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s'imaginaffent que nous fuffions enforcelez, & que nous allaffions gâter leurs Herbes, & qu'enfin nous leurs rendiffions la confternation qu'ils caufent icy-bas. Je n'en doute nullement, répondis-je. Je voudrois bien fçavoir pourquoy Meffieurs de la Lune auroient l'efprit plus fort que nous. De quel droit nous feront-ils peur fans que nous leur en faffions; Je croirois mefme, ajoûtay-je en riant, que comme un nombre prodigieux d'hommes ont esté affez foux, & le font encore affez pour adorer la Lune, il y a des Gens dans la Lune qui adorent auffi la Terre, & que nous fommes, à genoux les uns devant les autrès. Aprés cela, dit-elle, nous pouvons bien prétendre à envoyer des influences à la Lune, & à donner des crifes à fes Malades, mais comme il ne faut qu'un peu d'efprit & d'habileté dans les Gens de ce Pays-là, pour détruire tous ces honneurs dont nous nous flattons, j'avouë que je crains toûjours que nous n'ayons quelque defavantage.

Nc craignez rien, répondis-je, il n'y a pas d'apparence que nous foyons la feule fote efpece de l'Univers. L'ignorance eft quelque chofe de bien propre à eftre generalement répandu, & quoy que je ne faffe que deviner celle des Gens de la Lune, je n'en doute non plus que des Nouvelles les plus feures qui nous viennent de-là.

Et quelles font ces Nouvelles feures, interrompit-elle? Ce font celles, répondis-je, qui nous font raportées par ces Sçavans qui

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y voyagent tous les jours avec des Lunettes d'approche. Ils vous diront qu'ils y ont découvert des Terres, des Mers, des Lacs, de treshautes Montagnes, des Abifmes tres-profonds.

Vous me furprenez, reprit-elle. Je conçois bien qu'on peut découvrir fur la Lune des Montagnes & des Abifmes, cela fe re connoift apparemment à des inégalitez remarquables; mais comment diftinguer des Terres & des Mers? On les diftingue, répondis-je; parce que les Eaux qui laiffent paffer autravers d'elles-mefine une partie de la lumiere, & qui en renvoyent moins, paroiffent de loin comme des taches obfcures, & que les Terres qui par leur folidité la renvoyent toute, font des endroits plus brillans. L'illuftre Monfieur Caffini, l'homme du monde à qui le Ciel eft mieux connu, a découvert fur la Lune quelque chofe qui fe fepare en deux, fe réunit enfuite, & fe va perdre dans une cfpece de Puits. Nous pouvons nous flatter avec bien de l'apparence que c'est une Rivierc. Enfin on connoift affez bien toutes ces differentes parties pour leur avoir donné des noms, & ce font prefque tous noms de Sçavans. Un endroit s'appelle Copernic, un autre Archimede, un autre Galilée, il y a une Mer Cafpienne, les Monts Porphirites, le Lac noir; enfin la defcription de la Lune eft i exacte, qu'un Sçavant qui s'y trouveroit prefentement, ne s'y égareroit non plus que je ferois dans Paris.

Mais, reprit-elle, je ferois bienaife de fça

voir encore plus en détail comment eft fait le dedans du Pays. Il n'est pas poffible, repliquay-je, que Meffieurs de l'Obfervatoire vous en inftruifent, il faut le demander à Aftolfe, qui fut conduit dans la Lune par faint Jean. Je vous parle d'une des plus agteables folies de l'Ariofte, & je fuis feur que vous ferez bien-aife de la fçavoir. J'avoue qu'il euft mieux fait de n'y pas mêler faint Jean, dont le nom eft fi digne de refpect; mais enfin c'est une licence Poëtique, qui peut feulement paffer pour un peu trop gaye, Tout le Poëme eft dedié à un Cardinal, & un grand Pape l'a honoré d'une approbation éclatante que l'on voit au devant de quelques Editions. Voicy dequoy il s'agit. Roland, Neveu de Charlemagne, eftoit devenu fou, parce que la belle Ange lique luy avoit preferé Medor. Un jour Aftolfe, brave Paladin, fe trouva dans le Paradis Terreftre qui eftoit fur la cime d'une Montagne tres-haute, où fon Hippogrife l'avoit porté, Là il recontra faint Jean, qui luy dit que pour guerir la folie de Roland, il eftoit neceffaire qu'ils fiffent enfemble le Voyage de la Lune. Aftolfe qui ne demandoit qu'à voir du Pays, ne fe fait point prier & auffi-toft voilà un Chariot de feu qui enleve par les airs l'Apoftre & le Paladin. Comme Aftolfe n'eftoit pas grand Philofophe, il tut fort furpris de voir la Lune beaucoup plus grande qu'elle ne iuy auoit paru de deffus la Terre. Il fut bien. plus furpris encore de voir d'autres Fleuyes, d'autres Lacs, d'autres Montagnes,

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d'autres Villes, d'autres Forefts, & ce qui m'auroit bien furpris auffi, des Nimphes qui chaffoient dans ces Forefts. Mais ce qu'il vit de plus rare dans la Lune, c'estoit un Vallon où se trouvoit tout ce qui fe perdoit fur la Terre, de quelque efpece qu'il fuft, & les Couronnes & les Richeffes & la Renommée, & une infinité d'Efperances, & le temps qu'on donne au Jeu, & les Aumônes qu'on fait faire aprés fa mort, & les vers qu'on présente aux Princes, & les Soupirs des Amans.

Pour les Soupirs des Amans, interrompit la Marquife, je ne fçay pas fi du temps de l'Ariofte ils eftoient perdus, mais en ce temps-cy, je n'en connois point qui aillent dans la Lune. N'y euft-il que vous,Madame,repris-je, vous y avez fait aller tous ceux qu'on vous a adreffez, & c'est dequoy faire dans la Lune un amas confiderable. Enfin la Lune eft fi exacte à recueiller ce qui fe perd icy bas que tout y eft, mais l'Ariofte ne vous dit cela qu'à l'oreille, tout y eft jufqu'à la Donation de Conftantin. C'est que les Papes ont prétendu estre Maiftres de Rome & de l'Italie en vertu d'une Donation que l'Empercur Constantin leur en avoit faite, & la verité eft qu'on ne fçauroit dire ce qu'elle eft devenue. Mais devinez de quelle forte de chofe on ne trouve point dans la Lune; de la Folie. Tout ce qu'il y en a jamais eu fur la Terre, s'y est tres-bien confervé. En recompenfe il n'eft pas croyable combien il y a dans la Lune d'Efprits perdus, Cc font autant de Phioles

pleines d'une liqueur fort fubtile, & qui s'évapore aifément fi elle n'eft enferméé, & fur chacune de ces Phioles eft écrit le nom de celuy à qui l'efprit appartient. Je croy que l'Aricfte les met toutes en un tas, mais j'aime mieux me figurer qu'elles font rangées bien proprement dans de longues Galeries. Aftolfe fut fort étonné de voir que les Phioles de beaucoup de Gens qu'il avoit crus tres-fages, eftoient pourtant bien pleines, & pour moy je fuis perfuadé que la mienne s'eft remplie confiderablement depuis que je vous entretiens de Vifions, tantoft Philofophiques, tantoft Poëtiques, mais ce qui me confole, c'eft qu'il n'eft pas poffible que par tout ce que je vous dis, je ne vous faffe avoir bien-toft auffi une petite Phiole dans la Lune. Le bon Paladin ne manqua pas de trouver la fienme parmy tant d'autres. Il s'en faifit avec la permiffion de faint Jean, & reprit tout fon Efprit par le nez comme de l'Eau de la Reine de Hongrie; mais l'Ariofte dit qu'il ne le porta pas bien loin, & qu'il le laiffa retourner dans la Lune par une folic qu'il fit à quelque temps de là. II n'oublia pas la Phiole de Roland, qui eftoit le fujet du Voyage. Il eut affez de peine à la porter, car l'Esprit de ce Heros eftoit de fa nature affez pefant, & il n'y en manquoit pas une feule goute. Enfuite l'Ariofte, felon fa loüable coutume de dire tout ce qu'il luy plaist, apostrophe sa Maistresse, & luy dit en de fort beaux Vers, Quimontera aux Cieux, ma Belle, pour en raporter l'esprit

que

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