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fe cache quelquefois, & qu'un petit coin de la moitié oppoféc fe montre. Or elle ne manque pas, fur ma parole, de nous attribuer ce tremblement, & de s'imaginer que nous avons dans le Ciel comme un mouvement de Pendule qui va & vient.

Toutes ces Planetes, dit la Marquife, font faites comme nous, qui rejettons toûjours fur les autres ce qui eft en nous mefmes. La Terre dit, Ce n'eft pas moy qui tourne, c'est le Soleil. La Lune dit, Ce n'eft pas moy qui tremble, c'eft la Terre. Il y a bien de l'erreur par tout. Je ne vous confeille pas d'entreprendre d'y rien reformer, répondis-je : il vaut mieux que vous acheviez de vous convaincre de l'entiere reffemblance de la Terre & de la Lune. Reprefentez-vous ces deux grandes Boules fufpendues dans les Cieux. Vous fçavez que le Soleil éclaire toûjours une moitié des Corps qui font ronds, & que l'autre moitié eft dans l'ombre. Il y a donc toûjours une moitié, tant de la Terre que de la Lune, qui est éclairée du Soleil, c'est-à-dire, qui a le jour, & une autre moitié qui est dans la nuit. Remarquez d'ailleurs que comme une Balle a moins de force & de viteffe aprés qu'elle a été donner contre une muraille qui l'a renvoyée d'un autre cofté, de mefme la lumiere s'affoiblit lors qu'elle a efté refléchie par quelque Corps. Cette lumiere blanchâtre qui nous vient de la Lune, eft la lumiere mefme du Soleil, mais elle ne peut venir de la Lune à nous que par une réflé

rion. Elle a donc beaucoup perdu de la force & de la vivacité qu'elle avoit lors qu'elle eftoit reçeuë directement fur la Lune, & cette lumiere éclatante que nous recevons du Soleil, & que la Terre réflechit fur la Lune, ne doit plus eftre qu'une lumiere blanchâtre quand elle y eft arrivée. Ainfi ce qui nous paroift lumineux dans la Lune, & qui nous éclaire pendant nos nuits, ce font des parties de la Lune qui ont le jour, & les parties de la Terre qui ont le jour, lors qu'elles font tournées vers les parties de la Lune qui ont la nuit, les éclairent auffi. Tout dépend de la maniere dont la Lune & la Terre fe regardent. Dans les premiers jours du mois que l'on ne voit pas la Lune, c'eft qu'elle eft entre le Soleil & nous, & qu'elle marche de jour avec le Soleil. Il faut neceffairement que toute la moitié qui a le jour, foit tournée vers le Soleil, & que toute fa moitié qui a la nuit, foit tournée vers nous. Nons n'avons garde de voir cette moitié qui n'a aucune lumiere pour fe faire voir; mais cette moitié de la Lune qui a la nuit, eftant tournée vers la moitié de la Terre qui a le jour, nous voit fans eftre veuë, & nous voit fous la mefme figure que nous voyons la pleine-Lune. C'eft alors pour les Gens de la Lune pleine Terre, s'il eft permis de parler ainfi. Enfuite la Lune qui avance fur fon Cercle d'un mois dégage de deffous le Soleil, & commence à tourner vers nous un petit coin de fa moitié éclairée, & voila le Croiffant. Alors auffi les parties

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Parties de la Lune qui ont la nuit, commencent à ne plus voir toute la moitié de la Terre qui a le jour, & nous tommes en Decours pour elles.

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Il n'en faut pas davantage, dit brufquement la Marquife, je fçauray tout le refte quand il me plaira, je n'ay qu'à y penfer un moment, & qu'à promener la Lune fur fon Cercle d'un mois. Je vois en general que dans la Lune ils ont un mois à rebours du noftre, & je gage que quand nous avons pleine-Lune, c'ett que toute la moitié lumineule de la Lune eft tournée vers toute la moitié obscure de la Terre; qu'alors ils ne nous voyent point du tout, & qu'ils comptent Nouvelle Terre. Je ne voudrois pas qu'il me tuft reproché de m'eftre fait expliquer tout au long une chofe fi aifée. Mais les Eclipfes comment vont-elles ? Il ne tient qu'à vous de le deviner, répondisje. Quand la Lune eft Nouvelle, qu'elle eft entre le Soleil & nous, & que toute fa moitié obfcure eft tournée vers uous qui avons le jour, vous voyez bien que l'ombre de cette monié obfcure fe jette vers nous. Sila Lune eft juftement fous le Soleil, cette ombre nous le cache, & en mefme temps noircit une partie de cette moitié lumineufe de la Terre qui eftoit veuë par la moitié obfcure de la Lune. Voila donc une clipfe de Soleil pour nous pendant n ftre jour, & une Eclipfe de Ter re pour la Lune pendant fa nuit. Lors que la Lune eft pleine, la Terre eft entre-elle & le Soleil, & toute la moitié obscure de la

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Terre est tournée vers toute la moitié lumineuse de la Lune. L'ombre de la Terre fe jette donc vers la Lune; fi elle tombe fur le' Corps de la Lune, elle noircit cette moitié lumineuse que nous voyons, & à cette moitié lumineufe qui avoit le jour, elle luy dérobe le Soleil. Voila donc une Eclipfe de Lune pour nous pendant noftre nuit, & une Eclipfe de Soleil pour la Lune pendant le jour dont elle jouiffoit. Ce qui fait qu'il n'arrive pas des Eclipfes toutes les fois que la Lune eft entre le Soleil & la Terre, ou la Terre entre le Soleil & la Lune, c'eft que fouvent ces trois Corps ne font pas tres-exactement rangez en ligne droite, & que par conféquent celuy qui devroit faire l'Eclipfe, jette fon ombre un peu à cofté de celuy qui en devroit eftre couvert.

Je fuis fort étonnée dit la Marquife qu'il y ait fi peu de miftere aux Eclipfes, & que tout le monde n'en devine pas la caufe. Ah! vraiment, répondis-je, il y a bien des Peuples qui de la maniere dont ils s'y prennent ne le devineront encore de longtemps. Dans toutes les Indes Orientales on croit que quand le Soleil & la Lune s'éclipfent c'eft qu'un certain Demon qui a les Griffes fort noires, les étend fur ces Altres dont il veut le faifir, & vous voyez pendant ce temps-là les Rivieres couvertes de Teftes d'Indiens qui fe font mis dans l'eau jufqu'au cou, parce que c'eft une fituation tres-devote, felon eux, & tres-propre à obtenir du Soleil & de la Lune qu'ils fe défendent bien contre le

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Demon. En Amerique, on eftoit perfuadé que le Soleil & la Lune eftoient fachez quand ils s'éclipfoient, & Dieu fçait ce qu'on ne faifoit pas pour fe racommoder avec eux. Mais les Grecs qui eftoient fi raffinez, n'ont-ils pas cru long-temps que la Lune eftoit enforcelée, & que des Magiciennes la faifoient defcendre du Ciel pour jetter fur les Herbes une certaine écume malfaifante. Et nous n'eûmes-nous pas belle peur il n'y a guere plus de quarante ans, à une certaine Eclipfe de Soleil qui arriva ? Une infinité de Gens ne fe tinrent-ils pas enfermez dans des caves, & les Philofophes qui écrivirent pour nous raffurer, n'écrivirent-ils pas en vain?

En verité, reprit-elle, tout cela eft trop honteux pour les hommes, il devroit y avoir un Arrest du Genre humain qui défendift qu'on parlaft jamais d'Eclipfe, de peur que l'on ne conferve la memoire des fotifes qui ont esté faites ou dites für ce Chapitre là. Il faudroit donc, repliquay-je, que le mefme Arrest abolift la memoire de toutes chofes, & défendift qu'on parlast jamais de rien, car je ne fçache rien au monde qui ne foit les monument de quelque fotife des hommes.

Dites-moy, je vous prie, une chofe, dit la Marquife. Ont-ils autant de peur des Eclipfes dans la Lune, que nous en avons icy? Il me paroiftroit tout-à-fait burlefque que les Indiens de ce pays-là fe miffent à l'eau comme les noftres, que les Ameriquains creuffent noAre Terre fâchée contre eux, que les Grecs

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