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vin qui a perdu sa force. Quel temps peut confumer ou épuiser une vertu toute divine? Or qu'ya-t-il de plus divin qu'une exhalaifon de la terre qui fait un tel effet fur l'ame, qu'elle luy donne & la connoiffance de l'avenir, le moyen de s'en expliquer en Vers?

Il me femble que Ciceron entend que la vertu toute entiere avoit ceffé, & il euft bien veu qu'il en euft toujours deu demeurer une bonne partie, quand il ne se fuft plus rendu à Delphes que des Oracles en Profe. N'eft-ce donc rien qu'une Prophetie, à moins qu'elle ne foit en Vers?

Je ne croy pas qu'on ait eu tant de tort de prendre ce paffage pour une preuve de la ceffation entiere de l'Oracle de Delphes; mais on a eu tort de prétendre en tirer avantage pour artribuer cette ceffation à la Naiffance de Jefus-Chrift. L'Oracle a ceffé trop toft, puifque felon ce paffage, il avoit ceffe long-temps avant Ciceron.

Mais il n'eft pas vray que la chose foit comme Ciceron paroift l'avoir entendue en cet endroit. Luy-mefme au 1.1. de la Divination fait parler en ces termes Quintus fon Frere qui foutient les Oracles. Je m'arrefte fur ce point. Jamais l'Oracle de Delphes n'euft efté fi célebre, jamais il n'euft recû tant d'offrandes des Peuples & des Rois, fi de tout temps on 'n'euft reconnu la verité de fes Prédictions. Il n'eft pas fi célebre prefentement. Comme il l'eft moins parce que Jes Prédictions font moins vrayes, jamais fi elles. n'euffent efté extrémeH 2

ment

ment vrayes, il n'euft efté célebre au point qu'iï' l'a efté.

Mais ce qui eft encore plus fort, Ciceron mefme, à ce que dit Plutarque dans fa vie, avoit dans fa jeuneffe confulté l'Oracle de Delphes, fur la conduite qu'il devoit tenir dans le monde, & il luy avoit esté répondu qu'il fuivift fon genie pluftoft que de fe regler fur les opinions vulgaires. S'il n'eft pas vray que Ciceron ait confulté l'Oracles de Delphes, il faut du moins que du temps de Ciceron on le confultast en

core.

CHAPITRE II.

Pourquoy les Auteurs anciens Je contredifent fouvent fur le temps de la ceffation des Oracles.

D

'Où vient donc, dira-t-on, que Lu cain au 5. 1. de la Pharíale, parle en ces termes de l'Oracle de Delphes? L'Oracle de Delphes qui a gardé le filence, depuis que les Grands ont redouté l'avenir, ont "defendu aux Dieux de parler, eft la plus confiderable de toutes les faveurs du Ciel que noAre Siecle a perdues. Et peu aprés, Appius qui vouloit Sçavoir quelle feroit la deftinée de Italic, cut la bardieffe d'aller interroger cette

Caverns

Caverne depuis fi long-temps muette, & d'aller
remuer ce Trepié oifif depuis fi long-tems.
D'où vient que Juvenal dit en un endroit,
Puifque l'Oracle ne parle plus à Delphes?

D'où vient enfin que parmy les Auteurs d'un mefme temps on en trouve qui difent que l'Oracle de Delphes ne parle plus, d'autres qui difent qu'il parle encore, & d'où vient que quelque fois un mefme Auteur se contredit fur ce chapitre?

C'eft qu'affurément les Oracles n'eftoient plus dans leur ancienne vogue, & qu'auffi ils n'eftoient pas encore tout-à-fait ruïnez. Ainfi par rapport à ce qu'ils avoient efté autrefois, ils n'eftoient plus rien, & en effet ils ne laiffoient pourtant pas d'être encore quelque chofe.

Il y a plus. Il arrivoit qu'un Oracle eftoit ruine pour un temps, & qu'enfuite il fe relevoit, car les Oracleseftoient sujets à diverfes avantures. Il ne les faut pas croire anéantis, du moment qu'on les voit muets; ils pourront reprendre la parole.

Plutarque dit qu'anciennement un Dragon qui s'eftoit venu loger fur le Parnaffe, avoit fait deferter l'Oracle de Delphes, qu'on croyoit communément que c'eftoit la folitude qui y avoit fait venir le Dragon, mais qu'il y avoit plus d'apparence que le Dragon y avoit caufé la folitude, que depuis la Gréce s'eftoit remplie de Villes, &c.

Vous voyez que Plutarque vous parle
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d'un

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d'un temps affez éloigné. Ainfi l'Oracle depuis fa naiffance avoit déja efté abandonné une fois, enfuite il eft feur qu'il s'eftoit merveilleusement bien rétably.

Aprés cela le Temple de Delphes effuya diverses fortunes. Il fut pillé par un Brigand defcendu de Phlegias, par l'Armée de Xerxés, par les Phocenfes, par Pirrhus, par Neron, enfin par les Chreftiens fous Conftantin. Tout cela ne faifoit pas de bien à l'Oracle, les Preftres eftoient ou maffacrez, ou difperfez; on abandonnoit le lieu, les uftenfiles facrées eftoient perduës, il faloit des foins, des frais, & du temps pour remettre l'Oracle fur pied.

Il fe peut donc faire que Ciceron ait pendant fa jeuneffe confulté l'Oracle de Delphes, que pendant la Guerre de Céfar & de Pompée & dans ce défordre general de l'Univers, l'Oracle ait efté müet, comme le veut Lucain, qu'enfin aprés la fin de cette Guerre, lors que Ciceron écrivoit fes Livres de Philofophie, il commençaft à fe rétablir affez pour donner lieu à Quintus de dire qu'il eftoit encore au monde, & affez peu pour donner lieu à Ciceron de fuppofer qu'il n'y eftoit plus.

Quand Dorimaque, au rapport de Polibe brûla les Portiques du Temple de Dodone, renverfa de fond en comble le lieu Sacré de l'Oracle, pilla ou ruïna toutes les Offrandes, un Auteur de ce tempslà auroit bien pû dire que l'Oracle de Do

done

done ne parloit plus. Cela n'empêcheroit pas que dans le Siecle fuivant on ne trouvaft un autre Auteur, qui en rapporteroit quelque réponse.

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CHAPITRE III.

Hiftoire de la durée de l'Oracle de Delphes & de quelques.. autres Oracles.

N

Ous ne fçaurions mieux prouver que vers le temps de la Naiffance de Jefus-Chrift,où l'on parle tant du filence de l'Oracle de Delphes, il n'avoit pas ceffé tout-à-fait, mais eftoit feulement interrompu, qu'en rapportant toutes les occafions différentes, où l'on trouve depuis ce temps-là qu'il a parlé.

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Suetone, dans la Vie de Neron, dit que T'Oracle de Delphes l'avertit qu'il fe donnaft de garde des 73. ans; que Neron crut qu'il ne devoit mourir qu'à cet âge, là, & ne fongea point au vieux Galba qui cftant âgé de 73. ans luy ofta l'Empire. Cela le perfuada fi fort de fon bonheur, qu'ayant perdu par un Naufrage des chofes d'un tresgrand prix, il fe vanta que les Poiflons les luy rapporteroient.

Il faloit qu'il euft reçeu du même Oracle de Delphes quelque réponse qui luy pa ruft moins agreable, ou qu'il ne fe conH 4

ten

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