dans l'almanach républicain, on avait établi une nouvelle chronologie par un moyen à peu près semblable; mais des plantes, des outils et des animaux ne laissent que des souvenirs bien froids. D'ailleurs, on n'y avait pas donné place à un seul homme célèbre : comme si les talens et les vertus n'étaient pas des dons du ciel aussi recommandables à des citoyens que l'ail ou l'oie!

Je crois done qu'en donnant aux enfans une géographie qui leur indique ce qu'il y a de plus intéressant pour les hommes dans chaque partie de la terre, elle en caractériserait les principaux points dans leur mémoire d'une manière plus intéressante, plus durable et plus utile sous divers rapports, que la latitude et la longitude; elle détruirait les préjugés injurieux si communs, d'une province à l'autre, et de nation à nation; elle

ŒUVRES POSTHUMES.

ferait naitre en eux une foule de sentimens de bienveillance envers leurs semblables, par le sentiment du plaisir et de la reconnaissance.

Sans parler ici des relations morales qui survivent aux siècles contemporains, et s'étendent par toute la terre, la nature a établi dans tout le genre humain un si grand nombre de relations physiques, que je tiens qu'il n'y a point d'homme, soit civilisé, soit sauvage, qui n'ait à son usage habituel quelque production des pays étrangers. Les Lapons, les Sauvages de l'Amérique, les Nègres de l'Afrique, se servent de nos fusils, de nos harpons, de nos aiguilles, de nos toiles, de nos eauxde-vie. L'homme le plus pauvre parmi nous prend du tabac, qui vient de l'Amérique. Le mouchoir bleu de sa femme est de coton et teint d'indigo, qui y croissent également. Quant à nos riches, ils ont épuisé le luxe de toute la terre.

Je commencerais donc par donner aux enfans une idée intéressante de leur patrie et de l'Europe, par les végétaux qu'ils aiment le plus; mes leçons seraient dans leurs déjeuners et leurs collations; je leur dirais : « Ces pommes viennent de » la Normandie; ces châtaignes, du Lyonnais; ces » noix, de la Picardie. Les arbres qui les produi>> sent en France sont originaires de plusieurs îles » de la Méditerranée; le noyer, du mont Ida, dans » la Crète; le châtaignier, de la Corse. C'est aussi » des îles de cette mer et surtout de celles de la » Grèce, situées entre l'orient et le midi, que la » vigne, l'olivier, le jujubier, l'amandier, le poi» rier, ont été transplantés dans nos climats; votre >> pain vient du froment, originaire de la Sicile. >> En vain la nature l'avait destiné aux hommes : » il n'aurait été mangé que par les animaux, si >> une femme inspirée du ciel n'en avait découvert » l'usage. Les anciens, plus reconnaissans que >> nous, l'ont adorée sous le nom de Cérès; ils >> l'ont mise presque de niveau avec les divinités » du feu, de l'air, de l'eau et de la terre, parce » que le blé est en quelque sorte pour l'homme un » cinquième élément. Admirez la Providence, » qui a posé le principal fondement de la vie hu» maine, si ambitieuse, sur des pailles sans cesse » agitées par les vents. Ce sucre que vous aimez >> tant est fait avec le jus d'un roseau des îles An» tilles, vers les côtes de l'Amérique, entre le » midi et le couchant, à quinze cents lieues de la >> France: il est cultivé par de malheureux nè» gres, réduits au plus cruel esclavage, unique>>ment pour nous fabriquer du sucre. Le miel n'est » guère moins agréable, et il est sans contredit » plus salutaire. Il n'expose point les hommes à >> mille dangers pour l'aller chercher à travers les

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>> avec de doux murmures. Les hommes ne savent >> arracher les productions de la nature qu'avec le >> fer. C'est en privant leurs semblables de la li>> berté qu'ils forcent la terre à leur donner le » sucre; et ils placent une douleur partout où la » Providence a placé un bienfait. »

Ainsi, avec une simple dragée, je pourrais donner à la fois aux enfans des idées de géographie, et des sentimens de justice, de morale, de piété et de reconnaissance. Leur petit jardin deviendrait plus instructif pour eux que les écoles centrales et polytechniques; la plus humble plante leur donnerait quelquefois les plus touchans ressouvenirs. En leur montrant la pervenche, je leur dirais «Voici la fleur favorite de votre premier >> bienfaiteur, » et je leur parlerais de Jean-Jacques, persécuté pendant sa vie et après sa mort.

En suivant cette marche, telle petite ville leur deviendrait plus recommandable par un homme, un fruit, et une fleur, que celles qui sont les plus célèbres par leurs richesses ou leurs conquêtes. Ainsi ils se formeraient un jugement sain, et ils apprendraient à se faire des idées justes des choses et des hommes, par leurs rapports d'utilité avec le genre humain. Ils sentiraient qu'ils ont des obligations, non-seulement aux hommes de toute la terre, mais à ceux des siècles passés. Il faut done faire naître leurs premiers sentimens d'humanité et de religion de leurs besoins et de leurs plaisirs. Ils connaîtront alors par leur expérience combien ils ont à la fois d'obligations à leurs semblables, et à Dieu, qui ne leur a donné une vie susceptible de tant de jouissances, que pour les faire participer aux productions de toute la terre, et lier les hommes les uns aux autres par une multitude d'arts qui exigent le concours mutuel de leurs lumières et de leurs travaux. Ainsi l'étude des plantes fera naître en eux l'amour de Dieu et celui des hommes qui sont les deux pôles de la morale.

Jean-Jacques disait que rien ne rendait les mœurs plus aimables que l'étude de la botanique. Je lui opposai l'exemple de deux botanistes célèbres qui avaient été à l'lie de France, et s'y étaient fait beaucoup d'ennemis, et y avaient laissé la réputation de méchans; je les lui nommai. Il me répondit : « Quand on étudie la botanique pour >> soi, elle adoucit le caractère; mais quand on l'é>>tudie pour l'enseigner aux autres, on devient » pour l'ordinaire envieux, jaloux, intolérant : » c'est notre intérêt qui gâte tout. Les philosophes >> crient beaucoup contre l'intolérance théologique, >> mais elle n'est qu'une branche de l'intolérance;

>> ils en ont au moins autant que leurs ennemis. » Jean-Jacques avait raison. Il en est de même de toutes les sciences dont l'ambition s'empare. Plus l'instruction dont elle se sert est parfaite, plus elle le rend dangereux. Voilà pourquoi les législations et les religions, qui devraient rapprocher les hommes autour de leur centre commun, qui est la Divinité, les ont si souvent divisés. Les législateurs et les enthousiastes n'ont guère songé qu'à se faire des empires. Ce n'est pas pour le bonheur des hommes que l'ambition veut les gouverner ou les éclairer, c'est pour s'en faire obéir.

L'ambition qu'on nous inspire dès l'enfance, sous le nom d'émulation, est si commune dans toutes les classes de notre société, que je n'ai pas été surpris de la trouver chez des botanistes; mais je l'ai été beaucoup, je l'avoue, d'y rencontrer quelquefois l'athéisme; cependant il n'y avait pas de quoi m'étonner. Des systèmes botaniques qui ne montrent dans les plantes que des parties dont ils n'expliquent point les usages doivent amener à la longue cette conclusion. Un paysan reconnaît un Dieu dans le blé qu'il engerbe dans sa grange, et dans le vin qu'il entonne dans sa cave ; mais un docteur, qui ne peut ranger dans les cartons de son herbier, suivant son système, une foule de végétaux d'une variété infinie, s'imagine que la nature n'a point de plan à elle, parce qu'elle s'écarte de celui qu'il a adopté. Il conclut de cette imperfection prétendue qu'il n'y a point d'autre intelligence que la sienne dans l'univers. D'un autre côté, le paysan, élevé avec une grande ignorance, n'y voit que son blé et sa vigne. Il croit que le soleil ne parcourt que son horizon, et il ne connaît d'autre Dieu que celui de sa paroisse. Le cultivateur ne voit que son village dans le monde, et que lui dans son village; il est intolérant en religion, et dur en morale. Virgile, qui a si bien connu les travaux champêtres et ceux qui les exercent, donne plusieurs fois au laboureur l'épithète de dur et d'avare, durus arator, avarus arator.

Mais si on considère les harmonies des végétaux avec les élémens, les animaux et les hommes, elles manifestent la Divinité sur toute la terre. Elle préservent à la fois de l'athéisme et de la superstition, ces deux fruits de l'orgueil; elles parlent à tous les peuples le même langage, dans tous les temps et dans tous les lieux. Les astres nous annoncent la Divinité, par la majesté et la constance de leurs mouvemens; mais les plantes nous la démontrent par les grâces et la variété de leurs harmonies. Les cieux nous prouvent sa puissance infinie; les végétaux de la terre, son intelligence et sa bonté : les

harmonies celestes; mais, plus rapprochees de nous, elles nous offrent des spectacles enchanteurs. La | nature en compose chaque jour de nouvelles pen-¦ sées; chaque année, elle les projette sur tous les sites de la terre, par le ministère des vents et des eaux; et chaque instant, elle varie leurs combinaisons. Elle semble se jouer de ses bienfaits avec les hommes, comme une bonne mère qui jette au milieu de ses enfans des caractères alphabétiques, mêlés de raisins, d'amandes et de toutes sortes de fruits, pour leur apprendre à lire et à l'aimer. Helas! avides des jeux barbares de la politique humaine, nous attendons soir et matin avec impatience des nouvelles de ses cruels hasards: ce sont des victoires sanglantes, des villes bombardées, des escadres incendiées, des negociations perfides, des famines affreuses, mais chaque nuit et chaque aurore nous apportent de nouveaux journaux de la sagesse et de la bonté de la Providence divine ce sont des blés qui épient, des fruits qui nouent, des vignes qui fleurissent : elle nous invite sans cesse à nous élever vers elle, et à nous rapprocher les uns des autres.

Il doit résulter sans doute de l'étude des harmonies de la nature une religion et une morale plus solidement fondées que celles qui ne s'appuient que sur des livres. Après avoir donné aux enfans des preuves d'une Providence, à la vue d'un arbre chargé de fruits; des leçons de justice, en les obligeant de s'abstenir de ceux qui croissent aux vergers d'autrui; et de tempérance, dans l'usage de ceux qui leur appartiennent, on leur en donnerait de générosité et de reconnaissance, en les accoutumant de bonne heure à les partager avec leurs amis. Nous en verrons les effets aux harmonies fraternelles.

C'est de la reconnaissance que sont nées d'abord les relations sociales des animaux avec l'homme. Ce n'est pas la violence et la ruse qui les ont rendus domestiques, ce sont les bienfaits. Obligé luimême par la Divinité, qui voulait l'élever vers elle par degrés, de recueillir ceux qu'elle avait répandus sur la terre, et par conséquent de la cultiver, il présenta dans l'origine aux animaux la paille de ses gerbes, les criblures de ses grains et les débris de sa table. A ces légères marques de bienveillance, le taureau indompté, le cheval belliqueux et le chien irascible, se rangèrent sous ses lois, comme serviteurs et amis. Les plus faibles vinrent se mettre sous sa protection; le pigeon amoureux se percha sur son toit, et la poule pondante, sur son fumier tous reconnurent sa puissance à sa bonté. Ils se soumirent à lui, non comme à un conquérant, mais comme à un bienfaiteur. C'est une question

de savoir si les bêtes n'ont pas quelque idee de la Divinite: pour nous, nous croyons qu'elles en sont incapables; mais il est certain qu'elles sentent la supériorité de l'homme. Les carnivores le fuient, les domestiques l'invoquent dans leurs besoins par des bélemens et des cris. Celles-ci n'eprouvent le sentiment de son pouvoir que par les bienfaits de la vegetation qu'il leur distribue. Comment done l'homme, qui est sur la terre au centre des dons de la nature, ne sentirait-il rien pour la puissance qui lui a tout donné! Comment n'eprouverait-il pas quelques mouvemens de reconnaissance à l'aspect d'un arbre fruitier proportionné à sa taille, et dont les fruits sont harmonies avec sa vue, sa main, son odorat, son goût et son temperament! Sans doute il sent que tant de rapports sont l'ouvrage d'une intelligence bienfaisante. Si les animaux, pressés par leurs besoins, élèvent leur voix vers lui pour le prier d'y satisfaire, il elève à son tour la sienne vers le ciel pour le remercier de l'avoir rendu le dispensateur de ses bienfaits. L'homme est un dieu pour les animaux domestiques; mais il n'est lui-même qu'un animal très-indigent par rapport à Dieu. Qu'un enfant sache donc prier dès qu'il sait manger seul. Il ne verra long-temps dans les puissances élémentaires que des causes insensibles et quelquefois nuisibles. La terre blesse ses pieds; il court risque de se noyer dans l'eau; l'air et les vents l'offensent; le soleil lui-même, avec tout son éclat, l'éblouit ou le brûle : mais la puissance végétale le met à l'abri des injures des élémens; elle ne lui présente que des bienfaits. Un arbre l'intéresse en toute saison :

.............................................. Libéral, il nous donne Ou des fleurs au printemps ou des fruits en automne: L'ombre, l'été; l'hiver, les plaisirs du foyer.

LA FONTAINE, fable de l'Homme et du Serpent. O mères apprenez donc à vos enfaus à prier dès qu'ils savent cueillir un fruit : leur reconnaissance envers Dieu assurera leur reconnaissance envers vous. Accoutumez-les, au lever et au coucher du soleil, à élever leurs mains et leur cœur vers le ciel. Qu'ils prient en ouvrant et en fermant leurs yeux à la lumière; qu'ils se fassent une douce habitude de mettre leur confiance en Dieu, et de s'abandonner à lui dans toutes les actions de leur vie.

Lorsqu'un enfant apprend à nager dans une rivière, la crainte de se noyer et la seule froidure de l'eau l'empêchent de se livrer au courant. Il faut qu'un flot le soulève, pour qu'il se serve de ses bras et qu'il sente que son corps est naturellement en équilibre avec l'eau. Dans cet océan de la vie que nous devons traverser, ce ne sont point des

accidens qui d'abord nous font perdre terre, ce sont les bienfaits du ciel. Laissons-nous-y donc aller: servons-nous des forces de notre ame, qui est en harmonie avec la Divinité, pour nous élever vers elle; il ne faut que nous y abandonner. Si nous nous méfions de Dieu, nous ne pourrons supporter la vie; mais si nous nous fions à lui, la vie ellemême nous portera.

Joie de mes vieux jours! sensible enfant! chère Virginie! c'est pour toi principalement que j'ai écrit ces dernières lignes! Si un jour tu peux les lire, n'oublie pas les premières leçons de ton père; répète-les à ton frère Paul quand il sera en âge de les entendre. Pour toi, tire ta plus aimable parure des fleurs, tes plus salutaires alimens des fruits, tes plus doux travaux des plantes. Je ne veux point faire de toi une botaniste. Ne parcours point comme savante le temple immense de la nature; mais reste sous son vestibule, comme une vierge ignorante et timide, avec tes besoins et ton cœur. Qu'un fraisier soit ton premier autel, et des arbres fruitiers tes chapelles. Ils feront circuler un sang pur dans tes veines, des images riantes dans ton esprit, et des passions célestes dans ton ame. Jamais tu ne seras seule, même dans les déserts; partout tu trouveras un Dieu protecteur. Chaque herbe t'inspirera un sentiment, et chaque fruit une action de grâces.

C'est par des mœurs semblables que les femmes les plus respectables de l'antiquité conservèrent la foi conjugale, et entretinrent l'abondance dans leur maison. Ne t'associe pour époux qu'un amant qui ait des goûts pareils aux tiens. C'est dans la seule classe de ceux qui aiment la nature, que tu trouveras ceux qui aiment la vertu des Lysis, des Epaminondas, des Cincinnatus, des Fabricius, des Scipions, et ce qui te sera préférable, des citoyens sans célébrité, mais sans envieux; des pères de famille obscurs, mais heureux; des hommes inconnus aux hommes, mais agréables à la Divinité. Pour moi, si, déja dans l'hiver de ma vie, je ne suis pas destiné à te voir dans l'été de la tienne; si ta bonne mère est seule chargée de t'y introduire, après avoir pris seule soin de ton printemps, tu acquitteras à la fois les dettes de l'amour conjugal et de l'amour filial, si un jour ta main reconnaissante sème quelques violettes sur mon humble terre.

LIVRE DEUXIÈME.

HARMONIES AÉRIENNES.

Vous qui portez sur vos ailes les premiers mobiles du mouvement et de la vie, doux Zéphyrs, bruyans Autans, soit que vous étendiez dans les cieux les voiles légers de l'Aurore, ou les noires tempêtes du couchant; soit que vous ridiez la surface des eaux, ou que vous les creusiez en vallées profondes; soit que vous transportiez d'une extrémité de la terre à l'autre les fleuves qui doivent la féconder, ou que vous détachiez des pôles les montagnes de glace qui renouvellent les mers: amans légers des prairies, tyrans des forêts gémissantes, voix errantes des rochers, vous animez tout ce qui est insensible. Combien de fois vos bruits lointains, vos mystérieux échos m'ont plongé dans d'ineffables rêveries! Répandez seulement dans mes écrits les simples harmonies de vos sons : je n'aurai pas besoin de recherches profondes ni de brillantes images pour charmer mes jeunes lecteurs; il suffira de vos murmures.

HARMONIES AÉRIENNES

DU SOLEIL ET DE LA LUNE.

Notre pôle est le berceau des harmonies du globe, et le pôle austral, qui lui est opposé, en est le tombeau; c'est dans son hémisphère que viennent expirer, à diverses latitudes, tous les continens, au milieu d'un océan sans rivages: il n'y apparaît de loin en loin que quelques amas de sable stérile, ou quelques îles désolées, semblables à des écueils. Si, au sein de ces longs hivers, il brille de quelque lumière, ses feux ne sont ni dorés, ni pourprés, comme ceux qui annoncent, au pôle boréal, l'aurore de la vie, mais pâles et bleuâtres comme ceux qui suivent le couchant et annoncent l'empire de la mort; ils le rendent semblable à une lampe funèbre qui luit au milieu des tombeaux.

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Cependant le soleil les met tour à tour en activité, en les échauffant alternativement pendant six mois. Il en est de notre vie comme de notre globe notre enfance est son premier pôle, et notre vieillesse en est le dernier; c'est sur eux que roulent toutes les harmonies de notre vie. Les premières sont développées par la chaleur et la surveillance maternelle; par qui seront renouvelées les dernières ? Ah! sans doute, rien n'est impossible à la main qui divise et rapproche les élémens, et qui compose tous ses ouvrages des harmonies de la vie et de la mort!

Bornons-nous ici à celles de notre horizon. Deja le soleil commence à répandre quelques couleurs dans l'atmosphère; le froid est moins rude; les ruisseaux reprennent leur cours; la terre, à demi couverte de neige, laisse apercevoir quelques lisières de verdure; les jeunes scions des arbres deviennent purpurins; les oiseaux aquatiques qui vivent sur les limites de l'hiver, se rapprochent du nord. Le soleil est encore peu élevé à midi, mais un vent du sud-ouest nous apporte quelque bienfait de sa chaleur du sein des mers de l'Amérique méridionale, et souffle fréquemment dans cette saison.

Ces compensations viennent sans doute d'une main maternelle. C'est l'air qui nous voiture cette chaleur précoce; seul des élémens, il enveloppe tout le globe; la lumière n'en couvre guère à la fois que la moitié, l'Océan que les deux tiers, la terre qu'un tiers; mais l'air l'environne tout entier. Toutes ses parties se communiquent immédiatement; il est le médiateur de tous les autres élémens, et de la lumière même. S'il n'y avait point d'air, les rayons du soleil seraient sans chaleur, les rivières et même les mers sans sources, les terres sans pluies, par conséquent sans végétaux, sans animaux et sans hommes.

Nous pouvons concevoir l'atmosphère comme un grand verre convexe au dehors et concave au dedans, qui entoure notre globe à plusieurs lieues de distance. Au moyen de cette disposition, elle rassemble les rayons du soleil qui s'écartent de notre terre, elle les réfracte et les réunit à sa surface. La partie inférieure de cette atmosphère est toujours chaude dans la zone torride; elle l'est aussi en été dans chacune des deux zones tempérées qui avoisinent celle-ci, et, dans cette même saison, dans la plus grande étendue des deux zones glaciales; mais sa partie supérieure est toujours froide, même dans la zone torride, comme on le voit par les sommets de ses montagnes, qui en tous temps sont couverts de neige, environ à une lieue perpendiculaire de hauteur.

L'air échappe à notre vue par sa transparence, et à notre toucher par sa ténuité. Il ne peut être saisi ni par notre odorat, ni par notre goût, ni même par notre ouïe, à moins qu'il ne soit agité. Il est bon de faire observer aux enfans, et même aux hommes, que les puissances de la nature n'en existent pas moins, quoiqu'elles échappent à la plupart de nos sens. Comme la vue est le premier sens de l'ame, et l'avant-coureur, pour ainsi dire, des autres, c'est à elle que nous rapportons d'abord les premiers degrés de notre certitude, parce que c'est par elle que nous nous formons une image

des objets. C'est le sens par excellence de notre raison, parce qu'il nous présente à la fois plusieurs harmonies de l'existence, comme la couleur, la forme et le mouvement; c'est lui qui en est le principal juge, les autres sens n'en sont que les témoins. Il n'en faut pas conclure cependant que ce que nous ne voyons pas n'existe pas : cette manière de juger du vulgaire est quelquefois celle des philosophes. L'homme de France qui, à mon avis, a eu le plus d'esprit, Voltaire, dans ses Questions sur l'Encyclopédie, a nié l'existence de l'air, parce que, ditil, il ne le voyait pas. Il lui substitue des vapeurs aqueuses qu'il voit, et auxquelles il attribue les mêmes propriétés.

Ce système est déja bien ancien c'était celui de Thalès, qui prétendait que tout était engendré par l'eau. Il n'admettait que cet élément sur le globe; la terre n'en était qu'un sédiment, et l'air une évaporation. Il n'y a pas de doute qu'il n'y ait beaucoup d'air renfermé dans l'eau, comme il y a beaucoup d'eau en évaporation dans l'air. Mais, entre autres preuves que je pourrais apporter de la différence essentielle de ces deux élémens, c'est que l'eau dissout la plupart des corps solides, tandis que l'air, non-seulement les consolide en les desséchant, mais donne de la solidité aux fluides. Ainsi, par exemple, lorsqu'on ouvre les membranes occipitales du cachalot, l'huile qui est renfermée dans leurs cellules se fige et se cristallise aussitôt il en est de même de la liqueur que renferme un certain zoophyte fort commun sur les récifs de l'île de France. Lorsqu'on tire de l'eau cet animal, il lance une liqueur blanche qui se change dans l'instant en un paquet de fils très-déliés. La matière fluide du ver à soie, de l'araignée et de plusieurs espèces de chenilles, acquiert tout à coup de la solidité en sortant de leur corps, et se change en soie par le simple contact de l'air. Ces effets n'auraient pas lieu, si l'air n'était qu'une eau évaporée : il ajouterait à la fluidité de ces matières.

Mais nous portons en nous-mêmes des preuves évidentes que l'air diffère essentiellement de l'eau: ce sont nos organes, que nous pourrions appeler aériens, tels que ceux de l'ouïe, de l'odorat et de la respiration. Il est remarquable qu'il n'y a que les animaux qui vivent à l'air, qui aient des oreilles pour recevoir les vibrations du son, qui n'appartiennent qu'à l'air. L'organisation de l'ouïe ne se trouve point dans les poissons, si ce n'est dans les amphibies cependant ils sont émus par le bruit, mais d'une manière différente. Au reste le sens de l'ouïe, comme nous le verrons, est un sens moral qui appartient aux harmonies frater

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