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Pour moy, je croy voir clairement que dans l'endroit dont il est question, il n'y a placé les Demons que par maniere d'acquit, & par un refpe&t forcé qu'il a eu pour l'opinion commune.

Un paffage d'Origene dans fon Livre feptiéme contre Celfe, prouve affez bien qu'il n'attribuoit les Oracles aux Demons que pour s'accommoder au temps, & à l'eftat où eftoit alors cette grande difpute entre les Chreftiens & les Payens. Je pour rois, dit-il, me fervir de l'autorité d'Ariftote & des Peripateticiens, pour rendre la Pithie fort fufpe&te; je pourrois tirer des écrits d'Epicure & de fes Secateurs une infinité de choJes, qui décrediteroient les Oracles, & je ferois voir aisément que les Grecs eux-mesmes n'en faifoient pas trop de cas; mais j'accorde que ce n'eftoient point des fictions ny des impoftures; voyons fi en ce cas là mesme, à examiner la chofe de prés, il feroit befoin que quelque Dieu s'en fuft mêlé, & s'il ne feroit pas plus raisonnable d'y faire prefider de mauvais Demons, ម des Genies ennemis du Genre humain.

Il paroift affez que naturellement Origene euft cru des Oracles ce que nous en croyons; mais les Payens qui les produifoient pour un titre de la Divinité de leur Religion, n'avoient garde de confentir qu'ils ne fuffent qu'un artifice de leurs Prétres. Il falloit donc pour gagner quelque chofe fur les Payens, leur accorder ce qu'ils foûtenoient fi opiniâtrement, & leur

faire voir que quand mefme il y auroit eu du furnaturel dans les Oracles, ce n'eftoit pas à dire que la vraye Divinité y euft eu part, & alors on eftoit obligé de mettre les Demons en jeu.

Il eft vray qu'abfolument parlant, il valoit mieux en exclure tout-à-fait les Demons, & que l'on euft donné par là une plus grande atteinte à la Religion Payenne, mais tout le monde ne penetroit peut-eftre pas fi avant dans cette matiere, & l'on croyoit faire bien affez, lors que par l'hipothese des Demons, qui fatisfaifoit à tout avec deux paroles, on rendoit inutiles aux Païens toutes les chofes miraculeufes qu'ils pouvoient jamais alleguer en faveur de leur faux culte.

Voilà apparemment ce qui fut cause que dans les premiers Siecles de l'Eglife on embraffa fi generalement ce Siftême fur les Oracles. Nous perçons encore affez dans les tenebres d'une antiquité fi éloignée, pour y démêler que les Chreftiens ne prenoient pas tant cette opinion à caufe de la verité qu'ils y trouvoient, qu'à cause de la facilité qu'elle leur donnoit à combattre le Paganisme, & s'ils renaiffoient dans les temps où nous fommes,délivrez comme nous des raifons étrangeres qui les déterminoient à ce party, je ne doute point qu'ils ne fuiviffent prefque tous le noftre.

Jufqu'icy nous n'avons fait que lever les prejugez qui font contraires à noftre opinion,

&

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& que l'on tire ou du Siftême de la Religion Chreftienne, ou de la Philofophie ou du fentiment general des Payens des Chrétiens mefme. Nous avons répondu à tout cela, non pas en nous tenant fimplement fur la défenfive, mais le plus fouvent mefme en attaquant. Il faut prefentement attaquer encore avec plus de force " & faire voir par toutes les circonftances particulieres qu'on peut remarquer dans les Oracles, qu'ils n'ont jamais merité d'eftre attribuez à des Genies.

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CHAPITRE X.

Oracles corrompus.

N corrompit les Oracles avec une facilité qui faifoit bien voir qu'on avoit à faire à des hommes. La Pithie Philippife, difoit Demofthene, lors qu'il fe plaignoit que les Oracles de Delphes eftoient toûjours conformes aux interefts de Philippe.

* Quand Cleomene Roy de Sparte voulut dépouiller de la Royauté Demarate l'autre Roy, fous pretexte qu'il n'eftoit pas Fils d'Arifton fon Predeceffeur, & qu'Arifton luy - même s'eftoit plaint qu'il luy

eftoit

*Herodote 1.6.

eftoit né trop peu de temps aprés fon mariage, on envoya à l'Oracle fur une queftion fi difficile, & en effet elle eftoit de la nature de celles qui ne peuvent eftre décidées que par les Dieux. Mais Cleomene avoit pris les devans auprés de la Superieure des Preftreffes de Delphes; elle declara que Demarate n'eftoit point Fils d'Arifton. La fourberie fut découverte quelque temps aprés, & la Preftreffe pri vée de fa Dignité. Il faloit bien vanger Phonneur de T'Oracle & tascher de le reparer.

* Pendant qu'Hippias eftoit Tiran d'Athenes, quelques Citoiens qu'il avoit bannis obtinrent de la Pithie à force d'argent, que quand il viendroit des Lacédemoniens la confulter fur quoy que ce puft eftre, elle leur dift toûjours qu'ils euffent à délivrer Athenes de la tirannie. Les Lacedemoniens à qui on redisoit toûjours la mefme chofe à tout propos, crurent enfin que les Dieux ne leur pardonneroient jamais de méprifer des ordres fi frequens, & prirent les armes contre Hippias, quoy qu'il fuft leur allié.

Si les Demons rendoient les Oracles les Demons ne manquoient pas de complaifance pour les Princes qui eftoient une fois devenus redoutables, & on peut remarquer que l'Enfer avoit bien des égards pour Alexandre & pour Augufte. Quel

+ Herodote 1.5.

ques

ques Hiftoriens difent nettement qu'Alexandre voulut d'autorité absoluë eftre Fils de Jupiter Hammon, & pour l'intereft de fa vanité, & pour l'honneur de sa Mere qui eftoit foupçonnée d'avoir eu quelque Amant moins confiderable que Jupiter. On y ajoûte qu'avant que d'aller au Temple, il fit avertir le Dieu de fa volonté, & que le Dieu l'executa de fort bonne grace. Les autres Auteurs tiennent tout au moins que les Preftres imaginerent d'eux-mefmes ce moyen de flatter Alexandre. Il n'y a que Plutarque qui fonde toute cette Divinité d'Alexandre fur une méprife du Preftre d'Hammon, qui en falüant ce Roy, & luy voulant dire en Grec, 0 mon Fils, prononça dans ces mots une S au lieu d'une N, parce qu'eftant Libien il ne fçavoit pas trop bien prononcer le Grec, & ces mots avec ce changement fignifioient, 0 Fils de Jupiter. Toute la Cour ne manqua pas de relever cette faute du Preftre à l'avantage d'Alexandre, & fans doute le Preftre luymefme la fit paffer pour une infpiration du Dieu qui avoit conduit fa langue, firma par des Oracles fa mauvaise prononciation. Cette derniere façon de conter l'Hiftoire eft peut-eftre la meilleure ; les petites origines conviennent affez aux grandes choses.

& con

Augufte fut fi amoureux de Livie, qu'il l'enleva à fon Mary toute groffe qu'elle eftoit, & ne fe donna pas le loifir d'attendre

qu'elle

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