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noftre Tourbillon, & tout-à-fait à noftre bien-féance, Jupiter dont je commençois à vous parler, fut plus heureux ou plus puiffant que nous. Il y avoit dans fon voifinage quatre petites Planetes, il fe les affujettit toutes quatre; & nous qui fommes une Planete principale, croyez-vous que nous l'euffions efté, fi nous nous fuffions trouvez proches de luy? Il eft quatre vingt-dix-fois plus gros que nous, il nous auroit engloutis fans peine dans fon Tourbillon, & nous ne ferions qu'une Lune de fa dépendance, au lieu que nous en avons une qui eft dans la noftre; tant il est vray que le feul hazard de la fituation décide fouvent de toute la fortune qu'on doit avoir,

Et qui nous affeure, dit la Marquife, que nous demeurerons toûjours où nous fommes? Je commence à craindre que nous ne faflions la folie de nous approcher d'une Planete auffi entreprenante que Jupiter, ou qu'il ne vienne vers nous pour nous abforber; car il me paroit que dans ce grand mouvement, où vous dites qu'eft la matiere celefte, elle devroit agiter les Planetes irregulierement, tantost les approcher, tantoft les éloigner les unes des autres. Nous pourrions auffi-toft y gagner qu'y perdre, répondis-je , peut cftre irions-nous foumettre à noftre domination, Mercure & Venus, qui font de petites Planetes, & qui ne nous pourroient refifter. Mais nous n'avons rien à efperer ny à craindre, les Planetes fe tiennent où elles font, & les nouvelles conqueftes leur font défendues, comme elles

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l'eftoient autrefois aux Rois de la Chine. Vous fçavez bien que quand on met de l'huile avec de l'eau, l'huile furnage, Qu'on mette fur ces deux liqueurs un Corps extremement leger, l'huile le foutiendra, & il n'ira pas jufqu'à l'eau Qu'on y mette un autre Corps plus pefant, & qui foit justement d'une certaine pefanteur, il paffera au travers de l'huile, qui fera trop foible pour l'arrefter, & tombera jufqu'à ce qu'il rencontre l'eau, qui aura la force de le foûtenir. Ainfi dans cette liqueur compofée de deux liqueurs qui ne fe mêlent point, deux Corps inegalement pefans fe mettent naturellement à deux places differentes, & jamais l'un ne montera, ny l'eau ne defcendra. Qu'on mette encore d'autres liqueurs qui fe tiennent feparées, & qu'on y plonge d'autres corps, il arrivera la mefme chofe. Reprefentez-vous que la matiere Celefte qui remplit ce grand Tourbillon, a differentes couches qui s'envélopent les unes les autres, & dont les pefanteurs font differentes, comme celles de l'huile & de l'cau, & des autres liqueurs. Les Planetes ont auffi differentes pefanteurs; chacune d'elles par confequent s'arrefte dans la couche qui a precifément la force neceffaire pour la foûtenir, & qui, luy fait équilibre, & vous voyez bien qu'il n'eft pas poffible qu'elle en forte jamais.

Je conçois, dit la Marquife, que ces pefanteurs-là reglent fort bien les rangs. Pluft à Dieu qu'il y euft quelque chofe de pareil qui les reglaft parmy nous, & qui fixat les gens

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dans les places qui leur font naturellement convenables! Me voila fort en repos du costé de lupiter. Je fuis bien-aife qu'il nous laiffe dans noftre petit Tourbillon avec noftr e Lune unique. Je fuis d'humeur à me borner aisément, & je ne luy envie point les quatre qu'il a.

Vous auriez tort de les luy envier, repris-je, il n'en a point plus qu'il ne luy en faut. Dans l'éloignement où il eft du Soleil, fes Lunes ne reçoivent & ne luy renvoyent qu'une lumiere affez foible. Il est vray que comme il tourne fur luy-mefme en dix heures, & que fes nuits qui par confequent n'en durent que cinq, font fort courtes, quatre Lunes ne paroiftroient pas fi neceffaires; mais il y a autre chofe à confiderer. Icy fous les Pôles, on a fix mois de jour & fix mois de nuit. C'est que les Pôles font les deux extremitez de la Terre les plus éloignées des lieux où le Soleil donné à plomb, & fur lefquels il paroist faire fa courfe. La Lune tient, ou paroift tenir la mesme route à peu prés que le Soleil, & fi les Habitans des Pôles voyent le Soleil pendant toute une moitié de fa courfe d'un an, & pendant toute l'autre moitié ne le voyent point, ils voyent auffi la Lune pendant toute une moitié de fa courfe d'un mois, c'est-à-dire pendant quinze jours, & ils ne la voyent point pendant toute l'autre moitié. Les années de Jupiter en valent douze des noftres, & il doit y avoir dans cette Planete deux extremitez oppofées, où l'on ait des jours & des nuits de fix ans entiers. Des nuits de fix ans font bien

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longues, auffi eft-ce principalement pour elles que je croy que les quatre Lunes font faitesCelle qui à l'égard de Jupiter eft la plus élevée, fait fon cercle autour de luy en dix-fept jours, la feconde en fept, la troifiéme en trois jours & demy, la quatriéme en quarante-deux heures. Leurs courfes eftant coupées juftement par la moitié pour ces malheureux Pays qui ont fix ans de nuit, il ne fe peut paffer vingt & une heures, qu'on ne voye paroistre au moins la derniere Lune. C'eft quelque confo. lation pendant des tenebres d'une durée fi ennuycufe; mais quelque lieu que l'on habite dans Jupiter, ces quatre Lunes vous y donnent les plus jolis fpectacles du monde. Tantoft elles fe levent toutes quatre ensemble, & puis fe feparent felon l'inegalité de leurs cours; tantoft elles font toutes à leur Midy rangées l'une au deffus de l'autre; tantoft on les voit toutes quatre fur l'Horifon à des distances égales; tantoft quand deux fe levent, deux autres fe couchent; fur tout j'aimerois à voir ce jeu perpetuel d'Eclipfes qu'elles font, car il ne fe paffe point de jour qu'elles ne s'éclipfent les unes les autres, ou qu'elles n'éclipfent le Soleil, & affurément les éclipfes s'eftant rendues fi familieres en ce Monde-là, elles y font un fujet de divertiffement, & non pas de frayeur, comme en celuy-cy.

Et vous ne manquerez pas, dit la Marquife, à faire habiter ces quatre Lunes, quoy que ce ne foient que de petites Planetes fubalternes, deftipées feulement à en éclairer une autre pendant

Les nuits? N'en doutez nullemeut, répondis-je. Ce. Planetes n'en font pas moins dignes d'eftre habitées pour avoir le malheur d'eftre affervies à tourner autour d'une autre plus importante.

Je voudrois donc, reprit-elle, que les Habitans des quatre Lunes de Jupiter, fuffent comme des Colonies de Jupiter; qu'elles euffent receu de luy, s'il eftoit poffible, leurs Coûtumes; que par conféquent elles luy rendiffent quelque forte d'hommage, & ne regardaflent la grande Planete qu'avec refpect. Ne faudroit-il point auffi, luy dis-je, que les quatre Lunes envoyaffent de temps en tempsdes Députez dans Jupiter,pour luy prêter ferment de fidedelité? Pour moy, je vous avoue que le peu de fupériorité que nous avons fur lesGens de nostre Lune, me fait douter que Jupiter en ait beaucoup fur les Habitans des fietes, & je croy que l'avantage auquel il puiffe le plus raifonnablement prétendre, c'eft de leur faire peur. Par exemple, dans celle qui eft la plus proche de luy, ils le voyent trois cens foixante fois plus gros que noftre Lune ne nous paroift, car il la furpaffe autant en groffeur. Il eft, je croy, beaucoup plus proche d'eux, qu'elle n'eft de nous, fa groffeur en augmente encore. Ils ont donc toujours cette monstrueuse Planete fufpendue fur leurs teftes à une diftance affez petite. En verité, fi les Gaulois craignoient anciennement que le Ciel ne tombast fur eux, les Habitans de cette Lune auroient bien plus de fujet de craindre une chute de Jupiter. C'eft peut-eftre là auffi la frayeur qu'ils

ont,

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