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ferieusement, vous pourriez vous tromper plûtoft que moy. Vous croyez que les Gens de la Lune doivent habiter fur la furface: de leur Planete parce que nous habitons fur la furface de la noftre: c'eft tout le contraire, puifque nous habitons fur la furface de noftre Planete, ils pourroient bien n'habiter pas fur la furface de la leur. D'icy là il faut que toutes choles foient bien differentes.

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Il n'importe, dit la Marquife, je ne puis me réfoudre à laiffer vivre les habitans de la Lune dans une obfcurité perpetuelle. Vous y auriez encore plus de peine, repris-je, fi vous fçaviez qu'un grand Philofophe de l'Antiquité a fait de la Lune le féjour des Ames qui ont mérité icy d'eftre bien-heureuses. Tou te leur felicité confifte en ce qu'elles y entendent l'Harmonie que les Corps Celeftes font par leurs mouvemens; mais comme il prétend que quand la Lune tombe dans l'ombre de la Terre, elles ne peuvent plus entendre cette Harmonie; alors, dit-il, ces Ames crient comme des defefperées, & la Lune fe hatte le plus qu'elle peur de les tirer d'un endroit fi fâcheux. Nous devrions donc repliquat-elle, voir arriver icy les bienheureux de la Lune, car appareminent on nous les envoye auffi, & dans ces deux Planetes on croit avoir affez pourvû à la félicité des Ames, de les avoir tranfportées dans un autre Monde. Serieufement, repris-je, ce ne feroit pas un plaifir mediocre de voir plufieurs mondes differens. Ce voyage me réjouit quelquefois beau

coup

coup à ne le faire qu'en imagination, & que feroit-ce, fi on le faifot en effet? Cela vaudroit bien mieux que d'aller d'icy au Japon, c'est-à-dire de ramper avec beaucoup de peine d'un point de la Terre fur un autre pour ne voir que des hommes. Et bien, dit-elle, faifons le Voyage des Planetes, comme nous pourrons; qui nous en empefche? Allons nous placer dans tous ces differens points de veuë, & de là confiderons l'Univers. N'avons-nous plus rien à voir dans la Lune? Ce Monde là n'est pas encore épuifé, répondisje. Vous vous fouvenez bien que les deux mouvemens, par lefquels la Lune tourne fur elle-mefme & autour de nous, eftant égaux, l'un rend toûjours à nos yeux ce que l'autre leur devroit dérober, & qu'ainfi elle nous prefente toûjours la même face. Il n'y a donc que cette moitié-là qui nous voye, & comme la Lune doit eftre cenfée ne tourner point fur fon centre à noftre égard, cette moitié qui nous voit, nous voit toûjours, & toûjours attachez au mefme endroit du Ciel. Quand elle eft dans la nuit, & ces nuits là valent quinze de nos jours, elle voit d'abord un petit coin de la Terre éclairé, enfuite un plus grand, & prefque d'heure en heure la lumiere luy paroift fe répandre fur la face de la Terre jufqu'à-ce qu'enfin elle la couvre entiere au lieu que ces mefmes changemens ne nous paroiffent arriver fur la Lune que d'une nuit à l'autre, parce que nous la perdons longtems de veuë. Je voudrois bien pouvoir deE 2 viner

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viner les mauvais raisonnemens que font les Philofophes de ce Monde-là, fur ce que noftre Terre leur paroift immobile, lors que tous les autres Corps Céleftes fe levent & fe couchent fur leurs teftes en quinze jours. Ils attribuent apparemment cette immobilité à fa groffeur, car elle eft quarante fois plus groffe que la Lune, & quand les Poëtes veulent louer les Princes oififs, je ne doute pas qu'ils ne fe fervent de l'exemple de ce repos majeftueux. Cependant voicy une difficulté. Ön voit fort fenfiblement dedans la Lune, noftre Terre tourner fur fon centre. Reprefentezvous noftre Europe, noftre Afie, noftre Amerique, qui fe prefentent à eux l'unc aprés l'autre en petit, & différemment figurées, à peu prés comme nous les voyons fur les Cartes. Que ce fpectacle doit paroiftre nouveau aux voyageurs, qui paffent de la moitié de la Lune qui ne nous voit jamais, à celle qui nous voit toûjours. Ah! que l'on s'éft bien gardé de croire les Relations des premiers qui en ont parlé, lors qu'ils ont esté de retour en ce grand païs auquel nous fomines inconnus! Il me vient en l'efprit, dit la Marquife, que de ce Pays-là dans l'autre, il se fait des efpeces de Pelerinages pour venir nous confiderer, & qu'il y a des honneurs & des privileges pour ceux qui ont veu une fois en leur vie la groffe Planete. Du moins, repris-je, ceux qui la voyent ont le privilege d'eftre mieux éclairez pendant leurs nuits, l'habitation de l'autre moitié de la Lune doit eftre beaucoup

moins commode à cet égard là. Mais, Madame, continuons le voyage que nous avions entrepris de faire de Planete en Planete, nous avons affez exactement visité la Lune. Au fortir de la Lune en tirant vers le Soleil, on: trouve Venus, Sur Venus je reprens le Saint Denis. Venus tourne fur-elle-mefme, & autour du Soleil comme la Lune, on découvre avec les Lunettes d'approche, que Venus auffi-bien que la Lune, eft tantoft en Croiffant, tantoft en Décours, tantoft Pleine felon les diverses fituations, où elle cft à l'égard de la Terre.

La Lune, felon toutes les apparences, eft habitée, pourquoy Venus ne le fera-t-elle pas auffi? Mais, interrompit la Marquife, en difant toûjours, pourquoy non? vous m'allez mettre des Habitans dans toutes les Planetes." N'en doutez pas, repliquay-je, ce pourquoy non, a une vertu qui luffira pour peupler tout, Nous voyons que toutes les Planetes font de la même nature, toutes des Corps opaques qui ne reçoivent de la lumiere que du Soleil, qui fe la renvoyent les uns aux autres, & qui n'ont que les mefmes mouvemens, jufque-là tout eft égal. Cependant il faudroit concevoir que ces grands Corps auroient efté faits pour n'eftre point habitez, que ce feroit-là leur condition naturelle, & qu'il y auroit une exception justement en faveur de la Terre toute feule. Qui voudra le croire, le croye; pour moy, je ne m'y puis pas refoudre. Je vous trouve, dit-elle, bien affermy dans voltre opiE 3

nion

nion depuis quelques inftans. Je viens de voir le moment que la Lune feroit deferte, & que vous ne vous en fouciez pas beaucoup, & prefentement fi on ofoit vous dire que toutes les Planetes ne font pas auffi habitées que la Terre, je voy bien que vous vous mettriez en colere. Il eft vray, répondis-je, que dans le moment où vous venez de me furprendre; fi vous m'euffiez contredit fur les Habitans des Planetes, non feulement je vous les aurois foutenus, mais je crois que je vous aurois dit comment ils eftoient tous faits. Il y a des momens pour croire, & je ne les ay jamais fi bien crûs que dans celuy-là; prefentement meline que je fuis un peu plus de fens froid, je ne laiffe pas de trouver qu'il feroit bien étrange que la Terre fuft auffi habitée qu'elle l'eft, & que les autres Planetes ne le fuffent point du tout; car ne croyez pas que nous voyons tout ce qui habite la Terre; il y a autant d'efpeces d'Animaux invifibles que de vifibles. Nous voyons depuis l'Elephant jufqu'au Ciron, là finit nôtre veuë; mais au Ciron commence une multitude infinie d'Animaux, dont il eft l'Elephant, & que nos yeux ne fçauroient appercevoir fans fecours. On a veu avec des Lunettes de tres-petites gouttes d'Eau de Pluie, ou de Vinaigre, ou d'autres Liqueurs, remplies de petits Poiffons ou de petits Serpens que l'on n'auroit jamais foupçonnez d'y habiter, & il y a quelque apparence que le goût qu'elles font fentir, font les piqueures que ces petits Animaux font à la

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