Page images
PDF
EPUB

agréable, qui rempliffoit tout le lieu où eftoient les Confultans. C'eftoit l'arrivée du Dieu qui parfumoit tout. Jugez fi des gens qui pouffoient jufqu'à ces minuties prefque inutiles l'exactitude de leurs impoftures, pouvoient rien negliger d'effentiel.

CHAPITRE XIII.

Diftinctions de jours, & autres Mifteres des Oracles.

L

Es Preftres n'oublioient aucune forte de précaution. Ils marquoient à leur gré de certains jours où il n'eftoit point permis de confulter l'Oracle. Cela avoit un air misterieux, ce qui eft déja beaucoup en pareilles matieres; mais la principale utilité qu'ils en retiroient, c'eft qu'ils pouvoient vous renvoyer fur ce prétexte, s'ils avoient des raifons pour ne pas vouloir vous répondre, ou que pendant ce temps de filence ils prenoient leurs mefures; & faifoient leurs préparatifs.

A l'Occafion de ces prétendus jours malheureux, il fut rendu à Alexandre un des plus jolis Oracles qui ait jamais efté. Il eftoit allé à Delphes pour confulter le Dieu, & la Preftreffe qui prétendoit qu'il n'eftoit point alors permis de l'interroger, ne vouloit point entrer dans le

Tem

Temple. Alexandre qui eftoit brufque, la prit par le bras pour l'y mener de force, & elle s'écria, Ah! mon fils, on ne peut të refifter. Je n'en veux pas davantage, dít Alexandre, cet Oracle me fuffit.

Les Preftres avoient encore un secret pour gagner du temps, quand il leur plaifoit. Avantque de confulter l'Oracle, il faloit facrifier; & fi les entrailles des Victimes n'eftoient pas heureuses, c'eft que le Dieu n'eftoit pas encore en humeur de répondre. Et qui jugeoit des entrailles des Victimes? Les Preftres, le plus fouvent mesme, ainfi qu'il paroift par beaucoup d'exemples, ils eftoient feuls à les examiner, & tel qu'on obligeoit à recommencer le Sacrifice, avoit pourtant immolé un animal, dont le cœur & le foye estoient les plus beaux du monde.

Ce qu'on appelloit les Mifteres & les Ceremonies fecretes d'un Dieu, eftoit fans doute un des meilleurs artifices que les Preftres euffent imaginé pour leur feureté. Ils ne pouvoient fi bien couvrir leur jeu, que bien des gens ne foupçonnaffent la fourberie. Ils s'aviferent d'établir de certains Mifteres, qui engageoient à un fecret inviolable ceux qui y eftoient initiez.

Il eft vray qu'il y avoit de ces Mifteres dans des Temples qui n'avoient point d'Oracles, mais il y en avoit auffi dans beaucoup de Temples à Oracles, par F exemple

exemple, dans celuy de Delphes. Plutar que dans ce Dialogue fi fouvent cité, dit qu'il n'y avoit perfonne à Delphes, ny dans tout ce pais, qui ne fuft initié au Mifteres. Ainfi tout eftoit dans la dépendance des Preftres; fi quelqu'un eust ofé ouvrir la bouche contre eux, on euft bien crié à l'Athée & à l'Impre, & on luy euft fait des affaires dont il ne fe fuft jamais tirẻ.

Sans les Mifteres, les Habitans de Delphes n'euffent pas laiffé d'eftre toujours en gagez à garder le fecret aux Preftres fur feurs friponneries; car Delphes eftoit une Ville qui n'avoit point d'autre revenu que celuy de fon Temple, & qui ne vivoit que d'Oracles; mais les Preftres s'affuroient encore mieux de ces peuples en fe les attachant par le double lien de l'intereft & de la fuperftition. On euft efté bien receu à parler contre les Oracles dans une telle Ville.

Ceux qu'on initioit aux Mifteres, donnoient des affurances de leur difcretion; ils eftoient obligez à faire aux Preftresune confeffion de tout ce qu'il y avoit de plus caché dans leur vie, & c'eftoit aprés cela à ces pauvres initiez à prier les Preftres de leur garder le fecret.

Ce fut fur cette confeffion qu'un Lacedemonien qui s'alloit faire initier aux Mifteres de Samothrace, dit brufquement au Preftres, Sijay fait des crimes, les Dieux les Seavent bien.

Un autre répondit à peu prés de la mef

me

me façon. Eft-ce a toy, ou au Dieu qu'il faut confeffer fes crimes? C'est au Dieu, dit le Prefre. Ethien, retire-toy donc, reprit le Lacedemonien, je les confefferay au Dieu. Tous ces Lacedemoniens n'avoient pas extrémement l'efprit de devotion. Mais ne pouvoit-il pas de trouver quelque impie, qui allaft avec une faulle confeflion fe faire initier aux Mifteres, & qui en découvrift enfuite toute l'extravagance, & publiast la fourberie des Preftres?

Je croy que ce malheur a pû arriver, & je croy auffi que les Preftres le prévenoient autant qu'il leur eftoit poffible. Ils voyoient bien à qui ils avoient affaire, & je vous garantis que les deux Lacedemoniens dont nous venons de parler, ne fu rent point receus. De plus, on avoit déclaré les Epicuriens incapables d'eftre initiez aux Mifteres, parce que c'eftoient des gens qui faifoient profeffion de s'en mocquer, & je ne croy pas mefme qu'on leur rendift d'Oracles. Ce n'eftoit pas une chofe difficile que de les reconnoiftre; tous ceux d'entre les Grecs qui fe méloient un peu de Litterature, faifoient choix d'une Secte de Philofophie, & le furnom qu'ils tiroient de leur Secte, eftoit prelque ce qu'est parmy nous celuy qu'on prend d'une Terre. On diftinguoit, par exemple, trois Demetrius, parce que l'un eftoit Demetrius le Cinique, l'autre, Demetrius le Stoïcien, l'autre, Demetrius le Peripateticien.

La coûtume d'exclure les Epicuriens de tous les Mifteres eftoit fi generale, & fi neceffaire pour la feureté des choses facrées, qu'elle fut prife par ce grand Fourbe, dont Lucien nous décrit fi agreablement la Vie, cet Alexandre qui joüa fi long-temps les Grecs avec fes Serpens. H. avoit mefme ajoûté les Chreftiens aux Epicuriens, parce qu'à fon égard ils ne valoient pas mieux les uns que les autres, & avant que de commencer fes Ceremonies, il crioit, Qu'on chasse dicy les Chreftiens. A quoy le peuple répondoit comme en une efpece de Chœur, Qu'on chaffe les Epicuriens. Il fit bien pis; car fe voyant tourmenté par ces deux fortes de Gens, qui quoy que pouffez par différens interefts, confpiroient à tourner fes Ceremonies en ridicules, il declara que le Pont où il faifoit alors fa demeure, fe rempliffoit d'Impies, & que le Dieu dont il eftoit le Prophete, ne parleroit plus, fuon ne l'en vouloit défaire, & fur cela il fit courir fus aux Chreftiens & aux Epicuriens,

L'Apollon de Daphné, Fauxbourg d'Antioche, eftoit dans la mefme peine, lors que du temps de Julien l'Apoftat il répondit à ceux qui luy demandoient la caufe de fon filence, qu'il s'en faloit prendre à de certains Morts enterrez dans le voifinage. Ces Morts eftoient des Martirs Chreftiens, & entre autres faint Babilas. On veut communément que ce fuft la presence de ces

Corps

« PreviousContinue »