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nes de parfums & d'odeurs qui troubloient le cerveau, ces eaux de Lethé & de Mnemofine pouvoient auffi eftre preparées pour le mefme effet. Je ne dis rien des fpectacles & des bruits dont on pouvoit estre épouvanté, & quand on fortoit de là tout hors de foy, on difoit ce qu'on avoit veu ou entendu à des gens, qui profitant de ce defordre, le recueilloient comme il leur plaifoit, y changeoient ce qu'ils vouloient, ou enfin en eftoient toujours les interpretes.

*

Ajoutez à tout cela, que de ces Oracles qui fe rendoient par Songes, il y en avoit aufquels il faloit fe preparer par des jeûnes, comme celuy d'Amphiaraus dans l'Attique, que fi vos Songes ne pouvoient pas recevoir quelque interpretation appa rente, on vous faifoit dormir dans le Tem ple fur nouveaux frais, que l'on ne manquoit jamais de vous remplir l'efprit d'idées propres à vous faire avoir des Songes, où il entraft des Dieux, & des choses extraordinaires, & qu'on vous faifoit dormir le plus fouvent fur des peaux de Victimes, qui pouvoient avoir efté frottées de quelque drogue qui fift fon effet fur le cer

veau.

Quand c'eftoient les Preftres qui en dormant fur les Billets cachetez, avoient euxmefmes les Songes prophetiques, il eft clair que la chofe eft encore plus aifée à

··Philoftráte 1. 2. de la vie d'Apollonius.

expli

expliquer. En verité, il y avoit du fuperflu dans les foins que prenoient les Preftres Payens pour cacher leurs impoftures. Si on eftoit affez credule & afsez ftupide pour fe contenter de leurs Songes, & pour y ajoûter foy, il n'eftoit pas befoin qu'ils laiffaffent aux autres la liberté d'en avoir, ils pouvoient fe referver ce droit à eux feuls, fans qu'on y euft trouvé à redire. De la maniere dont ces Peuples eftoient faits, c'eftoit leur faire trop d'honneur que de les fourber avec quelque précaution & quelque adreffe.

En

Croira t'on bien qu'il y avoit dans l'Achaïe un * Oracle de Mercure qui fe rendoit de cette forte ? Aprés beaucoup de ceremonies, on parle au Dieu à l'oreille, & on luy demande ce qu'on veut. fuite on le bouche les oreilles avec les mains, on fort du Temple, & les premieres paroles qu'on entend au fortir de là, c'eft la Réponse du Dieu. Encore, afin qu'il fuft plus aifé de faire entendre, fans eftre aperceu, telles paroles qu'on voudroit, cet Oracle ne fe rendoit que

le foir.

* Pausanias.

CHA

CHAPITRE XVI.

U

Ambiguité des Oracles.

lara

N des plus grands fecrets des cles, & une des chofes qui autant que des hommes s'en mefloient, c'eft l'ambiguité des Réponses, & l'art qu'on avoit de les accommoder à tous les évenemens qu'on pouvoit.

*Lors qu'Alexandre tomba malade tout d'un coup à Babilone, quelques-uns des principaux de fa Cour allerent paffer une nuit dans le Temple de Serapis, pour demander à ce Dieu s'il ne feroit point à propos de luy faire apporter le Roi afin qu'il le guerift. Le Dieu répondit qu'il valoit mieux pour Alexandre qu'il demeuraft où il eftoit. Serapis avoit raison, car s'il fe le fuft fait apporter, & qu'Alexandre fuft mort en chemin, ou mefme dans le Temple, que n'euft-on pas dit? mais file Roy recouvroit fa fanté à Babilone, quelle gloire pour l'Oracle? S'il mouroit, c'eft qu'il luy eftoit avantageux de mourir aprés des conqueftes qu'il ne pouvoit ny augmenter, ny conferver. Il s'en falut tenir à cette derniere interpretation, qui ne manqua pas d'eftre

Arrian 1.7.

G

d'eftre trouvée à l'avantage de Serapis, fi-toft qu'Alexandre fut mort

Macrobe dit que quand Trajan eut pris le deffein d'aller attaquer les Parthes, on le pria d'en confulter l'Oracle de la Ville d'Heliopolis, auquel il ne faloit qu'envoyer un Billet cacheté. Trajan ne fe fioit point trop aux Oracles, il voulutauparavant éprouver celuy-là. Il y envoye un Billet cheté, où il n'y avoit rien, on luy en renvoye autant. Voila Trajan convaincu de la divinité de l'Oracle. Il y envoye une fe conde fois un autre Billet cacheté, par lequel il demandoit au Dieu, s'il retournefoit à Rome, aprés avoir mis finà da Guer, re qu'il entreprenoit. Le Dieu ordonna que l'on prift une Vigne qui eftoit une des Of frandes de fon Temple, qu'on la mift par morceaux, & qu'on la portaft à Trajan, L'évenement, dit Macrobe, fut parfaite ment conforme à cet Oracle, car Trajan mourut à cette Guerre, & on reportarà Ro❤ me fes os qui avoient efté reprefentez par la Vigne rompuë.

Tout le monde fçavoit affurément que l'Empereur fongeoit à faire la Guerde aux Parthes, & qu'il ne confultoit l'Oracle qué fur cela, & l'Oracle eut Pefprit de luy ren dre un Réponse allégorique, & fi genera, le quelle ne pouvoit manquer d'eftre vra ye. Car que Trajan retournaft à Rome Victorieux, mais bleffé ou ayant pierdu

partie de ses Soldats, qu'il fust vain

cu, & que fon Armée fuft mife en fuite, qu'il y arrivaft feulement quelque dixifion, qu'il en arrivaft dans celle des Parthes, qu'il en arrivaft mesme dans Rome en l'abfence de l'Empereur, que les Parthes fuffent abfolument défaits, qu'ils ne fuffent défaits qu'en partie, qu'ils fuffent abandonnez de quelques-uns de leurs alliez, la Vigne rompue convenoit merveillenfement à tous ces cas differens, & il y euft cu bien du malheur, s'il n'en fuft arrivé aucun; & je croy que les os de d'Empereur reportez à Rome, furquoy l'on fit tomber l'explication de l'Oracle, eftoient pourtant la feule chofe à quoy l'Oracle n'avoit point pensé.

A propos de cette Vigne, je ne croy pas devoir oublier une efpece d'Oracle qui s'accommodoit à tout, dont Apulée nous apprend que les Preftres de la Déeffe de Sirie avoient efté les inventeurs. Ils avoient fait deux Vers dont le fens eftoit. Les Baufs attèlez coupent la terre, afin que les Campagnes produisent leurs fruits. Avec ces deux Vers, il n'y avoit rien à quoy ils ne répondiffent. Si on les venoit confulter fur un Mariage, d'eftoit la chofe mefme, des Boeufs attellez enfemble, des Campagnes fecondes. Si on les confultoit fur quelque terre que l'on vouloit acheter, voila des Bœufs pour la labourer, voila des champs fertilles. Si on les confultoit fur un Voyage, les Boeufs font attellez, & G 2

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tout

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