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ferver quelques reftes du Paganisme, peuteftre affez confiderables. Ils prenoient, par exemple, le titre de Souverains Pontifes, & cela vouloit dire Souverains Pontifes des Augures, des Arufpices, enfin de tous les Colleges des Preftres Payens, & Chefs de toute l'ancienne Idolatrie Romaine.

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Zofime pretend que le Grand Conftantin mefme, & Valentinien & Valens, receurent volontiers des Pontifes Payens, & ce titre & l'habit de cette Dignité qu'on leur alloit offrir felon la coutume à leur avenement à l'Empire, mais que Gratien refufa l'équipage Pontifical & que quand on le reporta aux Pontifes, le premier d'entre eux dit tout en colere, Si Princeps now vult appellari Pontifex, admodum brevi Pontifex Maximus fiet. C'eft une pointe attachée aux mots Latins, & fondée fur ce que Maxime fe revoltoit alors contre Gratien pour le dépoüiller de l'Empire.

Mais un témoignage plus irreprochable fur ce Chapitre là que celuy de Zofime, c'eft celuy des Infcriptions. On y voit le titre de Souverain Pontife, donné à des Empereurs Chreftiens, & mefme dans le fixiéme Siecle, deux cens ans aprés que le Chriftianisme eftoit monté fur le Trone; l'Empereur Juftin* parmy toutes fes autres qualitez prend celle de Souverain Pontife, dans une Inscription qu'il avoit fait faire

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* Gruter.

faire pour la Ville de Juftinopolis en Istrie, à laquelle il donnoit fon nom.

Eftre un des Dieux d'une fauffe Religion, c'eft encore bien pis que d'en eftre le Souverain Pontife. Le Paganisme avoit érigé les Empereurs Romains en Dieux, & pourquoy non? Il avoit bien érigé la Ville de Rome en Déeffe. Les Empereurs Theodofe & Arcadius, quoy que Chrétiens, foutfrent que Simmaque, ce grand deffenfeur du Paganisme, les traite de Voftre Divinité, ce qu'il ne pouvoit dire que dans le fens & felon la coûtume des Payens, & nous voyons des Infcriptions en l'honneur d'Arcadius & d'Honorius qui portent, Un tel dévoué à leur Divinité 5 à leur Majefté.

Mais les Empereurs Chreftiens ne reçoivent pas feulement ces titres, ils fe les donnent eux-mesmes. On ne voit autre chose dans les Conftitutions de Theodofe, de Va-. lentinien, d'Honorius & d'Anaftafe. Tantoft ils nomment leurs Edits Status Celeftes des Oracles Divins, tantoft ils difent nettement, la tres-beureuse expedition de noftre Divinité, &c.

On peut dire que ce n'eftoit là qu'un ftile de Chancellerie, mais c'eftoit un fort mauvais ftile, ridicule pendant le Paga nisme mefme, & impie dans le Chriftianifme; & puis, n'eft-il pas merveilleux que de pareilles extravagances deviennent des manieres de parler familieres & communes dont on ne peut plus fe paffer?

La

La vérité eft que la flatterie des Sujets pour leurs Maiftres, & la foibleffe naturelle qu'ont les Princes pour les loüanges, maintinrent l'ufage de ces expreffions plus long-temps qu'il n'auroit fallu. J'avoue qu'il faut fuppofer & cette flatterie & cette foibleffe extrêmes chacune dans fon genre; mais auffi ces deux chofes là n'ont-elles pas de bornes. On donne ferieusement à un homme le nom de Dieu, cela n'eft prefque pas concevable, & ce n'eft pourtant encore rien. Cet homme le reçoit, il le reçoit fi bien qu'il s'accoutume luy-mefme à fe le donner, & cependant ce mefme homme avoit une idée faine de ce que c'eft que Dieu. Ajuftez-moy tout cela d'une maniere qui fauve l'honneur de la nature humaine.

Quant au titre de Souverain Pontife, il n'eftoit pas fi flateur, que la vanité des Empereurs Chreftiens fuft intereffée à sa confervation. Peut-eftre croyoient-ils qu'il leur ferviroit à tenir encore plus dans le refpect ce qui reftoit de Payens; peut-eftre n'euffent-ils pas efté fâchez de fe rendre Chefs de la Religion Chreftienne à la faveur de l'équivoque; en effet on voit quelques occafions où ils en ufoient affez en Maîtres, & quelques-uns ont écrit que les Empereurs avoient renoncé à ce titre par l'égard qu'ils avoient eu pour les Papes, qui apparemment en craignoient l'abus.

Il n'eft pas fi furprenant de voir paffer

dans

dans le Chriftianisme pour quelque temps ces reftes du Paganifme, que de voir ce qu'il y avoit dans le Paganifme de plus extravagant, & de plus barbare, & de plus oppofé à la raifon & à l'intereft commun des hommes, eftre le dernier à finir; je veux dire les Victimes humaines. Cette Religion eftoit étrangement bigarée; elle avoit des chofes extrémement gayes, & d'autres tres-funeftes. Icy les Dames vont dans un Temple accorder par devotion leurs faveurs aux premiers venus, & là par devotion on égorge des hommes fur un Autel. Ces deteftables Sacrifices fe trouvent dans toutes les Nations. Les Grecs les pratiquoient auffi-bien que les Scithes, mais non pas à la verité auffi fréquemment; & les Romains qui dans un Traité de Paix avoient exigé des Carthaginois qu'ils ne facrifieroient plus leurs Enfans à Saturne felon la coûtume qu'ils en avoient receuë des Pheniciens leurs Anceftres, les Romains euxmefmes immoloient tous les ans un homme à Jupiter Latial. Eufebe cite Porphire qui le rapporte comme une chofe qui eftoit encore en ufage de fon temps. Lactance & Prudence, l'un du commencement & l'autre de la fin du quatrième Siecle, nous en font garans auffi, chacun pour le temps où il vivoit. Ces Ceremonies pleines d'horreur ont duré autant que les Oracles, où il n'y avoit tout au plus que de la fottife & de la credulité.

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CHAPITRE V.

Que quand le Paganisme n'euft pas dû estre aboly, les Oracles euffent pris fin.

Premiere raifon particuliere de leur décadence.

L

E Paganifme a dû neceffairement enveloper les Oracles dans fa ruïne, lors qu'il a efté aboly par le Chriftianifme. De plus il eft certain que le Chriftianifme, avant mefme qu'il fuft encore la Religion dominante, fit extremement tort aux Oracles, parce que les Chrétiens s'étudierent à en defabufer les Peuples, & à en découvrir l'impofture; mais indépendamment du Chriftianifme, les Oracles ne laiffoient pas de décheoir beaucoup par d'autres causes, & à la fin ils euffent entierement tombé.

On commence à s'appercevoir qu'ils dégenerent dés qu'ils ne fe rendent plus en Vers. Plutarque a fait un Traité exprez pour rechercher la raifon de ce changement, & à la maniere des Grecs, il dit fur ce fujet tout ce qu'on peut dire de vray & de faux.

D'abord

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