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inutiles, & que les Dieux loin de s'y plaire, n'en ont aucune connoiffance. Il n'y a point de Grec qui n'aille confulter les Oracles fur fes affaires, mais cela n'empefche pas que dans trois grandes Ecoles de Philofophie, on ne traite hautement les Oracles d'impoftures.

Qu'il me foit permis de pouffer un peu plus loin cette reflexion, elle pourra fervir à faire entendre ce que c'eftoit que la Religion chez les Payens. Les Grecs en general avoient extremement de l'efprit, mais ils eftoient fort legers, curieux, inquiets, incapables de fe moderer fur rien; & pour dire tout ce que j'en penfe, ils avoient tant d'efprit que leur raifon en fouffroit un peu. Les Romains eftoient d'un autre caractere; Gens folides, ferieux, appliquez, qui sçavoient fuivre un principe, & prévoir de loin une conféquence. Je ne ferois pas furpris que les Grecs, fans fonger aux fuites, euffent traité étourdiment le pour & le contre de toutes chofes, qu'ils euffent fait des Sacrifices, en difputant fi les Sacrifices pouvoient toucher les Dieux, & qu'ils euffent confulté les Oracles, fans eftre affurez que les Oracles ne fuffent pas de pures illufions. Apparemment les Philofophes s'intereffoient affez peu au gouvernement pour ne fe pas foucier de choquer la Religion dans leurs difputes, & peut-eftre le Peuple n'avoit pas affez de foy aux Philofophes pour abandonner la Religion, ny pour y rien changer

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fur leur parole; & enfin la paffion domi nante des Grecs eftoit de difcourir fur toutes les matieres à quelque prix que ce puft eftre. Mais il eft fans doute plus étonnant que les Romains, & les plus habiles d'entre les Romains,& ceux qui fçavoient le mieux combien la Religion tiroit à confequence pour la politique, ayent ofé publier des Ouvrages, où non feulement ils mettoient leur Religion en queftion, mais mefme la, tournoient entierement en ridicule. Je parlende Ciceron qui dans ses Livres de la Divination, n'a rien épargné de ce qui eftoit le plus Saint à Rome. Aprés qu'il a fait voir affez vivement à ceux contre qui il difpute, quelle extrême folie c'eftoit que de confulter des entrailles d'Animaux, il les réduit à répondre, que les Dieux qui font toutpuiffans, changent ces entrailles dans le moment du Sacrifice, afin de marquer par elles leur volonté, & l'avenir. Cette réponfe eftoit de Chrifippe, d'Antipater, & de Poffidonius, tous grands Philofophes, & Chefs du Party des Stoïciens. Ab! que dites-vous, reprend Ciceron, il n'y a point de Vieilles fi credules que vous Croyez-vous que le mefme Veau ait le foye bien difpofé, s'il eft choifi pour le Sacrifice par une certaine personne, & mal difpofé, s'il eft choift par une autre? Cette difpofition du foye peut-elle changer en un inftant, pour s'accommoder à la fortune de ceux qui facrifient? Ne voyez-vous pas que

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c'eft le bazard qui fait le choix des Villimes; L'experience mefme ne vous l'apprend-elle pas? Car Souvent les entrailles d'une Viime font tout-à-fait funeftes, celles de la Villime 6 qu'on immole immediatement aprés, font les plus heureufes du monde. Que deviennent les menaces de ces premieres entrailles? ou comment les Dieux fe font-ils appaifez fi promptement? Mais vous dites qu'un jour il ne fe trouva point de cœur à un Bauf que Cefar Sacrifioit, & que comme cet animal ne pouvoit pas pourtant vivre fans en avoir un, il faut necessairement qu'il fe foit retiré dans le moment du Sacrifice, Ef-il poffible que vous ayez affez d'efprit pour voir qu'un Bœuf n'a pû vivre fans cœur, & que vous n'en ayez pas affez pour voir que ce cœur n'a pû en un moment s'envoler je ne fsay où? Et un peu aprés il ajoûte: Croyez-moy vous ruinez toute la Phifique pour défendre l' Art des Arufpices. Car ce ne fera pas le cours ordinaire de la Nature qui fera naître & mourir toutes chofes, il y aura quelques corps qui viendront de rien, retourneront dans le neant. Quel Phificien a jamais foûtenu cette opinion? Il faut pourtant que les Arufpices la foutien

nent.

Je ne donne ce paffage de Ciceron que comme un exemple de l'extrême liberté avec laquelle il infultoit à la Religion qu'il fuivoit luy-mefme ; en mille autres endroits il ne fait pas plus de graces aux Pou& à tous les miracles, dont les Annales des Pontifes eftoient remplies,

lets facrez, au vol des Oyfears aux Pou

Pour

Pourquoy ne luy faifoit-on pas fon Procés fur fon impiete? Pourquoy tout le Peuple ne le regardoit-il pas avec horreur ? Pourquoy tous les Colleges des Preftres ne s'élevoient-ils pas contre luy ? il y a lieu de croire que chez les Payens la Religion n'eftoit qu'une pratique, dont la fpeculation eftoit indifferente, Faites comme les autres, & croyez ce qu'il vous plaira. Ce principe eft fort extravagant; mais le Peuple qui n'en reconnoiffoit pas l'impertinens'en contentoit, & les gens d'efprit s'y foumettoient aifément, parce qu'il ne les génoit guere.

ce,

Auffi voit-on que toute la Religion Payenne ne demandoit que des ceremonies & nuls fentimens du cœur. Les Dieux font irritez, tous leurs foudres font prefts à tomber, comment les appaiferat-on? Faut-il fe repentir des crimes qu'on a commis? Faut-il rentrer dans les voyes de la juftice naturelle qui devroit eftre entre tous les hommes ? Point du tout. Il faut feulement prendre un Veau de telle couleur, né en tel temps, l'égorger avec un tel couteau, & cela defarmera tous les Dieux. Encore vous est-il permis de vous moquer en vous-mefmes du Sacrifice, vous voulez, il n'en ira pas plus mal.

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Apparemment il en eftoit de mefme des Oracles, y croyoit qui vouloit, mais on ne laiffoit pas de les confulter. La coûtume a fur les hommes une force

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qui n'a nullement befon d'eftre appuyée de la raifon.

CHAPITRE VIII.

Que d'autres que des Philofophes ont auffi affez fouvent fait peu de cas des Oracles.

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Es Hiftoires font pleines d'Oracles, ou méprifez par ceux qui les recevoient,ou modifiez à leur fantaisie. * Pactias Lidien, & Sujet des Perfes, s'eftant refugié à Cumes, Ville Grecque, les Perfes ne manquerent pas d'envoyer demander qu'on le leur livraft. Les Cúméens firent auffitoft confulter l'Oracle des Branchides, pour fçavoir comment ils en devoient ufer, L'Oracle répondit qu'ils livraffent Pactias. Ariftodicus un des premiers de Cumes, qui n'eftoit pas de cet avis, obtint par fon credit qu'on envoyaft une feconde fois vers l'Oracle, & mefme il fe fit mettre du nombre des Députez. L'Oracle ne luy fit que la réponse qu'il avoit déja faite. Ariftodicus peu fatisfait, s'avisa en fe promenant autour du promena Tem

*P'Herodote 1. s.

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